死ぬほど美しい

C’est devenu pour nous une tradition d’aller voir de près le Mont Fuji pendant les premiers jours de l’année. L’année dernière, nous avons longtemps regardé le versant de Shizuoka depuis les hauteurs de Nihondaira. Cette année, nous partons l’observer depuis la préfecture de Yamanashi, en poussant jusqu’au lac Motosu (本栖湖), le plus éloigné des cinq grands lacs du Mont Fuji (富士五湖). L’autoroute Chuo nous dépose au pied du lac Kawaguchi (河口湖). Il s’agit du plus immédiatement accessible et du plus grand des cinq lacs. Depuis la petite ville de Fujiyoshida située au bord du lac Kawaguchi, nous filons directement vers le lac Motosu, mais on s’arrête en passant au lac Shōji (精進湖), qui est lui le plus petit des cinq lacs. On en fait vite le tour en voiture pour rejoindre le lac Motosu, notamment le point de vue le plus connu que l’on voit représenté sur le billet de 1000 Yens. On compare bien sûr un billet avec la vue réelle pour constater qu’elle est en effet en tout point identique. Les bords du lac Motosu sont assez peu développés, à part des campements et quelques hôtels qui semblent assez anciens. L’endroit n’est pas difficile d’accès en voiture mais c’est très certainement plus compliqué de s’y rendre en transport en commun. Se promener en voiture autour des lacs est en tout cas vraiment plaisant, d’autant plus qu’il y a peu de traffic. Nous continuons notre petit périple en découvrant ensuite le lac Sai (西湖). On s’approche tout près de l’eau, comme montré sur la deuxième photographie du billet. Je ne peux bien sûr m’empêcher d’y proclamer que le lac Sai est formidable (西湖は最高だね!), ce qui correspond à un jeu de mots de bas niveau en japonais. Notre dernière étape est de retrouver le grand lac Kawaguchi, en faisant une pause à Fuji Oishi Hana Terrace. C’est un ensemble récent et moderne de petites boutiques et cafés situé à proximité du lac. A tout moment lorsqu’on l’aperçoit, on est envouté par la magnificence du Mont Fuji qui attire toute notre attention. Lorsqu’on ne le voit plus, caché par des forêts ou des montagnes, on le recherche. Lorsqu’on l’aperçoit devant soi, il est difficile de détourner le regard.

Une partie de la route qui nous a amené vers les lacs Motosu et Shoji traverse une partie de la mer forestière d’Aokigahara (青木ヶ原樹海) appelée Aokigahara Jukai. On qualifie cette forêt avec le mot Jukai (樹海) pour signifier qu’il s’agit d’une mer d’arbres. J’imagine très bien le mouvement des cimes d’arbres poussées de manière uniforme par le vent, formant comme des vagues d’un océan. Cette forêt a la triste réputation historique d’abriter des fantômes yūrei (幽霊), et depuis les années 1950, elle est connue pour le nombre important de personnes qui s’y suicident. Cette forêt est par endroits très dense et accidentée, formée suite à une large coulée de lave il y a 1200 ans (en 864). Cette lave poreuse absorberait apparemment les sons et contribuerait à un sentiment de solitude. Cette forêt d’Aokigahara me ramène tout d’un coup vers la musique de NECRONOMIDOL car la vidéo du morceau Psychopomp sur leur album VOIDHYMN y a été tournée. Dans la mythologie japonaise, les Shinigami (死神) sont des dieux psychopompes, des personnifications de la mort qui ont la tâche d’escorter les âmes récemment décédées vers l’autre monde.

