黒く踊る世界

Nous ne sommes pas montés dans cet énorme bateau de croisière accosté au port de Daikoku à Yokohama, mais nous avons apprécié pendant quelques minutes sa grandeur par rapport à tout ce qui l’entourait. J’en ai pris de nombreuses photographies mais je retiens seulement celle-ci prise de face comme une immense barre d’immeuble. Je reconnais un lien visuel avec la photographie qui suit de la barre d’immeuble posée au dessus d’un garage de bus entre les stations d’Ebisu et de Shibuya. Les deux photographies ne convoquent par contre pas tout à fait le même imaginaire. On se téléporte ensuite à l’intérieur de la grande tour du Prince Hotel du parc de Shiba. Cette tour est relativement banale vue de l’extérieur mais est assez impressionnante de l’intérieur depuis le rez-de-chaussée car elle comporte un large espace vide dans lequel circulent le vent et les ascenseurs. Ces ascenseurs sont des points lumineux montant et descendant le long des murs intérieurs. Une passerelle est située au premier étage et traverse cet espace. À chaque fois que je vois cet espace vide un peu futuriste, je pense à la scène de l’Empire contre-attaque sur l’Étoile de la Mort où Dark Vador annonce à Luke Skywalker qu’il est son père (spoiler alerte prescrite). Les deux photographies suivantes sont des scènes très classiques de destruction et de reconstruction, qui laissent parfois penser qu’un ouragan dévastateur vient de traverser la ville. Cette scène contraste avec la simplicité visuelle presque conceptuelle du canal d’aération de la dernière photographie dont j’ai déjà oublié l’emplacement précis. Peut-être était-ce la station de Yokohama.

Je ne connaissais que la carrière solo de Minami Hoshikuma (星熊南巫) mais elle évolue également dans un groupe de filles nommé Wagamama Rakia (我儘ラキア) dont je découvre le single intitulé Rain, qui n’est pas récent car sorti en 2020. Wagamama Rakia n’a apparemment pas sorti de nouveaux morceaux récemment mais elles sont en ce moment en tournée jusqu’à Hong Kong. Minami Hoshikuma est une des fondatrices du groupe qui reprend le principe des groupes d’idoles car il a été construit par un producteur, Ryo Koyama (小山亮), et a changé plusieurs fois de composition. Le groupe a été créé en 2016 à Osaka et se compose actuellement et depuis 2019 de quatre membres dont Hoshikuma Minami (星熊南巫), Rin Kaine (海羽凜), MIRI et L. Hoshikuma Minami est la chanteuse principale du groupe. Elle écrit également les paroles et compose la musique. MIRI (櫻井未莉) est une rappeuse originaire de Shizuoka. Avant de rejoindre Wagamama Rakia en 2019, elle faisait partie d’autres formations d’idoles et a ensuite participé plusieurs fois à des batailles d’improvisation hip-hop, qu’on appelle MC BATTLE ROYALE, notamment à la Sengoku MC Battle (戦極MC BATTLE). J’ai du coup regardé quelques MC Battle auxquelles elle avait participé. Ce genre de bataille peut devenir de véritables confrontations verbales, comme avec le rappeur Dahi (だーひー), ou des associations habiles, comme avec le rappeur BATTLE Shuriken (BATTLE手裏剣). Tout dépend du respect que ces rappeurs ont entre eux. MIRI attaque assez facilement, car elle se fait souvent attaquer sur son passé d’idole, mais contre BATTLE Shuriken, c’était très différent. Lors d’une longue improvisation inspirée par la disparition soudaine d’un compétiteur qu’elle a dû soudainement remplacer, MIRI vient habilement placer quelques mots (知らない) complétant le flot très maîtrisé de Shuriken, ce qui soulève la foule et pousse son compétiteur au respect. Ce passage est particulièrement savoureux et je ne peux m’empêcher de le regarder en boucle. Les battle royales de Sengoku MC BATTLE sont mixtes, mais il existe également d’autres batailles hip-hop uniquement féminines auxquelles MIRI a également participé allant jusqu’en finale contre Akko Gorilla (あっこゴリラ), une rappeuse dont j’ai déjà parlé quelques fois sur ces pages. MIRI apporte donc ce phrasé et cette puissance hip-hop dans les morceaux de Wagamama Rakia et notamment sur ce morceau Rain. La musique de Wagamama Rakia est basé sur des sons de guitares très métal mais l’ambiance est très versatile avec un démarrage très mélodique au piano puis des incursions rap agressives. Le chant de Minami Hoshikuma, accompagné par Rin Kaine et L, est dans l’ensemble très mélodique. Ce style musical me rappelle à chaque fois le morceau Going under d’Evanescence pour son approche brute des guitares et mélodique du chant d’Amy Lee, mais sans les parties rappées. J’aime beaucoup la dynamique du morceau Rain, ce qui m’engage à en écouter d’autres du groupe comme Survive et Why? qui prennent une atmosphère similaire.

