along the expressway

L’autoroute Metropolitan Expressway Route No.2 Meguro Line borde le grand parc de l’Institute For Nature Study à Meguro, qui contient dans son enceinte le Teien Art Museum. Le parc ressemble plutôt à une forêt laissée à elle-même, sauf pour la surface entourant le musée Teien qui est par contre très bien entretenue. Le parc-forêt est ouvert au public et permet de s’échapper des bruits de la ville pourtant proche. L’autoroute No.2 qui borde le parc se situe à l’étage, bordée elle-même de plaques de métal blanches tracées d’une ligne bleue interrompue. On s’engouffre souvent, au moins deux fois par week-end, dans le tunnel passant sous l’autoroute et bordant également le parc-forêt. À chaque passage, on renforce un peu plus la frontière entre l’espace urbain et le naturel envahissant de la forêt qui voudrait certainement reprendre ses droits. Si aucune voiture ne passait ici pendant de nombreuses années, la nature reprendrait pour sûr le dessus et viendrait envahir petit à petit cette autoroute et ce tunnel jusqu’à ce qu’ils deviennent inutilisables. J’imagine les racines de la forêt pousser petit à petit les remparts de l’autoroute, créer des fissures pour y laisser s’échapper d’autres racines qui viendraient faire éclater les parois de béton et l’asphalte des routes. Une barrière naturelle se créerait au milieu du tunnel et viendrait s’étendre vers les entrées et sorties à la recherche de la lumière. Cette autoroute et ce tunnel ne seraient bientôt qu’un lointain souvenir. On mettrait une petite plaque explicative à l’entrée des ruines du tunnel pour ne pas oublier l’urbanisme passé de ces lieux.

Au hasard d’une marche urbaine, je découvre la maison Tsuchiura conçue en 1935 par l’architecte Kameki Tsuchiura, disciple de l’architecte américain Frank Lloyd Wright. Une petite plaque explicative devant l’entrée de la maison nous explique qu’il s’agit d’une propriété culturelle tangible. Cette maison est donc un lieu protégé et elle est également référencée par la branche japonaise de l’association Docomomo qui liste les créations d’architecture moderne qu’on se doit de protéger pour leur importance culturelle. Cette maison est une des premières maisons d’architecture moderne construite au Japon. Tsuchiura l’a construite pour lui-même et son épouse. Elle se compose de deux étages avec deux chambres et un bureau à l’étage et la partie salle à manger, cuisine et salon au rez-de-chaussée. La salle de bain est au sous-sol. Cette maison, avec une structure en bois et des revêtements entièrement peints de couleur blanche, a une apparence extérieure simple. Mais l’espace ouvert à l’intérieur pour la partie salon avec une grande baie vitrée donnant sur le jardin est beaucoup plus intéressant. Un escalier intérieur nous amène à un demi-étage qui donne ensuite, dans une progression fluide, accès aux chambres au deuxième étage avec des ouvertures donnant sur l’espace ouvert du salon. Ce design intérieur et cette composition de l’espace en séquences étaient une nouveauté au Japon à cette époque. Le mobilier intérieur choisi par l’architecte était aussi d’inspiration moderniste. On le note également dans le design de la rampe d’escalier. Les quelques photographies en noir et blanc ci-dessus donnent une bonne idée de cet agencement intérieur. On peut également voir quelques photos plus récentes de l’intérieur sur le site du magazine Domus. La maison était en vente en 2016 mais a trouvé preneur. Elle se situe dans l’arrondissement de Shinagawa, mais elle est assez proche de Yebisu Garden Place. Située dans un quartier résidentiel de Kamiosaki derrière une grande résidence construite récemment, elle n’est pas facile à trouver. Je ne la cherchais pas mais mon intuition m’y a amené.

