staring at the screen that you live in

Les photographies ci-dessus montrant des vues du centre de Shibuya sont couvertes d’un léger voile trouble venant brouiller les pistes, même légèrement, entre réalité et vision fictive. Je n’essaie volontairement pas de rendre ces ajustements visuels transparent ou invisible, car j’aime à ce que ce léger décalage soit percevable. C’est d’ailleurs une de mes marques de fabrique. Comme je l’écrivais il y a longtemps sur ma page À propos, mes photographies ‘peuvent parfois sonner irréelles ou avoir un visuel décalé de la réalité’. Sur la première photographie de cette série, l’emblématique tour 109 près du grand carrefour de Shibuya porte sur sa façade arrondie une affiche géante que je trouve assez élégante dans le mouvement qu’elle représente. Elle est en tout cas très photogénique. Pour prendre la deuxième photographie, je suis monté au neuvième étage de la tour Hikarie pour voir de haut ce que donnait la vue sur la nouvelle tour près de la gare Shibuya, la tour Scramble Square qui ouvre ses portes le 1er novembre. Sur la photographie suivante, on aperçoit ces deux tours, Hikarie et Scramble Square, en face à face comme deux monstres modernes se regardant en chien de faïence. J’aime cette vue un peu à l’écart, derrière l’autoroute intra-muros de Tokyo, comme si on se mettait à l’abris d’une attaque imminente, tout en ne pouvant s’empêcher de regarder ce qui se passe. La photographie suivante montre une vue assez classique de la rivière bétonnée de Shibuya. On a beau essayer d’embellir les berges de la rivière, elle reste toujours aussi désagréable à l’œil. Ses courbes lissées sont cependant intéressantes pour le photographe, et je suis très souvent tenté de la prendre en photo, comme de nombreux autres photographes d’ailleurs. Nous allons ensuite sur le croisement de Shibuya. Là encore, je ne peux m’empêcher de prendre une photographie dans la foule quand je traverse la carrefour, sous l’œil observateur et immobile de Takeshi Kitano. La photographie qui suit montre le croisement entre l’avenue de Roppongi et celle de Meiji. Ce carrefour devient de plus en plus compliqué avec plusieurs niveaux de circulation. Une passerelle blanche toute neuve a remplacé l’ancien pont pour piétons, mais est toujours surplombé par l’autoroute intra-muros dont je parlais auparavant. Pour terminer cette petite série photographique, je m’éloigne du centre de Shibuya en suivant la ligne de train Yamanote. En chemin, une tête en forme de fantôme comme un personnage d’Halloween surveille les passants, sans rien dire.

Yeule, de son vrai nom Nat Ćmiel, est une artiste d’origine singapourienne mais installée depuis quatre ans à Londres. Même avant d’écouter sa musique sur son premier album intitulé Serotonin II, on ne peut pas rester indifférent à ce style à mi-chemin entre le gothique et les décalages vestimentaires qu’on peut parfois observer à Harajuku et qui sont d’ailleurs bien documenté en photographies sur le flux Twitter Tokyo Fashion. Yeule a les tatouages en plus. Les personnages de manga dessinés sur ses bras me font penser aux dessins de style ero-guro (érotique grotesque) de Suehiro Maruo. J’avais déjà mentionné auparavant le nom de ce mangaka, car il a également dessiné la couverture de l’album VOIDHYMN de NECRONOMIDOL. J’entame l’écoute de Serotonin II, avec une certaine méfiance teintée d’une espérance que la musique de ce personnage atypique soit à la mesure de l’image qu’elle projette. J’emploie le mot personnage volontairement car elle mentionne elle-même que ce nom d’artiste Yeule est tiré d’un personnage du jeu vidéo Final Fantasy, et elle met beaucoup en avant dans les quelques interviews que j’ai pu lire sa personnalité changeante. Écouter cet album se révèle vite être une expérience envoûtante. Le premier morceau Your Shadow avec ses voix fantomatiques joue le rôle d’introduction vers un univers musical céleste rempli de mystères. On se laisse ensuite très vite happé par le deuxième morceau Poison Arrow, pour ne lâcher prise qu’au dernier morceau de l’album Veil of Darkness, mélangeant piano et décrochages sonores expérimentaux. Les morceaux de Serotonin II sont à base électronique et jouent avec les nappes sonores. Tout est dans l’atmosphère. On est proche du shoegazing dans le chant de Yeule, ce qui n’est pas pour le déplaire. Certains moments des morceaux me rappellent un peu Grimes ou les morceaux les plus mélodiques de Crystal Castles. Mais il n’y a pas de ressemblance forte, seulement une ambiance qui me fait penser à ces autres artistes. Les morceaux sont dans l’ensemble sombres, mais parfois rythmés et ponctués de notes lumineuses comme des lucioles dans une prairie le soir. C’est l’image que cette musique me donne parfois, certainement car certains bruits ont été enregistrés in-situ. Cette ambiance, comme le début du morceau Pretty Bones, me rappelle un peu l’album Finally We Are No One des islandais de Múm. J’y sens des références sans vraiment les pointer du doigt. La vidéo de ce morceau Pretty Bones est d’ailleurs belle et un peu dérangeante. L’ambiance me fait un peu penser à la vidéo du morceau Without love d’Alice Glass. Dans un des morceaux en particulier, Pixel Affection, Yeule s’interroge sur nos personnalités numériques prenant le dessus sur le réel, jusqu’à ce que ça devienne insoutenable. Le personnage de la vidéo se découvre devenir inhumaine comme un cyborg de Ghost in the Shell. Il y a une grande consistance dans l’entièreté de l’album et il ressemble à un flot continu dans lequel on peut s’évanouir et s’évader, d’où cette sensation d’expérience envoûtante.

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