a day with s (1)

Quand on reçoit un visiteur de France, en l’occurence mon cousin Samy, c’est à chaque fois l’occasion de faire une journée marathon dans Tokyo, pour essayer de voir le maximum de choses tout en discutant non-stop. La petite différence par rapport à l’habitude est que mon cousin avait déjà passé quelques jours à Tokyo (et quelques mois à Kyoto) auparavant, donc il a fallu orienter les visites de cette journée de samedi vers les lieux qu’il n’avait pas encore visité, tout en improvisant en cours de route. C’est également l’occasion pour moi de revoir les classiques, car pour quelqu’un qui vient à Tokyo pour la première fois, il faut d’abord voir les classiques. Mais, c’est même souvent l’occasion d’aller à des endroits que je ne connaissais que par réputation. En tout cas, il nous faut à chaque fois beaucoup marcher dans les rues de Tokyo, environ 20kms cette fois-ci. Notre journée de visite ressemblait donc à un demi-marathon dans Tokyo. Et par dessus tout, je me réjouissais à l’idée de marcher toute la journée avec mon cousin que je ne vois pas très souvent, car l’effort de la marche permet en quelque sorte de libérer la parole. Tout cela en prenant des photos bien sûr.

Nous nous sommes convenus de nous rejoindre à la gare de Shibuya devant Hachiko. Mari me dit que c’est un peu ringard de se donner rendez-vous à Hachiko, ce que je conçois bien. Mais cela faisait très longtemps que je n’avais pas donné rendez-vous à quelqu’un à cet endroit et ça m’a rappelé mes vingt ans. Il est 9h du matin et il n’y a pas grand monde dans le centre de Shibuya. On reviendra dans la soirée pour faire l’experience de la traversée du carrefour en pleine affluence. Nous avions de toute façon l’intention d’aller à Meiji Jingu tôt le matin pour éviter la foule des touristes. C’était bien calculé car il n’y avait pas foule à cette heure. Il faut dire également que la météo n’était pas des plus propices à la promenade car il a plu pratiquement toute la journée. C’était heureusement une pluie assez fine pour éviter le parapluie et garder un peu de fraîcheur. Nous passons devant le gymnase olympique de Kenzo Tange qui est actuellement en pleine rénovation avant les Jeux Olympiques de 2020, pour ensuite s’enfoncer dans la forêt qui nous mène vers Meiji Jingu. Les grandes portes torii font toujours leur effet sur le visiteur au fur et à mesure qu’on approche du grand sanctuaire. Nous nous dirigeons ensuite vers la rue Takeshita à Harajuku qui restait assez peu encombré à cette heure. La multitude des boutiques de la rue commençait tout juste à ouvrir, petit à petit. La curiosité nous a poussé à aller boire une de ces boissons taïwanaises au thé et tapioca dont on parle tant ces derniers mois. Je n’avais jamais essayé mais c’était très bon. La clientèle était plutôt féminine et jeune, comme je l’imaginais, mais la curiosité a été plus forte que tous les à priori. Alors que nous marchons dans les rues de Ura-Harajuku pour ensuite rejoindre Cat Street, la pluie devient plus forte et nous nous précipitons vers l’immeuble en colimaçon Omotesando Hills de Tadao Ando. Il a quelques semaines de cela, Mari y avait aperçu par hasard Kylian Mbappé qui était de passage au Japon pour la promotion d’une marque de cosmétique. En ressortant de là, alors que la pluie se fait insistante, l’option visite de musée ou de galerie, à l’intérieur donc, se fait des plus évidentes. Ça tombe bien car le musée Nezu n’est pas très loin d’ici et l’exposition du moment, une introduction aux arts traditionnels avec pour sujet la peinture japonaise, tombait à point pour faire un tour d’horizon de l’art graphique japonais. D’autant plus que je n’étais pas retourné au musée Nezu depuis sa reconstruction complète sous la direction de l’architecte Kengo Kuma. Le bâtiment est superbe, tout autant que le jardin à l’arrière qui ressemble parfois à une jungle tant il est dense. Quelques dépendances, maison de thé et café, ainsi que de nombreuses statues viennent agrémenter les chemins en pente du jardin. Alors que nous sortons dans le jardin sous une pluie fine, une dame d’un certain âge insiste pour qu’on emprunte son parapluie alors qu’elle entre à l’intérieur du musée. Nous refusons gentiment mais l’insistence de la dame me surprend un peu. Nous devons ressembler tous les deux à des pauvres touristes perdus dans un pays mystérieux, sans repères et livrés à nous-mêmes. Mais j’exagère certainement. C’était une aimable intention, mais qui peut prendre parfois des proportions étranges. La matinée se termine déjà et nous marchons ensuite vers Yebisu Garden Place pour le déjeuner. Suite de cette journée au prochain épisode.