Je reviens ensuite vers Yebisu Garden Place en passant devant la grande place couverte d’un gigantesque arche d’acier et de verre. Ça faisait plusieurs mois que je n’étais pas passé ici. Je ne m’attarde en général pas à prendre le château français du restaurant Robuchon en photo car je l’ai déjà pris et montré maintes fois sur ce blog. Mais cette fois-ci, la lumière qui éclairait le château a attiré mon regard photographique. Sous cette perpective, il vient se cadrer parfaitement sous l’arche de verre. La démesure de l’endroit, dont la construction fut achevée en 1994 après l’éclatement de la bulle économique, m’étonne encore maintenant, notamment en hiver lorsque le gigantesque chandelier Baccarat est de sortie sur la place.

Je termine ma marche matinale en allant acheter du pain à la boulangerie Kobeya Kitchen du Department Store Atre de la gare d’Ebisu. Avec l’air sec de l’hiver, mes mains ont tendance à s’assécher ce qui crée parfois des cicatrices. J’avais déjà un pansement à une main mais un des doigts de mon autre main se met à saigner légèrement sans que je m’en rende compte, au moment où je m’apprêtais à payer mon pain. La jeune vendeuse de Kobeya l’avait apparemment remarqué et s’eclipse brièvement à l’arrière pour dénicher un petit pansement bleu qu’elle me propose ensuite gentiment. Je suis à la fois surpris et un peu gêné, d’autant plus qu’elle me demande de prendre mon temps pour l’appliquer sur mon doigt. C’était une charmante attention qu’on ne verrait certainement pas ailleurs. Ce genre de petite anecdote n’est à mon avis pas fréquente, ce qui m’a donné l’envie de l’écrire ici.

Difficile de passer à côté du nouveau single de Utada Hikaru, One Last Kiss, sorti récemment en parallèle au nouveau film d’animation de la série Evangelion, intitulé Evangelion: 3.0+1.0 Thrice Upon a Time. Ce morceau en est un des thèmes musicaux. En fait, on aurait tord de passer à côté de ce nouveau single tant il est bon. Je suis toujours épaté par la manière dont Hikki arrive à écrire des morceaux immédiatement accrocheurs qui ont en même temps une composition musicale intéressante, ce qui fait qu’on ne se lasse pas de les écouter même après de nombreuses écoutes. Il est le fruit d’une collaboration avec le producteur électronique AG Cook que je ne connaissais pas (car il s’est fait connaître pour ses collaborations avec Charli XCX que je n’ai jamais écouté). En fait, je suis plus familier du nom de son père Peter Cook, architecte anglais fondateur du groupe Archigram. Les pochettes du single reprennent les visages dessinés de personnages d’Evangelion, Shinji Hikari pour le CD et Rei Ayanami pour le vinyl. Les images de la vidéo du morceau ont été prises par Utada mais montées par Hideaki Anno, le réalisateur de ce nouveau film Evangelion. Je crois bien avoir vu tous les films et anime de la série Evangelion, il faudrait donc que j’aille voir celui-ci au cinéma.

Le morceau Uta (唄) de Sheena Ringo est une surprise car il est sorti l’année dernière en Janvier sans que je le remarque. Il s’agit en fait d’une reprise d’un morceau du groupe Buck-Tick pour un album tribute intitulé Parade III: Respective Tracks of Buck-Tick. Buck-Tick est groupe de la mouvance Visual Kei, formé en 1983 et toujours actif actuellement, ce qui est assez exceptionnel comme longévité. Le chanteur du groupe Atsushi Sakurai avait déjà participé à un morceau avec Sheena sur son dernier album Sandokushi. Il s’agissait du quatrième morceau Kakeochisha (駆け落ち者). J’aime beaucoup cette reprise du morceau Uta, même s’il n’est pas évident à la première écoute, tout comme le morceau original de Buck-Tick d’ailleurs. La composition à base de flûte nous ramène étonnamment à l’ambiance de l’album Hi Izuru Tokoro, mais la manière de chanter plus sombre de Sheena est plus proche de Sandokushi. On peut entrevoir ce morceau comme une curiosité mais il s’avère très intéressant après plusieurs écoutes. Je ne sais pas vraiment comment sont nés ces collaborations successives entre Atsushi Sakurai et Sheena Ringo, mais ça aiguise en tout cas ma curiosité pour la musique de Buck-Tick. Après avoir écouté quelques morceaux, je pense quand même avoir un peu de mal à m’y plonger. Je n’ai pas de mauvais à priori pour la mouvance musicale visual Kei voire gothique japonaise, car j’aime beaucoup LUNA SEA par exemple. Mais, je n’ai pour l’instant pas trouvé de morceaux du groupe qui m’ont inspiré.