Je ne suis pas sûr que ce soient des dieux psychopompes Shinigami que l’artiste Takato Yamamoto (山本タカト) représente sur les deux superbes illustrations ci-dessus, mais ils y ressemblent très fortement. Takato Yamamoto est peintre de formation, originaire de la préfecture d’Akita et diplômé du Département des Beaux-Arts de l’Université Zokei de Tokyo. Dans les années 1980, il travaille principalement sur des illustrations pour des publicités d’entreprise, mais à partir du début des années 1990, il commence à illustrer des romans sous l’influence de l’art de la fin du XIXe siècle et de l’Ukiyo-e. Il crée des œuvres d’ambiance fantastique, comme celles montrées ci-dessus qui me fascinent complètement, dans un style qu’on qualifie d’Esthétique Heisei. Il a déjà publié plusieurs livres d’illustrations mais je ne pense pas en avoir trouvé en librairie pour le moment. Certaines de ses créations peuvent être proches du style Ero-guro (érotisme grotesque) mais ne perdent pas pour autant une finesse déconcertante. La beauté de cette noirceur, parfois vampirique et pleine d’un romantisme d’une autre époque, est fascinante. Ces deux peintures ci-dessus à l’acrylique sur papier font partie d’une série intitulée Yokagami (夜鏡), qu’on peut traduire par le miroir de la nuit, datant de 2021. L’auteur donne également à cette série le sous-titre « In the Terrible Depth of Night ». Takato Yamamoto montre un grand nombre de ces peintures sur son compte Instagram, qu’il faut regarder sans être effrayé.

Cela fait un bon moment que les oeuvres musicales de Meitei (冥丁) m’intriguent, ne seraient ce que les couvertures des quelques albums qu’il a sorti jusqu’à maintenant. Meitei, de son vrai nom Daisuke Fujita (藤田大輔), est un artiste japonais vivant à Hiroshima. Il crée de la musique expérimentale principalement de style Ambient se basant sur des sons et des atmosphères anciennes du folklore japonais. Son premier album sorti en 2018 s’intitule Kwaidan (怪談) et, comme ce titre l’indique, il s’agit d’une œuvre basée sur le thème des histoires de fantômes japonaises. Sur cet album, Meitei est directement influencé par l’œuvre littéraire du même titre, Kwaidan ou Histoires et études de choses étranges, de l’écrivain Yakumo Koizumi (小泉八雲), contenant plusieurs kaidan, ou histoires de fantômes japonais. Yakumo Koizumi est en fait un écrivain irlandais, de son vrai nom Lafcadio Hearn. Débarqué au Japon en 1890 où il exerce le journalisme, il se marie en 1896 avec Setsuko Koizumi, fille d’un samouraï, et prend la nationalité japonaise et donc le nom de famille de sa femme. Il rédige des œuvres sur le Japon et la culture japonaise, notamment sur les histoires traditionnelles de fantômes. Il passe le restant de ses jours au Japon et meurt à Tokyo d’un crise cardiaque en 1904. Sa tombe se trouve dans le grand cimetière de Zoshigaya (雑司ヶ谷), endroit paisible que j’ai déjà visité à plusieurs reprises. Sur l’album Kwaidan, on ressent également l’influence du mangaka Shigeru Mizuki (水木しげる), un des fondateurs du manga d’horreur, spécialisé dans les histoires de monstres et de fantômes. Je suis très loin d’être connaisseur de ses manga mais je reconnais tout de même dans un morceau comme Touba (塔婆) ou Jizo (地蔵), un certain humour que Meitei traduit dans les sons de sa voix. Touba est le morceau que je préfère de l’album. On y devine des lieux d’un Japon ancien, rempli de fantômes ou d’êtres étranges que l’on distingue à peine dans l’obscurité mais dont on devine les voix et les mouvements. Meitei joue le rôle du narrateur en racontant une histoire mais sa voix est étrangement proche du hip-hop. Les arrangements musicaux électro-ambiant sont tellement détaillés qu’on est pris par cette ambiance tout simplement envoûtante évoquant un esprit japonais désormais disparu. L’écoute de cet album est certes déconcertante et difficile d’approche, mais l’atmosphère qui s’en dégage grandit petit à petit en soi à chaque écoute. Kwaidan n’évoque pas une atmosphère particulièrement effrayante, mais un univers poétique nostalgique et mélancolique à la finesse subtile. Les morceaux Sankai (山怪) et Sazanami (漣) en sont de très bon exemples. Meitei continue ensuite avec des œuvres musicales dans une trilogie intitulée Kofū (古風). Je pioche pour l’instant quelques morceaux du premier épisode Kofū, sorti en Septembre 2020, en particulier Oiran I (花魁I) et Oiran II (花魁II). Le style musical de de cet album est très différent de Kwaidan, mais maintient cette représentation d’un Japon antique longtemps disparu. On devine des lieux et des espaces, où évoluent et chantent par exemple les courtisanes Oiran évoquées par ces deux titres, mais l’approche électronique faite de samples est encore une fois déconcertante. Elle rend cette atmosphère irréelle et fantastique. Le talent de Meitei est d’arriver à composer avec ces ambiances pour créer un morceau moderne, venant brouiller toute conception temporelle. Ces deux morceaux Oiran sont étonnement extrêmement accrocheurs et sont à mon avis une bonne porte d’entrée vers son univers musical. Sur le troisième volet de la trilogie Kofū, sorti récemment en Décembre 2023 et intitulée tout simplement Kofū III (古風III), je choisis également deux morceaux Yume-jūya (夢十夜) et Heiwa (平和). Ces deux morceaux étaient en fait sorti ensemble et avant l’album sur un EP de deux titres (avec une image de poisson rouge en noir et blanc). Les deux morceaux sont très différents, l’un très agité comme une boîte à musique déréglée et l’autre évoquant une forme de plénitude, peut-être celle d’Onomachi près d’Hiroshima où vit Meitei. Comme de nombreux autres dans la discographie de Meitei, ce morceau Heiwa est beau à en mourir, comme la silhouette du Mont Fuji s’effaçant lentement derrière la pénombre naissante, ou comme cette jeune fille dessinée par Takato Yamamoto attirée par des spectres mortuaires.

