CAPSULE A906 et l’image d’un futur lointain

Je suis allé plusieurs fois voir de près la tour Nakagin Capsule Tower (中銀カプセルタワービル) de l’architecte Kisho Kurokawa (黒川紀章), œuvre architecturale emblématique du mouvement métaboliste japonais, avant sa destruction malheureuse. Je n’étais par contre jamais entré à l’intérieur d’une capsule. Pendant les dernières années avant sa destruction, certains tours opérateurs indépendants proposaient des visites de la tour Nakagin et d’une ou de plusieurs capsules in-situ, mais le timing ne m’avait jamais permis d’y aller. Je le regrette un peu maintenant, mais je me rattrape en quelque sorte cette fois-ci en visitant deux des capsules de la tour présentes dans la galerie SHUTL à Tsukiji, près d’Higashi-Ginza. Au moment de la destruction de la tour Nakagin, on sait que certaines capsules ont été extraites en vue d’une utilisation ultérieure. La finalité de la mise en place de deux capsules dans cette galerie n’est pas très claire. L’espace était ouvert aux visiteurs pendant seulement deux jours, le Samedi 7 et Dimanche 8 Octobre 2023. Je comprends que cette galerie deviendra ensuite un espace créatif, conservant les deux capsules en son enceinte. Il sera en fait possible de louer cet espace, comme une galerie d’art, pour des expositions, des lectures ou projections de films, des interviews, entre autres. La première exposition démarrant le 13 Octobre serait en lien avec les idées du mouvement des Métabolistes. J’ai eu vent de cette ouverture temporaire de deux jours grâce au compte Instagram de l’amatrice d’architecture et guide tokyoïte Haruka Soga, qui en parlait donc sur son compte. Vu l’importance de Nakagin pour l’histoire de l’architecture japonaise et l’espace que j’imaginais à raison très réduit des capsules et de la galerie, je me suis dis qu’il fallait mieux y aller en avance. L’espace ouvrant à 13h, je m’y suis donc rendu une heure avant, vers midi. Une vingtaine de personnes étaient déjà sur place à attendre à l’entrée de la galerie, mais les membres du staff ont rapidement décidé de donner des tickets d’entrée par heure pour éviter une longue file d’attente dans la rue de la galerie. Mon petit ticket en poche, j’en ai profité pour faire un tour du quartier en passant visiter une nouvelle fois l’intérieur du grand temple Tsukiji Honganji puis en passant devant le théâtre Kabukiza avant de m’enfoncer dans les rues d’Higashi-Ginza. L’heure a passé assez vite et me revoilà devant la galerie dix minutes avant l’ouverture.

Deux capsules étaient accessibles à la visite, une capsule originale appelée CAPSULE A – A906 et une autre nommée CAPSULE B – A1006 qui n’était en fait qu’un squelette de la capsule montrant sa structure métallique. La capsule originale est bien entendu la plus intéressante car elle a été restaurée comme à l’origine avec son large lit prenant pratiquement tout l’espace des 8.5 m2 habitables de la capsule. On retrouve donc devant le lit, l’emblématique large hublot avec son rideau à ouverture circulaire et l’équipement audio-vidéo d’un autre temps: le lecteur à bandes, la petite télévision cathodique et le vieux téléphone. La sobriété de l’espace de couleur blanchâtre et le design général évoque l’image d’un futur imaginée à une époque désormais bien lointaine. L’espace est tellement exiguë qu’on a un peu de mal à y tenir à deux personnes. Les toilettes et la salle de bain en un bloc sont plus communes, car on en trouve encore maintenant dans certains hôtels bon-marchés. J’imagine assez bien cet espace être utilisé pour des interviews d’artistes ou de personnalités. Le squelette de la capsule B est moins intéressant à la visite. On imagine qu’il va être utilisé pour y afficher des œuvres artistiques lors de futures expositions. J’aurais voulu passer un peu plus de temps à l’intérieur de la capsule originale, mais les visites sont chronométrées. Je me doute bien que visiter une capsule dans la tour Nakagin d’origine devait être beaucoup plus intéressant. Il s’agit en tout cas d’une petite consolation que j’ai tout de même beaucoup apprécié. Je montre quelques photos supplémentaires de cette visite sur mon compte Instagram.