escape in the rain (don’t escape anymore)

Je mentionnais dans le billet précédent être parti marcher sous la pluie en écoutant l’album Windswept Adan d’Aoba Ichiko. Les photographies ci-dessus sont quelques unes de celles que j’ai pris ce matin-là. En fait, je ne suis pas volontairement parti marcher sous la pluie ce matin-là. Je suis sorti profitant d’une accalmie, mais comme c’est assez souvent le cas en ce qui me concerne, il s’est mis à re-pleuvoir intensément dès que j’ai mis les pieds dehors. Je n’ai pas fait demi-tour en pensant que cette pluie revivifiante me remettrait les idées en place. Et écouter la voix d’Aoba Ichiko sous la pluie vaut de toute façon le détour. C’est d’ailleurs inconsciemment une des raisons pour lesquelles je n’ai pas rebroussé chemin. Pendant les accalmies alors que je marche vers le cimetière d’Aoyama, je sors mon appareil photo. Autant les photographies sous la pluie sont difficiles à prendre, autant celles juste après la pluie rendent à mon avis assez bien, car l’humidité vient renforcer les couleurs végétales. Les murs de béton ou ceux des vieilles baraques viennent prendre des motifs différents de l’habitude. Je me dirigeais vers le cimetière d’Aoyama pour vérifier si les cerisiers avaient commencé leur floraison mais c’était encore trop tôt. Un peu plus loin, sur la dernière photographie, je découvre une étrange machine infernale. Les deux tuyaux d’aération derrière un building ont été clairement ajoutés après le bloc d’air conditionné. J’aime beaucoup cette stratégie du contournement optimisé. Il aurait peut être été plus simple et moins coûteux de déplacer le bloc d’air conditionné sur la gauche, mais l’intention ici ne pouvait être qu’artistique. Je ne vois pas d’autres explications logiques. Lorsque je prends ces photos, je remercie à chaque fois intérieurement les concepteurs de ce type de machines à l’arrière des immeubles. Et en parlant de machines, parlons maintenant de Ms.Machine.