お化けが見えないけど (2)

Un des regrets de ma petite traversée du quartier de Yanaka est qu’il n’y avait pas un chat. Le quartier est réputé pour les chats qui y vivent et dorment, dans les temples ou les cimetières mais ils se sont tous cachés à mon passage. Outre les temples, je voulais absolument voir le gigantesque cèdre d’Himalaya que je montre sur la première photographie du billet. Je ne pense pas avoir réussi à vraiment montrer sur cette photo l’immensité du tronc et des branchages, mais il apparaît en tout cas comme une présence symbolique dans le quartier. On dit qu’il a été planté il y a 90 ans par le propriétaire de la petite échoppe placée juste derrière. Cet arbre a failli être coupé il y a plusieurs années, ce qui peut paraître incroyable, mais les actions d’un comité local du quartier ont permis de le protéger. Il se situe à l’embranchement de deux rues et est entouré de plusieurs temples, notamment Enjuji Nikkadō, datant de 1656, dédié à la protection des marcheurs et promeneurs. En passant devant ce temple, je me souhaite à moi-même de pouvoir continuer encore longtemps à marcher dans les rues de Tokyo. Mon étape suivante est le temple Daienji, situé de l’autre côté de Yanaka, en direction de la rue marchande Yanaka Ginza. En route, je m’aventure volontairement au hasard des allées et je regrette un peu d’avoir pris l’automatisme de regarder Google Maps sur mon smartphone lorsque j’ai l’impression d’avoir perdu mon chemin. J’aurais aimé prendre un peu plus mon temps, mais la matinée passe trop vite lorsque l’on marche dans ces rues. De retour à la maison, je lirais que ce temple Daienji est réputé pour une pierre gravée racontant l’histoire de Kasamori Osen (笠森お仙) qui était une belle jeune femme travaillant dans une maison de thé appelée Kagiya se trouvant à proximité du temple. Elle a été représentée sur des impressions Ukyo-e par plusieurs artistes de l’époque Edo, notamment Suzuki Harunobu (鈴木春信) qui était un artiste renommé dans les années 1760s. Elle était apparemment désignée comme une des trois plus belles femmes d’Edo et sera même le personnage d’une pièce kabuki. Elle disparaîtra soudainement de la maison de thé et du public, après son mariage et vivra une vie recluse.