Sur mon billet du concert d’4s4ki, je mentionnais que Minami Hoshikuma et 4s4ki devaient être proches, les ayant vu ensemble plusieurs fois en photo sur Instagram, notamment la photo ci-dessus. Je n’avais pas réalisé qu’elles avaient chanté ensemble et que cette photo avait été prise à l’occasion de leur collaboration. Le morceau qui les a réuni est un single sorti en 2024 intitulé To be like Thriller de Takeru (武瑠). Ce morceau fait également intervenir une quatrième voix, celle de IKE. Je ne connaissais pas IKE et Takeru, mais je comprends que ce dernier était le chanteur du groupe rock Visual Kei SuG qui s’est dissout en 2017. To be like Thriller évolue dans des atmosphères similaires, bien qu’un peu gothiques, à ce que j’ai pu écouter chez Wagamama Rakia, mélangeant le hip-hop et des passages plus mélodiques. Je les écoute donc à la suite dans ma petite playlist du mois d’Avril.

fresh air & long haircut

Une compilation de photographies provenant de différents lieux composent ce billet, en ne précisant pas clairement les liens qui sont créés entre elles même s’ils existent dans mon inconscient. La petite poupée aux cheveux roses à l’air triste aurait par exemple peut-être préféré s’installer pour boire son thé dans les jardins du parc de l’hôtel Prince à Shiba que je montre sur la photographie qui suit. La première photographie a été prise dans le parc Inokashira avant la floraison des cerisiers dont on devine presque chaque bourgeon. La deuxième photographie montre la Villa Bianca datant de 1964 par l’architecte Eiji Hotta (堀田英二). Cette résidence est toujours debout malgré ces longues années et n’a, à ma connaissance, pas subi de changements profonds d’apparence, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. Elle est enregistrée au registre Docomomo (Documentation and Conservation of buildings, sites and neighborhoods of the Modern Movement), mais ce n’est à priori pas une condition suffisante pour protéger cette résidence des affres de la destruction. Nous avons déjà le malheureux exemple de la tour Nakagin de l’architecte Kisho Kurokawa qui a tenu pendant de longues années pour finalement succomber sous les yeux nombreux de ses admirateurs. La fleur bleue boutonnée de Shun Sudo est toujours en floraison sur un des murs du building Realgate en direction de Shinjuku. Sur cette troisième photographie, j’aime particulièrement l’association de couleurs à tendance bleutée, qui s’accordent assez bien avec l’association de couleurs rosées de la photographie qui suit. Ces barres numérotées sont une création artistique de l’architecte française basée à Tokyo, Emmanuelle Moureaux. J’avais déjà vu une de ses installations à Roppongi Hills. Celle ci-dessus se trouve dans le nouveau complexe Takanawa Gateway City qui est à peine ouvert. A part cette installation très colorée, il n’y a pas grand chose à y voir pour l’instant.

