beautifully scary & scarefully beautiful

Je n’ai pas lu en entier de manga du mangaka d’horreur Junji Itō (伊藤潤二), mais j’avais tout de même très envie d’aller voir l’exposition Enchantment (誘惑) qui lui est consacré en ce moment au Setagaya Literary Museum (世田谷文学館). L’exposition a ouvert ses portes le samedi 27 Avril et se déroulera jusqu’au 1 Septembre 2024. Allez savoir pourquoi, j’y suis même allé dès le premier jour, comme un fan que je ne suis pourtant pas. C’est en fait la première fois que je vais dans ce musée de Setagaya. Je voulais y aller depuis quelques temps et cette exhibition du maître Japonais de l’horreur dessinée était une bonne occasion. Depuis la station, il faut marcher une petite dizaine de minutes. Il n’est pas très difficile de trouver le chemin du musée. Il m’a suffit de suivre cette fille habillée de noir, avec le crâne à moitié rasé et une crinière rouge. Le motif dessinée de son t-shirt me semblait bien correspondre aux images que je peux imaginer de Junji Itō. Je suis en fait en train de lire son manga Tomie (富江) depuis un bon petit moment mais je le lis par petites doses, par chapitres. Tomie est une jeune fille très belle et manipulatrice, pouvant se multiplier et renaître. Elle ensorcelle les hommes au point où ils en deviennent fous et sont poussés au meurtre. Elle est même souvent victime car elle parvient à chaque fois à faire surgir le pire qui se cache dans le fin fond de l’être humain. Au fur et à mesure des histoires composant le manga de plus de 700 pages, elle est découpée en morceaux mais renaît toujours de parties d’elle même et vient sans relâche hanter son entourage jusqu’à la folie. L’histoire et les images sont effrayantes mais on a du mal à se détacher des pages car on n’ose pas imaginer quelle nouvelle atrocité Tomie manigance. En lisant le manga, on se dit en fait que Tomie est la personne qu’il ne vaut mieux pas avoir le malheur de connaître ou de croiser, et qu’il ne faut surtout pas l’inviter chez soi. On plaisantait avec Nicolas sur ce manga en ayant même peur de l’avoir chez soi et confronter le regard de Tomie sur la page de couverture.

Je suis loin d’être adepte des manga d’horreur mais il faut avouer que les images que construit Junji Itō sont particulièrement impressionnantes et imaginatives. Je conçois tout à fait qu’il ait de nombreux fans au Japon et à travers le monde. C’était d’ailleurs ma constatation au musée de Setagaya dès l’ouverture le matin, car la foule était présente sans qu’on se marche pourtant sur les pieds. L’espace était assez vaste et couvrait de nombreuses séries de l’auteur, que je découvrais à part Tomie que je connaissais déjà et qui nous accueillait dès la première partie de l’exposition. En voyant le beau visage et les grands yeux de Tomie, je me suis d’abord demandé si c’était une bonne idée d’entrer à l’intérieur. Mais je ne suis heureusement pas seul présent à cette exposition, ce qui me donne finalement le courage d’entrer. Je ferme quand même bien mon sac pour éviter que s’y glisse par erreur des cheveux de Tomie (ou un petit doigt). Une des raisons pour lesquelles j’ai commencé la lecture du manga Tomie était la passage de Junji Itō au festival Angoulême en 2023. J’avais vu malgré moi beaucoup d’images de cette exposition intitulée « Dans l’antre du délire« , sur mon fil Twitter, et elles m’ont finalement beaucoup intriguées. L’exposition à Setagaya montre un très grand nombre de planches originales de manga et des illustrations couleur. Des séries que je vois devant moi, je retiens celle intitulée Spirale (うずまき) que j’aimerais lire après avoir terminé Tomie (si j’y parviens un jour). Pour reprendre le titre de l’exposition, découvrir l’oeuvre de Junji Itō était un véritable ’enchantement’. On n’en sort étonnement pas oppressé, mais tout simplement heureux de vivre dans un monde rationnel où les monstres ne nous attendent pas à chaque coin de rue. En fait, on ne se sent pas oppressé car le tout reste fantastique et irréel. La boutique de l’exposition était prise d’assaut par les visiteurs. J’aurais voulu ramener quelques cartes postales mais la file d’attente était vraiment trop longue et j’ai fini par abandonner. Je reviendrais peut-être y faire un petit tour avant la fin de l’exposition. En revenant de l’exposition, je passe devant la sortie Sud de la grande station de Shinjuku, avec la musique d’Urbangarde dans les oreilles (Shinjuku Mon Amour).