Le compte Twitter de l’Ambassade du Japon en France donne un lien vers une série d’émissions de courtes durées sur Arte intitulée Tokyo Paranormal, pour que les frissons nous rafraîchissent un peu pendant l’été. Je suis tout de suite intrigué car l’image utilisée en présentation montre le visage de Sari du groupe Necronomidol. Elle a déjà quitté le groupe donc j’imagine que cette série date d’il y a quelques années. La série se compose de dix épisodes courts, de 5 ou 6 minutes, qui se regardent donc les uns à la suite des autres sans qu’on s’en rende compte. On y aborde les légendes urbaines, les esprits représentés dans les Manga comme ceux de Kazuo Umezu (le Mangaka vivant dans une maison bariolée de rouge et de blanc près du parc Inokashira), dans le kabuki, le butō, l’estampe… Ces reportages donnent une part assez importante au paranormal représenté au cinéma dans des films de la toute fin des années 90 et début des années 2000 comme Ring de Hideo Nakata ou Ju-on de Takashi Shimizu. On y voit également une scène du film Audition de Takashi Miike, qui m’a fait froid dans le dos en la revoyant pendant quelques secondes. De ces trois films, je n’ai pas vu Ju-on et j’hésite encore à le regarder maintenant, alors qu’une série appelée Ju-on: Origins vient de sortir sur Netflix. Un des épisodes aborde le sujet de la tristement fameuse forêt Aokigahara, au pied du Mont Fuji dans la préfecture de Yamanashi. Necronomidol intervient dans cet épisode car la vidéo de Psychopomp sur l’album VOIDHYMN y a été tournée, et également car l’image du groupe correspond bien à l’esprit de ce documentaire. Le seul point qui me gêne dans l’ensemble de la série est qu’on n’arrive pas à bien cerner si elle se positionne dans le registre du documentaire ou de la fiction. La voix du narrateur essaie de nous faire croire que Tokyo est une ville peuplée d’esprits et de fantômes, qui se cacheraient à tous les coins de rues. L’aspect documentaire de la quasi totalité des épisodes de la série nous laisserait penser que les commentaires en voix Off du narrateur sont aussi représentatifs d’une réalité. Quelque part, ce type de documentaire construit de nouvelles légendes à partir de légendes existantes. En écrivant ces lignes, je me rends compte que je fais exactement la même chose avec les billets de ce blog qui passent d’un aspect quasiment documentaire sur certains textes et images à des fantaisies irréelles volontaires. Pourtant, c’est plus intéressant de montrer Tokyo par des images irréelles, dans la mesure où elles se basent sur une certaine réalité. Il faut seulement éviter de tomber dans le piège de donner l’impression qu’il s’agit d’une généralité. Je ne pense pas que ça soit le cas de cette série sur Arte, mais, lorsqu’on habite ici, notre esprit est formé à penser que toutes images données de Tokyo et du Japon par des médias étrangers ne peuvent qu’être une tentative à donner une image définitive et généralisante de ce qu’est la totalité de ce pays.

