le musée ne suffit pas

Mon fil de suivi Instagram me fait souvent découvrir des lieux intéressants et le dernier en date est le SKWAT Kameari Art Center, qui comme son nom l’indique est situé à Kameari (亀有) dans l’arrondissement de Katsushika au Nord de Tokyo, et est opéré par un collectif nommé SKWAT. SKWAT se définit comme étant un collectif d’artistes et de penseurs cherchant à repousser les frontières spatiales et culturelles de la société. En ce sens, le groupe explore le potentiel de l’espace comme point de départ pour un renversement des valeurs, à travers des activités sans barrières de genre ou de format. L’approche de SKWAT fait écho à la déclaration « Le musée ne suffit pas » de la revue The Museum Is Not Enough lancée par le Centre Canadien d’Architecture (CCA), qui explore de manière similaire les limites du musée face aux enjeux contemporains de l’architecture et de la ville. Le premier numéro de cette revue en français est publié en édition limitée, avec résumé en japonais, par twelvebooks et le collectif SKWAT.

Le Kameari Art Center entend concrétiser cette vision en utilisant un long espace non utilisé sous une voie ferrée surélevée entre les stations d’Ayase et de Kameari. Le centre apparaît tout d’un coup alors que l’on marche depuis l’une des stations le long de la voix ferrée. On ne s’attend pas vraiment à trouver un centre culturel en plein milieu d’un espace urbain résidentiel éloigné des centres de Kameari et d’Ayase. De l’extérieur, on devinerait à peine la présence de ce centre s’il n’y avait pas ces grandes baies vitrées nous donnant un aperçu de l’intérieur. On est immédiatement interpellé par le slogan The Museum Is Not Enough écrit en lettres lumineuses. Kameari Art Center est une librairie mais ressemble en même temps à un espace d’expositions. Toutes les œuvres ’exposées’ proviennent de twelvebooks, distributeur tokyoïte fondé en 2010 et spécialisé en artbooks et livres de photographies. On y trouve également une vaste collection de vinyles du disquaire Vinyl Delivery Service (VDS), fondé en 2018 à Tokyo mais également implanté à Londres depuis 2021. Le disquaire est spécialisé dans la distribution de vinyles provenant principalement du Japon et d’Europe. L’espace contient également un café nommé Tawks, placé dans la continuation de la librairie, devant un grand espace où ont lieu des expositions.

On peut se demander ce qu’il y a de vraiment nouveau dans l’approche de SKWAT par rapport à TSUTAYA, par exemple, qui réunit déjà en différents lieux des espaces de vente de livres avec un café, disquaire (surtout vinyles) et petit espace d’exposition. Par rapport à la chaîne précitée dont l’approche mercantile est très développée, il est clair que SKWAT a une approche de l’espace innovante qui tient plus de l’expérience, tentant de faire émerger quelque chose de nouveau avec les possibilités offertes par l’espace public. On a l’impression d’être dans un entrepôt plutôt que dans une librairie classique, et c’est ce qui fait grandement l’interêt de cet espace. L’espace contient des échafaudages et on peut les arpenter pour explorer les étagères de livres à l’étage. Il faut avancer doucement car les plaques de métal des échafaudages grincent sous nos pas. Les livres ne sont pas complètement à porter de mains. A l’étage, je voulais par exemple jeter un œil au pavé Tokyo Olympia du photographe Takashi Homma, il m’aura fallu passer les mains à travers les tubes de l’échafaudage tout en faisant très attention à ne pas le faire tomber sur l’escalier métallique juste en dessous, vu le poids du bouquin. L’espace joue sans cesse à la limite entre l’installation artistique et l’espace de vente classique. Entre les piles de livres destinées à la vente, dont certains en solde, on trouvera des sièges faits de parpaings, des grands rouleaux de protection plastifiés, mais également des œuvres artistiques exposées sous verre.

Après la visite, je me dirige tranquillement vers le café pour m’asseoir quelques instants sous le haut plafond en buvant un café glacé fait maison. On entend de temps en temps les trains passer au dessus de nous, mais ça ne dérange pas beaucoup car on est assez loin de la station la plus proche. Dans l’espace à proximité immédiate du café, on peut voir l’exposition du moment intitulée Material Matters. Des palettes de bois usagées sont réutilisées comme sièges pour le café, tandis que d’autres sont transformées en œuvres d’art par le designer et illustrateur portugais basé à New York, Bráulio Amado. Recouvertes de ses graphismes, ces palettes fonctionnelles se voient donner une nouvelle vie et une toute autre valeur. Je montre également d’autres photos du SKWAT Kameari Art Center sur mon compte Instagram.