le corbusier à Tokyo

Ce billet était dans mes brouillons depuis plusieurs mois. Les photographies prises à Ueno datent de la fin mars de cette année, il me semble, si j’en juge aux cerisiers encore en fleurs sur une des photographies. Je pense que j’avais l’intention d’écrire un long article détaillé sur l’exposition que nous avions vu à ce moment là, un billet se voulant complet comme celui que j’avais écrit au moment de la visite de l’exposition de Tadao Ando au NACT de Nogizaka. Mais le courage d’écrire un tel article me manque. De toute façon, à quoi bon écrire autant si on est à peine lu, ce qui est d’autant plus vrai pendant la période estivale.

Ce jour-là de la fin mars, nous allions donc voir l’exposition Le Corbusier and the Age of Purism au National Museum of Western Art, Tokyo. Ce musée est également conçu par Le Corbusier et est la seule œuvre architecturale qu’il a construit au Japon. Il est d’ailleurs inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2016 et accompagne une sélection d’autres bâtiments de Le Corbusier dans le monde. Mais, cette exposition ne se concentrait pas sur les créations architecturales de Le Corbusier mais sur ses peintures inscrites dans le mouvement appelé Purisme qu’il promût à cette époque après son installation à Paris. Il fonda ce mouvement artistique avec le peintre Amédée Ozenfant et l’exposition montre également beaucoup de peinture de Ozenfant. Il s’agit d’un art de la construction et de la synthèse, correspondant aux développements technologiques de la société moderne. Cette ligne artistique est en ligne avec la vision de Le Corbusier de construire son architecture comme des machines à vivre. L’exposition est également accompagnée de quelques maquettes détaillées de certains bâtiments de l’architecte. Il faut dire que j’étais plus intéressé par ces maquettes assez nombreuses d’ailleurs que par les peintures qui ont du mal à provoquer en moi une émotion. C’était aussi la première fois que je rentrais à l’intérieur du musée, ce qui peut paraître étonnant après toutes ces années mais l’occasion ne s’était jamais vraiment présentée jusqu’à maintenant. Le plus impressionnant pour moi lors de cette visite, restait ce geste architectural de Le Corbusier sur la grande ouverture triangulaire du hall à l’entrée, portée par un long pilier fin. On peut l’observer de plusieurs endroits sur des balcons au deuxième étage et on ne s’en lasse pas.

street clouds everywhere

Je n’avais pas pris de photographies de foule depuis longtemps et je m’y remets avec cette petite série de cinq photographies superposant les images. Je ne parviens cependant pas à égaler la série que j’avais créé au même endroit à Shibuya en août et septembre 2010, série que je considère comme la plus réussie selon mes propres critères créatifs dé-constructifs. Ce n’est pas forcément l’envie qui me manque de prendre en photo les foules, mais ce n’est clairement pas ma zone de confort, ni ma zone d’intérêt principal. L’envie de saisir la vie en mouvement me prend de temps en temps, mais pour ensuite mieux transformer ces images et les rendre moins évidentes. Je me suis placé ici au grand carrefour de Shibuya et j’ai saisi le mouvement comme il se présente sans forcément pointer sur des personnes ou des visages particuliers. Au développement des photographies sur l’iMac, des visages se détachent soudainement parmi le flou des mouvements. C’est intéressant parce qu’il est difficile de deviner le résultat final au moment de la prise de vue. On voit le résultat que plus tard et il est très possible que rien d’intéressant ne se profile au final sur les images.

