sur la montagne sacrée d’Oiwa

La préfecture d’Ibaraki est souvent listée comme étant la moins populaire du Japon pour le tourisme et elle est en général bonne dernière dans les classements annuels. C’est pourtant pour nous la destination où nous allons le plus souvent. On connaît en fait déjà bien la préfecture de Kanagawa au Sud-Ouest de Tokyo et on a donc naturellement envie de découvrir le Nord. Lors de notre premier passage au mois d’Août 2022 dans la petite ville côtière d’Hitachi située dans la partie Nord de la préfecture d’Ibaraki, nous avions également l’intention d’aller voir le sanctuaire d’Oiwa (御岩神社) mais le temps nous avait manqué. Nous retournons il y a quelques semaines à Hitachi pour aller spécialement explorer ce sanctuaire. Il faut un peu moins de deux heures de voiture pour s’y rendre avec une grande partie sur l’autoroute Joban. Une petite route sinueuse nous amène ensuite sur les hauteurs du Mont Oiwa sur lequel se trouve le sanctuaire. On dit que cette montagne de 530m de haut est sacrée et que le sanctuaire consacre pas moins de 188 divinités. Il s’agit d’un sanctuaire Shintō mais on y trouve également certains symboles du Bouddhisme. Les origines de ce sanctuaire sont inconnues. On sait seulement qu’il s’agit d’un lieu de culte sacré depuis des temps anciens. Le sanctuaire d’Oiwa est perdu dans la montagne et ses forêts. Un grand cèdre sacré à trois ramifications (神木三本杉) d’environ 500 ans nous attend sur l’allée d’entrée au sanctuaire avant la grande porte Rōmon (楼門). On dit qu’un Tengu vivait dans cet arbre. Ce sanctuaire est considéré comme un « power spot ». A cet endroit particulier, la lumière transperce les arbres, bien que ce n’était pas une journée ensoleillée. Les sols autour des allées dans l’enceinte du sanctuaire sont entièrement couverts de mousses. Ce paysage est magnifique et on se répète intérieurement cette impression tout en marchant doucement dans les allées ombragées. Dans une des dépendances du sanctuaire, on peut admirer un grand dragon peint au plafond. Les dragons sont également présents sur le bâtiment principal. 2024 sera l’année du dragon et c’est donc mon année. A l’entrée, nous avons laissé nos carnets Goshuinchō pour qu’on nous écrive les sceaux du sanctuaire pendant que nous le visitons. Pour en avoir un complet sur deux pages, il faut aller jusqu’au sanctuaire reculé sur les hauteurs de la montagne, se trouvant à environ une heure allé-retour. Personne ne viendra vérifier si nous y sommes réellement allés ou pas, mais on nous indique tout de même cette condition. Nous n’avions de toute façon aucunement l’intention de tricher avec les dieux du sanctuaire qui nous auraient de toute façon tout de suite repéré. Nous voyions autour de nous certains pèlerins équipés de chaussures renforcées de montagne et de bâtons de bois, ce qui ne nous rassure pas beaucoup sur la praticabilité du chemin, d’autant plus qu’il a dû pleuvoir dans la matinée. Certaines personnes portent même une petite cloche pour faire fuir les ours. Nous apprendrons au retour que les bâtons de bois peuvent être loués au sanctuaire. On sait que les japonais ont tendance à se suréquiper, donc on tente tout de même la montée vers le sanctuaire au fond de la montagne appelé Kabire Jingū (かびれ神宮) en empruntant le cheminement Omotesandō (表参道). Ce chemin perdu dans la nature commence doucement mais devient plus difficile au fur et à mesure qu’on approche du Kabire Jingū. La pente devient plus importante et les racines à enjamber plus nombreuses et hautes. On avait en fait un peu peur des ours car on nous dit ces derniers temps aux informations qu’ils ont tendance à descendre plus souvent vers les villages. N’ayant pas de clochettes pour faire du bruit, je prépare au cas où mon iPod pour lancer de la musique forte. Tout en marchant, je me demande quelle musique mettre à tue-tête pour effrayer un ours. Ussewa (うっせぇわ) d’Ado peut-être, ça parait être un bon choix. Mais nous ne sommes de toute façon pas les seuls à grimper cette montagne, donc le risque de trouver un ours sur notre passage était principalement dans notre imagination. Nous atteignons finalement le sanctuaire Kabire Jingū placé en hauteur derrière un immense rocher. Il s’agit seulement d’un petit autel enfoui dans la forêt profonde et on en a vite fait le tour. Le chemin du retour, le Urasandō (裏参道), est différent de celui de l’allé. On y trouve un autre autel placé à mi-chemin de l’Urasandō, au milieu des grands arbres et de leurs racines. Le paysage est différent mais on repense tout d’un coup au Mont Haguro (羽黒山) dans le domaine de Dewa Sanzan (出羽三山) à Yamagata qui est un lieu très particulier. La météo a été dans l’ensemble clémente, mais une petite averse très courte et légère nous a accueilli à notre retour après avoir franchi la porte Rōmon. Mari y voit un signe. A notre retour à l’entrée de l’enceinte du sanctuaire, nos goshuin étaient prêts. Nous n’avons bien sûr pas eu à justifier notre ascension jusqu’aux hauteurs du Mont Oiwa. Cette petite excursion nous a donné de l’appétit et notre prochaine étape est bien sûr une station routière Michi no Eki (道の駅) dans laquelle on trouve toutes sortes de spécialités locales. Ces Michi no Eki se développent beaucoup au Japon ces dernières années et il y en aurait plus de 1200 dans tout le pays. Elles dynamisent pour sûr les zones agricoles les plus reculées. En plus d’y attirer les touristes et voyageurs de passage, j’ai l’impression que ces Michi no Eki rassemblent également la population locale car les enfants y sont en général nombreux. Nous explorons celles du Nord du Kanto les unes après les autres. Ce n’était pas le cas cette fois-ci, mais ces Michi no Eki ont parfois une architecture intéressante.

