言葉以上・現実以上

Le retour au rythme tokyoïte sur Made in Tokyo n’est pas aussi facile que je l’imaginais. Le sentiment de fatigue post-Covid m’a poursuivi plusieurs semaines et j’ai par conséquent eu un manque de volonté et d’énergie pour me lancer dans l’écriture de longs billets comme j‘ai pu en écrire jusqu’à présent avant nos vacances en France ou comme je le fais maintenant. Et pourtant, le niveau de fréquentation particulièrement haut du blog pendant le mois d’Août aurait dû me motiver un peu plus. La chaleur estivale infernale avec ces 35 degrés tous les jours de la semaine est peut propice aux promenades photographiques, mais j’ai tout de même marcher près du gymnase de Yoyogi, où des danses Yosakoi (よさこい) ont attiré mon attention. Le Yosakoi est une interprétation moderne de la danse traditionnelle Awa-Odori que l’on peut souvent voir dans les festivals d’été. Plusieurs groupes habillés de tenues différentes dansaient les uns après les autres, d’une manière très dynamique caractéristique du genre, le long de la large allée piétonne séparant le Hall de la NHK du gymnase de Yoyogi. La musique qui accompagne les danses a un côté un peu kitsch mais l’énergie communicative des danseurs et danseuses faisaient plaisir à voir. Ils m’ont en quelque sorte transmis un peu de leur énergie. Bien que je n’ai pas publié de billets pendant ces vacances françaises, ça ne m’a pas empêché de réfléchir à la direction que je devrais donner à ce blog. Je me suis dit que ça n’avait pas beaucoup de sens de montrer des photos de choses et d’endroits que j’ai déjà maintes fois montré et qu’il faudrait que j’y apporte une touche un peu plus personnelle et spécifique à mon style visuel. Il faudrait aussi que je travaille un peu plus la sensibilité des textes qui accompagnent mes photographies pour éviter le descriptif.

Mais cette sensibilité est de toute façon grandement et principalement influencée par la musique que j’écoute. Je me remets lentement mais sûrement à écouter de nouvelles très belles choses musicalement. Quand je me perds dans la direction de ce que je veux écouter, je reviens souvent vers LUNA SEA et cette fois-ci, j’écoute beaucoup l’album Lunacy de 2000. Je l’avais acheté en CD à l’époque et ce n’est pas l’album vers lequel je reviens le plus souvent, ce qui est une erreur car le morceau Gravity est un de leurs meilleurs. J’avais aussi oublié que certains morceaux étaient des collaborations avec DJ KRUSH, comme celui intitulé KISS. Quelques morceaux au milieu de l’album sont particulièrement inspirés, notamment le sublime Virgin Mary. C’est un long morceau de plus de 9 minutes placé exactement au centre de l’album. Ce morceau me rappelle que Ryuchi Kawamura utilise régulièrement des références religieuses, en particulier chrétiennes, dans les paroles de ses morceaux. Il m’est d’ailleurs arrivé plusieurs fois d’être assis à côté de sa femme et de son fils à l’église avec mon grand lorsqu’ils étaient petits dans la même école maternelle. Ryuchi Kawamura ne venait bien évidemment pas. Je n’ai malheureusement jamais pu dire à sa femme toute l’admiration que j’avais pour lui. LUNA SEA est le seul groupe qui fait le lien entre la musique japonaise que j’écoutais en France et celle que j’écoute encore maintenant. Écouter LUNA SEA remet en quelque sorte les pendules à l’heure, pour me permettre de repartir vers d’autres horizons.

Dans ces belles découvertes récentes, il y a le morceau Kikikaikai (器器回回) de Nagisa Kuroki (黒木渚) sorti le 23 Août 2023. Je ne connaissais pas cette compositrice et interprète originaire de la préfecture de Miyazaki dans le Kyūshū. Je la découvre par l’intermédiaire de la photographe et vidéaste Mana Hiraki (平木希奈), que j’ai déjà évoqué plusieurs fois sur ce blog, car elle a réalisé la vidéo de ce morceau. Cette vidéo est très inspirée d’ailleurs, comme peut l’être le morceau. Nagisa Kuroki a fait ses études à Fukuoka, ce qui peut expliquer qu’Hisako Tabuchi (田渕ひさ子) ait joué de la guitare sur certains enregistrements de ses morceaux. Mais Hisako Tabuchi ne joue pas sur le morceau que j’écoute en ce moment. Kikikaikai a une composition brillante, très méthodique avec un flot verbal en escalade. La dynamique du morceau est très prenante et laisse peu de temps au répit sans pourtant être poussive. La dernière minute de Kikikaikai est particulièrement excellente car la densité et la tension vocale deviennent débordantes. C’est un excellent morceau qui se savoure d’autant plus après plusieurs écoutes.