Trois images extraites de la video du morceau intitulé 鶏と蛇と豚 (Niwatori to Hebi to Buta – Gate of Living) disponible sur Youtube, en ouverture de l’album Sandokushi de Sheena Ringo.

Depuis quelques jours, j’écoute les disques de Sheena Ringo 椎名林檎 les uns après les autres sans forcément suivre l’ordre chronologique. C’est en quelque sorte une manière de se préparer à la sortie du nouvel album Sandokushi (三毒史) lundi prochain. La sortie de ce nouvel album me donne un sentiment un peu bizarre entre l’excitation de pouvoir écouter un nouvel album original studio après cinq ans et la conviction qu’il ne s’agira certainement pas d’un grand cru comme les trois premiers albums. Ceci étant dit, pris séparément, beaucoup de morceaux des albums récents de Sheena Ringo sont très bons et très reconnaissables malgré les changements de styles musicaux. Il manque juste une cohérence d’ensemble dans les derniers albums et j’ai un peu peur que ça soit la même chose dans le dernier album, malgré le nombre de bons morceaux, pris indépendamment, que l’on connaît déjà et qui composeront le nouvel album.

Pour rassurer un peu, la vidéo du morceau d’introduction de l’album Niwatori to Hebi to Buta (鶏と蛇と豚) est vraiment très belle esthétiquement. La vidéo est tout juste disponible sur YouTube. Elle est dirigée, comme souvent, par le mari de Sheena Ringo, Yuichi Kodama 児玉裕一, dans une ambiance nocturne et urbaine emprunte de fantastique, notamment par la présence du personnage de cheval ailé que s’est donné Sheena Ringo sur la pochette de Sandokushi. La ville est parcourue par un immense char illuminé de matsuri représentant des serpents, un immense cochon comme une montgolfière survole la ville, une parade colorée comme des oiseaux marche en dansant dans les rues… La danseuse Aya Sato ⁂▼Åγ∂ S∂†Ο▼⁂ interprète d’une manière imagée les trois animaux du titre du morceau, à savoir le poulet, le serpent et le cochon qui représentent les trois poisons du terme bouddhiste ‘Sandoku’ (utilisé dans le titre de l’album): l’ignorance, l’avidité et la colère. Après une vue sur la tour de Tokyo, les premières images se passent à Nishi-Shinjuku devant la structure murale de verre de l’Oeil de Shinjuku (新宿の目), qui semble jouer ici le rôle d’une porte empruntée par le personnage de Sheena Ringo. Un peu plus loin dans une rue déserte, un moine fait des incantations qui font apparaître les trois personnages imagées d’animaux interprétés par Aya Sato à différents endroits de Tokyo (on reconnaît Shinbashi), tandis que le cheval ailé de Sheena Ringo observe la scène du haut de la tour Wako dans le centre de Ginza. Comme je le disais auparavant, le morceau termine assez vite et donne vraiment l’impression d’être une introduction à ce qui va suivre dans le reste de l’album. D’ailleurs à la toute fin de la vidéo, alors que l’on revient vers l’Oeil de Shinjuku, on voit des images très rapides (il faut faire des arrêts sur images) correspondant à d’autres vidéos de morceaux déjà sortis sur le futur album, notamment une image du tunnel provenant de Kemono Yuku Hosomichi (獣ゆく細道), une image de danse dans un club du morceau Nagaku Mijikai Matsuri (長く短い祭), un personnage en costume blanchâtre qui pourrait être Tortoise Matsumoto sur Menukidori (目抜き通り) et une image d’une femme en kimono blanc rayé de dos sur Kamisama, Hotokesama (神様、仏様). Certaines images, les lieux notamment comme la tour de Tokyo et la tour Wako à Ginza, des vidéos de Menukidori et Kamisama, Hotokesama apparaissent également de manière très similaire sur le nouveau morceau Niwatori to Hebi to Buta. Tout ceci laisse penser qu’il y a des liens très étroits entre les morceaux et peut être une histoire qui se construit à travers les différents morceaux pour former un tout. Le nouvel album semble être d’une construction très réfléchie et c’est passionnant.