Je fais une nouvelle fois une très belle découverte musicale avec l’album Osharaka (おしゃらか) d’un groupe mystérieux nommé Oni no Migiude (鬼の右腕), qu’on peut traduire par le bras droit du démon. Le démon dont on parle ici est celui du folklore japonais et cette atmosphère musicale, notamment les visuels, correspondent assez bien à l’atmosphère des lieux que j’ai pris en photo ci-dessus sur le Mont sacré d’Oiwa. Je ne connaissais pas ce groupe dont j’ai pris connaissance à travers un tweet de la musicienne, compositrice et chanteuse Utena Kobayashi (小林うてな), dont j’ai plusieurs fois parlé sur ces pages car je suis très sensible à sa musique. J’ai en fait vite compris qu’Utena Kobayashi faisait partie du groupe Oni no Migiude qu’elle a d’ailleurs fondé avec d’autres étudiants de son école de musique. Utena joue de la musique depuis qu’elle est toute jeune, de la flûte à bec, du piano et du chœur, puis s’est consacrée aux percussions, en particulier le steel pan aux sonorités immédiatement reconnaissables. Je connaissais ses activités de percussions en support d’artistes comme Kid Fresino et D.A.N., sa carrière solo avec quelques magnifiques EPs et un album intitulé 6 roads en 2021 dont j’ai également déjà parlé, son groupe Black Boboi formé en 2018 avec Ermhoi et Julia Shortreed, mais je n’avais jamais entendu parlé de son groupe Oni no Migiude. Il faut dire que même si ce groupe a été fondé en 2010 et a sorti un premier album en 2013, il a été longtemps en hiatus pour se réunir finalement l’année dernière, en 2022, et sortir cet album Osharaka le 2 Novembre 2023. En faisant quelques recherches, je vois qu’Utena Kobayashi est également membre de l’Orchestre Philharmonique Shuta Hasunuma. Je ne connaissais pas cet orchestre philharmonique, mais je retrouve parmi ses membres, un nom de musicien qui m’est familier, celui d’Itoken. Itoken (de son vrai nom Kenji Ito) était membre du groupe Sōtaisei Riron (相対性理論) dans lequel chante Etsuko Yakushimaru (やくしまるえつこ) et il a joué des percussions sur l’album RADIO ONSEN EUTOPIA (らじお おんせん ゆーとぴあ) de la même Etsuko Yakushimaru. Ce qui est vraiment intéressant, c’est qu’Itoken a fondé avec Kyoko un groupe nommé Harpy après la dissolution de Kokushoku Elegy (黒色エレジー) à la fin des années 90. Ce groupe a sorti deux albums mais a arrêté ses activités au début des années 2000 suite à la maladie de Kyoko. Itoken a également directement supervisé la compilation de Kokushoku Elegy sorti en Décembre 2020 dont je parlais très récemment. Ce sont encore une fois des liens inattendus qui me fascinent.