Le morceau asphyxia de Cö shu Nie sur l’album PURE n’est pas récent car il date de 2019, mais l’idée m’est venu de revenir un peu vers la musique de ce groupe après avoir vu plusieurs fois la compositrice et interprète Miku Nakamura (中村未来) sur mon flux Twitter (on dit maintenant X mais je préfère l’ignorer pour l’instant) ou Instagram. Le morceau asphyxia est une sorte d’objet musical non identifié car la voix de Miku et la composition musicale ont toutes les caractéristiques de déconstruction du math rock. On y trouve une grande élégance et inventivité. Le morceau nous trimballe sur différentes voies comme si le train musical déraillait soudainement pour se rattraper de justesse vers une nouvelle direction. Mais le morceau n’en reste pas moins très construit. On peut se demander ce qui passe par la tête de la compositrice pour en arriver à de telles envolées. Sur le même album, j’écoute également Zettai Zetsumei (絶体絶命), car je suis attiré par le titre me rappelant un morceau de Tokyo Jihen. Ce morceau est un peu plus conventionnel et calme qu’asphyxia, mais juste un peu car l’escalade instrumentale est toujours bien présente, pour mon plus grand bonheur, il faut bien le dire. C’est un style musical, un peu comme celui de Ling Toshite Sigure, qui me paraît tout à fait unique au Japon.

L’émission radio du dimanche soir What’s New FUN? de Teppei Hayashi (林哲平) sur InterFm me fait découvrir le rappeur originaire d’Oita Skaai qui y était invité pour une interview. Quelques morceaux de Skaai étaient diffusés, notamment celui intitulé Scene! en collaboration avec Bonbero. Ce morceau de hip-hop en duo est vraiment excellent pour son ambiance sombre et atmosphérique, comme on pourrait en trouver chez DJ KRUSH, et pour les talents vocaux multiples de Skaai. J’adore le hip-hop lorsqu’il part vocalement vers ce genre de terrains mouvants. Je découvre plus tard un autre excellent morceau hip-hop de Skaai intitulé FLOOR IS MINE (featuring BIM, UIN). La voix de Skaai chantant en anglais le refrain me rappelle vaguement un morceau de Red Hot Chili Pepper mais je n’arriverais pas à vraiment dire lequel. Le compte Twitter de Skaai m’indique également une collaboration avec le rappeur coréen nommé 27RING (이칠링) sur un morceau énorme intitulé Brainwashing (세뇌) Ultra Remix tiré de son album 27LIT. Le morceau est énorme car il fait plus de 8 minutes et fait collaborer pas moins de 12 rappeurs prenant la parole les uns à la suite des autres sur une trame commune dense et anxiogène. Je ne connais pas tous ces noms (TAK, Moosoo, DON FVBIO, Ted Park, maddoaeji, Boi B, DAMINI, New Champ, Lee Hyun Jun, Skaai, Asol) qui semblent principalement coréens à part Skaai (qui est en fait moitié coréen, parlant la langue). La puissance de l’ensemble et son agressivité conservant un bon contrôle des phrasés parfois ultra-rapides, m’impressionnent vraiment. Chaque intervention des rappeurs invités est entrecoupée d’exclamations proche du cri de 27RING scandant en coréen dans le texte « Mon cerveau a subi un lavage de cerveau » (세뇌 당했지 나의 뇌). La vidéo très graphique est viscérale et correspond bien à l’ambiance du morceau. Il faut d’ailleurs l’écouter fort dans les écouteurs en regardant la vidéo pour bien s’immerger. Je me sens parfois reconnaissant, envers je ne sais qui ou quoi, de tomber sur ce genre de morceaux qui réveillent mon émerveillement musical.