Cinq images extraites du court métrage intitulé 百色眼鏡 (Hyaku Iro Megane): 1) la femme en kimono rouge se révélant la nuit, 2) l’actrice Kaede Katsuragi (Koyuki), 3) la clochette au pied de la femme au kimono rouge, 4) Amagi (Kentarō Kobayashi) en promenade avec Kaede Katsuragi pour tenter de percer son secret, 5) une personnalité double, celle de Sheena Ringo.

Mahl me faisait remarquer en commentaire dans un billet précédent l’existence d’un court métrage intitulé Hyaku Iro Megane (百色眼鏡), se basant sur certains morceaux du troisième album Kalk Samen Kuri no Hana (加爾基 精液 栗ノ花), écrit communément KSK, de Sheena Ringo. Je me souviens avoir aperçu ce disque dans les rayons du Disk Union de Shinjuku ou de Shimo-Kitazawa mais je n’avais pas remarqué qu’il s’agissait d’un film au format DVD. Je pensais plutôt qu’il s’agissait d’un EP du morceau Stem (茎). Je n’avais pas regardé attentivement. Je rattrape le coup un soir de la semaine dernière en allant acheter le DVD de Hyaku Iro Megane au Tower Records de Shibuya (avec au passage une fiche plastique « clear file » offerte avec photo et logo à l’occasion de ses 20 ans de carrière). Je suis un peu surpris de le trouver facilement car il date de 2003. Je suis aussi surpris de remarquer que le DVD est en fait sorti un mois avant KSK.

Hyaku Iro Megane est un court métrage de 40 minutes dont l’histoire est bien mystérieuse et ressemble à un rêve. Il s’agit de l’histoire de Amagi, un jeune homme interprété par Kentarō Kobayashi chargé par une autre personne de découvrir l’identité réelle de l’actrice Kaede Katsuragi, interprétée par Koyuki, vivant seule dans une splendide demeure. Dans son travail de détective à la recherche du vrai nom de l’actrice, il finit par s’en approcher au point de devenir amis. On ne sait si c’est un rêve ou une réalité, mais il revient le soir espionné la demeure à travers un petit trou de la palissade en bois. Il y découvrira une autre personnalité de l’actrice, habillée d’un kimono rouge et interprétée par Sheena Ringo, et semblant seulement se réveiller la nuit. L’histoire reste très mystérieuse car on ne comprend que difficilement le lien entre le personnage de Koyuki et de Sheena Ringo et la part de rêve et de réalité. Amagi se réveille d’ailleurs toujours brusquement après sa séance d’espionnage devant la palissade de Katsuragi. Un peu comme chez Haruki Murakami, une part de fantastique vient s’introduire dans le réel. Je suis d’ailleurs en train de lire le Meurtre du Commandeur en ce moment. Dans le livre, un objet d’invocation du surréel se présente sous la forme d’une petite clochette ‘suzu’. J’étais amusé de trouver également cette petite clochette au pied du personnage au kimono rouge, comme si cet objet était d’une même manière destiné à faire le lien entre le personnage réel de Kaede Katsuragi et l’imaginaire se révélant seulement la nuit. Le réel et l’imaginaire se mélangent dans ce petit film et les frontières sont très floues, comme les images pleines de couleurs à certains moments. Cela rend le film très beau et délicat. Les décors et kimonos des années 40/50 apportent aussi beaucoup à l’ambiance, la beauté classique et mystérieuse de Koyuki dans ce rôle également. Ça faisait longtemps que je ne l’avais pas vu dans un film ou à la télévision, mais je ne suis pas non plus précisément sa carrière. C’est presque inutile de le préciser, mais la musique basée sur KSK et notamment le morceau Stem ponctuant l’histoire est bien évidemment un des éléments majeurs du film. Le film ne ressemble heureusement pas à un clip vidéo pour KSK et n’est pas non plus une curiosité. C’est plutôt une extension visuelle du monde de KSK et en ce sens, cela aurait été dommage de manquer ce court métrage dans ma collection de l’oeuvre de Sheena Ringo.