Il y a quelques semaines, je suis allé voir l’exposition de l’artiste Minoru Nomata (野又穫) à la galerie d’art de Tokyo Opera City, près de Shinjuku. Cette exposition solo de Minoru Nomata s’intitulait Continuum et se déroulait du 6 Juillet au 24 Septembre 2023. J’en suis ressorti enchanté. Ces peintures montrent des structures architecturales mystérieuses, que l’on aurait du mal à dater comme si elles provenaient d’un futur déjà passé. Regarder ces peintures est ludique car on peut du regard marcher à l’intérieur, en emprunter les marches des escaliers et des échelles. On devine certaines propriétés aéronautiques à ces structures mais leurs fonctions et leur significations laissent interrogatifs. Quel est le sens de ces grandes voiles de bateaux posées sur un bâtiment accroché fermement au sol, ou ces ballons qui ne demanderaient qu’à s’envoler mais qui restent prisonniers attachés à un socle sur la terre ferme? Nomata nous montre également d’étranges sphères de taille gigantesque abritant dans leur centre un microcosme végétal, comme si elles voulaient protéger cette végétation d’un milieu extérieur hostile. Mais les peintures de Nomata mettent pourtant en scène des créations humaines dans leur contexte naturel dans une cohabitation paisible. Les structures délicates ne semblent pas êtres ébranlées par les éléments. La peinture intitulée Babel est l’une des plus impressionnantes par sa taille et son souci du détail. A quoi peut ressembler la vie dans une structure écrasante telle que celle-ci? Cette structure est pourtant très lumineuse. Il serait peut être même très agréable de marcher sur ces longs escaliers en hauteur rafraichit par un vent qui ne peut venir que de la mer. Des images nous viennent forcément en tête en regardant ces structures, et j’en viens même à souhaiter qu’un illustrateur de manga réutilise cet univers pour un film d’animation. Je pense rapidement à Tsutomu Nihei (弐瓶 勉) bien que son oeuvre soit beaucoup plus sombre.

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La destruction d’image m’intéresse depuis longtemps et j’aime bien y revenir de temps en temps. Ce type de compositions mêlant de multiples superpositions photographiques peuvent être cependant difficile à appréhender. J’opère souvent par essais et erreurs en ayant une idée de base en tête. La réussite des images est forcément très suggestive. Mon expérimentation sur une image s’arrête au moment où j’éprouve une certaine satisfaction, quand, dans le cas présent, l’image d’une beauté sombre et chaotique provoque en moi une certaine émotion. Ces images correspondent à mon avis assez bien à la musique qui va suivre. À part ces images intrigantes, j’ai de nouveau changé le design du titre de Made in Tokyo et je suis plutôt satisfait de celui-ci, combinant le nom en anglais et en japonais du blog. Ce design est basé sur une police de caractère assez standard mais modifiée par mes soins. Je pense le garder pendant quelques temps. J’ai toujours beaucoup de mal à imaginer un changement général de mise en page du blog, mais je ne me décourage pas de trouver un jour un nouveau design qui me satisfera.

Dans les découvertes musicales récentes, il y a d’abord un morceau intitulé Futōmei na Mama De (不透明なままで) par Minori Nagashima (長嶋水徳) qui prend également le nom de serval DOG. Ce n’est pas un morceau facile car sa structure est complètement atypique, avec une ambiance dans l’ensemble agressive mais ne perdant pas au passage des aspects mélodiques. Le chant de Minori Nagashima est très changeant et instable avec certains moments parlés qui semblent interroger l’auditeur (お前どうしたい?) et d’autres chantés à la limite du menaçant (en roulant les « r »). C’est un morceau conceptuellement très intéressant et très dense.

