泣いてるのは空

Cette série photographique est la continuation et la conclusion de celle commencée sur plusieurs billets précédents entre Shibuya et Shinjuku. Je m’approche cette fois-ci de la rue Takeshita à Harajuku et ça faisait plusieurs années que je ne l’avais pas traversé dans toute sa longueur. La foule oblige à marcher au pas et ça doit être la raison pour laquelle j’essaie en général de bifurquer dans une rue perpendiculaire quand la circulation piétonne devient vraiment trop difficile. Les photos ci-dessus ont été prises avant la levée officielle des masques mais cela ne change pas grand chose car une grande majorité de personnes le garde même à l’extérieur. Personnellement, je suis contraint de le remettre à l’extérieur en raison de mon allergie au pollen, comme une très grande partie de la population en cette période. Même en prenant des médicaments tous les jours, je trouve l’allergie plus pénible cette année par rapport aux deux années précédentes. J’en viendrais même à souhaiter des jours de pluie car ils sont synonymes d’accalmie. Elle s’est soudainement déclenchée pour moi il y a dix ans et ne me lâche malheureusement pas encore.

Les quatrième et cinquième photos du billet sont prises après Kita-Sando sur l’avenue Meiji. La façade du building de béton COOP Kyosai Plaza conçu pour la Japan Co-op mutual aid Consumers’ Co-operative Association (日本コープ共済生活協同組合連合会) par Nikken Sekkei en 2016 est intéressante car elle laisse progressivement pousser la végétation sur les balcons. Cette progression végétale est facilitée par des câbles métalliques verticaux permettant aux plantes de grimper jusqu’à l’étage du dessus. Le bâtiment, malgré sa taille, finira peut-être par disparaître complètement sous la végétation, comme ça peut être parfois le cas mais de manière involontaire pour les petits maisons laissées à l’abandon. Lorsque je passe à cet endroit, j’aime vérifier l’avancement de l’invasion verte. En presque sept ans, elle a bien avancé. Sur la photographie qui suit, je montre des nouvelles toilettes publiques du projet The Tokyo Toilet de la Nippon Fondation. Il s’agit des quatorzièmes toilettes publiques de ce projet, sur les dix-sept prévues au total. On les trouve situées à Sendagaya, au bord de l’avenue Meiji après Kita-Sando et dessous l’autoroute surélevée Shuto de la route numéro 4 de Shinjuku. Elles ont été conçues par le designer d’origine australienne Marc Newson. Ce petit bâtiment de béton au toit pyramidal de cuivre ressemble à une cabane au bord de la route, mais qui serait très élégante et bien finie. A mon retour de Shinjuku, la nuit est déjà tombée et je me replonge une nouvelle fois dans les rues d’Ura-Harajuku. Les illustrations de la dernière photographie proviennent d’une galerie à cet endroit.

C’est une bonne surprise de retrouver soudainement Smany même s’il ne s’agit que d’un EP de deux nouveaux titres et pas d’un album. Si je ne me trompe pas, elle n’a pas sorti de nouveaux morceaux depuis son album Illuminate de 2020, dont j’avais déjà parlé sur ces pages car il était superbe, notamment le morceau Usagi. Elle a dû, ceci étant dit, participer à des collaborations avec d’autres artistes, comme World’s End Gitlfriend. Cet EP sorti le 3 Mars 2023 s’intitule Nagisa (渚). Il s’agit également du titre du premier morceau. Le deuxième morceau s’intitule 1st March (3月1日). L’approche musicale de ces nouveaux titres est plus minimaliste que l’album Illuminate, car ils se composent principalement du chant de Smany accompagnée d’un piano. Le ton général est par contre très similaire et me fait penser à des réadaptations actuelles de contes ancestraux. Le titre de ce billet qui signifie « c’est le ciel qui pleure » est tiré des paroles du deuxième morceau 3月1日, et accompagnerait bien une journée de pluie dans les rues désertes d’une ville quelconque très tôt le matin ou très tard le soir. Ce morceau en particulier possède une évidence et une beauté apaisante qui me plaisent beaucoup. En fait, j’aime le ton de ses morceaux qui ne cherchent pas à impressionner ni à se faire apprécier à tout prix. Cet EP est sorti sur le label Virgin Babylon Records qui avait récemment ressorti le superbe album de Mutyumu (夢中夢) intitulé – il y a – (イ​リ​ヤ) dont j’avais également déjà parlé sur ce blog.