Trois illustrations par Shohei Otomo visible sur son site web: Konnichiwa World! (2017), 夜露死苦 -Yoroshiku (2017) et The Spectre (2018).

Tous ces kimonos en images chez Sheena Ringo me rappellent soudainement un dessin à l’encre noire de l’artiste Shohei Otomo, fils de Katsuhiro, montrant une chanteuse un peu extravagante en kimono. Cette chanteuse ne ressemble pas spécialement à Sheena Ringo, mais je vois quand même un rapprochement dans le fait que Sheena Ringo se met souvent en scène habillée d’un kimono dans des scènes traditionnelles mises au goût du jour. L’image dessinée par Otomo joue sur l’excès. On y voit toute sorte d’accessoires accrochés à la tenue et dans les cheveux du personnage. Le kimono en lui même est également très particulier pour ses motifs iconoclastes. J’adore ce sens du détail et le noir et blanc au stylo bille joue pour beaucoup sur l’impact visuel que provoque l’image. Shohei Otomo dessine beaucoup de personnages décalés ou à contre emploi. L’image au dessus à gauche représente le chanteur du groupe Kishidan, Show Ayanocozey, en tenue de scène coiffé d’une banane surdimensionnée et d’une autre époque, mais montré comme un écolier. Shohei Otomo dessine également des représentants des forces de l’ordre dans des postures que l’on n’a pas l’habitude de voir et qui sont même parfois répréhensibles. C’est certain qu’il donne une image décalée bien différente de l’image que l’on a du pays. Des trois images ci-dessus, le spectre en costume est la plus récente. L’auteur nous montre cette image en détail sur son compte Instagram. C’est une illustration mystérieuse qui glace le sang.

dans un silence photographique

Pendant une journée ensoleillée du mois de Mars, je suis allé seul au Tokyo Metropolitan Teien Art Museum près de la station de Meguro. J’y suis déjà allé plusieurs fois-ci dans le passé. Cette fois-ci, c’était pendant ma semaine de congé du mois de Mars. Mari avait déjà vu l’exposition du moment avec sa mère et me l’avait conseillé. Le musée Teien, ancienne résidence du Prince Asaka construite en 1933, est très certainement le plus beau musée de Tokyo, pas spécialement pour son design extérieur mais pour la richesse de l’intérieur dans le style Art Deco. On y trouve le design du français Henri Rapin dans 7 pièces du bâtiment, des chandeliers par René Lalique dans le salon et la grande salle à manger, entre autres artistes. Le problème, je dirais, d’utiliser cet endroit comme musée est qu’il efface par sa splendeur toute exposition artistique que l’on y montre à l’intérieur. Plutôt que de regarder ce qui est exposé, on a tendance à aller plutôt regarder les détails des décorations, des vitrages et diverses sculptures décoratives. L’escalier principal au centre du bâtiment, composé de marbre noir aux couleurs dorées, m’impressionne toujours autant. Je ne suis malheureusement pas spécialiste pour savoir s’il s’agit réellement d’une pierre naturelle, mais je n’ai jamais vu ailleurs un matériau d’une telle force.