J’avais justement en tête depuis quelques semaines de parler ici du nouveau morceau de Necronomidol, intitulé TUPILAQ, sorti au début du mois de Juin cette année. Ce morceau naît après quelques turbulences dans le groupe car plusieurs membres l’ont quitté soudainement dont Risaki Kakizaki. Depuis le départ de Sari, qui était avec son visage maquillé une figure immédiatement reconnaissable du groupe, j’ai l’impression que le groupe a eu du mal à se trouver un équilibre. Du groupe actuel composé de 4 membres, je ne connais que Himari Tsukishiro qui est une des rescapées de la formation et en deviendrait même le symbole. J’imagine d’ailleurs que la pochette dessinée par l’illustrateur Ichiba Daisuke est inspirée par l’image d’Himari. Ce n’est qu’une supposition car je ne connais pas du tout l’univers d’Ichiba Daisuke, dont je n’ouvre volontairement pas la porte (pour l’instant). Enfin, l’image de la pochette donne une bonne idée de ce qu’on peut y entrevoir. Je suis très agréablement surpris par la qualité de ce nouveau morceau TUPILAQ, qui démarre comme si on descendait dans les bas fonds jusqu’à ce que la puissance des guitares et de la batterie prennent le relais. Le morceau est très solide tout comme les voix qui ne perdent pas le dessus sur les guitares pourtant très présentes. Le groupe semble désormais plus mûr dans son chant groupé, et c’est peut être dû à cette nouvelle composition. Musicalement, l’esprit métal est toujours très présent. Je ne suis pas adepte du métal mais j’aime quand ce son là vient contraster avec les voix féminines du groupe. Sari, de son côté, a continué son chemin musical loin des noirceurs gothiques, en se tournant plutôt vers les sons électroniques. Elle a sorti un EP au mois de Mars et un autre morceau en Mai 2020, sari no shitaku, que j’écoute très régulièrement. La musique faite de sursauts est composée par Kei Toriki, nom que j’avais déjà vu associé au groupe Ray si mes souvenirs sont bons. Le morceau est intéressant car il n’a pas vraiment de refrain et se compose d’une progression continue. Ces deux morceaux sont disponibles sur Bandcamp, qui devient petit à petit une des meilleures plateformes musicales, à mon avis.

通りゃんせ

Les passages entre les nuages qui se découvrent petit à petit révèlent des trésors que seul le marcheur attentif peut voir. Ces chemins sont étroits et peuvent se refermer subitement sans prévenir. Avançons tant que nous le pouvons. 通りゃんせ. Les possibilités d’avancer petit à petit sur ces chemins sans rendre de compte à personne s’éteindront peut être un jour. Avançons même si on ne se sent pas invité sur ces chemins, même si on ne fait parti de ceux qu’on reconnaît de loin lorsqu’ils arpentent ces routes. Le marcheur garde ici son statut d’homme de passage et ne s’approprie pas les lieux. Les instants qu’il entrevoit dans ce monde urbain rendu flou par la densité des choses disparaîtra pour ses yeux sous un nuage opaque. Alors marchons encore un peu plus avant que ce chemin ne se referme dernière nous. 通りゃんせ.

Le titre de ce billet Tōryanse (通りゃんせ) correspond à une chanson traditionnelle japonaise pour enfants. Il s’agit également de la musique que l’on peut entendre aux passages pour piétons quand le feu passe au vert et que l’on peut traverser. La chanson traditionnelle est aussi un jeu où les enfants s’alignent par deux en formant des arches avec les bras. Chaque enfant doit passer sous la série d’arches formés par le groupe. Quand la chanson s’arrête, les arches se referment sur les enfants en cours de traversée et ils y restent prisonniers. L’utilisation de cette chanson pour les passages pour piétons est intéressante car il faut, de la même manière, se dépêcher à traverser avant que la musique ne s’arrête. Le fait qu’au Japon, on traverse strictement quand le feu est vert est peut être inconsciemment dû aux souvenirs de ces chansons et jeux de l’enfance. Et à une crainte que la route ne se referme subtilement quand le feu passe au rouge, de la même manière que dans le jeu rythmé par cette chanson enfantine. La chanson fait référence à la visite au sanctuaire des enfants à l’occasion de leur septième anniversaire. Les paroles disent que seul ceux ayant une raison particulière peuvent emprunter le chemin étroit menant au sanctuaire. La célébration des sept ans est une de ces occasions particulières, d’autant plus que dans les temps anciens la mortalité infantile était particulièrement élevée. Cette musique traditionnelle me vient en tête alors que j’écoute le morceau Atai no Tsumeato あたいの爪痕 de Necronomidol, le premier morceau de leur premier album Nemesis. La version du groupe reprend les paroles mais sur des sons de guitares. Le morceau est étrange et inquiétant, comme toujours pour les morceaux du groupe. C’est un morceau très intéressant et très bizarre dans sa construction, notamment pour ce passage au milieu du morceau qui me fait énormément penser à un morceau de Sonic Youth. J’aime d’ailleurs beaucoup les six premiers morceaux de l’album Nemesis, mais beaucoup moins les autres.