Alors que je sors du café pour reprendre la route en direction de la station de Kameari, je remarque un petit autocollant de NTS Radio collé sur le vitrage. J’y ai vu un signe qu’il fallait que je me reconnecte sur cette radio pour écouter une fois encore mes quelques émissions préférées. La station de Kameari est à quelques minutes à pieds. Elle est notamment connue pour un manga comique d’Osamu Akimoto (秋本治) portant le nom à rallonge: Kochira Katsushika-ku Kameari kōen mae hashutsujo (こちら葛飾区亀有公園前派出所), ou en plus court Kochikame (こち亀), nous racontant l’histoire d’un agent d’un poste de police devant le parc de Kameari à Katsushika. On trouve deux statues liée au manga devant la station, faisant preuve de la grande célébrité de l’agent de police Kankichi « Ryo-san » Ryotsu. Il faut dire que cette série a été publiée pendant 40 ans, de 1976 à 2016, sur un total de 201 volumes et 1960 chapitres. Je reprends ensuite le train, mais je ferais assez rapidement une nouvelle escale qui sera le sujet d’un autre billet (qui, j’en suis sûr, sera tout aussi intéressant que celui-ci).

光夢の人々

Michie Hiraizumi (平泉道枝) a 27 ans et est née à Minami Azabu. Elle travaille dans une agence d’avocats à Marunouchi, en tant qu’avocate spécialisée en droit immobilier. Elle a rencontré son mari dans son ancienne agence d’Akasaka où elle a fait ses débuts. Ils se sont mariés en Juin il y a un an, dans la ville de Kobe d’où est originaire Yuki, son mari, et où vit encore ses parents. Yuki a fait ses études universitaires à Tokyo tout comme Michie, mais dans une université différente. Ils se sont croisés à plusieurs reprises lors de stages et séminaires préparatoires à la profession, mais sans lier connaissance à cette époque là. Cela a par contre été le lien qui les a rapproché lorsqu’ils ont intégré l’agence d’Akasaka à deux mois d’intervalle. Michie a peu de temps pour elle, mais elle ne sacrifierait pour rien au monde le moment à la fin de la journée où elle prend son temps avec Yuki sur la terrasse de leur appartement de Moto-Azabu pour boire un ou deux verres de vin blanc français. Depuis son enfance, Michie aime écouter le chant de Yoshiko Sai le soir, sur la platine de disques vinyles. Yuki aime chiner dans les petits magasins de disques d’occasion d’Ochanomizu ou de Shinjuku pour y trouver les disques que lui commande Michie. Il s’agit plutôt de standards japonais et parfois français. Michie aime Gainsbourg par dessus tout, ce qui l’a même incité à commencer l’apprentissage du français. Le temps lui manqua malheureusement pour faire des progrès remarquables même si sa volonté était bien présente. C’était un déchirement pour Yuki de la voir partir, un peu plus d’un an après leur mariage. Un conducteur sous l’emprise de l’alcool l’a fauché tard le soir dans une rue près de leur appartement alors qu’elle rentrait d’une longue journée de bureau. Le conducteur l’a violemment percuté puis à dévier vers un mur qui a défoncé tout l’avant du véhicule. Le conducteur n’a pas survécu. Il est encore maintenant difficile de comprendre comment le conducteur a pu être emporter par la vitesse dans une rue aussi étroite. Tous les soirs, Yuki continue à boire un verre de vin blanc sur la terrasse du balcon en regardant intensément une photo de Michie. C’est la photo d’elle qu’il préfère et qu’il a pris il y a plus de deux ans. Elle marche dans une rue sombre de Shinjuku. Ils venaient d’y passer un dîner pour ses 25 ans. il ne peut oublier ce moment et ce rituel quotidien lui permet de garder un contact permanent avec Michie, de ressentir sa présence à travers l’au-delà.