L’approche musicale du nouveau titre solo de SAI intitulé Hirokō (広高) est complètement différente et même opposée musicalement. Ce titre a une ambiance sombre et mystérieuse plutôt proche du hip-hop car la voix de SAI évolue à la limite du parler et du chanter. Le rythme se répète et la voix de SAI passe d’une version modifiée vers une plus naturelle. Le morceau fait environ 2mins 30s, et j’aurais aimé qu’il dure le double pour se laisser imprégner par cette ambiance entêtante. Je parle régulièrement sur ces pages de SAI car elle chante dans le groupe Ms.Machine (ミス・マシーン) tout en évoluant en parallèle en solo. Les trois membres Ms.Machine sont d’ailleurs très actives car Mako, la compositrice et guitariste du groupe, crée également des morceaux à l’ambiance électronique witch house sous le nom de code 1797071 et est membre d’un autre groupe appelé SOM4LI avec également Risako, la bassiste de Ms.Machine. J’avais déjà parlé de ces deux formations, et à ce propos, en lisant une interview récente de Mako par SAI, je viens de comprendre le sens du nom 1797071 qui veut dire Inakunaranai (イナクナラナイ), ce qu’on peut traduire en « ne disparaît pas ». J’aurais dû m’en douter plus tôt.

誰も知らない青

Les deux premières photos de ce billet sont prises le soir sous la pluie dans les rues de Daikanyama. Les jours de la semaine où je travaille à la maison, je marche systématiquement le soir entre une demi-heure et une heure, suivant l’heure où je termine le travail. Il m’arrive rarement de me laisser influencer sur les choix musicaux que je vais faire pour cette marche du soir dans la nuit, mais le conseil de Smany pour son propre album Illuminate était très adapté. Sur le court message qu’elle laisse et que je retweete, elle propose d’écouter son album les jours de pluie froide. Rappelons que nous sommes encore pendant la saison des pluies lorsque ce message est publié et au moment où j’ai pris ces quelques photos. Illuminate est un très bel album dont je parlais déjà l’année dernière en Octobre. Marcher la nuit dans des rues peu éclairées sous la pluie est une expérience d’écoute particulière.

Les autres photos du billet, également prises à l’iPhone, correspondent à d’autres journées mais toujours pendant la saison des pluies. L’architecture est celle de l’immeuble Iceberg et du Shibuya Scramble Square, tous deux plantés au bord de l’avenue Meiji. Il y a quelques similitudes dans la deconstruction architecturale des façades de ces deux buildings. Lorsque je prends des photos avec mon iPhone, je retravaille souvent le contraste et la luminosité avec l’application Snapseed, mais je montre plutôt ces photos sur Instagram. Une fois n’est pas coutume, j’utilise un filtre sur Snapseed pour les photos de cette série (Noir C02). J’aime beaucoup le rendu peu contrasté de ce noir et blanc, qui donne l’impression que ces photos sont datées. Je ne montre pas souvent de photos prises à l’iPhone sur ce blog. La qualité d’image est loin d’être mauvaise mais les photos prises au téléphone portable me donnent en général l’impression d’avoir été aplaties, sans le relief que l’on peut avoir à travers l’objectif d’un appareil reflex.