Mais revenons plutôt à l’album Osharaka de Oni no Migiude. Dès les premières notes du premier morceau Sono Kane Wo Narasu Toki (其ノ鐘ヲ鳴ラストキ), je suis saisi par la beauté de ce que j’écoute. On y entend plusieurs flûtes jouant un morceau à l’air médiéval, tout d’abord seules puis accompagnées d’une nappe électronique. Le morceau suivant ONO (斧) est plutôt d’inspiration asiatique voire tribale, mais ces sons se font ensuite déborder par une guitare puissante à la limite du métal. La voix flottante et nuageuse d’Utena Kobayashi intervient ensuite pour adoucir cette incursion de violence électrique mais apporte également une certaine dose de mysticisme. Dès les premiers morceaux de l’album, on comprend que le groupe mélange les genres avec des musiques parfois ancestrales et d’autres beaucoup plus contemporaines. Et le tout fonctionne terriblement bien. Ces associations inhabituelles de styles instrumentaux me rappellent un peu le fabuleux album -Il y a- (イ リ ヤ) de Mutyumu (夢中夢). Les morceaux de cet album sont principalement instrumentaux. La voix d’Utena est bien présente sur la plupart des morceaux mais elle intervient en quelque sorte comme un instrument parmi les autres, ce qui donne l’impression d’écouter une musique purement instrumentale. L’ensemble a des allures expérimentales mais est en même temps très facile d’approche car le groupe ne rechigne pas à créer des mélodies accrocheuses. L’ambiance générale n’est pas très éloignée de ce qu’Utena crée en solo sauf que l’instrumentation est plus complète sur cet album et les guitares très présentes, par rapport aux sons plus tournés vers l’électronique sur ses EPs et son album solo. A ce propos, je reviens très régulièrement vers la musique d’Utena Kobayashi, notamment les sublimes Pylon et Rose sortis sur le EP Pylon en Décembre 2020, que j’écoutais d’ailleurs juste avant la découverte de l’album Osharaka. Le morceau titre de l’album OShaRaka (オシャラカ) est un des meilleurs, mais j’aime également beaucoup le quatrième ISAHOHO (イサホホ) qui m’évoque une version moderne d’une musique folklorique d’un pays inconnu. Son instrument de prédilection, le steel pan, est très présent sur l’ensemble de l’album et c’est très étonnant de le voir associer au métal sur un morceau comme le cinquième intitulé TAIJI (タイジ), tout comme il est étonnant d’entendre des sons de flûte prendre le dessus sur des lourdes guitares sur le septième morceau DI LAKA REMIO (ディラカレミオ). C’est un moment sublime de l’album tout comme le solo de guitare inattendu et très prononcé sur TAIJI. L’album se termine au bout de 34 trop courtes minutes sur les sons plus apaisés du dernier morceau Hinode no Yume (日ノ出ノ夢). J’inscris également cet album dans la liste de mes albums préférés de cette année.

渋ライト

Enveloppé dans la lumière hivernale dans le quartier de Shibuya, elle est particulièrement basse et forte dès le début de l’après-midi. J’aime beaucoup cette lumière car elle nous fait parfois apprécier les lieux d’une manière différente. Je m’étonne, sur la première photographie par exemple, de la manière dont elle vient complexifier le paysage urbain en brouillant les perspectives et notre perception. Je ne cherche en général pas à éviter les halos de lumière qui viennent se former sur l’objectif. Je cherche plutôt à intégrer directement ce flux de lumière dans le cadre de ma photographie pour voir quel effet cela pourrait bien donner.