Makoto Hasegawa (長谷川真琴) a 24 ans. Elle elle est née à Yokohama et travaille actuellement dans un magasin de vêtements à Minato Mirai dans le grand centre commercial de Queen’s Square. Elle a fait quelques années au Department Store Isetan de Shinjuku, mais les problèmes de santé de sa mère l’ont obligé à se rapprocher de Yokohama. Elle est célibataire et passe beaucoup de son temps libre avec ses deux meilleures amies Yoshiko et Minami. Ce sont ses amies d’enfance, depuis l’école primaire à Yokohama. Yoshiko lui ressemble beaucoup de caractère, plutôt réservée mais aux idées très arrêtées sur différentes choses de la vie. Minami Tezuka est par contre très différente. Elle jouait dans un groupe de rock en indépendant depuis quelques années avec son ami Ruka, mais ils se sont séparés récemment. Minami continue par contre la musique avec un autre groupe appelé Lunar Waves où elle chante et joue de la guitare. Elle vit au jour le jour, ce que Makoto a du mal à comprendre, étant beaucoup plus organisée dans sa vie. Makoto va par contre aussi souvent qu’elle le peut à ses concerts, mais elle préfère tout de même son idole Sheena Ringo. Elle a écouté son album Hi Izuru Tokoro (日出処) de manière obsessionnelle lors de moments difficiles de sa vie. Elle y trouve encore maintenant un réconfort certain et une force qui la fait persévérer. Makoto vit avec sa mère dans son appartement depuis le décès de son père lorsqu’elle avait 16 ans. Tous les soirs du retour de travail, elle allume une tige d’encens, joint les mains et raconte sa journée en quelques mots. Elle reçoit en retour quelques mots d’encouragement, qu’elle s’empresse de noter sur son petit carnet noir qu’elle amène toujours avec elle dans son sac. Toutes les semaines, elle s’assoit sur le tatami de l’ancienne chambre de ses parents pour ouvrir son carnet et relire les mots écrits pendant la semaine. C’est un rituel qu’elle répète depuis huit ans et qui lui donne une grande force, celle d’affronter tous les aléas de la vie.

Reiko Umezawa (梅澤玲子) vient juste d’avoir 21 ans. Elle vit dans un monde de fantaisie qu’elle a appris à apprivoiser. Dès sa plus jeune enfance, ses parents ont deviné que Reiko était différente des autres enfants de son âge. Elle avait quelques bonnes amies mais préférait souvent rester seule. Elle n’était jamais vraiment seule car elle parlait très souvent avec un ami imaginaire qu’elle seule pouvait voir. Elle appelle son ami L’Écho car il répète souvent ce qu’elle dit pour la taquiner. Les parents de Reiko l’ont maintes fois interrogé sur son ami Écho. Reiko leur répond toujours le plus simplement du monde qu’Écho est un monstre qui ne lui veut aucun mal. Les médecins lui ont reconnu une forme rare de schizophrénie enfantine qui provoque des hallucinations, mais dont les effets peuvent être amenuisés par un traitement antipsychotique. Reiko parvient ainsi à maîtriser ses visions irréelles et à mener une vie quasiment normale. Mais dans son monde de fantaisie, elle est une princesse vêtue d’une robe blanche immaculée qui a réussi à maîtriser un monstre. Il l’accompagne et la protège quand elle s’éclipse de la maison le soir pour aller à la bibliothèque de la ville de Matsumoto où elle habite. Elle sait qu’une des portes n’est jamais fermée à clé et s’introduit dans les rayons de livres sans allumer de lumières, sauf celles des veilleuses. Elle est férue de lecture et aime les récits historiques, mais également ceux fantastiques que ses parents ne veulent pas la laisser lire. Elle y recherche des réponses sur son état d’être. Elle y recherche même des semblables. Le monstre dans la pénombre la surveille avec bienveillance. Il ressent les présences et sait quand il est l’heure pour la princesse de rentrer à la maison. Reiko n’est pas une princesse que pour le monstre Écho, elle l’est également pour sa mère qui lui confectionne les robes dont elle a envie. Sa mère est une très bonne couturière et son père est gérant d’une petite boutique de vêtements près du château de Matsumoto. Reiko lui vient souvent en aide dans sa boutique. Elle a un certain don pour attirer dans la petite boutique de son père les visiteurs qui doivent percevoir en elle la princesse du château. Les voisins de la boutique l’appelle même la princesse Reiko, ce qui l’a fait sourire par politesse. Au fond d’elle-même, elle sait très bien qu’elle était en d’autres temps la princesse du château de Matsumoto, mais elle ne peut l’avouer à personne. Ses souvenirs de fin d’après-midi, assise en kimono sur le tatami de la salle de la lune du château sont toujours très présents. Ce sont des moments que l’on ne peut oublier.