Je découvre ensuite un morceau plus directement axé rock intitulé Yami Yami (ヤミヤミ) par The MUSMUS (ザ・ムスムス). Ce groupe rock évoluant dans des ambiances sombres voire punk est composé de quatre membres dont certains originaires de Kyoto. CHIO est la chanteuse du groupe accompagnée par YOOKEY à la guitare, KYOYA à la basse et SHINGO à la batterie. Le groupe est en activité sous ce nom depuis 2015 et aurait apparemment été en hiatus pendant quelques années jusqu’à maintenant. Le morceau Yami Yami est condensé en moins de trois minutes, et le cadencé vocal ultra rapide de CHIO nous saisit tout de suite avant de devenir plus mélodique pour le refrain. Le riff de guitare très présent et répétitif rythme le morceau qui avance très rapidement en s’accordant quand même des petites secondes de répit vers la fin. Il faut bien sûr aimer ce style de voix aiguë et transperçante.

Je termine ensuite avec un autre morceau excentrique d’un groupe nommé Limited Express (has gone?) ou en version raccourcie Rimi Eki (リミエキ). Le groupe, originaire du Kansai et composé de Yukari au chant et à la basse, Jinichiro Iida à la guitare et au chant et Josh à la batterie, n’est pas un nouvel arrivant car il s’est formé en 1998. J’écoute par contre un morceau récent du groupe intitulé Ramen+Rice (ラーメンライス) présent sur l’album Tell you Story sorti le 23 Août 2023. Comme le titre du morceau pouvait le laisser penser, la vidéo est tournée dans l’espace réduit d’un restaurant de ramen. Je suis vraiment épaté par la densité et l’excentricité vocale de Yukari et par la rapidité des guitares qui filent comme un train fonçant vers un mur (le nom du groupe me fait penser à l’univers ferroviaire). C’est un morceau sans aucun compromis plein d’une certaine folie musicale qui est pourtant parfaitement maîtrisée que ça soit au niveau du chant ultra rapide ou des guitares.

if i were an angel, 羊文学

Le concert du groupe rock alternatif Hitsuji Bungaku (羊文学) de leur tournée 2023 « if i were an angel, » était un vrai bonheur et je garde toujours en tête l’émotion des moments passés debout parmi la foule à écouter avec passion la musique du groupe. Je suis allé les voir le Mardi 3 Octobre 2023 dans la grande salle Zepp Haneda, qui se trouve à la station de Tenkubashi juste à côté de l’aéroport. Il s’agit d’une grande salle avec un étage couvrant une capacité d’environ 2,500 personnes et les deux dates de Tokyo étaient à guichet fermé. Cette tournée en 12 dates était nationale et la plus grande de leur carrière musicale, démarrant à Niigata le 2 septembre, en passant par Yokohama, Sapporo, Osaka, Sendai, Nagoya, Fukuoka, Hiroshima, Takamatsu pour terminer avec deux dates à Tokyo au Zepp Haneda. J’ai assisté à l’avant dernier concert de cette tournée, que la compositrice et interprète Moeka Shiotsuka (塩塚モエカ) surnommait elle-même la « Demi-Finale ». Le dernier concert de la tournée avait lieu le 4 Octobre mais était déjà complet au moment où les réservations ont été ouvertes. Cette date devait très certainement être réservée aux membres du fan club du groupe. J’avais acheté mon billet le 1er Juillet, donc trois mois avant le concert. Je m’étais même empressé à acheter un billet dans l’heure suivant l’ouverture de la billetterie. Malgré cela, mon billet me situait dans le bloc C, derrière les blocs B et A situés plus en avant près de la scène. En fait, le bloc définit l’ordre d’appel et d’entrée dans la salle. Une fois entré, rien ne nous empêche d’essayer de s’approcher au plus près de la scène. En ce qui me concerne, j’ai surtout cherché à trouver un point vers le milieu de la salle où je ne serais à priori pas trop gêné par les têtes qui dépassent devant moi dans la foule. Par rapport au dernier concert que j’ai été voir, celui de a子, la taille du Zepp est beaucoup plus impressionnante mais la visibilité reste bonne dans l’ensemble, car la salle est plus large que profonde. La taille de la salle est dans le même ordre de grandeur que celle de Toyosu Pit où j’avais été voir Tricot pour la première fois. J’ai eu beaucoup de temps pour me préparer mentalement à ce concert, enfin préparer musicalement plutôt, en vérifiant que j’avais bien écouté toute la discographie du groupe.