J’avais déjà parlé ici de Ms.Machine à l’occasion de la sortie des morceaux Lapin Kulta et Nordlig Ängel, qui sont tous les deux présents sur le premier album éponyme du groupe sorti à la fin du mois de Janvier 2021. Par rapport à la musique que j’écoutais juste avant et que je mentionnais dans le billet précédent, la musique sombre de Ms.Machine est diamétralement opposée mais n’est pas exempte d’une poésie certaine à laquelle je ne suis pas insensible. On retrouve la voix monocorde de SAI accompagnée par la guitare électrique de Mako et la basse de Risako. Le son des guitares y est abrasif mais les morceaux sont souvent accompagnés de nappes ou incursions électroniques qui donnent parfois aux morceaux une dimension cryptique. Je suis épaté par la puissance de cette musique, qui est sans compromis mais reste profondément élégante même dans son agressivité lente. Le premier morceau 2020 est un des meilleurs de l’album et donne tout de suite le ton. La voix semble mécanique et désabusée, peut être pour donner un ressenti de l’année 2020 évoquée dans le titre et la difficulté pour les groupes indépendants de se produire dans les salles de Tokyo. C’est le sujet du morceau Smirnoff sur le EP solo de SAI que j’évoquais auparavant, et je ne peux donc m’empêcher d’y faire un lien. Plusieurs morceaux mettent en avant une atmosphère qui devient hypnotique au fur et à mesure qu’on avance dans l’album, comme Sea of Oblivion (忘却の海), Pale Snow ou Black Sun. Je pense que c’est dû au fait que certains mots et phrases sont souvent répétés et finissent par s’imprégner dans notre cerveau. Il faut clairement écouter l’album dans son intégralité pour se laisser porter par cette atmosphère. Pale Snow est peut-être l’apogée pour l’emotion qui s’en dégage. SAI chante principalement en anglais et en suédois (j’imagine) mais très peu en japonais. Sa voix n’est pas toujours complètement audible mélangée volontairement dans le flot des guitares, souvent très lourdes et incisives comme sur Nordlig Ängel. Ms Machine construit un univers extrêmement sombre mais pas pour autant rebutant. Les voix dans Black Sun ressemblent à des esprits qui nous entourent, nous enveloppent et nous attirent doucement par la main. Je ne sais pour quelle raison mais ce morceau me fait à chaque fois penser à Orphée tentant sans succès de sortir Eurydice des enfers. Je pense aussi à ce mythe grec en écoutant le sublime et long morceau de 18 minutes Requiem For Hell du groupe post-rock Mono. Le premier album de Ms.Machine se termine comme un coup de poing avec le morceau Girls Don’t Cry, Too, titre qui évoque plus clairement l’approche féministe de la musique de Ms.Machine. C’est le morceau le plus rapide, un des plus agressifs et le plus court. La fin abrupte est bien vue car elle donne un sentiment soudain de manque qui nous faire reprendre l’album depuis le début. La vidéo de Girls Don’t Cry, Too nous montre le groupe habillé en robes de mariées. Avec un pistolet à la main (vous me voyez venir), je ne peux m’empêcher d’y voir une allusion à Sheena Ringo. Je ne sais pas si c’est volontaire mais du moins SAI publiait un message sur Instagram à l’occasion de l’anniversaire de Sheena donc je resterais sur cette impression, qui me convient bien de toute façon. Je ne me rends compte que maintenant que l’ambiance musicale de Ms.Machine était une des sources d’inspiration du chapitre 6 de mon histoire en cours Du songe à la lumière.

super massive concrete

Nous sommes toujours près du parc de Yoyogi sur les deux premières photographies, en fait juste à côté d’un des blocs de toilettes publiques, auparavant transparentes, conçues par Shigeru Ban. L’aspect lisse et massif du béton du nouveau building de l’agence de publicité Meiji Ad Agency, anciennement appelée Nitto et affiliée au groupe Meiji Holdings, m’impressionne beaucoup. J’aime cette idée de mettre en avant l’impact visuel de l’architecture, ce qui ravit forcément le photographe. Le problème est que ce bloc est tellement massif et positionné sur une petite rue, qu’il est difficile à prendre en photo dans son intégralité. Au dessus du socle impénétrable de béton, les étages se détachent franchement au point où on croirait qu’il s’agit d’un bâtiment différent posé derrière le socle. La forme des étages est également intéressante car ils sont posés sur une diagonale et leurs tailles croient lorsque l’on monte en hauteur. Le socle de béton ressemble à un bunker et reste très mystérieux car on n’arrive pas à deviner à quoi ressemble l’espace intérieur. Le petit bâtiment qui suit sur les troisième et quatrième photographies du billet est d’apparence moins massive mais met également en avant le béton qui le compose. Nous sommes ici à Komaba, à quelques dizaines de mètres du campus de l’Université de Tokyo. Cette maison individuelle est située à un croisement de deux rues en Y et, avec sa forme triangulaire, utilise pleinement l’espace disponible. J’aime beaucoup cette forme aiguë et agressive qui pointe comme une lame vers la rue. Dans les rues d’Ebisu, je découvre par hasard le bâtiment de la dernière photographie, qui prend un style plus léger et très différent des autres buildings que je montre sur ce billet. Il s’agit d’une école-workshop destinée aux jeunes architectes et appelée ITO Juku. Elle est affiliée au Toyo Ito Museum of Architecture à Imabari dans la préfecture d’Ehime à Shikoku. La façade avant se compose de portes coulissantes de bois et j’imagine qu’elles doivent s’ouvrir et laisser apparaître l’intérieur lorsque l’école est ouverte. J’y suis passé tôt le matin et tout était malheureusement fermé. Elle se trouve perdue dans un quartier résidentiel et certainement difficile à trouver sans avoir l’adresse. Je suis tombé dessus par hasard, comme souvent lorsqu’il s’agit de nouvelles découvertes architecturales.