Je ne sais plus par quel cheminement j’ai été amené à lire le billet de Julien Bielka sur la plateforme Medium au sujet de la compilation de rock alternatif japonais Music for Tourists: A Passport for Alternative Japan. Il m’a amené à écouter puis à acheter cette compilation en digital sur Bandcamp. Elle est sortie en Juillet 2024 sous le label indépendant Call and Response Records, spécialisé dans la musique indé, post-punk, new wave et underground japonaise depuis 2005. Je suis en fait ce label depuis longtemps mais de manière un peu distraite à travers les messages sur les réseaux sociaux de son fondateur Ian (F) Martin. Maintenant que j’y pense, j’ai du tombé sur le billet de Julien Bielka à travers un tweet de Ian (F) Martin sur Bluesky (que je n’utilise pourtant pas beaucoup). La compilation est copieuse car elle propose 16 morceaux finement sélectionnés pour environ 1hr 15mins de rock alternatif poussant assez volontiers vers l’expérimental. L’ensemble est varié et souvent très inspiré. Comme sur toutes les compositions, je n’accroche pas de manière systématique à tous les morceaux proposés mais certains sont particulièrement bons voire excellents, en commençant par le troisième morceau Coffee Oishii (コーヒーおいしい) du groupe Dubia 80000cc (デュビア80000cc) basé à Kumamoto dans le Kyushu. J’aime beaucoup les sonorités d’abord inquiétantes du riff de guitare, qui joue ensuite sur la répétition et l’urgence, et surtout la basse omniprésente. La voix du chanteur me rappelle un peu celle de Kazuhiro Momo (百々和宏) de MO’SOME TONEBENDER (モーサム・トーンベンダー). Le cinquième morceau Futari, Kono Yoru (ふたり、この夜) du groupe Breakman House, trio basé à Matsumoto, entre également dans la liste des morceaux que j’apprécie beaucoup sur cette compilation. Le rythme y est plus apaisée et le morceau prend son temps sur sept minutes. La voix neutre et un peu nonchalante du chanteur se bouscule un peu en cours de morceau alors que les guitares se font plus abrasives. Le morceau qui suit intitulé P.P.P. est également celui d’un trio, mais cette fois-ci féminin, nommé Zonose (象の背) provenant de Kyoto. On comprend assez vite que la compilation nous fait découvrir divers horizons en traversant tout le Japon. Sur ce morceau, on trouve le charme discret des voix qui ne sont pas parfaites mais qui parviennent à transmettre une émotion authentique, pleine de doutes et d’incertitudes. La chanteuse de Zonose nous chanterait presque au creux de l’oreille, tant cette voix nous semble proche. Je trouve une pointe un peu plus pop au morceau qui suit intitulé Bin wo Otoshimashita (industrial version) (ビンを落としました). Il est interprété par pandagolff, un groupe de Tokyo se revendiquant du courant post-punk. Ce morceau agit comme une passerelle pleine de couleurs avant d’entrer vers des terrains plus expérimentaux, avec le morceau in the morning I eat rotten meat (alternative version) du groupe schedars, également basé à Tokyo. La guitare y est instable comme si le guitariste cherchait en vain à composer un riff qu’il arrivera à répéter, mais il part dans une sorte d’improvisation qui contraste avec le rythme de basse très électronique et le chant répétant en continu et d’une manière machinale le titre du morceau. Le morceau qui suit, haircut (long version) du groupe de Nagoya WBSBFK, est en effet long de presque neuf minutes. L’ambiance y est sombre, le rythme lent et la voix du chanteur du trio entêtante. Suit ensuite un ovni musical d’un autre trio basé cette fois-ci à Hamamatsu. Le morceau 0I0 du groupe mizumi est particulièrement étrange et captivant. Très intriguant également ce qui m’a poussé à en savoir un peu plus sans grand résultat. Je comprends tout de même que deux membres du groupes, dont Hiromi Oishi (大石裕美), sont en fait membres d’un autre groupe nommé QUJAKU, ayant partagé une tournée jusqu’à Londres avec Melt Banana. 