Un grand jardin est placé derrière le musée et sa composition n’a apparemment pas changé depuis le temps où ce domaine était utilisé comme résidence impériale. Il y a un vaste espace ouvert au pied de la demeure, agrémenté de quelques sculptures. Si j’avais le temps, je m’assiérais bien sur l’herbe pendant des heures, comme on l’avait fait quelques fois en famille quand Zoa était petit. Comme le parc est assez vaste, se dégage une sensation de calme, comme dans un silence photographique. On peut marcher jusqu’au jardin japonais à l’arrière, agrémenté d’une traditionnelle maison de thé. Une grande partie de l’exposition se passe en fait dans l’annexe récente du musée. On y accède par un passage depuis le bâtiment historique. C’est un espace plus conventionnel et fonctionnel pour un musée. La terrasse donnant sur une partie du parc, au bord des grandes baies vitrées, est très agréable pour un café après la visite. Le café est bien évident idéalement placé à la fin du parcours de visite. On se laisserait très facilement tenté.

Mais revenons à l’exposition intitulée « Le miracle du silence » que j’allais voir ce jour-là. Il s’agissait de collages photographiques par l’artiste japonaise Toshiko Okanoue. Je ne connaissais pas cette artiste des années 50, liée au mouvement surréaliste japonais. Les œuvres présentées sont nombreuses et ont été principalement réalisées pendant une très courte période de 1950 à 1956. Elle a ensuite abandonné toute carrière artistique après son mariage. La matière des collages de Okanoue provient de magazines étrangers de l’époque comme Vogue ou le Harper’s Bazaar. Elle découvre ces revues étrangères après la guerre et mélange des photographies réalistes de l’après-guerre avec des extraits de photographies de mode. Le contraste entre ces deux univers est assez étonnant. Les associations d’images, des têtes déplacées, des paysages désolés avant la reconstruction de l’après-guerre sont en même temps fortes et surprenantes. C’était une belle découverte pour une exposition qui s’est malheureusement déjà achevée le 7 avril.

nothing escaped

Le titre de ce billet reflète l’impression que j’éprouve parfois en retournant dans des lieux où je ne vais pas souvent. L’envie, ou plutôt le besoin, de tout saisir en photos me prend soudainement, avec l’espoir de réussir une photographie que je n’avais pas réussi auparavant. Je ne saurais en fait pas définir très clairement ce qu’est une photographie réussie. Mes photographies ne montrent la plupart du temps pas de lieux spectaculaires mais plutôt des espaces du quotidien. Bien sûr, l’architecture y est parfois impressionnante et lorsqu’elle est bien cadrée, contribue grandement à faire d’une photographie qu’elle soit réussie. Mais les photographies de rues sont réussies, à mon appréciation, quand elle montre un élément intriguant, une forme artistique, des lumières, des formes ou des alignements qui attirent le regard. Je dois montrer sur Made in Tokyo environ 10% de ce que je prends en photo dans une journée. Bien sûr, sur la totalité des photographies que je prends dans la journée, certaines se répètent sous des angles ou des cadrages légèrement différents, mais j’ai plutôt tendance ces derniers temps à ne pas prendre plusieurs prises d’une même photographie. La majorité des photographies que je prends resteront donc à jamais sur le disque dur de l’ordinateur, sans connaître d’exposition ultérieure. Parfois, elles servent quand même de matière source pour de futures compositions graphiques. Quand je me pose la question ultérieurement de ce qui manquait à une photographie pour qu’elle soit montrable sur mon blog, je n’ai pas de raison logique mais je pense juste qu’il manquait à la photographie un « élément fort ». Sur les photographies ci-dessus prises dans les rues du quartier de Azabu Jūban lors d’une belle promenade en famille, le bloc vert surgissant en apesanteur du bâtiment de l’Ambassade de Corée du Sud des architectes Chang-Jo, sous la lumière légèrement forcée de la fin de journée, est un élément fort. Le bloc électrique qui semble exagérer sa complexité sans logique évidente est un élément fort. L’autoroute suspendue intra-muros à deux étages défigurant le paysage urbain en forçant son passage au dessus des rivières n’est pas exempt d’une certaine violence, et c’est un élément fort qui me pousse à vouloir montrer cette photographie. Les surfaces et les lignes futuristes du Sumitomo Fudōsan Azabu Jūban Building, les arêtes aiguës et nettes découpant l’espace au couteau, sont également un élément fort visuellement. Tous ces éléments m’intéressent et me poussent à choisir ces photographies plutôt que d’autres, mais ces choix personnels ne résonnent certainement qu’à l’intérieur de moi-même sans peut être trouver un écho chez le visiteur, qui recherche principalement à retrouver dans les photographies montrées ici des lieux déjà vus ou parcourus, certainement avec une dose de nostalgie. Je me pose la question de savoir si les éléments forts qui me poussent à les montrer sur ce blog sont visibles, sans explications, par les visiteurs. Je me pose la question car en feuilletant nombres de livres ou sites photographies, il y en a très peu qui m’interpellent. Les éléments forts me sont peut-être invisibles ou ils sont peut être tout simplement inexistants. D’ailleurs, il y a t’il vraiment des éléments forts sur chacune des photographies des albums de Daido Moriyama ?