Les images ci-dessus sont imaginaires et ont été créées par intelligence artificielle (IA). Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé ne seraient que pure coïncidence.

J’ai à vrai dire beaucoup hésité à publier les trois portraits ci-dessus, qui commenceront peut-être une nouvelle petite série, car ceux-ci se basent sur des images créées par intelligence artificielle, à partir d’une description assez précise que j’ai fourni en paramètre. Mon idée initiale était de créer une nouvelle page cachée du blog, que personne ou très peu de personnes seraient en mesure de découvrir, avec ces images et un court commentaire. Les courts commentaires sont devenus des petits textes, qui se croisent parfois avec mon plus long texte en cours du songe à la lumière (dont le titre de ce billet est d’ailleurs inspiré) et je me suis finalement dit qu’il serait dommage de ne pas les publier de manière visible sur le blog. J’aime créer ces images pour ensuite essayer d’imaginer quelles peuvent être leurs histoires. Au moment de créer chaque image, j’ai une bonne idée du résultat que je veux obtenir et réitère de nombreuses fois mes requêtes (parfois des dizaines de fois) pour obtenir le personnage désiré. Mais au moment où je crée ces images, je n’ai pas encore une idée précise de ce qu’elles vont m’inspirer. Je pense que c’est la dose d’imprévu apportée par l’intelligence artificielle qui me permet d’étendre en quelque sorte mon imagination. J’aime beaucoup cette étape d’écriture à partir d’une image quasiment photographique et réelle. L’histoire se construit presque naturellement en regardant ces personnages, comme si ceux-ci m’expliquaient verbalement leurs histoires. Je ne sais pas pour quelle raison je suis plus à l’aise pour écrire au sujet de personnages féminins. Peut-être parce que ça me permet de maintenir une certaine distance. Ceci étant dit, j’aime également écrire à la première personne. J’arrive en fait assez mal à me projeter dans l’écriture dans une personnalité masculine qui n’est pas la mienne.

Les deux photographies ci-dessus proviennent du festival Ebisu Blooming Jazz Garden qui avait lieu à Yebisu Garden Place du 16 au 18 Mai 2025. Je n’ai malheureusement pas pu voir grand chose, faute de temps et de réservation préalable. J’aurais par exemple été curieux de voir TENDRE le vendredi soir. L’horaire ne m’avait pas permis de le voir, ce qui est dommage car c’était un concert gratuit en plein air, sur la grande place intérieure à Garden Place. J’aurais également voulu voir l’artiste électronique Yuki Matsuda (松田ゆう姫) aka Young Juvenile Youth dont la représentation avait lieu dans la salle Blue Note Place, mais il me semble que le principe de Blue Note est de manger sur place, ce qui m’attire moins. Il s’agissait d’une collaboration avec la danseuse Aoi Yamada (アオイヤマダ). Bon, en même temps, je n’avais pas beaucoup suivi son actualité musicale depuis les EPs Animation et Hive / In Blue sorti en 2015 et 2016, que j’avais pourtant beaucoup aimé à l’époque. Yuki Matsuda est la fille de l’acteur Yūsaku Matsuda et de l’actrice Miyuki Matsuda, et sœur des acteurs Ryuhei et Shota Matsuda. Il n’était pas très étonnant de constater qu’elle est également actrice à ses heures perdues. Un petit passage rapide à Yebisu Garden Place le dimanche vers midi me fait découvrir un duo composé de la pianiste Saki Ozawa (小沢咲希) et du joueur de ukulele et chanteur Toshiki Kondo (近藤利樹). Ce n’est pas un style que j’affectionne particulièrement mais l’attrait de la musique live me fait rester pour écouter quelques morceaux, dont des reprises, très bien maitrisées et appréciées du public. J’aime bien cette ambiance de musique en plein air mais je ne suis jamais allé à des grands festivals au Japon, comme celui de Fuji Rock ou de Summer Sonic. C’est peut-être un manque, il faut que je réfléchisse à la question. Le festival Ebisu Blooming Jazz Garden a lieu tous les ans à cette même période. Je le manque par contre à chaque fois, tout comme le festival du parc d’Hibiya (日比谷音楽祭) organisé tous les ans par Seiji Kameda au mois de Mai. C’est une nouvelle fois bien dommage, car j’aurais voulu voir jouer Utena Kobayashi (小林うてな) sur la terrasse de la tour Hibiya Mid-Town.