En écoutant les 20 morceaux joués pendant ce concert, on se rend compte de la qualité de la discographie de Hitsuji Bungaku car ils n’ont pas joué que leurs morceaux les plus récents et plus connus, mélangeant d’autres plus anciens qui sont tout aussi bons. Après seulement quelques années d’existence, cette discographie est déjà très importante et sans faiblesse. Ce concert était en fait une étape de transition car il ne s’agit pas de la tournée liée à la sortie de leur dernier album our hope, tournée pour laquelle je n’avais d’ailleurs pas réussi à acheter un billet, et le groupe n’a pas non plus de nouvel album sorti cette année. Hitsuji Bungaku a par contre joué deux de leurs singles récents à savoir FOOL et More than words, dont j’ai déjà parlé sur ces pages. L’excellent More than words apparaîtra en fait sur leur prochain album. Ils nous ont également fait le plaisir de jouer trois morceaux inédits de ce futur nouvel album: hosnestly, flower et un troisième dont on ne sait pas encore le titre. Dès la première écoute pendant ce concert, j’ai été surpris par la qualité et l’accroche. Pendant le passage de MC présentant rapidement deux des morceaux, Moeka nous disait qu’elle sentait elle-même une sorte de pression de ne pas faire moins bien que More than words. Le nouvel album s’annonce en tout cas très bien. Il faudra entendre la toute fin du concert pendant les rappels, pour qu’on nous annonce le titre et la date de sortie de ce nouvel album tant attendu. Il s’intitulera 12 hugs (like butterflies) et sortira le 6 Décembre 2023. Un point amusant est que Moeka, sur le coup de l’émotion peut-être, n’a d’abord pas réussi à nous dire d’une manière très claire le titre de cet album ce qui a obligé une personne du public à lui demander de répéter, ce qu’elle a fait après un sourire. Yurika donnait également une autre annonce, celle d’un prochain concert le 21 Avril 2024 dans la grande salle de 17,000 places de Yokohama Arena. Ce sera la plus grande salle de l’histoire du groupe. Comme le concert est situé quelques mois après la sortie de leur nouvel album, j’imagine qu’ils n’auront pas trop de soucis à remplir l’Arena. Ce concert s’appellera « III », représentant les trois membres du groupe et pas le kanji de la rivière comme le disait Yurika en plaisantant. J’étais en tout cas assez content que le groupe réserve l’exclusivité de ces annonces à l’avant dernier concert de la tournée plutôt qu’au dernier qui avait lieu le lendemain.

Le concert a duré environ deux heures et mélangeait des morceaux de tous les albums et EPs de leur discographie, en plus des morceaux récents mentionnés ci-dessus. Le concert a commencé par le morceau intitulé Ending (エンディング) qui est le premier de leur premier album Dear Youths (若者たちへ). Le groupe était d’abord caché par un écran opaque sur lequel était diffusé des images mouvantes étranges représentant parfois des visages. Il s’agissait d’une création de l’artiste contemporain Yuma Kishi (岸裕真) qui crée des images irréelles à partir de photographies ou de peintures réelles en utilisant l’intelligence artificielle. Dans un esprit similaire, il a notamment réalisé une vidéo pour Hatis Noit pour le morceau Angelus Novus du superbe album Aura dont j’ai déjà parlé ici. Je trouve que ces images projetées sur scène correspondent à celles d’anges comme indiqué dans le titre de la tournée, sauf que cette représentation n’est pas binaire. Elle est sans arrêts changeante comme si elle reflétait les multiples émotions et sentiments humains. On retrouve ensuite ces images d’anges changeant de manière fantastique à la fin du concert juste avant les rappels, pendant le superbe morceau Ghost. Les images de cet ange fantôme sont cette fois-ci basées sur des photographies de la modèle Mai Matsumoto, si on en croit la description sur le compte Instagram de l’artiste. Ce morceau Ghost n’est pas le plus dynamique du groupe car il se base plutôt sur une progression sonore lente et profonde. Ce choix pour un dernier morceau de concert me fait dire qu’ils sont très sûr de leur art, sans essayer de créer un coup d’éclat final avant les rappels. Cet aspect là m’a beaucoup plu et a captivé le public, comme tout le reste du concert d’ailleurs.