J’avais mentionné dans un précédent billet que je reviendrais certainement sur l’album NO MOON du groupe D.A.N. que j’écoute depuis environ deux semaines. J’avais évoqué le dernier morceau de cet album sorti le 27 Octobre 2021, mais je ne me doutais pas que l’ensemble de l’album serait aussi beau. Il y a beaucoup de morceaux très forts comme le premier Anthem, le dernier No Moon, le morceau Aechmea de 8 minutes au milieu et le fantastique troisième morceau The Encounters. J’avais déjà mentionné qu’Utena Kobayashi participait à cet album. Elle joue du steel pan sur les deux premiers morceaux et chante même sur le deuxième Floating in Space. La voix de Daigo Sakuragi (櫻木大悟) nous ferait presque pleurer tellement elle peut être belle par moments, notamment sur ce morceau. Elle a un côté androgyne qui se mélange avec la voix féminine d’Utena qui intervient en deuxième partie de ce morceau. Utena chante toujours d’une manière à faire entrer cette musique dans le mystique. Elle pourrait faire partie intégrante du trio, avec Daigo Sakuragi, Jinya Ichikawa (市川仁也) et Hikaru Kawakami (川上輝). Pour revenir au troisième morceau The Encounters, D.A.N. est y accompagné des voix de Takumi (du duo hip-hop MIRRROR) et de Tamanaramen (玉名ラーメン), mélangeant des moments rappés et d’autres plus vaporeux. La composition musicale du morceau est fabuleuse avec une coupure dans la deuxième partie du morceau pour partir vers des sons électroniques plus sombres qui me rappellent les décrochages qu’on peut entendre chez Burial. Le rythme s’accélère ensuite et on reste accroché lorsque Tamanaramen commence à chanter « What are you afraid of? » et quand Sakuragi vient y ajouter des pointes vocales (« あなたのせいで »). Tout excellent qu’il puisse être, ce morceau ne vient pourtant pas effacer les autres. Il y a trois interludes sonores assez étranges intitulés Antiphase venant assurer une transition vers des choses plus mélancoliques, qui représentent quand même l’atmosphère principale de l’album. Le piano et les sons de guitare pleins d’écho sur Bend par exemple débordent d’une tension émotionnelle qui ne peut pas laisser indifférent. Je le dis parfois pour certains albums, mais il faut être dans de bonnes conditions pour entrer dans l’album. Il n’est pas difficile d’accès mais je le trouve émotionnellement fort par moments, du moins l’atmosphère qui s’en dégage est très prenante. C’est un objet musical qu’il faut appréhender dans son ensemble plutôt que par morceaux séparés. La voix exceptionnelle de Daigo Sakuragi est un des grands attraits de cette musique, mais la composition musicale mélangeant instruments traditionnels (guitare, basse, batterie) et musique électronique est vraiment impeccable avec de nombreuses étrangetés sonores et quelques breaks à mi-morceau que j’aime particulièrement. Le morceau Take Your Time est un de ces morceaux qui se révèlent pleinement après plusieurs écoutes. Des paroles comme « 誰かの頭の中で暮らしてる » (Je vis dans la tête de quelqu’un) dans ce morceau ou « 本当の世界 連れていって » (Amènes moi dans le vrai monde) sur Aechmea m’intriguent et contribuent beaucoup à l’atmosphère mystérieuse, voire mystique par moments, qui entoure cette musique. La seule « déception » est que je n’ai pas été en mesure de créer des images à base de photographies pour ce blog tout en écoutant cette musique, mais c’est une autre histoire.

à la recherche d’un reflet du ciel

Les trois premières photographies sont prises dans un quartier près de la station de Akabane dans l’arrondissement de Itabashi, tandis que les deux suivantes sont prises à Meguro. Les barres d’appartements Danchi (団地) sont nombreuses dans ce quartier de Itabashi tandis qu’on trouve plutôt une accumulation de petites maisons individuelles à Meguro. Certains, comme le photographe Cody Ellingham, trouvent une grande inspiration dans ces complexes uniformes Danchi mais aux formes parfois particulières. Je préfère personnellement les maisons individuelles, surtout celles qui sont cachées et qu’on n’aperçoit pas complètement de loin. J’aime scruter du regard une nouvelle rue et y découvrir au loin des formes inhabituelles qui m’interpellent. On se sent attirer vers elles, même si elles peuvent être parfois trompeuses. Une arête de béton au découpage particulier vue de loin ne donne pas une garantie que le bâtiment dans sa totalité sera intéressant ou novateur. Il faut s’approcher plus près et observer.