0I0 commence doucement avec quelques percussions mais gagne vite en intensité, avec une basse particulièrement puissante, des bruits électriques fuyant et des chants d’un language incompréhensible flottant au dessus du tout. Il s’agit là encore d’un long morceau, de plus de huit minutes, sans concession et d’une totale liberté de composition. Le mystère de 0I0 me ramène un peu vers les mondes étranges de OOIOO, mais c’est peut-être seulement le titre du morceau qui me rappelle le nom du groupe OOIOO. Le morceau FEELING du groupe Academy Fight Song originaire de Fukuoka est plus classique dans sa composition, mais extrêmement efficace. La compilation devait évidemment passer par Fukuoka et je ne suis pas déçu par ce que j’entends. La compilation se termine avec le morceau Fresh Air (alternative version) du groupe Barbican Estate, qui compte parmi mes préférés de l’album. Barbican Estate est un trio (décidément) de Tokyo fondé en 2019 mais qui a migré vers Londres en 2022. Dans leurs influences, ils citent le rock psychédélique japonais de Les Rallizes Denudes, le rock alternatif US de Sonic Youth et l’architecture brutaliste. Voir un groupe mentionner une influence architecturale dans sa musique m’intrigue et m’intéresse forcément beaucoup, surtout s’il s’agit de brutalisme. On reconnaît en effet une certaine approche brute dans le son de la guitare de Kazuki Toneri. Le chant de Miri, qui joue également de la basse, me fait immédiatement penser à Kim Gordon. L’influence citée de Sonic Youth ne m’a donc pas échappé, mais l’ambiance y est tout de même plus sombre. Barbican Estate fait référence à un ensemble architectural historique au centre de Londres et je comprends que le trio a pu le visiter de l’intérieur. L’album Music for Tourists: A Passport for Alternative Japan se termine sur des notes qui en amènent d’autres car j’ai très envie s’approfondir l’écoute de la musique de certains groupes ci-cités. Le nom de la compilation, qui ne me parle pas beaucoup pour être très honnête, est une allusion évidente à l’album Music for Airports de Brian Eno, titre que je n’aime pas trop non plus. Je n’aime pas beaucoup forcer la musique à un lieu imposé, car les musiques que l’on écoute trouvent elles-mêmes les lieux qui leur conviennent. Le titre Music for Tourists nous imposent que ces musiques nous seront toujours étrangères et qu’on n’arrivera jamais à les comprendre, ce qui en quelques sortes essaie de garder l’auditeur à l’écart. Ce titre ne gâche pourtant en rien l’écoute et le fait que je ne connaisses aucun groupe de cette compilation me fait même dire qu’il y a encore beaucoup de belles choses à découvrir dans les musiques indépendantes japonaises. Pour revenir sur le billet qui m’a fait découvrir cette compilation, je ne peux m’empêcher de lire la critique en aparté du magazine Tempura avec un petit sourire amusé. Je n’ai jamais lu ce magazine bien que je l’ai déjà vu en vente à la librairie Kinokuniya de Shinjuku à un prix prohibitif, donc je ne pourrais juger de sa qualité, mais j’arrive assez bien à imaginer ce que l’auteur du billet insinue car ça m’a également effleuré l’esprit une ou deux fois.