Les morceaux se sont bien sûr enchaînés sans qu’on se rende compte du temps qui passe et les deux heures ont passés bien vite. Il y a eu plusieurs passages de MC adressés à la foule. Pratiquement plus personne ne porte de masque dans le public et il n’y a plus depuis longtemps de restriction pour parler (ou crier dans certains cas). Les cris de la foule étaient par conséquent plus nombreux et présents que dans les concerts précédents. J’étais en fait très curieux de voir comment le groupe allait se comporter sur scène, car ses racines sont vraiment ancrées dans le rock indépendant et alternatif avec une bonne dose de mélancolie, mais un certain nombre de morceaux récents sont très dynamiques et accrocheurs. Moeka et la bassiste Yurika Kasai (河西ゆりか) sont relativement statiques sur scène mais se laissent aussi assez souvent emporter par leur morceau. J’ai beaucoup aimé la manière par laquelle Yurika se déchaînait sur sa basse sur certaines fins de morceaux, comme celui intitulé Inori (祈り) du EP Zawameki (ざわめき), qui se concluaient par un feu d’artifice de guitares. Tout comme sur les albums, je suis impressionné en live pour la puissance sonore de la guitare électrique de Moeka Shiotsuka. Le fait qu’ils ne soient qu’un trio n’affecte en rien la force musicale de l’ensemble car chacun des membres est complètement investi dans la musique qu’ils produisent sur scène, sans compromis. Le jeu de batterie de Hiroa Fukuda (フクダヒロア) me plait aussi beaucoup, car on ressent physiquement chacun de ses coups de percussions. Cette force musicale est d’autant plus renforcée par la voix très présente de Moeka et l’addition très fréquente des chœurs de Yurika. Toutes ses sonorités, la palette étendue de la voix de Moeka, les chœurs de Yurika, donnent une atmosphère très riche et dense, qui sait être bruyante mais est avant tout émotionnelle. Et j’aime énormément la voix de Moeka Shiotsuka. On la surnomme également Heidi (ハイジ). Je ne connais pas la raison exacte de ce surnom mais il me semble correspondre assez bien à l’accent particulier qu’elle met parfois sur ses paroles en chantant. Les trois membres de Hitsuji Bungaku ont entre 26 et 27 ans mais je trouve que le groupe a déjà atteint une grande maturité, qui n’empêche pas non plus certains moments de folie. En fait, sur scène, on ressent le groupe comme restant naturel. L’émotion de Moeka est palpable lorsqu’elle nous dit, dès le début du concert, que c’est l’avant dernier de cette tournée, ou quand son visage s’éclaire de joie et qu’elle encourage de mouvements de bras le public déjà bien acquis à la cause du groupe. Il y a un respect que je ressens personnellement très bien et qui me fait d’autant plus apprécier ce groupe. Le batteur Fukuda qui ne parle pas beaucoup derrière ses très longs cheveux noirs qui lui cassent la plus grande partie du visage et du corps, indique d’ailleurs que le groupe continuera à jouer leur rock sans trembler (ブレずにカッコよくロックを) dans le sens où il et elles resteront imperturbables dans leur direction musicale.