Je reviens ensuite vers des terrains rock plus connus en écoutant le nouveau single du groupe Hitsuji Bungaku (羊文学) intitulé More than Words. J’aime la voix de Moeka Shiotsuka (塩塚モエカ) qui a un petit quelque chose de particulier et que je trouve très mature sur ce morceau. Dès les premières notes, le son des guitares est très présent, rempli de réverbération, et le rythme de la batterie est extrêmement soutenu. Je suis toujours surpris par la qualité du son qu’il et elles arrivent à sortir à trois. Le son des guitares est ici très spacieux. Ce single est utilisé comme thème de fin de l’anime à succès Jujutsu Kaisen (呪術廻戦), du mangaka Gege Akutami (芥見下々), pour une série intitulée Shibuya Jihen (渋谷事変), à ne pas confondre avec Tokyo Jihen (東京事変). Le thème d’ouverture de ce même anime est un morceau de King Gnu intitulé Specialz (スペシャルズ) qu’il me faudra écouter un peu plus (en tout cas la vidéo est impressionnante). En ce moment, j’écoute aussi deux EPs de Hitsuji Bungaku, à savoir Kirameki (きらめき) sorti en 2019 et Zawameki (ざわめき) sorti en 2020. Je ne connaissais en fait pas ces EPs en entier. En les écoutant, je me prépare en quelque sorte pour le concert à Tokyo Haneda le mois prochain, en Octobre 2023. J’ai très hâte d’aller les voir en live. Je sais déjà que ça rendra bien, pour les avoir vu et entendu en streaming lors de leur passage au festival Fuji Rock, il y a quelques années.

Shinichi Osawa (大沢伸一) de MONDO GROSSO produit le nouveau morceau d’Hikari Mitsushima (満島ひかり) intitulé Shadow Dance. C’est à ma connaissance la troisième collaboration entre les deux artistes. Ce morceau est très beau. L’élégance naturelle d’Hikari Mitsushima déteint forcément sur ce morceau, qui est très délicat, notamment dans ses moments parlés. Ce morceau fait apparemment référence au court métrage publicitaire Kaguya by Gucci, réalisé par Makoto Nagahisa dans lequel Hikari Mitsushima jouait déjà. Pour les plus attentifs, j’en ai déjà parlé plusieurs fois. La qualité de la production musicale de MONDO GROSSO n’est plus à démontrer et je suis toujours très satisfait qu’il travaille avec des artistes que j’aime, comme Daoko, Sheena Ringo, AiNA entre autres. J’aimerais d’ailleurs beaucoup que Sheena Ringo écrive un morceau pour Hikari Mitsushima. Il y a déjà des liens entre les deux. J’ignore par contre complètement le morceau que Sheena Ringo a écrit et composé récemment pour Sexy Zone. Faisons comme si il n’avait jamais existé car il n’est de toute façon pas brillant. Je suis également assez déçu par le nouveau single d’Utada Hikaru (宇多田ヒカル) intitulé Gold (~また逢う日まで~). Le morceau est loin d’être mauvais mais il n’a absolument rien d’original, par rapport à ses morceaux précédents. Je l’ai bien écouté plusieurs fois, mais j’ai beaucoup de mal à m’en souvenir. Elle aurait besoin d’un nouveau souffle et je ne doute pas qu’elle le trouvera, comme ça avait été le cas pour l’album Fantôme. Cet album ne semble d’ailleurs pas être le préféré des amateurs d’Utada Hikaru. C’est pourtant pour moi un des plus intéressants et celui qui m’a fait revenir vers sa musique. Et pour revenir à MONDO GROSSO, quelle plaisir de voir une collaboration avec KAF (花譜) dont je parle aussi assez souvent sur ces pages. Le morceau qui vient juste de sortir s’intitule My Voice (わたしの声). Il mélange habilement des sons classiques de piano et de cordes avec un rythme électronique particulièrement intéressant et la voix immédiatement reconnaissable de la chanteuse virtuelle KAF (qui est une vraie personne représentée par son avatar). Comme je le disais un peu plus haut, les choix artistiques de Shinichi Osawa m’épatent vraiment car ils sont quasiment en adéquation avec les artistes que j’apprécie.