Après la maison à Meguro sur laquelle se reflète un ciel nuageux, on passe avec la photographie de feuille morte sur une série prise à Shibuya. Les septième et huitième photographies montrent le parc surélevé de Miyashita qui longe les lignes de trains entrant et sortant de la gare de Shibuya. Pendant l’état d’urgence pendant l’été, j’étais venu une ou deux fois marcher le soir dans ce parc et j’avais été surpris de voir la foule qui s’y trouvait comme si une partie de la jeunesse de Shibuya se retrouvait ici le soir, faute de pouvoir aller ailleurs. On pouvait voir cette jeunesse regroupée par petits groupes de deux à quatre personnes assis sur les bancs qui n’étaient étonnamment pas condamnés ou sur une partie de la pelouse. Tout le monde portait des masques dans une ambiance calme et disciplinée. En pleine journée par contre, il n’y avait presque personne assis sur les bancs du parc. Comme sur l’ancienne version du parc, il y a une zone réservée aux skateurs. Avec les récentes performances des skateurs et skateuses japonais aux Jeux Olympiques de Tokyo, j’imagine que cet endroit va être de plus en plus prisé. Et sur les deux dernières photos, des affiches, celle d’un nouvel album de Keisuke Kuwata et celle d’une publicité avec Kiko Mizuhara en tenue de science fiction. Shibuya 別世界.

J’ai déjà parlé de la musique d’Utena Kobayashi, notamment de son dernier album 6 roads que j’avais beaucoup aimé. J’écoute plus récemment trois EPs sortis à la suite à la fin de l’année 2020: Fenghuang, Darkest Era et Pylon. Chaque EP est composé de trois morceaux et je les écoute dans l’ordre de leur sortie. On se laisse envouter par la beauté délicate de cette musique (la harpe sur The Garden of Harps sur le deuxième EP), dans l’ensemble plus apaisée que sur l’album 6 roads, mais pas moins mystérieuse et mystique. Je ne sais pas exactement dans quelle langue Utena chante les différents morceaux sur ces trois EPs, mais je pense qu’il y a des mélanges. J’écoute ces trois EPs comme un album et ils tournent souvent sur ma playlist en ce moment. Les deux derniers morceaux du troisième EP, Pylon et Rose sont en quelque sorte la culmination de cette oeuvre. On est comme forcer à rester concentrer sur ce qu’on écoute. La musique d’Utena Kobayashi tend vers une forme de méditation que j’ai bien du mal à expliciter clairement.

all the others stand still

Ces portraits d’inconnus sont actuellement affichés sur les palissades de protection métalliques entourant les vieux appartements de Kita-Aoyama voués à une destruction prochaine. Ces photographies ont été prises grâce à un dispositif de l’artiste français JR, connu pour son art de rue conçu à partir de collages de photographies en noir et blanc parfois géantes et agissant souvent en trompe-l’œil. Les portraits affichés ici font partie du projet d’art participatif Inside Out qui s’est développé dans le monde entier. A Tokyo, les photographies ont été prises près d’un bâtiment administratif de Shibuya pendant la période des Jeux Olympiques et se retrouvent maintenant affichées sur ces palissades. J’imagine que chacune des personnes dont on peut voir la photo a préalablement accepté une autorisation d’affichage de son visage. Je me suis moi-même posé la question de prendre ces affiches en photo et de les montrer ici, mais il s’agit de toute façon de photos montrées dans un espace public. Ce concept étant intéressant, je ne résiste pas à l’envie d’entre montrer quelques unes ici. J’y ai vu en photo au moins une personne que je crois reconnaitre. J’ai également aperçu d’autres portraits de personnes que je ne connaissais qu’à travers leurs comptes Instagram. Comme ils y avaient montré leurs portraits, je les ai reconnu une fois sur place (J’ai une très bonne mémoire visuelle). Utiliser les zones de constructions urbaines pour y montrer une expression artistique est devenu assez commun à Tokyo, et c’est une très bonne chose. A Shinjuku, on montrait des photographies de Daido Moriyama autour de la zone de construction d’une nouvelle grande tour de 48 étages de haut dans le quartier de Kabukichō, à l’emplacement de l’ancien théâtre Shinjuku Tokyu Milano. Le passant est en général le spectateur lorsqu’il regarde les photographies affichées sur ces palissades de zones de travaux, mais dans le cas du projet de JR à Kita-Aoyama, on a l’impression que c’est l’inverse qui se produit et qu’il s’agit plutôt du passant que est observé. Les palissades n’étaient pas complètement remplies d’affiches mais elles sont quand même très nombreuses. J’aime assez l’association entre ces affiches et les vieux appartements. C’est comme si on leur donnait un dernier souffle de vie avant une disparition prochaine.