Je mentionnais rapidement le groupe Urbangarde (アーバンギャルド) dans un billet précédent pour le morceau Shōjo Gannen (少女元年) en duo avec Atarashii Gakko! (新しい学校のリーダーズ), et j’ai eu très envie de découvrir d’autres morceaux du groupe. C’est assez compliqué de savoir par où commencer car le groupe a sorti de nombreux albums, mais les hasards de la découverte me font d’abord passer par l’album Shōwa 90 Nen (昭和九十年), sorti en 2015 qui doit correspondre à peu près à l’année 90 de l’ère Shōwa si celle-ci ne s’était pas arrêtée en 1989 pour laisser place à l’ère Heisei. On retrouve une certaine esthétique Shōwa dans le premier titre de l’album Kuchibiru Democracy (くちびるデモクラシー), mais dans une version mise au goût du jour. Ce titre de morceau, faisant référence à une démocratie des lèvres, est bien étrange. La grande majorité des visuels accompagnant les morceaux sont des plus étranges et décalés, tout comme les paroles faisant ici référence à des rouge-à-lèvres remplaçant les missiles. Les images guerrières peuvent au premier abord surprendre et faire un peu peur, comme l’image ci-dessus de Yōko Hamasaki pourtant un masque à gaz, mais elles sont sont à chaque détournées vers quelques choses d’autres, comme un combat pour espérer ne pas tuer les mots. Dans le genre « Faites l’amour et pas la guerre », il s’agit plutôt chez Urbangarde de prendre le temps de se maquiller plutôt que de faire la guerre. Le fondateur du groupe Temma Matsunaga se maquille d’ailleurs souvent, quand il ne porte pas des talons-hauts rouges comme sur la vidéo du morceau Akuma des Akuma (あくまで悪魔) de l’album Shōjo Fiction (少女フィクション) de 2018 que j’écoute également en partie. Les morceaux d’Urbangarde provoquent en moi une certaine addiction même s’ils sont pour sûr excessifs dans leurs compositions musicales et dans l’approche stylistique générale. Sur le morceau Akuma des Akuma, Yōko est vêtue d’un blanc immaculé comme une religieuse mais elle alterne souvent avec le rouge vif provocateur qu’on pourrait trouver sur un costume d’idole. Tout comme le sigle du groupe montrant un rond rouge ressemblant au drapeau japonais mais dont la couleur coule comme un maquillage en fin de soirée, on sent que toute l’approche d’Urbangarde est décalée. Yōko joue certes aux idoles mais son interprétation dans le contexte des vidéos et des paroles nous éloigne assez rapidement de l’ambiance lisse typique de ce monde là. Comme nous le rappelle le morceau Ungragra (アング・ラグラ) présent sur leur dernier album Metrospective (メトロスペクティブ), Urbangarde évolue plutôt dans un monde underground. Pour ce morceau, le groupe se fait accompagner par la troupe de théâtre Kyoshoku Shūdan Kaiten Hyakume (虚飾集団廻天百眼). Cette troupe, plus communément appelée Kaiten Hyakume, évolue également dans un univers underground, bien qu’ils préfèrent se qualifier comme étant upperground (アッパーグラウンド), jouant notamment des pièces basées sur des manga de Suehiro Maruo ou des œuvres de Shūji Terayama. Je trouve d’ailleurs que la vidéo du morceau Ungragra évoque assez clairement le film Pastoral: To Die in the Country (田園に死す) de Shūji Terayama, dont je parlais dans un billet précédent.

Le style musical des morceaux d’Urbangarde que j’ai pu écouter jusqu’à maintenant tiennent de la pop électronique soutenue et accrocheuse. Un peu comme pour la musique de Buck-Tick mais dans un style différent, on a affaire à une musique de genre (comme on peut avoir des films de genre) car l’empreinte stylistique du groupe est très forte et sans concession. L’approche musicale est souvent dense et sans retenue, comme par exemple la frénésie électronique et vocale du morceau Tokyo Kid (トーキョー・キッド). Ce morceau a une approche chaotique qui correspond bien à l’image de Tokyo. Le style du groupe est multiple et ils l’appellent eux-mêmes Tokyo Virginity Pop ou Trauma Techno Pop, si ça veut dire quelque chose. Plusieurs morceaux que j’écoute ont des envolées théâtrales comme Shinjuku Mon Amour (シンジュク・モナムール), en français dans le texte. Ce titre semble être une allusion au film d’avant-garde français Hiroshima mon amour d’Alain Resnais, mais nous rappelle aussi que Temma Matsunaga, le moteur créatif du groupe écrivant les paroles et décidant de la direction artistique du groupe, a découvert Yōko Hamasaki alors qu’elle faisait des représentations de chansons françaises. Le terme Urbangarde lorsqu’il est prononcé en japonais ressemble d’ailleurs beaucoup au terme français avant-garde. Je n’ai par contre pas encore entendu de morceaux chantés en français (s’il y en a) par Yōko. Un point intéressant est que la compositrice et interprète londonienne d’adoption Yeule, dont je parle sur ce blog de chacun de ses albums, a commis un très bon remix du morceau Akuma des Akuma. Il est très réussi car très différent de l’original, tout en conservant une partie de sa trame et en y apportant les spécificités du son de Yeule. Voilà donc un rapprochement entre deux artistes qui est très intéressant, sans être complètement étonnant vu que Yeule et Urbangarde évoluent dans des milieux d’avant-garde, qui à défaut d’être similaire, semble tendre vers les mêmes aspirations. Parmi les autres morceaux que j’écoute beaucoup en ce moment dans ma petite playlist de garde urbaine, il y a Atashi Fiction (あたしフィクション), Femme Fata Fantasy (ふぁむふぁたファンタジー), Loveletter Moyu (ラブレター燃ゆ) et Coin Locker Babies (コインロッカーベイビーズ). Ce titre là me ramène à la noirceur du Shinjuku de Ryu Murakami dans son roman du même nom.

Et je promets que pour mon prochain billet je reviendrais vers la douceur bucolique et la délicatesse des fleurs de cerisiers (mais en accompagnant peut être quand même mon billet par le rock alternatif de Minori Nagashima).

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