Je ne vous obligerais pas à me suivre sur le dernier morceau sélectionné sur cette petite playlist de fin d’été, car la voix d’Ayuni D n’est pas la plus évidente à apprécier. Mais le nouveau morceau Tondeyuke (飛んでゆけ) de son groupe PEDRO qu’elle forme avec Hisako Tabuchi est vraiment enthousiasmant. En fait, j’aime beaucoup l’ambiance bucolique de la vidéo accompagnant le morceau, et le sentiment de nonchalance estivale qui l’accompagne. La manière de chanter d’Ayuni sur ce morceau, en chuchotant presque la fin de chaque phrase, me plait aussi beaucoup. Et il y a un petit passage de guitare vers la fin du morceau où les sons que dégage Hisako me rappellent Sonic Youth. Ce single et la musique de PEDRO ont apparemment un certain succès. J’étais plutôt surpris d’entendre que Tondeyuke était placé à la 54ème place du classement hebdomadaire Tokio Hot 100 de la radio J-Wave, que j’écoute très régulièrement le dimanche après-midi (de 13h à 17h) lorsque nous sommes en voiture. Après la dissolution de BISH, ça fait plaisir de voir chacune des anciennes membres trouver une nouvelle voix. C’est aussi le cas de CENTCHiHiRO CHiTTiii qui s’est lancé dans une carrière solo sous le diminutif de CENT. Son nouveau single Kesshin (決心) est un rock plutôt classique et j’étais assez surpris de voir que la musique a été composée par Kazunobu Mineta (峯田和伸) de Ging Nang Boyz (銀杏BOYZ).

AiNA The End a une carrière musicale pour l’instant très dense et on pourra la voir bientôt au cinéma sur le nouveau film du réalisateur Shunji Iwai (岩井俊二), Kyrie no Uta (キリエのうた). J’ai très récemment trouvé au Disk Union de Shimokitazawa le CD de la bande originale du film All About Lily Chou Chou (リリイ・シュシュのすべて) sorti en 2001, du même Shunji Iwai. J’avais déjà parlé sur ce blog de la musique du film chantée par Salyu. Le premier morceau intitulé Arabesque (アラベスク), qui accompagne les premières images du film dans les herbes hautes près d’Ashikaga (足利駅) dans la préfecture de Tochigi, est tellement sublime que je le compte volontiers dans la liste des morceaux que je préfère. La force d’évocation émotionnelle de cette musique et de la voix extrêmement sensible de Salyu me donnent à chaque fois des frissons. C’est proche du divin, sans trop exagérer. J’ai du coup revu le film qui m’avait beaucoup marqué la première fois que je l’avais vu. Je suis très curieux des films de Shunji Iwai mais ils ne sont pas disponibles sur Netflix ou Amazon Prime. J’ai quand même vu récemment le film Last Letter (ラストレター) sorti en 2020 basé sur un roman qu’il à écrit lui-même. Beaucoup d’actrices et d’acteurs reconnus jouent dans ce film, comme Takako Matsu, Suzu Hirose, Nana Mori et Masaharu Fukuyama entre autres. La surprise était de voir le réalisateur Hideaki Anno (de Neon Genesis Evangelion) joué un second rôle, celui du mari du personnage joué par Takako Matsu. Que ça soit sur des films ou des drama télévisés, je croise souvent la route de Takako Matsu (松たか子) en ce moment. La dernière fois était sur le drama Quartet (カルテット), dans lequel jouait également Hikari Mitsushima. Tout finit par se reboucler dans mes billets.