Je vois dans l’architecture de béton, même massive comme dans les exemples ci-dessus, une beauté délicate et même poétique. Ça ne me dérange par exemple pas d’associer ce béton avec la musique très délicate et sensible d’Aoba Ichiko (青葉市子) que j’écoute en écrivant ces quelques lignes. Le nom d’Aoba Ichiko m’est familier depuis un moment, et je me suis toujours dit qu’il fallait que je tente une écoute un jour ou l’autre. Ce jour était il y a quelques jours, lorsque j’ai écouté pour la première fois son dernier album sorti l’année dernière Windswept Adan (アダンの風). Il y a un morceau en particulier, le troisième intitulé Porcelain, qui possède une beauté pénétrante. Certaines musiques, à des moments et des circonstances particulières, viennent résonner avec notre être intérieur et nous poussent à la méditation. Ce sont des moments où on baisse la garde et on se laisse tout simplement porter par le flot musical. Je me dis souvent, lorsque j’écoute ce type de morceaux, que je pourrais me contenter de n’écouter que ce morceau pendant un petit moment et faire abstraction de tout le reste. Le premier morceau, Prologue, nous plonge tout de suite dans l’ambiance de l’album, aux bords de l’océan à Okinawa. On entre dans son univers folk plutôt minimaliste, composé principalement de sa voix, d’une guitare classique et de sons naturels, sans avoir envie d’en sortir jusqu’aux dernières notes. On se laisse transporter vers les îles imaginaires du sud du Japon qu’elle évoque. Sa voix résonne parfois comme si elle chantait dans la pénombre d’un espace dépouillé. J’imagine un espace délimité par des murs de béton brut, laissant une ouverture rectangulaire sur un jardin au vert profond humidifié par une pluie fine. A travers son architecture, Tadao Ando nous a montré cette délicatesse du béton quand il conçoit ses bâtiments comme des cadres ouverts sur la nature environnante (les ouvertures donnant sur le vert du jardin de Koshino House) et quand habiter dans son architecture veut dire qu’il faut accepter la présence de l’environnement naturel (la pluie lorsqu’on traverse Row House). Toyo Ito nous a également montré la poésie de son béton lorsque ses formes viennent imiter les arbres zelkova bordant le boulevard d’Omotesando. J’aime imaginer la musique que j’écoute dans les espaces d’architecture que je vois en photographie. Lorsque je réécoute l’album Lavender Edition de Ai Aso, par exemple, je repense toujours à la maison House A de Ryue Nishizawa, car j’avais écrit le billet à son propos tout en écoutant cet album. Je me suis imaginé assis dans la lumière du matin à l’intérieur de la pièce principale de cette maison en train d’écouter cette musique paisible pour l’esprit. Cette situation imaginaire m’a laissé une forte impression et je m’en souviens encore maintenant à chaque écoute. Je pourrais raccrocher chaque morceau ou album que j’ai écouté à un lieu et parfois même à un moment de la journée. Lorsque j’écoute par exemple Sekidō o Koetara (赤道を越えた) de Sheena Ringo sur l’album Hi Izuru Tokoro, je ne suis plus au Japon mais transporté soudainement aux Sables d’Olonne, sur une portion de piste cyclable de la côte sauvage, au bord de l’océan et à côté du Puits d’Enfer. Le souvenir d’un lieu particulier associé à une écoute se révèle souvent bien plus tard, car j’écoute un album et des morceaux a de multiples reprises dans des lieux souvent différents mais il me reste souvent un seul lieu en tête. Est ce que je me souviendrais de Windswept Adan d’Aoba Ichiko comme la musique qui m’accompagnait Samedi matin sous la pluie au bord du cimetière d’Aoyama. Je le saurais peut être dans quelques mois.