Je parle assez peu de musique sur mes derniers billets, même si j’écoute de belles choses en ce moment, notamment le dernier album de Yuragi (揺らぎ) intitulé For you, Adroit it but soft, sorti le 30 Juin 2021. Il s’agit en fait du premier album du groupe, mais Yuragi a déjà sorti deux EPs que j’aime beaucoup: Nightlife et Still Dreaming, Still Deafening, sortis respectivement en 2016 et 2018. Le premier EP Nightlife ne contenait que quatre morceaux mais m’avait laissé une très forte impression au point de considérer Yuragi comme une des meilleures formations Shoegaze japonaises. Je pense à des morceaux comme Night is Young et AO (dont je tire le titre de ce billet) qui sont excellents. Je me souviens du billet que j’avais écrit lorsque je découvrais ce EP et de mon incapacité à écrire dessus. Le nouvel album ne surpasse pas la force mélancolique de ce premier EP, mais s’en approche et part vers d’autres ambiances. On retrouve la voix frêle de Mirai Akita, que je vois nommée Miraco sur la page web du groupe, et les partitions parfaites de guitares envahissant l’espace. La voix de Miraco prend en fait plus d’ampleur et de présence sur le nouvel album, sur des morceaux comme Sunlight’s Everywhere. L’album part également brièvement dans de nouvelles directions loin du shoegazing sur certains morceaux comme le quatrième Dark Blue, peut-être parce qu’il s’agit ici d’une collaboration. C’est la seule de l’album, avec un beat producer japonais basé en Angleterre dont on ne connaît pas le nom mais qui se fzit appeler Big Animal Theory. Mais les meilleurs morceaux de l’album à mon avis sont ceux qui sont fidèles à l’esprit musical initial du groupe, comme par exemple le sixième morceau While My Waves Wonder et le dernier morceau I Want You By My Side. Ce dernier morceau est mon préféré de l’album, certainement en raison de la partition de batterie de Yusei Yoshida, pas spécialement complexe mais je réalise que sa présence a une grande influence sur la beauté et l’interêt de certains morceaux. Je le remarque maintenant sur le morceau Night is Young de EP Nightlife lorsque le rythme soudain de batterie vient donner un nouveau souffle au morceau. A noter que dans ce morceau Night is Young, je remarque en réécoutant le EP à la suite du nouvel album que les paroles mentionnent les mots Onaji Yoru (同じ夜), que je ne peux m’empêcher d’associer au morceau de Muzai Moratorium (無罪モラトリアム). La voix de Miraco sur le dernier morceau I Want You By My Side est magnifique, mais pas d’une manière conventionnelle. La puissance des guitares est omniprésente sur la plupart des morceaux mais laisse assez de place à la voix qui n’est pas complètement noyée par rapport à ce qu’on peut entendre chez d’autres groupes de shoegazing. La voix de Miraco a même une certaine clarté, sur un morceau comme Underneath it All par exemple, qui donnerait presque par moments une approche pop à cet album. Un nouvel aspect dans la musique du groupe est la présence de morceaux beaucoup plus calmes qui viennent se placer comme de courts interludes dans l’album. Le septième morceau The Memorable Track est un de ces morceaux mémorables, qui nous fait dire que le groupe pourrait partir à l’avenir vers d’autres horizons. Une chose est sûre, le rock indé n’est pas mort au Japon et ses meilleurs albums sont en train d’être composés en ce moment.

to the endless sea of light

Le but de ma promenade du Samedi matin était d’aller marcher jusqu’à Sangenjaya, mais je n’irais que jusqu’à Shinsen car je me laisse distraire en route par le paysage urbain comme toujours. Après toutes ces années à prendre des photographies dans les rues de Tokyo, je suis surpris moi-même de ne pas en avoir marre. J’ai même l’impression d’en avoir de plus en plus besoin. Un des intérêts principal pour moi de cette ville, outre son architecture chaotique, est la présence de terrains vallonés. Les pentes dans la ville font tout l’intérêt du paysage urbain et j’ai tendance à m’ennuyer quand le terrain est plat. La colline me donne envie d’aller découvrir le mystère qui se cache derrière. Lorsqu’on atteint un sommet, on a rarement une vue dégagée, mais plutôt une vue encombrée comme sur la deuxième photographie avec une multitude de couches superposées d’immeubles en toile de fond. Les maisons basses et les points de verdure à l’avant nous rappellent que nous sommes dans une zone résidentielle. Les pentes dans la ville m’assure que l’architecture et l’organisation urbaine seront compliquées et c’est ce que je recherche dans mes promenades continuelles quand le temps me le permet (au deux sens du terme). Je suis sûr que cette recherche de la complexité et densité urbaine a à voir avec ma peur du vide, tout comme le besoin d’écrire sans arrêts sur ces pages, comme d’autres ne peuvent pas laisser d’espaces blancs dans une conversation. En fait, je souhaitais passer par Shinsen, car je voulais revoir le passage à niveau de la première photographie car cet endroit est assez photogénique. Je l’ai même déjà vu utilisé pour des photos promotionnels de groupes de musique. J’attends que le train passe en sortant du tunnel. La robe de la dame vole un peu, poussée par le courant d’air. L’angle n’est pas idéal car le mur de la gare sur la droite me gène un peu. La dame avec la poussette me regardait un bref instant prendre des photos alors j’ai préféré rester un peu en retrait. En fait je voulais également pendre le restaurant coloré thaï sur la gauche en photo, mais je ne suis pas du genre à attendre sur place que la situation devienne idéale pour une photo. J’ai quand même un peu attendu que le train arrive en gare.