Ces derniers temps, j’écoute beaucoup les émissions de NTS Radio, notamment les trois excellents mixes de Yeule dont je parlais dans mon précédent billet, ainsi que la dernière émission de Liquid Mirror dont je parlais également dans ce même billet. J’ai à vrai dire un peu de mal à tourner la page de ces quatre émissions qui accaparent mon attention au delà du raisonnable. Mon exploration des émissions musicales de NTS Radio m’amène pourtant vers des horizons très différents lorsque je découvre une sélection de morceaux de Yoshiko Sai (佐井好子), chanteuse, compositrice et poète originaire de la préfecture de Nara. Elle a sorti quatre albums entre 1975 et 1978, évoluant dans des ambiances fusionnant le jazz, la pop et une certaine dose de folk psychédélique. L’emission In Focus de NTS me fait découvrir cette chanteuse et musicienne que je ne connaissais que de nom, et c’est comme un choc de découvrir maintenant cette musique qui a cinquante ans mais qui ne semble pas avoir beaucoup vieilli. La sélection de NTS est merveilleuse. Le piano et la voix de Yoshiko Sai sont par exemple tout simplement exceptionnels sur le troisième morceau Chō no Heya (蝶のすむ部屋) qui s’enchaîne très subtilement avec le suivant Nemuri no Kuni (眠りのくに). C’est beau à en tomber à la renverse. Du coup, j’écoute à la suite son premier album Mangekyō (萬花鏡) de 1975, dont je connaissais déjà la couverture qui m’intrigue depuis longtemps. On retrouve quelques morceaux de Mangekyō sur la playlist de l’émission de NTS, mais j’y découvre quelques autres superbes morceaux comme celui intitulé Tsubaki ha Ochita Kaya (椿は落ちたかや), qui a une beauté et une puissance tout à fait fascinante, et le très beau Yuki Onna (雪女) vers la fin de l’album. Cet album est pour moi un petit voyage dans un autre monde.

vers l’Izumo Taisha d’Ibaraki

A première vue, on regardant les quelques photographies de ce billet, on pourrait se croire soudainement téléporté jusqu’à la préfecture de Shimane devant le grand sanctuaire Izumo Taisha. Nous n’avons malheureusement pas encore voyagé jusqu’à Shimane et le sanctuaire Izumo Taisha que je montre sur ce billet est en fait une branche installée à Hitachi dans la préfecture d’Ibaraki du grand Izumo Taisha de Shimane (常陸国出雲大社). L’immense corde sacrée torsadée Shimenawa nous rappelle immédiatement celle du sanctuaire original à Shimane, bien que j’aurais du mal à comparer les tailles. Cette branche d’Hitachi est récente. Elle date de 1992. Elle est installée sur une colline en pleine campagne. Après avoir découvert un Nikko Tōshōgu d’Ibaraki il y a plusieurs semaines, voici qu’on y trouve un Izumo Taisha. Cette préfecture d’Ibaraki est décidément pleine du surprise. Juste à côté du sanctuaire, se trouve une galerie d’art. Le plafond du hall de la galerie, nommé Sanki (山鬼ホール), est orné d’un immense serpent créé par l’artiste Tomiyuki Kaneko (金子富之). Cette grande œuvre de 460 sur 640 cm surplombe la totalité du hall, ce qui nous donne l’impression que le serpent observe nos moindres mouvements. Ce grand serpent enroulé a été créé en 2020 mélangeant encre japonaise, aquarelle transparente, acrylique, eau sacrée et peinture dorée sur du papier japonais. Il s’agit d’un Serpent cosmique (宇宙蛇), prenant comme image la Voie lactée que l’on pourrait interprétée comme le corps immense d’un serpent céleste. L’exposition du moment, se déroulant jusqu’au 31 juillet 2025, montre quelques œuvres de l’artiste Junichi Mori (森淳一) faisant partie de la collection du sanctuaire Izumo d’Hitachi. Au centre de la pièce, une étrange sculpture en bois à trois visages nous donne une vision d’effroi. Sa conception suggère une antiquité sacrée mais cette œuvre nommée Trinity date de 2011. La dernière photographie du billet montre une autre sculpture en bois inquiétante de l’artiste de sa série appelée Sally datant de 2014.