代々木・あの日

Le grand tremblement de terre du Tōhoku a eu lieu il y a 10 ans aujourd’hui. Pendant qu’on regarde l’émission musicale à la télévision Ongaku no Hi 3.11 (音楽の日3.11) qui est diffusée une fois par an depuis la catastrophe, des souvenirs de cette journée me reviennent. Je me souviens avoir écrit quelques semaines après ces événements et avoir mis cinq ans pour publier ce billet que je relis ce soir pour me souvenir.

Je marche moins ces dernières semaines car je préfère me déplacer à vélo. Le vélo me permet d’aller un peu plus loin que mes promenades habituelles aux endroits que je finis par avoir épuisés en terme photographique, bien que ça ne soit jamais vraiment le cas. Le vélo me permet aussi de reprendre contact avec les sons de la rue car je ne mets bien entendu pas les écouteurs en roulant. J’utilise toujours mon fixie (vélo à une seule vitesse) et je ne le regrette pas pour le contrôle qu’il apporte. J’en ai tellement pris l’habitude que je ne sais pas si je reviendrais un jour vers un vélo à changement de vitesses. Je roule cette fois-ci vers le quartier de Yoyogi Uehara, de l’autre côté du parc par rapport à la gare de Harajuku. Je cherche volontairement les petites rues étroites et je suis plutôt servi dans ce quartier lorsque je tombe par hasard sur la ruelle très étroite de la dernière photographie ci-dessus qui longe la voie ferrée. Elle passe derrière les immeubles et nous laisse croiser les trains de temps en temps. On croirait un de ces espaces oubliés par l’urbanisme et qui existent seulement pour les habitués du quartier. On trouve régulièrement ce genre d’espaces pour piétons dans Tokyo. Il s’agit parfois d’espaces conservés en l’état après qu’une petite ligne de train ait été enlevée ou des zones autrefois empruntées par un cours d’eau. Juste à côté du nouveau building Felice Yoyogikoen par Takamatsu Corporation au design incisif avec des formes de flèches pointant vers le ciel, on trouve une indication de rivière. Un petit tunnel passant sous l’avenue Yamanote indique la présence d’une rivière qui passait autrefois dans le quartier pour rejoindre la rivière Udagawa puis la rivière de Shibuya. Cette rivière appelée Kōhonegawa (河骨川) est désormais enfouie depuis 1964. Elle a inspiré une chanson très connue appelée Haru no Ogawa (春の小川) et c’est ce nom qui est inscrit sur le petit tunnel dessous l’avenue sur la deuxième photographie de ce billet. Toujours dans le même quartier, en roulant à vélo, mes yeux s’arrêtent soudainement sur une affiche qui m’est familière. Je reconnais l’affiche du film Violent Cop de Takeshi Kitano, ou en japonais Sono otoko, kyōbō ni tsuki (その男、凶暴につき). Il s’agit de son premier film sorti en 1989. Je me souviens l’avoir vu il y a longtemps, je pense que c’était avant que je vienne habiter à Tokyo. L’envie me vient de le revoir. Hanabi et Sonatine restent mes films préférés de Kitano, mais j’aime aussi beaucoup celui-ci. L’ambiance est similaire car Kitano joue toujours un personnage d’apparence froide et peu bavard, mais avec quelques pointes d’humour passagères qu’on remarque à peine. Il joue ici le rôle d’un inspecteur de police aux méthodes qui nous ferait plutôt penser à celles d’un yakuza. Comme toujours, son personnage est difficile à cerner et le film se déroule lentement. Cette lenteur n’a pour moi rien de gênant et c’est même au contraire un des points d’interêt du film. Cette affiche se trouvait sur la devanture d’une boutique de vêtements vintage appelée Hōkago no Omoide (放課後の思い出). Je lui suis reconnaissant de m’avoir donné l’envie de revoir ce film. Tout près du grand parc de Yoyogi, je retrouve les fameuses toilettes publiques conçues par Shigeru Ban. Comme je le mentionnais auparavant, ces toilettes sont composées de verre transparent devenant opaque lorsqu’on ferme la porte des toilettes. Le système n’est malheureusement déjà plus actif car les vitrages sont désormais opaques en permanence. Je pense que ce système a été mal compris par les usagers et a suscité beaucoup d’inquiétudes. C’est un bon exemple de design très intéressant mais raté. Pour les avoir utilisé, je trouve que la serrure de la porte n’était pas assez mise en évidence, petite et mal placée. C’est bien dommage car ce genre de mésaventures freinera certainement d’autres tentatives d’apporter des innovations dans l’espace public.