ニュウ、エスケープ

Ce creux au milieu de la façade du building à lamelles de bois de la première photographie du billet m’intrigue à chaque fois que je passe devant. A sa construction il y a environ deux ans, il était indiqué que cet espace serait utilisé par YouTube, mais je ne vois aucun signe extérieur l’indiquant. Il n’y a pas non plus de signe d’activité visible depuis l’extérieur et je me demande même si ce bâtiment si particulier est vraiment utilisé. Son design a été conçu par Kōichi Takada (高田浩一). J’aime beaucoup cette déflagration en hauteur. Un peu plus loin dans la même rue longeant la rivière bétonnée de Shibuya, on trouve plusieurs affiches collées à différents endroits, formant une sorte de guérilla publicitaire. Ces visages sont ceux du groupe d’idoles de l’agence Stardust, Momoiro Clover Z. A vrai dire, je pensais que le groupe, après avoir perdu une de ces membres, avait cessé ses activités. Il semble qu’elles fêtent plutôt l’anniversaire de leurs quinze ans de carrière. Il est vrai qu’on les voit encore régulièrement dans des publicités télévisées. Le temps de ces derniers week-ends est couvert et même pluvieux, ce qui me fait prendre moins de photos. J’ai de toute façon un stock d’une petite dizaine de billets en brouillon que je peine à écrire rapidement. Les journées sont longues et épuisantes. Elles me laissent peu de temps pour écrire, mais écrire est toujours pour moi une échappée nécessaire et même indispensable.

L’amateur de la musique de Sheena Ringo ne s’ennuie pas en ce moment. Le 17 Mai 2023, sortait le CD de deux titres W●RK et 2045, tous les deux excellents d’ailleurs, de la collaboration avec Millenium Parade de Daiki Tsuneta. Je ne l’avais pas réservé mais je suis passé l’acheter au Tower Records de Shibuya le soir du 16 Mai. Le magasin met en général dans les rayons les nouveautés le soir avant le jour de sortie. Il faut le savoir et ça permet de faire le malin ensuite sur les réseaux sociaux en disant qu’on a pu acheter et écouter le CD avant sa sortie officielle. C’est le Fying Get ou Furage (フラゲ) en japonais. Un nouveau single de Sheena Ringo est ensuite sorti cette semaine le 24 Mai. Il s’agit cette fois-ci d’un single solo intitulé Watashi ha Neko no Me (私は猫の目), sous-titré en français “Je suis libre”. Le CD que j’avais commandé sur Amazon, une fois n’est pas coutume, venait avec une carte postale montrant Sheena assise sur une moto devant la tour de Tokyo. Cette moto apparaissait également en logo pixelisé lors du récent concert. Comme je l’indiquais auparavant, il s’agit d’une Yamaha SR (reprenant donc ses initiales). Ce qui m’a presque choqué, c’est de me rendre compte que ce modèle de moto a été mis en production en 1978, soit l’année de sa naissance. Ce genre de détails me fascine toujours. J’aime vraiment beaucoup ce nouveau morceau Watashi ha Neko no Me, qu’elle avait également joué lors du concert, et je trouve qu’il gagne en saveur après plusieurs écoutes car sa construction musicale est, comme souvent chez Sheena Ringo, relativement atypique et terriblement sophistiquée. Dans la vidéo comme toujours réalisée par Yuichi Kodama, on la voit concrétiser son amour pour les chats en empruntant elle-même des yeux de chats. Elle n’est pas accompagnée par ses musiciens habituels, mais ce ne sont pas vraiment des visages inconnus non plus. À la guitare, on retrouve Hisako Tabuchi (田渕ひさ子) du groupe NUMBER GIRL. Elles se connaissent depuis leurs débuts, étant toutes les deux originaires de Fukuoka. Elles ont déjà joué ensemble, en concert ou en session d’enregistrement. Rino Tokitsu (時津梨乃) à la batterie est une ancienne membre d’un des premiers groupes que Ringo avait formé à Hakata (Fukuoka), avant ses débuts. Ce sont donc également des amies de longue date. Rino Tokitsu a fait aussi partie d’un groupe appelé Roletta Secohan (ロレッタセコハン). Je suis par contre moins familier du nom de BIGYUKI aux claviers. Il est apparemment présent sur la scène hip-hop/jazz new-yorkaise. J’aime beaucoup ce court passage solo au clavier accompagnant le solo de guitare lourd et déstructuré d’Hisako. Il y a une certaine texture brute dans ce morceau, notamment dans la voix de Sheena Ringo. J’adore particulièrement quand elle crie son « Nya » en imitant le cri du chat, avec un côté un peu comique que je pense volontairement. Sa voix devient plus agressive au fur et à mesure du morceau, comme un chat qui sortirait ses griffes. Elle roule même un peu des ‘r’ et finit le morceau sur un ton sonnant comme du Enka, comme Yuu peut également le faire sur des morceaux de GO!GO!7188. En comparaison, la face B du single s’intitulant Saraba Junjō (さらば純情), sous-titré “Adieu innocente”, a un son beaucoup plus doux. On entend une partie de ce morceau à la toute fin de la vidéo qui prend une forme animée montrant Ringo conduisant cette fameuse Yamaha SR. Elle est revenue vers les sous-titrages des titres des morceaux en français. Le single prenant le sous-titre “Je suis libre” reprend ce thème de la liberté (自由) très présent dans sa discographie et ses paroles. Mais le single va plus loin en découpant la vidéo en dix scènettes prenant pour titres des proverbes français souvent en lien avec le monde des chats. Où irait le monde sans les chats? Les voici ci-dessous.