light in darkness

Jouons encore un peu avec les ombres et les lumières sur l’architecture tokyoïte, en y ajoutant quelques touches de couleur rouge comme pour y introduire une petite dose de mystère et d’angoisse. Juste un peu. Juste une touche légère. Comme c’est très souvent le cas, ces manipulations photographiques sont conçues sous influence musicale. Il n’y a pas forcément de liens très directs ou évidents entre la musique que j’écoute en ce moment et ces images en noir et blanc colorées de rouge, mais il y a pourtant une certaine idée de noirceur et de lumière soudaine.

En images ci-dessus, deux albums de Necronomidol: DEATHLESS (2017), VOIDHYMN (2018) et le EP Scions of the blasted heath (Juin 2019), ainsi qu’une image extraite de la vidéo sur YouTube du morceau ITHAQUA sur l’album DEATHLESS.

A priori, je ne pensais pas que j’allais aimer la musique de NECRONOMIDOL, mais c’est pourtant ce qui m’arrive en ce moment en écoutant l’album DEATHLESS sorti il y a deux ans et le EP Scions of blasted heath qui est lui sorti le 13 Juin 2019. Je connaissais le nom de ce groupe depuis quelques temps sans avoir écouté leur musique. Ce nom est d’ailleurs une référence directe à l’ouvrage fictif Necronomicon imaginé par HP Lovecraft, ce qui donne tout de suite une idée assez précise de l’ambiance musicale du groupe. NECRONOMIDOL y emprunte l’ambiance sombre flirtant avec l’horreur et le fantastique, dans les paroles comme dans la tonalité musicale générale. Mais comme il s’agit d’un groupe d’idoles comme le nom l’indique aussi, on devine également que des rayons de lumières J-POP viendront éclaircir ce tableau aux allures à priori oppressantes. Je n’ai pas d’attirance particulière pour ces univers effrayants (je fuis même les films d’horreur), et je n’ai pas non plus d’intérêts particuliers pour le monde musical des idoles. On peut donc se demander ce qui m’a amené à écouter cette musique alors qu’au même moment Autechre sort Warp Tapes 89-93 c’est à dire deux heures de musique électronique gratuite et que Thom Yorke sort un nouvel album Anima qui a l’air génial rien qu’en regardant la pochette?

Image extraite de la vidéo sur YouTube de SKULLS IN THE STARS sur l’album DEATHLESS. La vidéo est construite comme un jeu vidéo rétro en 2D avec boss de fin de niveau et possibilité de permuter les personnages en court de partie. Le premier niveau se passe à Aokigahara, la tristement célèbre forêt des suicidés. L’action se poursuit pour le deuxième niveau à Kholat Syakhl, surnommée la montagne de la mort, dans les monts Oural en Russie. Le troisième et dernier niveau se déroule à Tokyo-IV. Comme Tokyo-3 est la ville forteresse située à Hakone dans le manga Neon Genesis Evangelion, j’imagine que Tokyo IV est la version de la ville après une nouvelle destruction et reconstruction imaginaire.