Pour terminer en musique, je reviens vers celle d’Ano (あの) que j’avais déjà évoqué il y a plusieurs mois. J’avais beaucoup aimé son premier single Delete, en solo car elle a désormais quitté son groupe d’idoles alternatives. Les deux nouveaux morceaux Peek-a-boo et Sweetside Suicide sont très différents l’un de l’autre. Le premier est plutôt orienté vers des sons électroniques abrasifs tandis que le deuxième est plutôt orienté rock alternatif. Il faut être en mesure d’accepter la voix particulière d’Ano mais c’est justement ce décalage entre sa voix d’idole un peu décalée et les sonorités plutôt agressives de la composition musicale qui rend ces morceaux intéressants. Ano est un personnage très bizarre et je ne doute pas de son authenticité, ce qui fait que ces morceaux fonctionnent très bien. Il y a pour moi quelque chose de très japonais dans cette approche musicale, ce qui en deviendrait même conceptuel sans pourtant évacuer toute forme d’émotions à l’écoute de cette musique. La partition rock sur Sweetside Suicide est très réussie. Les paroles chantées par Ano, tout comme la vidéo réalisée par Kyotaro Hayashi, qui a également réalisée la vidéo de Kinmokusei (金木犀) de AiNA The End, ont un côté anxiogène certain. YouTube donne d’ailleurs un avertissement avant qu’on puisse regarder la vidéo. J’entends régulièrement le terme menhera (メンヘラ) évoqué pour des artistes telles que Ano. Menhera est le diminutif de Mental Health et se réfère à des personnes atteintes ou susceptibles de souffrir d’une difficulté mentale, mais ce terme est très imprécis et ambiguë. En musique, je pense plutôt qu’il fait référence à des artistes évoquant dans leurs chansons les difficultés de vivre une vie normale. Je n’aime de toute façon pas beaucoup ce terme très caricatural. En repensant à la vidéo et à son réalisateur, je suis un peu plus attentif ces derniers temps aux réalisateurs de vidéos musicales, depuis une discussion sur un billet précédent. Je n’ai jamais vraiment regardé qui étaient les réalisateurs des vidéos des morceaux que j’aime, mais les commentaires de ce billet m’ont donné l’idée de regarder d’un peu plus près de ce côté là, car des liens stylistiques peuvent se faire. Le fait que des groupes ou artistes différents choisissent un même réalisateur de vidéo peut indiquer une aspiration artistique similaire, et me permettre de faire de nouvelles découvertes musicales. Dans les commentaires de ce billet, on évoquait également le groupe Millenium Parade de Daiki Tsuneta, dont je parlerais certainement un peu plus tard comme je suis en cours de découverte de leur premier album.