1. Un malheur ne vient jamais seul.
2. Être comme chien et chat
3. Un peu de honte est bientôt bue.
4. Qui m’aime au même mon chat.
5. Qui naquit chat court après les souris.
6. Chat échaudé craint l’eau froide.
7. À bon chat, bon rat.
8. Il ne faut pas réveiller le chat qui dort
9. Tel qui rit vendredi, dimanche pleurera.
10. Ce qui est fait est fait.

Le vidéo du morceau Watashi ha Neko no Me (私は猫の目) mentionne également la citation « La femme, comme le chat, a neuf vies. » de l’écrivain anglais John Heywood (1497-1580), connu pour ses pièces, poèmes, et ses recueils de proverbes. J’ai le sentiment que ce morceau ouvre de nouvelles pistes dans sa discographie et ça me satisfait beaucoup de voir qu’elle ne manque pas d’inspiration. C’est une promesse de nouvelles échappées belles.

A ce propos, Sheena Ringo fête ce samedi 27 Mai 2023, ses 25 années de carrière après la sortie de son premier single Kōfukuron (幸福論) le 27 Mai 1998. Je me demande d’ailleurs pourquoi elle n’a pas sorti le nouveau single le 27 Mai, plutôt que le 24. A l’occasion de ce nouveau single et de cet anniversaire, elle sera présente dans les médias télévisés ces prochains jours, notamment à l’émission KanJam avec Daiki Tsuneta (pour une deuxième fois) le dimanche 28 Mai et pour une émission spéciale de la NHK le 1 Juin 2023. J’aurais certainement l’occasion d’en reparler ici. Cet anniversaire m’a donné l’occasion de porter mon t-shirt de la tournée (celui avec la moto pixelisée) et d’aller au magasin Tower Records de Shinjuku car une petite exposition spéciale y avait lieu. Dans une partie du magasin, on y montrait la moto Yamaha SR, les tenues utilisées pour la vidéo de Watashi ha Neko no Me, une photo géante, entre autres. Un bandeau est accroché pour ses 25 années de carrière. On retrouve sa signature encadrée datant du 14 Novembre 2019, avec les messages Koko ha Shinjuku Desu (ここは新宿です) et Merci, mais le verre du cadre est étrangement cassé à plusieurs endroits. Est ce un accident de manipulation ou est ce volontaire car il est montré tel quel dans le magasin. C’est peut-être un peu des deux, mais ce cadre avait en tout cas été enlevé (il me semble) après le réaménagement du magasin. On y vendait aussi des goods de la société de production Vivision de Yuichi Kodama, qui réalise la quasi totalité des vidéos et concerts de Sheena Ringo et Tokyo Jihen. Les t-shirts étaient pratiquement tous en rupture de stock, et je crois comprendre d’après mon fil Twitter qu’ils ont une certaine popularité. Un petit panneau demande aux visiteurs de poser une pastille pour leur album préféré. Je ne suis pas surpris de voir arriver Muzai Moratorium en tête. Un morceau comme Marunouchi Sadistic sorti sur cet album fait pratiquement partie de l’histoire musicale japonaise. Mon fils l’a même chanté récemment au karaoke avec ses copains et copines de classe de lycée. Je n’étais pas le seul habillé aux couleurs de l’artiste en cette journée de samedi. Dans un tout autre endroit à Shibuya Hikarie, une femme et son mari me regardaient en souriant. Je me suis d’abord demandé la raison, pour comprendre ensuite qu’elle portait elle-même un sac à l’effigie de Tokyo Jihen. Peut-être est ce dû à cette date anniversaire.