Il s’agit peut être de l’attrait de la nouveauté et l’envie d’écouter un univers musical sur lequel je suis néophyte. Il faut dire aussi que NECRONOMIDOL entre dans la catégorie des Anti-Idols, ce qui me laisse penser qu’on doit y trouver une certaine déviance des chemins tout tracés de la J-POP. Malgré le qualificatif de Anti-Idol, le groupe n’en est pas moins monté de toute pièce avec renouvellement des membres du groupe de manière régulière. La musique est créée par des compositeurs et l’implication de chaque membre dans le processus créatif est très limité. Bref, tout ce qui fait les caractéristiques des groupes d’idoles s’applique également à NECRONOMIDOL. Le nom du groupe et l’imagerie très noire et occulte me rebutaient un peu à priori. Mais le hasard de la lecture d’un article de Patrick Saint Michel (un des critiques que je respecte le plus en terme d’appréciation musicale de la scène underground ou non mainstream japonais – si ce n’est le seul d’ailleurs) m’amène à écouter par curiosité le EP mentionné plus haut Scions of the blasted heath, et je suis très agréablement surpris par ce que j’entends. Un autre article du même auteur NECRONOMIDOL and New Directions in Japanese Metal sur le site de Bandcamp, sur lequel tous les albums et EPS sont disponibles, vient me convaincre un peu plus en interviewant une des figures du groupe Risaki Kakizaki. Elle a ses quelques mots sur la musique du groupe: “Some groups doing idol and ‘loud music,’ the voices mesh too well with the music. I feel with NECRONOMIDOL, we actually have more of an unbalance—a good unbalance—between the vocals and the actual instrumentation. And that’s something we want to push forward, a feeling of uncertainty”. Mes goûts musicaux sont pratiquement toujours fondé sur ce sentiment difficile à décrire de ‘déséquilibre’. Le chant des cinq filles du groupe posé sur du black métal donne un contraste très intéressant, d’autant plus qu’on n’est pas du tout ici dans le registre kawaii, bien heureusement. Je ne suis pas spécialiste en metal, à part écouter de temps en temps X JAPAN dans un style plus Visual Kei, mais j’ai l’impression que ce style de musique black métal reste inchangé depuis des décennies. Le style des morceaux évolue aussi vers du dark wave, style électronique sombre plutôt orienté années 80. L’instrumentation est parfaitement construite et agencée. Elles chantent toutes les cinq et la qualité peut être variable, mais dans l’ensemble, ça se tient très bien. Mais c’est surtout le contraste du chant avec la tension musicale qui rend ces morceaux interessants et même addictifs.

Image extraite de la vidéo sur YouTube de Psychopomp sur l’album VOIDHYMN. Les images sont tournées dans la forêt de Aokigahara au pied du Mont Fuji dans la préfecture de Yamanashi.

En fait, je me suis laissé très vite convaincre en écoutant le morceau Salem sur le EP Scions of blasted heath, avec ces voix très mélodiques et sombres posées sur un magma de guitares. L’ambiance y est fantastique. Il y a un ou deux morceaux beaucoup plus classiques de ce qu’on peut entendre d’un groupe d’idoles mais il faut garder en tête qu’elles chantent en général des atrocités dans les paroles. Les paroles vont d’ailleurs de paire avec l’imagerie inquiétante qui accompagne chaque album, dans un style d’horreur grotesque. J’ai l’impression de donner à chaque fois des précautions d’usage dans les recommandations musicales ces derniers temps et je ferais de même avec NECRONOMIDOL. Comme il peut y avoir des films de genre, il s’agit là d’une musique de genre, et tout l’intérêt vient dans les contrastes. Après quelques écoutes, cette musique devient irrésistible et absorbante, comme s’il y avait là un léger goût d’interdit, au point que je me mets assez vite à découvrir les autres albums du groupe, comme VOIDHYMN sorti en 2018. Dans l’ensemble, la qualité des morceaux peut être inégale mais il y a beaucoup de morceaux tout simplement grandioses. Pour en citer quelques uns comme points d’entrée: End of Days, Skulls in the Stars, Hexennacht et Ithaqua sur l’album Deathless, Salem et The festival sur le EP Scions of the blasted heath, Innsmouth, Psychopomp et une autre version avec plus de guitares de Skulls in the Stars sur VOIDHYMN. La pochette de ce dernier album est d’ailleurs signée par Suehiro Maruo, un des maîtres du manga d’horreur japonais. Et cette ambiance picturale correspond bien avec celle de nombreux morceaux, comme des contes macabres.