and if you dare to get hurt I will be there my friend

Je ne sais pas si c’est Chanmina (ちゃんみな), avec la vidéo de son single Biscuit, qui a provoqué le retour des groupes ou chanteurs et chanteuses improvisés près du grand carrefour et de la gare de Shibuya, mais j’ai le sentiment qu’ils sont plus présents depuis quelques temps, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. Ce soir là à Shibuya, j’ai pu apercevoir un rocker guitariste avec une apparence qui m’a beaucoup rappelé Kurt Cobain, avec une même chevelure blonde et portant ce qui ressemble beaucoup à une copie de l’iconique sweater en mohair rouge et noir que Kurt portait dans la vidéo du morceau Sliver et lors de concerts, notamment à la Roseland Ballroom de New York en Juillet 1993 et à l’Aragon Ballroom de Chicago en Octobre 1993. L’histoire raconte que Courtney Love aurait acheté ce sweater pour 35 livres à un fan, nommé Chris Black, après un concert de Nirvana à Belfast en Irlande du Nord en 1992. Une coïncidence intéressante était d’écouter quelques jours plus tard l’émission spéciale de Very Good Trip de Michka Assayas consacrée à l’album MTV Unplugged in New York sous le format d’une Masterclass. Ce concert pratiquement acoustique a été enregistré en Novembre 1993, quelques mois avant la mort de Kurt Cobain le 5 Avril 1994. A quelques mètres de l’apprenti Kurt, un rappeur japonais attirait une petite foule autour de lui, mais j’ai peiné à y trouver une accroche qui m’aurait fait rester plus de deux minutes. Plus près de la gare, une autre chanteuse à guitare acoustique appelée Rin (りん) était installée devant un bloc de béton. Je l’ai écouté quelques minutes, un peu distraitement. Il y avait seulement quelques personnes devant elle, mais une de ces personnes la filmait avec une petite caméra installée sur un tripod. Il n’est pas rare que ces chanteurs et chanteuses de rue aient leurs fans de la toute première heure. Peut-être s’agit il d’un membre de sa famille, mais j’avais plutôt le sentiment qu’il s’agissait d’un amateur espérant peut-être saisir en images les premiers moments d’une potentielle reconnaissance future. A quelques mètres de son emplacement, je vois encore circuler les karts touristiques qui se font de plus en plus nombreux dans les rues de Tokyo. Les agences qui proposent ce genre d’attractions se sont beaucoup développées ces deux dernières années depuis le retour des touristes étrangers. Ce qui m’étonne toujours un peu, c’est de ne jamais voir de japonais conduire ces karts, comme s’ils étaient strictement réservés aux étrangers. Ils n’attirent en tout cas plus la curiosité des passants, ce qui était pourtant le cas au tout début où les passants et les conducteurs de kart se faisaient des bonjours de manière réciproque. Le sur-tourisme actuel ne me dérange personnellement pas beaucoup, car il se limite à certains quartiers, mais je vois sur les réseaux sociaux de plus en plus de résidents étrangers pointer ce problème. J’imagine que ces mêmes résidents ont également été touristes au Japon avant de venir y vivre. En fait, peut être pas car en y réfléchissant bien, je ne suis jamais venu en touriste au Japon. Mais comme on dit toujours, il y a le bon touriste et le mauvais touriste.