Images extraites de deux vidéos sur YouTube du groupe Black Boboi: les deux premières images proviennent de la vidéo du morceau Ogre et le deux suivantes du morceau Red Mind. La première image montre de gauche à droite Ermhoi, Julia Shortreed et Utena Kobayashi. Sur la deuxième photo, il s’agit du visage blanchâtre du danseur Yuta Takahashi (髙橋優太).

Utena Kobayashi dont je parlais dans un de mes précédents billets fait également partie d’une formation appelée Black Boboi. Deux autres artistes, Julia Shortreed et Ermhoi, complètent le trio de cette formation. Je n’en suis pas complètement certain mais je pense que le chant sur les morceaux de Black Boboi sont interprétés alternativement par les trois membres du trio, mais on a du mal à vraiment distinguer les voix les unes des autres. Le groupe chante en anglais, ce qui est peut être dû au fait que Julia et Ermhoi sont toutes les deux moitié japonaises. Ceux qui suivent très attentivement ce blog jusque dans ses recoins auront déjà vu mentionné le nom d’Ermhoi, car elle est une des voix remarquables du groupe Millenium Parade mené par Daiki Tsuneta. Elle chante sur plusieurs morceaux de leur album éponyme. C’est intéressant de voir des liens que je ne connaissais pas se créer entre des artistes et des groupes que j’apprécie. A croire qu’il y a un dénominateur commun qui les réunis mais que je n’arrive pas à bien pointer du doigt. La musique de Black Boboi est sombre et hantée. Je n’ai pour l’instant écouté que deux morceaux, Ogre sur leur premier EP de 6 titres intitulé Agate et Red Mind sur un EP de 2 titres sorti quelques mois après Agate en 2019. Cette musique est publiée sur le label indépendant BINDIVIDUAL (pour Binding Individuals) créé par Utena. L’écoute de ces deux morceaux se vit comme une expérience sensorielle, notamment grâce aux vidéos pleines de mystères qui accompagnent les morceaux. On y retrouve une ambiance mystique comme sur la musique solo d’Utena Kobayashi, mais les voix du groupe possèdent une clarté franche assez différente de l’univers plus vaporeux d’Utena en solo. Dans la vidéo du morceau Ogre, les trois membres de Black Boboi sont vêtues de toges blanches avec un maquillage également blanchâtre et une marque noire sur les lèvres. On croirait assister à une procession ou à un rite. Un homme seul danse dans ce même décor blanchâtre. Il est également légèrement maquillé de blanc avec des points noirs sous les yeux et des traits près des yeux. Il danse avec des mouvements lents, se tord parfois comme s’il souffrait ou était possédé. Le danseur se nomme Yuta Takahashi (髙橋優太) et il fait partie d’une troupe appelée Engeki-Jikkenshitsu ◎ Ban’yū Inryoku (演劇実験室◎万有引力). Le nom de cette troupe théâtrale est assez étrange car il signifie Laboratoire expérimental de théâtre – Gravitation universelle et le nom de son directeur, Julius Arnest Caesar, est tout aussi étrange. Son vrai nom est Takaaki Terahara (寺原孝明) et il est compositeur de musique de théâtres et de films japonais. Il s’est fait connaitre pour avoir composé les musiques du film d’animation adapté du shōjo manga Utena, la fillette révolutionnaire (少女革命ウテナ) créé par Chiho Saito (さいとうちほ). Je ne connais pas du tout ce manga mais je trouve amusant le lien certainement sans rapport entre le prénom du personnage du manga et le prénom certes inhabituel d’Utena Kobayashi. Mais je m’égare une fois de plus. revenons plutôt vers la musique de Black Boboi et le deuxième morceau que j’ai écouté et beaucoup apprécié, Red Mind. Le morceau en lui-même et sa vidéo sont plus sombres. On y retrouve également une chorégraphie atypique. On devine une souffrance dans les mouvements saccadés de l’homme marchant à l’intérieur d’un tunnel mal éclairé dans cette vidéo. Il ressemble d’abord à un zombie ou à un fantôme mais ces mouvements deviennent de plus en plus rapides, comme s’ils se libéraient au fur et à mesure du morceau sous les incantations verbales répétées des membres du groupe. En plus de la qualité de la partition musicale, ce sont ces voix qui se mélangent et ressemblent à un rite qui deviennent fascinantes écoute à écoute.