Une des raisons pour lesquelles je voulais venir jusqu’à cette branche de Hitachi du sanctuaire Izumo Taisha était de voir le Serpent Cosmique de Tomiyuki Kaneko. Je connais cet artiste depuis plusieurs années, l’ayant découvert en 2016 lors de l’exposition DOMANI qui se déroulait au National Art Center Tokyo (NACT) à Nogizaka. Ses représentations de dieux japonais et asiatiques et les formes de monstres qu’il crée m’avaient laissé une très forte impression. J’avais acheté, à la grande librairie Maruzen de Marunouchi, un livre intitulé In praise of Embodying the Illusions (幻成礼讚) qui regroupe une grande partie de ses œuvres. Je n’en avais bizarrement pas encore parlé sur ce blog. J’ai trouvé dans le sanctuaire mon quatrième carnet Goshuinchō, car celui que j’utilise actuellement se termine bientôt. Ce nouveau carnet utilise deux œuvres de Tomiyuki Kaneko, les tigres Red Tiger (赤虎) et Barong Macan (バロン・マチャン). Tomiyuki Kaneko, tout comme Junichi Mori d’ailleurs, est représenté par la galerie Mizuma Art que j’aime beaucoup.

le point de fuite des fourmis

L’étrange araignée gonflable que l’on peut voir depuis la rue principale du quartier de Daikanyama à travers la grande baie vitrée de la petite galerie de Hillside Terrace attire tout de suite le regard. On la devine en mouvement comme si elle respirait profondément. Je m’approche de la galerie. Elle occupe la quasi totalité de l’espace. Une pompe à air lui fait bouger les membres de manière intermittente. Autour de ses pattes noires et roses, elle est décorée de multiples couleurs. Ses formes sont étranges sans pour autant être vraiment inquiétantes. Il s’agit d’une création de l’artiste Lee Byungchan (이병찬), originaire de Corée du Sud et né en 1987. Ces œuvres évoquent des étranges créatures ondulantes, réalisées en plastique jetable. Elles viennent parasiter symboliquement le corps humain dans des mises en scène photographique ou filmées. Son travail artistique entend rendre visible la matérialité invisible des énergies circulant dans les espaces urbains, traduire la masse urbaine en des formes respirantes. Dans une autre salle de l’exposition montre des vidéos de ces étranges monstres portatifs accrochés au dos des personnes sans qu’ils où elles ne s’en rendent apparemment compte. On imagine ces objets comme des représentations imagées de l’être profond que l’on ne souhaite pas montrer aux autres mais qui finit par transparaître dans toute son évidence (ndlr: l’auteur de ces lignes se demande en ce moment à quoi pourrait ressembler cet appendice extérieur en ce qui le concerne). Cette petite exposition s’intitulait The Vanishing Point of the Ant (アリの消失点) et se déroulait du 26 Avril au 25 Mai 2025 dans la petit galerie Art Front Gallery de Hillside Terrace.

Après son album Flesh sorti le 11 Mars 2025, l’artiste électronique cyber milkちゃん nous propose un long mix d’un peu plus d’une heure intitulé Ambient & Experimental mix with cyber milkちゃん sur sa chaîne YouTube et je l’écoute bien sûr avec attention. On y retrouve l’ambiance indistincte et vaporeuse qu’on pouvait entendre et apprécier sur son album. A la 27ème minute du mix, je crois reconnaître l’instrumental Movement III: Linear Tableau with Intersecting Surprise de Sufjan Stevens sur son album The BQE, morceau que j’adore au plus haut point (ndlr: ce plus haut point serait placé sur une hypothétique hiérarchie musicale qui n’aurait bien sûr qu’assez peu de sens mais qui aurait au moins le mérite de traduire l’enthousiasme ponctuel ressenti). Sauf que dans le mix de cyber milkちゃん, ce morceau est presque irreconnaissable au point où je me demande tout le long de mon écoute s’il s’agit bien de celui-ci. Je lui ai bien demandé, mais seule la divinité Benzaiten (ndlr: divinité bouddhiste japonaise du savoir, des arts dont la musique, entre autres) pourra prédire si elle me répondra un jour. A propos de mix, j’attends avec une certaine impatience le nouvel épisode mensuel de Liquid Mirror d’Olive Kimoto sur NTS Radio, qui aurait dû arrivé à la fin du mois de Mai et qui commence à tarder. Je patiente donc en réécoutant encore l’épisode du 29 Avril 2025, qui est excellent dès les premières minutes avec l’étrange et hypnotisant Xith c. Spray de Lee Gamble qui pourrait nous faire entrer en médiation transcendantale si on n’y criait gare. Ce morceau est tiré de l’album Models sorti en Octobre 2023.