La musique de Smany sur son album Illuminate est pour moi une autre très belle découverte ces dernières semaines. Je suis en ce moment dans une phase d’écoute de musiques obscures (qui ne va pas s’arranger avec un des prochains billets, je préviens). La musique de Juri Toyoda, alias Smany, est très mélodique, sombre mais parsemée de points lumineux comme l’indique d’ailleurs le titre de l’album Illuminate. Les cordes du premier morceau de l’album dye the darkness me donne tout de suite des frissons, surtout lorsque le piano fait son apparition. Cette musique est vraiment très belle et la voix de Smany très présente, parfois prédominante et intimiste sur certains morceaux. Les morceaux prennent leur temps et sont très délicats. Il y a une mélancolie certaine qui se dégage de cette musique. Le morceau Blurry Moon est magnifique mélangeant une partition symphonique, des surimpressions électroniques que je qualifierais de spectrales, et la voix à la fois fragile et puissante de Smany. Ce titre correspond bien à l’image générale de l’album, une musique remplie d’obscurité mais éclairée par instants par la lumière éphémère de la lune. Avec le cinquième morceau intitulé usagi, j’ai même le sentiment que la la lumière lunaire est le thème central de cet album (les japonais voit une image de lapin dans la lune). Ce morceau usagi est peut être mon préféré, j’adore les distorsions sonores au début et ponctuant le morceau, la voix (encore) de Smany très proche de l’auditeur et son air de conte enfantin. Il y a quelques morceaux un peu plus inégaux mais qui ne nuisent pas à l’ambiance générale de l’album et viennent s’y fondre. Et il y a le morceau fall et, là encore, la puissance des cordes qui nous envahissent (il faut écouter assez fort aux écouteurs). La voix de Smany vient s’y noyer, parfois en murmures, mais ne perd pas pied. Le huitième morceau Himitsu en collaboration avec World’s End Girlfriend (dont j’avais déjà un peu parlé précédemment) est également remarquable et apporte quelques nouveaux rayons de lumière bienvenus. L’album se termine avec le bien nommé over qui a la particularité de se conclure sur des sons sons électroniques en distortion qui me rappellent un peu Aphex Twin. On n’atteint pas ici l’aspect incisif d’Aphex Twin, mais ce petit passage en fin d’album avec une coupure abrupte est très intéressante. Illuminate est sorti le 26 Septembre 2020 sur le label Virgin Babylon Records et est disponible sur Bandcamp. Je l’ai acheté le jour où Bandcamp levait son pourcentage au profit des artistes. C’est une opération que Bandcamp poursuit une fois par mois pendant la crise sanitaire, ce que ne font pas d’autres plateformes à ma connaissance. En commentaire sur la page de l’album, Smany indique qu’elle voulait décrire le vide à travers cet album (描きたかったのは’‘), mais un vide qui se remplit d’une lumière éphémère (作品を作り上げていく先に見えた景色は、儚くも美しい’‘でした。). Je ne ressens pourtant pas de vide dans cette musique mais je comprends qu’il nous parle principalement de la perception d’une lumière. Je la ressens très bien ici comme celle que j’essaie de percevoir à travers l’appareil photo.