un éclat de vague pour nous repousser en arrière

Nous n’allons malheureusement pas aussi souvent qu’avant sur les plages du Shōnan, mais cet endroit aux bords de la plage de Shichirigahama m’attire toujours autant, surtout quand nous y allons le soir lorsque le soleil commence doucement à faiblir. A chaque fois que nous venons ici, le souvenir d’un été en 2019 me revient en tête. J’étais venu seul m’asseoir un long moment près des rochers de la pointe d’Inamuragasaki pour regarder les éclats de vagues qui veillent à délimiter leur territoire et l’île d’Enoshima au loin qui rivalise à l’horizon avec le Mont Fuji. Il y avait peu de baigneurs même si les températures extérieures étaient douces, même chaudes pour un mois d’automne. Les surfeurs étaient de sortie car les vagues étaient relativement fortes, mais ils semblaient plutôt regarder ces vagues défilées sans broncher. Regarder les vagues est hypnotisant. Nous reprenons la voiture avant que la nuit tombe. La route 134 qui nous rapproche d’Enoshima se faufile un chemin entre l’océan sur la gauche et la ligne de train Enoden. On roule doucement car nous ne sommes pas les seuls sur cette route à vouloir profiter du soleil se couchant sur Enoshima, mais nous bifurquons finalement au niveau de Koshigoe pour retourner dans les terres. Je garderais en tête ces images de vagues agitées que j’ai saisi en vidéo pendant une trentaine de secondes et publiées sur ma page Instagram.

Je n’avais pas réalisé au premier abord qu’Utena Kobayashi (小林うてな) avait participé à quelques morceaux du rappeur Kid Fresino sur son album de 2018 ài qíng. Je m’étais plongé dans cet album à l’époque car j’aimais particulièrement le morceau d’ouverture Coïncidence, pour sa vidéo dans la neige à Shinjuku mais aussi pour son utilisation de l’instrument Steel Pan. Il se trouve qu’Utena est spécialiste de cet instrument et jouait justement sur ce morceau. Je me lance maintenant dans l’écoute du dernier album d’Utena Kobayashi, intitulé 6 roads et sorti il y a quelques mois cette année. On n’y entend par contre que très peu de Steel Pan. Utena compose, chante et s’entoure d’un univers musical enveloppant. Son album ne se compose que de 7 morceaux pour 34 minutes au total, mais quelle richesse de sons et quelle atmosphère ! Les morceaux oscillent entre des ambiances New Age et électroniques, vers des sons transe même parfois sur un morceau comme Retsu (裂). Il y a à chaque fois plusieurs idées mélodiques par morceaux. Le quatrième morceau VATONSE en est un bon exemple. Les morceaux sont parfois sombres voire mystiques, mélangent les chœurs avec des percussions ressemblant à du taiko (le morceau Raiun (雷雲)). Mais il y a aussi une multitude de sonorités dissonantes électroniques qui donnent un ensemble excentrique. Le nom de certains morceaux faisant référence à des temples (Zhan-Ti-Sui Temple) ou montagnes (Mt. Teng-Tzu) aux ambiances asiatiques renforcent très certainement cette impression mystique. Cette musique est très inspirée, relativement non conventionnelle. Le premier morceau GONIA SE IIMIX donne bien le ton et le dernier morceau Iris nous achève en beauté. J’ai beaucoup de mal à décider quel morceau je préfère de l’album car ils ont tous une particularité tout en s’inscrivant dans un ensemble, un voyage de quelques dizaines de minutes loin de ce monde terrestre.

On peut également découvrir la musique d’Utena Kobayashi à travers le tout simplement magnifique Silver Garden Recital, en entier sur YouTube, reprenant quelques morceaux de 6 roads ainsi que d’autres très beaux morceaux (le morceau Rose est un bijou). Le récital se termine également sur Iris qui possède une puissance à taille céleste. Si ça ne suffit pas pour y jeter une oreille…