Alors qu’on parlait justement de NTS Radio dans les commentaires d’un précédent billet, mahl me fait remarquer très justement que Yeule y a également sa chaîne avec trois épisodes diffusés cette année dans une série intitulée ALTAR ♱ ELECTRONICA W/ YEULE. Je m’empresse de les écouter en me promenant du côté des quartiers d’Ayase et de Kameari dans le Nord de Tokyo (ndlr: ces lieux seront le sujet d’un prochain billet), alors que j’avais une après-midi entière à passer seul. On n’est jamais vraiment seul lorsqu’on est entouré de bonnes musiques, même si la solitude est un élément indissociable de mes promenades tokyoïtes (ndlr: ceci pourrait également être le sujet d’un billet, plus long peut-être). J’écoute donc les trois épisodes disponibles en ordre antéchronologique, en commençant donc par celui du 28 Février, puis celui du 31 Janvier et finalement le premier épisode du 3 Janvier 2025. Les trois heures d’écoute à la suite ne sont pas de tout repos, car le son y est très abrasif, disruptif et à l’atmosphère très sombre à l’image des photographies accompagnant l’émission prises par le photographe américain Neil Krug. On ne s’ennuie pas car on y trouve beaucoup d’excellents moments, comme par exemple le morceau Ninacamina de l’artiste électronique australienne Ninajirachi avec la productrice américaine Izzy Camina, remixé par le DJ anglais KAVARI. Dans les mixes, on reconnaît parfois mais rarement quelques morceaux de l’électronique mainstream comme le Born Slippy d’Underworld, mais dans une version défigurée par le DJ et producteur américain Cenaceae. Je n’étais pas vraiment surpris de voir dans ces mixes un morceau de Grimes. Il s’agit d’un de ses premiers singles intitulé Genesis (ndlr: et peut-être son meilleur le plus inspiré tant musicalement que visuellement), sauf que le morceau est accrédité au musicien électronique grec Michail Chondrokoukis, sous le nom Apu Nanu, qui le remixe en fait complètement. A ses débuts, je ressentais que Yeule prenait Grimes comme une sorte de modèle, mais elle est désormais partie beaucoup plus loin musicalement. Yeule vient d’ailleurs de sortir son nouvel et quatrième album Evangelic Girl is a Gun, que je pressentais être excellent à l’écoute des trois singles sortis à l’avance. À part ces singles, je trouve malheureusement le reste de l’album en deçà, à la limite un peu fade surtout si on les compare à l’excellent single Evangelic Girl is a Gun qui donne son titre à l’album. L’approche est moins écorchée que sur ses albums précédents et je pense que c’est la raison pour laquelle je le trouve moins intéressant, tout en n’étant pas mauvais pour autant, loin de là. Les trois mixes de NTS Radio sont en comparaison beaucoup plus puissants. Mais comme le fait d’être déçu d’un nouvel album de Yeule me déçoit, je vais certainement entamer une nouvelle écoute qui me fera peut-être changer d’avis.

//tokyo/freeform/ep3

J’écrivais dans l’ep2 de cette série freeform que j’avais deux billets assez longs en cours d’écriture mais que je n’avais pas trop le cœur aux longues écritures. Le fait d’écrire ce sentiment m’a en quelque sorte donné le courage d’écrire ces deux longs billets. Il s’agit des deux précédents sur l’Observatoire d’Enoura d’Hiroshi Sugimoto et sur le double concert Hitsuji Bungaku x Ging Nang Boyz au Toyosu PIT. Le fait d’écrire un sentiment sur un billet de ce blog provoque souvent chez moi une réaction contraire, comme si j’avais besoin de me contredire ou plutôt de contrebalancer une impression personnelle pour en nourrir une nouvelle. Remettre en doute mes propres appréciations est une approche que je trouve plutôt saine car ça me permet de ne pas stagner sur une idée préconçue et d’avancer, progressivement mais sûrement.