Je ne résiste pas à l’envie de montrer ici quelques œuvres de l’artiste japonais Kawanabe Kyōsai (1831-1889), que nous avons vu récemment au Suntory Museum of Art de Tokyo Midtown lors de l’exposition Kawanabe Kyōsai: Nothing Escaped His Brush. C’était d’ailleurs la première fois que je visitais une exposition dans ce musée dont l’espace en lamelles de bois est conçu par l’architecte Kengo Kuma. Kawanabe Kyōsai a commencé son apprentissage avec l’artiste Utagawa Kuniyoshi, dont nous avons vu plusieurs Ukiyo-e lors d’une exposition qui lui était consacrée il y a quelques années. L’oeuvre de Kawanabe Kyōsai est dans cette lignée. Il passe ensuite sa formation d’artiste dans l’ecole traditionnelle Kanō, mais s’en écarte pour plus de liberté. Il se consacre aux caricatures et critique ouvertement le pouvoir en place, ce qui lui vaut quelques déboires. Son œuvre dessinée est pleine d’humour et de fantaisie. On y voit souvent des animaux dansants, mais également des œuvres plus inquiétantes comme des représentations d’esprits et de fantômes, des squelettes. J’aime beaucoup sa manière de représenter les tigres dont les yeux ronds sont plein de malice. Les singes également sont magnifiques, notamment le singe blanc représenté dans l’image ci-dessus qui semble bien dans l’embarras accroché à des lianes sous une chute d’eau. Son équilibre paraît précaire et on s’attend à une chute imminente. Il dessinera aussi un grand nombre d’images à la minutie impressionnante qui seront regroupées dans des livrets destinés à des commandes particulières. On les voit bien entendu seulement ouverts à une double page protégés par une cloche de verre, mais on rêverait d’avoir ces livrets en mains pour les feuilleter. Un grand nombre des œuvres de Kawanabe Kyōsai sont possédées par des collectionneurs étrangers. C’est également le cas d’autres peintres japonais comme Itō Jakuchū, illustre ainé de Kawanabe Kyōsai, car le Japon a tardé à reconnaître ces artistes. Ce n’est pas rare encore maintenant que des artistes japonais innovants ou bouleversant les règles peinent à être reconnus dans leur pays d’origine et doivent passer par l’étranger pour forcer la reconnaissance. L’exposition se termine bientôt, le 31 mars.