Le billet précédent montrant une collection d’affiches de films de Shinya Tsukamoto (塚本晋也) dans un petit cinéma indépendant de Meguro m’a ramené vers sa filmographie. J’ai regardé trois de ses films quasiment à la suite en commençant par Hiruko the Goblin (妖怪ハンター ヒルコ) sorti en 1991, puis Bullet Ballet (バレット・バレエ) sorti en 1998 et A Snake of June (六月の蛇) sorti en 2002. Hiruko the Goblin est son deuxième film après Tetsuo: The Iron Man (鉄男) sorti en 1989, et est un peu à part dans sa filmographie car il s’agit d’un film d’horreur faisant intervenir des monstres Yōkai. On suit l’archéologue un peu excentrique Reijiro Hieda, interprété par Kenji Sawada (沢田研二), sur les traces d’un ancien ami ayant eu la mauvaise idée de libérer le monstre ancestral Hiruko d’une tombe enfouie sous une école perdue en pleine campagne. Il s’agit d’un film d’horreur qui n’est pas dénié d’un certain humour, mais l’épouvante monte en intensité et le final est particulièrement étrange. De Tsukamoto, on retrouve les plans rapides qui nous font perdre l’équilibre et une imagination débordante, parfois à la limite de l’acceptable, mais qui m’accroche à chaque fois à ses films. Il y a une ambiance un peu absurde et exagérée dans ce film qui participe à son charme. Bien sûr, il ne faut pas être repoussé par les têtes coupées et les monstres constitués de ces mêmes têtes posées sur des pattes d’araignée. Je pense que cette dernière phrase donne une bonne idée de l’ambiance du film. J’ai revu ensuite Bullet Ballet. Je l’avais vu une première fois il y a vingt ans, après Tokyo Fist. On revient ici vers un style urbain qui est plus fidèle à ce que je connais du réalisateur. Bullet Ballet se vit comme une expérience cinématographique et je comprends tout à fait le statut de cinéaste culte auquel est porté Shinya Tsukamoto. Ce n’est pas un film pour tous les yeux, car la violence y est omniprésente, mais le film n’est pas dénié d’une poésie urbaine cachée derrière ses images fortes. L’histoire est tournée autour de Goda, un publicitaire joué par Shinya Tsukamoto, dont la compagne vient de se suicider avec un revolver. Il devient fasciné par cette arme car il ne comprend pas comment elle a pu l’obtenir et se décide à en construire une pièce par pièce. Il rencontre rapidement dans les quartiers sombres de Tokyo, la jeune Chisato, jouée par Kirina Mano (真野きりな) et son gang aux prises avec un autre gang rival. Une relation particulière se crée entre eux, platonique peut-être. Goda et Chisato n’ont en tout cas pas peur de la mort et n’ont rien à perdre. Je ne sais pas s’il y a une influence, mais je revois en Chisato, aux cheveux très courts et à la personnalité mystérieuse, le personnage de Faye dans Chungking Express dont je parlais très récemment. Je ne suis apparemment pas le seul à y penser (ce blog a décidément une logique impeccable dans l’agencement de ses billets). Esthétiquement, le film entièrement en noir et blanc est très beau, tout comme les membres du gang exagérément stylisés. J’aime aussi beaucoup ce film pour sa musique composée par le fidèle Chu Ishikawa (石川忠) dans un style entre rock industriel et passages électroniques plus apaisés. Ces compositions musicales s’accordent parfaitement aux images souvent iconiques du film. J’écoute beaucoup cette bande originale aussi variée qu’excellente de bout en bout. De nombreux plans nous montrent Nishi-Shinjuku au loin, donc j’imagine que cette histoire se déroule dans les bas-fonds de la banlieue de Shinjuku, ayant disparus depuis longtemps. Comme dans Tokyo Fist, on y retrouve le thème de la ville qui écrase les individus et celui du besoin de libération par la violence et la douleur. Ce dernier point est une composante essentielle de la filmographie de Shinya Tsukamoto et on retrouve ce thème dans le film A snake of June, que je regarde ensuite. Je le dis encore, mais les films de Tsukamoto ne sont pas pour tous. Ils sont en tout cas très marquants et c’est le cas également de ce film là. On remarque tout de suite l’image, d’un monochrome bleuté superbe, et la malaisante générale qui nous suit pendant tout le film. L’histoire tourne autour du personnage de Rinko Tatsumi, interprétée Asuka Kurosawa (黒沢あすか), aide sociale sauvant des vies au téléphone en essayant de convaincre ceux qui l’appellent de tenir bon à la vie. C’est le cas du suicidaire Iguchi, également interprété par Shinya Tsukamoto, qui se voit sauver par les paroles de Rinko et qui se sent ensuite redevable. La personnalité décalée et extrême d’Iguchi amènera Rinko dans une spirale malsaine qui la fera sortir malgré elle et au prix d’une grande souffrance de sa vie monotone. De nombreuses scènes montrent sa vie de couple avec Shigehiko, interprété par Yuji Kohtari (神足裕司), dans une demeure en béton brut que l’on imaginerait très bien avoir été conçue par Tadao Ando. Mais Shigehiko fuit le foyer pour sa vie de bureau, en plus d’être un maniaque obsessionnel de l’hygiène. Les interventions d’Iguchi dans cette vie de couple dysfonctionnelle se teintent de voyeurisme sexuel et de manipulations. Il s’agit là encore d’un film décalé qui nous amène vers les parts sombres des individus pour accéder finalement à une forme de libération qui passe par la douleur. Ces deux films Bullet Ballet et A snake of June ne sont pourtant pas complètement noirs et désespérés car une redemption pointe à l’horizon, provoquée en partie par les personnages interprétés par Tsukamoto lui-même. Les films de Tsukamoto montre souvent un cheminement souvent destructeur, mais de cette destruction nait une nouvelle réalité. Ces films ne sont pas disponibles sur les plateformes de streaming mais on peut assez facilement les trouver sur Internet du côté d’archive.org, qui nous donne malgré tout accès à des films qui seraient malheureusement assez difficiles à trouver autrement.