ディスラプティブ・ナンセンス

Je nage dans l’espace urbain à la recherche d’un point de chute. Je me concentre sur l’asphalte pour garder les pieds sur terre.


En « photographie », j’aime par dessus tout modifier la réalité pour apporter ma propre vision de l’espace. Je me dis parfois que je ne devrais faire de ce blog qu’une accumulation d’images créées de toute pièce comme les trois ci-dessus, plutôt que de prendre des photographies conventionnelles de lieux que l’on peut voir ailleurs, certes sous d’autres angles et sensibilités. Ça aurait certainement de la gueule d’avoir des pages ne montrant que ce type d’images modifiées voire déstructurées. Mais, ça peut également devenir fatigant, donc des petites doses sont peut-être préférables. Le processus de création de ces images tient souvent du hasard provoqué, fait de nombreux essais et d’erreurs, de retouches souvent minutieuses, jusqu’à ce que j’obtienne une image qui m’intéresse. Je n’ai pas vraiment l’habitude d’expliquer mes images ou d’indiquer ce que je cherchais à montrer, parce que cela tient pour moi de la sensation plus qu’autre chose. Comment expliquer l’intérêt que je vois dans la première image montrant une personne prenant en photo un objet flou et nuageux, ou cette autoroute surélevée faisant soudainement des courbes sur la deuxième image, ou ce halo de lumière éclairant des jeunes gens sous un nuage noir menaçant. Cela doit tenir à l’envie de montrer un monde parallèle plein de non-sens, une distorsion de la réalité, mais également esthétiquement parlant l’envie de “détruire” une photographie conventionnelle pour créer une nouvelle image, un nouvel espace. C’est une approche disruptive en quelque sorte.

Après les premières écoutes, je me suis posé la question de ce qui m’attirait dans cet album Thumb Sucker de PEDRO, le projet solo d’AYUNi D アユニ・D du groupe BiSH. Sa voix aiguë et perçante peut être difficile à supporter. Mais pourtant, cette voix accompagnée de la force des guitares parvient à se faufiler dans les méandres du cerveau jusqu’à provoquer une sorte d’addiction. J’ai pour sûr été attiré par cet album car j’aimais bien le contraste qu’apportait la voix d’AYUNi D sur le dernier album de BiSH dont je parlais récemment. J’ai aussi été attiré par cet album car Hisako Tabuchi 田渕ひさ子, des mythiques Number Girl, est la guitariste du groupe. Je me réjouissais à l’idée de réécouter son jeu de guitare. Les morceaux ne sont pas tous du même niveau mais se suivent avec beaucoup de constance et un dynamisme à toute épreuve. J’ai acheté cet album sur iTunes le jour de sa sortie car il était proposé exceptionnellement à 300¥. L’agence Wack a souvent des méthodes particulières de distribution de la musique qu’elle produit. Cet album de 13 morceaux était par exemple vendu le premier jour au Tower Records au format de 13 CDs d’un seul titre vendus séparément pour 100¥. Bien sûr, ce n’est pas très intéressant d’avoir 13 boites en plastique à stocker chez soi, mais on peut tout de même apprécier les méthodes disruptives employées par l’agence. Un autre exemple des méthodes inhabituelles de Wack, certains morceaux du prochain album du reboot du groupe BiS étaient également sortis en avance en téléchargement gratuit sur DropBox pour quelques jours seulement. En fait, je me rends compte que l’approche disruptive s’applique également aux morceaux du groupe, et c’est certainement, inconsciemment, ce qui m’intéresse beaucoup dans cette musique. On peut avoir un bon aperçu de l’album en écoutant le premier morceau sur YouTube, Nekoze Kyouseichū 猫背矯正. Il y a dans la vidéo un petit détail qui me plaît beaucoup (à 1:08 minutes), un mini poster de l’album Dirty de Sonic Youth accroché sur un mur dans ce qui semble être la chambre de Ayuni. On l’aperçoit à peine, mais il veut dire beaucoup de choses.