light in darkness

Jouons encore un peu avec les ombres et les lumières sur l’architecture tokyoïte, en y ajoutant quelques touches de couleur rouge comme pour y introduire une petite dose de mystère et d’angoisse. Juste un peu. Juste une touche légère. Comme c’est très souvent le cas, ces manipulations photographiques sont conçues sous influence musicale. Il n’y a pas forcément de liens très directs ou évidents entre la musique que j’écoute en ce moment et ces images en noir et blanc colorées de rouge, mais il y a pourtant une certaine idée de noirceur et de lumière soudaine.

En images ci-dessus, deux albums de Necronomidol: DEATHLESS (2017), VOIDHYMN (2018) et le EP Scions of the blasted heath (Juin 2019), ainsi qu’une image extraite de la vidéo sur YouTube du morceau ITHAQUA sur l’album DEATHLESS.

A priori, je ne pensais pas que j’allais aimer la musique de NECRONOMIDOL, mais c’est pourtant ce qui m’arrive en ce moment en écoutant l’album DEATHLESS sorti il y a deux ans et le EP Scions of blasted heath qui est lui sorti le 13 Juin 2019. Je connaissais le nom de ce groupe depuis quelques temps sans avoir écouté leur musique. Ce nom est d’ailleurs une référence directe à l’ouvrage fictif Necronomicon imaginé par HP Lovecraft, ce qui donne tout de suite une idée assez précise de l’ambiance musicale du groupe. NECRONOMIDOL y emprunte l’ambiance sombre flirtant avec l’horreur et le fantastique, dans les paroles comme dans la tonalité musicale générale. Mais comme il s’agit d’un groupe d’idoles comme le nom l’indique aussi, on devine également que des rayons de lumières J-POP viendront éclaircir ce tableau aux allures à priori oppressantes. Je n’ai pas d’attirance particulière pour ces univers effrayants (je fuis même les films d’horreur), et je n’ai pas non plus d’intérêts particuliers pour le monde musical des idoles. On peut donc se demander ce qui m’a amené à écouter cette musique alors qu’au même moment Autechre sort Warp Tapes 89-93 c’est à dire deux heures de musique électronique gratuite et que Thom Yorke sort un nouvel album Anima qui a l’air génial rien qu’en regardant la pochette?

Image extraite de la vidéo sur YouTube de SKULLS IN THE STARS sur l’album DEATHLESS. La vidéo est construite comme un jeu vidéo rétro en 2D avec boss de fin de niveau et possibilité de permuter les personnages en court de partie. Le premier niveau se passe à Aokigahara, la tristement célèbre forêt des suicidés. L’action se poursuit pour le deuxième niveau à Kholat Syakhl, surnommée la montagne de la mort, dans les monts Oural en Russie. Le troisième et dernier niveau se déroule à Tokyo-IV. Comme Tokyo-3 est la ville forteresse située à Hakone dans le manga Neon Genesis Evangelion, j’imagine que Tokyo IV est la version de la ville après une nouvelle destruction et reconstruction imaginaire.

Il s’agit peut être de l’attrait de la nouveauté et l’envie d’écouter un univers musical sur lequel je suis néophyte. Il faut dire aussi que NECRONOMIDOL entre dans la catégorie des Anti-Idols, ce qui me laisse penser qu’on doit y trouver une certaine déviance des chemins tout tracés de la J-POP. Malgré le qualificatif de Anti-Idol, le groupe n’en est pas moins monté de toute pièce avec renouvellement des membres du groupe de manière régulière. La musique est créée par des compositeurs et l’implication de chaque membre dans le processus créatif est très limité. Bref, tout ce qui fait les caractéristiques des groupes d’idoles s’applique également à NECRONOMIDOL. Le nom du groupe et l’imagerie très noire et occulte me rebutaient un peu à priori. Mais le hasard de la lecture d’un article de Patrick Saint Michel (un des critiques que je respecte le plus en terme d’appréciation musicale de la scène underground ou non mainstream japonais – si ce n’est le seul d’ailleurs) m’amène à écouter par curiosité le EP mentionné plus haut Scions of the blasted heath, et je suis très agréablement surpris par ce que j’entends. Un autre article du même auteur NECRONOMIDOL and New Directions in Japanese Metal sur le site de Bandcamp, sur lequel tous les albums et EPS sont disponibles, vient me convaincre un peu plus en interviewant une des figures du groupe Risaki Kakizaki. Elle a ses quelques mots sur la musique du groupe: “Some groups doing idol and ‘loud music,’ the voices mesh too well with the music. I feel with NECRONOMIDOL, we actually have more of an unbalance—a good unbalance—between the vocals and the actual instrumentation. And that’s something we want to push forward, a feeling of uncertainty”. Mes goûts musicaux sont pratiquement toujours fondé sur ce sentiment difficile à décrire de ‘déséquilibre’. Le chant des cinq filles du groupe posé sur du black métal donne un contraste très intéressant, d’autant plus qu’on n’est pas du tout ici dans le registre kawaii, bien heureusement. Je ne suis pas spécialiste en metal, à part écouter de temps en temps X JAPAN dans un style plus Visual Kei, mais j’ai l’impression que ce style de musique black métal reste inchangé depuis des décennies. Le style des morceaux évolue aussi vers du dark wave, style électronique sombre plutôt orienté années 80. L’instrumentation est parfaitement construite et agencée. Elles chantent toutes les cinq et la qualité peut être variable, mais dans l’ensemble, ça se tient très bien. Mais c’est surtout le contraste du chant avec la tension musicale qui rend ces morceaux interessants et même addictifs.

Image extraite de la vidéo sur YouTube de Psychopomp sur l’album VOIDHYMN. Les images sont tournées dans la forêt de Aokigahara au pied du Mont Fuji dans la préfecture de Yamanashi.

En fait, je me suis laissé très vite convaincre en écoutant le morceau Salem sur le EP Scions of blasted heath, avec ces voix très mélodiques et sombres posées sur un magma de guitares. L’ambiance y est fantastique. Il y a un ou deux morceaux beaucoup plus classiques de ce qu’on peut entendre d’un groupe d’idoles mais il faut garder en tête qu’elles chantent en général des atrocités dans les paroles. Les paroles vont d’ailleurs de paire avec l’imagerie inquiétante qui accompagne chaque album, dans un style d’horreur grotesque. J’ai l’impression de donner à chaque fois des précautions d’usage dans les recommandations musicales ces derniers temps et je ferais de même avec NECRONOMIDOL. Comme il peut y avoir des films de genre, il s’agit là d’une musique de genre, et tout l’intérêt vient dans les contrastes. Après quelques écoutes, cette musique devient irrésistible et absorbante, comme s’il y avait là un léger goût d’interdit, au point que je me mets assez vite à découvrir les autres albums du groupe, comme VOIDHYMN sorti en 2018. Dans l’ensemble, la qualité des morceaux peut être inégale mais il y a beaucoup de morceaux tout simplement grandioses. Pour en citer quelques uns comme points d’entrée: End of Days, Skulls in the Stars, Hexennacht et Ithaqua sur l’album Deathless, Salem et The festival sur le EP Scions of the blasted heath, Innsmouth, Psychopomp et une autre version avec plus de guitares de Skulls in the Stars sur VOIDHYMN. La pochette de ce dernier album est d’ailleurs signée par Suehiro Maruo, un des maîtres du manga d’horreur japonais. Et cette ambiance picturale correspond bien avec celle de nombreux morceaux, comme des contes macabres.

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