Pour continuer encore un peu dans les ambiances underground, j’écoute l’excellent nouveau single de Yeule intitulé Evangelic Girl is a Gun, qui sera inclus dans son futur album prenant le même nom. L’ambiance y est sombre mélangeant un rock bruitiste à tendance industriel avec des glitches électroniques caractéristiques de sa musique. Je n’ai jamais été déçu jusqu’à maintenant par la musique de Yeule, et je trouve même que ce morceau passe une nouvelle étape qui laisse présager le meilleur pour son nouvel album. L’accroche y est immédiate et la densité nous fait y revenir. J’espère qu’elle prévoira dans le futur une tournée passant par le Japon et Tokyo, car je serais très curieux de voir l’atmosphère de ses concerts, tout en me demandant quel public pourrait bien y assister. Je suis sûr que son public japonais est nombreux dans les milieux underground.

Le titre du billet « and if you dare to get hurt I will be there my friend » est extrait des paroles du morceau Yzobel composé par l’artiste français Gyeongsu et chanté par Croché. J’avais découvert ce morceau il y a plusieurs mois dans un episode de Liquid Mirror de NTS Radio, celui de Février 2023 que je réécoute maintenant. Cet extrait des paroles me semblait tout d’un coup correspondre à l’ambiance qui se dégage de manière diffuse dans ce billet. Pour revenir ensuite à l’épisode d’Avril 2025 de Liquid Mirror que je mentionnais récemment, je retiens particulièrement l’excellent morceau instrumental intitulé Weaver par K-MPS & Finn Kraft qui me transporte à chaque écoute. Je réalise assez vite que ce morceau est basé assez amplement sur un sample du morceau Crazy for You de Slowdive sur leur troisième album studio Pygmalion sorti en 1995 (le moins Shoegaze de leurs albums). Pour être plus précis, Weaver est en fait basé sur une version démo alternative de Crazy for You disponible sur le deuxième CD de la réédition de Pygmalion en 2010. K-MPS & Finn Kraft en maintiennent le rythme initial mais rajoute de nombreuses nappes électroniques donnant une dimension plus aérienne par rapport aux morceaux originaux de Slowdive.

des cerisiers mais également autres choses (4)

Lorsque j’approche de la station de Meguro, j’aime passer devant le Meguro Cinema (目黒シネマ). C’est un petit cinéma opéré par Okura Eiga Co. (大蔵映画株式会社) proposant des films indépendants et des classiques plus anciens du cinéma japonais et étranger. Ce cinéma de 100 places a été fondé en 1955 et a pris son nom actuel en 1976. J’aime entrer dans son hall composé d’un grand escalier pour y voir les affiches. L’affiche du film Tetsuo de Shinya Tsukamoto (塚本晋也) avait en fait attiré mon attention. A l’intérieur, une collection de posters des films de Shinya Tsukamoto est affichée. J’en ai déjà vu quatre: Tokyo Fist, Bullet Ballet, Tetsuo, Kotoko, et j’en avais parlé pour certains sur les pages de ce blog. Ce ne sont pas des films que l’on regarde à la légère pour se divertir. Tetsuo (The Iron Man) est certainement son film le plus réputé et a un statut de film culte. On ne ressort jamais complètement indemne d’un film de Tsukamoto. J’avais montré une photo de cette collection d’affiches sur X Twitter et j’ai été surpris de recevoir autant de « likes » (plus de 80). En fait, le réalisateur lui-même a été le premier a re-poster ma photo sur X Twitter, ce qui lui a forcément donné une visibilité certaine. Ce type de films sans concession attire admiration et haine, et X Twitter est très fort pour exacerber ces sentiments. Parmi les affiches du Meguro Cinema, j’aperçois également Paprika de Satoshi Kon et Ghost in the Shell de Mamoru Oshii, deux classiques incontournables du cinéma d’animation. Je reviendrais bientôt sur le monde de Ghost in the Shell et de son auteur Masamune Shirow dans un prochain billet.

Les derniers Sakura de cette petite série se trouvent au parc Tako (タコ公園) d’Ebisu. Nous avons vu très peu de cerisiers cette année. Nous aurons peut-être encore le temps d’en apercevoir si nous voyageons un peu plus au Nord, mais rien n’est prévu pour l’instant. En écrivant ces quatre courts billets, j’écoute à nouveau l’émission Liquid Mirror d’Olive Kimoto sur la radio web NTS. L’épisode du 1er Avril 2025 propose comme toujours un mélange de Trip-hop, d’Ambiant et de Dream Pop, et le mix est à chaque très inspiré.

des cerisiers mais également autres choses (3)

En passant vers l’entrée de l’Hôtel Meguro Gajoen également agrémenté de quelques cerisiers en fleurs, je remonte un peu plus vers l’église catholique de Meguro, qui était également un des objectifs de cette marche florale. Je voulais y passer pour adresser une dernière prière à un proche récemment disparu et pour lequel nous passerons une grande partie du week-end pour une sépulture bouddhiste. L’église St. Anselm Catholic Meguro Church (聖アンセルモ カトリック目黒教会) est un chef d’oeuvre de l’architecte Antonin Raymond. Elle a été construite en 1956. L’extérieur semble cependant avoir été rénové. La beauté se trouve à l’intérieur mais on ne peut malheureusement pas y prendre de photos. Je me pose sur un des bancs à l’intérieur pendant une vingtaine de minutes pour observer et apprécier autour de moi cette beauté brutaliste. Les longues lames de béton latérales laissent passer la lumière en quantité suffisante. Les imposantes poutres de béton sont impressionnantes. Mon attention se dirige ensuite vers l’autel au design minimaliste et symbolique mais recouvert en partie par une étrange surface courbe dorée jaillissant du sol. On peut voir quelques photographies de l’intérieur sur internet.