J’ai un peu de mal en ce moment à tenir ce blog à jour, quant aux musiques japonaises que j’écoute souvent au compte-goutte au rythme des nouveaux singles de groupes et d’artistes que j’aime. Je ne suis pas passé à côté du single TWILIGHT!!! de King Gnu qui compte parmi les très bons morceaux du groupe. Alors qu’on l’écoute dans la voiture car il fait bien entendu partie de la playlist des journées de congés de la Golden Week, on me fait remarquer qu’une partie de l’air chanté par Satoru Iguchi au début du morceau ressemble beaucoup au refrain du single U de Millennium Parade chanté par Kaho Nakamura (中村佳穂). Je ne l’avais pas noté jusqu’à ce que l’on me le fasse remarquer. Il y a un petit air de ressemblance en effet mais les morceaux de King Gnu se ressemblent tous un peu. Je découvre également à peu près en même temps l’excellent hip-hop du single DO ON de RIP SLYME, que j’entends pour la première fois à la radio et auquel j’accroche immédiatement. Je connais le groupe depuis longtemps mais je ne me rappelle pas avoir aimé un seul de leurs anciens morceaux. Je réécoute quelques uns de leurs précédents singles, en me rendant compte que DO ON est pour moi une exception. Le morceau est assez génial de bout en bout, très joueur et ne se prenant pas au sérieux tout comme la vidéo qui l’accompagne brillamment. Utada Hikaru (宇多田ヒカル) a également sorti un nouveau single intitulé Mine or Yours, qui est très bon avec une vidéo assez originale très subtilement chorégraphiée par Aoi Yamada (アオイヤマダ), qu’on voit décidément partout en ce moment et même sur Made in Tokyo, et réalisée par Tomokazu Yamada (山田智和). Je suis à chaque impressionné par la capacité d’Utada Hikaru à créer et chanter des morceaux qui paraissent si évidents à l’oreille comme si on était déjà prédestiné à les écouter. Dans les voix que j’aime beaucoup, il y a également celle d’Hikari Mitsushima (満島ひかり) qui collabore une nouvelle fois avec Shinichi Osawa, aka Mondo Grosso, à la production. Le single intitulé Lost Child se concentre d’abord sur un piano, une basse électronique et un rythme minimaliste, pour se développer un peu plus ensuite. La voix d’Hikari Mitsushima prédomine. Ça doit être leur troisième morceau ensemble, si je ne me trompe pas, et cette formule fonctionne tellement bien qu’on souhaiterait un album. Je ne peux m’empêcher de penser que Mitsushima chante comme une actrice, son chant n’étant pas parfait mais ayant une grande force d’évocation nous transportant dans des scènes cinématographiques imaginaires. J’écoute ensuite le dernier single de a子 intitulé Paper Moon sorti le 23 Avril 2025. C’est un joli morceau pop qui ne dépareille pas du reste de sa discographie récente et qu’on aimera forcément si on apprécie cette voix et ce style. J’aurais malgré tout aimé un peu plus d’audace et qu’elle reparte vers des horizons un peu différents. Le morceau n’en reste pas moins agréable et accrocheur, sauf que l’effet de surprise à l’écoute du morceau a un peu disparu. Voir soudainement quelques morceaux de Tommy heavenly6 disponibles sur YouTube m’a fait faussement croire que Tomoko Kawase (川瀬智子) était sortie de son silence. En fait non, le morceau +gothic Pink+ que je découvre avec beaucoup de plaisir date d’Août 2005, sorti sur son album éponyme. Je dois avoir dans mes placards l’album TERRA2001, sorti en Septembre 1999, de son groupe The Brilliant Green, mais je n’en ai que très peu de souvenirs. J’avais préféré son projet Tommy February6 (elle est née un 6 Février) qui est orienté synthpop et j’en parlais d’ailleurs dans un précédent billet. Le projet Tommy heavenly6 est plutôt tourné vers le rock alternatif et le morceau +gothic Pink+ qui est en fait sorti bien avant l’album, en Décembre 2002, est donc riche en guitares tout en restant très pop, avec un petit brin gothique dans les nappes atmosphériques qui l’accompagne. C’est aussi amusant de voir la popularité certaine de Tommy sur les réseaux sociaux, notamment étrangers. Pour moi, cette musique me ramène avec nostalgie vers une époque lointaine.