Il y avait beaucoup de moments mémorables dans ce concert, notamment lors des singles emportant la foule comme Ningen datta (人間だった), OOPARTS ou Hikaru Toki (光るとき). J’ai beaucoup aimé Tengoku (天国) car il faisait intervenir le public par des appels et réponses faits de mouvements de bras. C’était le seul réel morceau dans ce style volontairement interactif. J’ai beaucoup apprécié le fait qu’ils jouent le morceau 1999 dans les rappels car il s’agit du morceau par lequel j’ai découvert le groupe et parce que cette année là, correspondant à mon arrivée à Tokyo, est forcément pour moi particulière. A part les inédits, il y avait un seul morceau que je ne connaissais pas tiré du EP your love et intitulé Yoru wo Koete (夜を越えて). Je m’en voudrais presque de ne pas l’avoir connu avant le concert car c’est vraiment un morceau sublime que j’écoute maintenant beaucoup, tout comme le reste de leur discographie dont j’ai un peu de mal à me détacher. Les quatre premières photographies du billet ont été prises par moi-même, tandis que les autres sont des photographies montrées par le groupe sur leurs comptes Twitter ou Instagram et prises principalement par les photographes Asami Nobuoka et Daiki Miura. La photographie de l’affiche de cette tournée a été prise par le photographe Nico Perez, basé à Tokyo. Il a souvent pris le groupe en photo et a réalisé la photographie qui accompagnera la sortie du futur album. En fait, j’aime tant cette photo de tournée en noir et blanc que je n’ai pas résisté à l’envie d’acheter le T-shirt, en version noire comme le porte Moeka en photo ci-dessus.

Pour référence, ci-dessous est la set list de la tournée 2023 « if i were an angel, » à Zepp Haneda le Mardi 3 Octobre 2023:

1. Ending (エンディング), de l’album Dear Youths (若者たちへ)
2. more than words, single du futur album 12 hugs (like butterflies)
3. Ningen datta (人間だった), du EP Zawameki (ざわめき)
4. FOOL, single
5. honestly, nouveau morceau du futur album 12 hugs (like butterflies)
6. flower, nouveau morceau du futur album 12 hugs (like butterflies)
7. Inori (祈り), du EP Zawameki (ざわめき)
8. hopi, de l’album our hope
9. Mayoiga (マヨイガ), de l’album our hope
10. Titre non dévoilé, nouveau morceau du futur album 12 hugs (like butterflies)
11. Tengoku (天国), de l’album Dear Youths (若者たちへ)
12. Party ha Sugu soko (パーティーはすぐそこ), de l’album our hope
13. Eien no Blue (永遠のブルー), single
14. OOPARTS, de l’album our hope
15. Hikaru Toki (光るとき), de l’album our hope
16. Yoru wo Koete (夜を越えて), du EP your love
17. ghost, de l’album POWERS
18. (Rappel) Odoranai (踊らない), du EP Tunnel wo Nuketara (トンネルを抜けたら)
19. (Rappel) 1999, de l’album POWERS
20. (Rappel) Aimai de ii yo (あいまいでいいよ), de l’album POWERS

夜に溶けきれず星を飲んでる

La pleine lune majestueuse a refait son apparition ces dernières nuits au dessus de nos têtes dans le ciel de Tokyo. Celle-ci est irréelle car il s’agit d’une installation créée par l’artiste anglais Luke Jerram près de la gare de Shimo-Kitazawa. Je l’avais déjà montré l’année dernière à la même période mais en pleine journée. J’ai l’impression qu’elle va refaire son apparition tous les ans à la même période de l’année. Pendant ce temps là, la vraie lune était également majestueuse quand elle voulait bien se dévoiler en se dégageant des nuages omniprésents. Mari me dit qu’il est de bonne augure de boire un verre de saké sur le balcon en regardant la lune. Ça tombe bien, il en reste justement un peu au frais dans le frigo. Je prends un verre un peu plus grand que d’habitude pour faire durer ce moment sous le lune. L’alcool aidant un peu, je finis même par m’y perdre à force de la regarder fixement. J’aurais très bien pu m’endormir sur le balcon à côté du petit olivier en pot, comme ça m’est déjà arrivé quelques fois. J’ai hâte que le temps se rafraîchisse pour pouvoir profiter un peu plus du balcon, pour, par exemple, y écrire des billets pour ce blog avec le vieil iPad en mains. Je garde d’ailleurs un souvenir assez précis des textes que j’ai écris dehors sur le balcon. Pour chaque billet écrit, peut-être devrais-je annoter tous ces éléments participant à l’environnement d’écriture, comme le lieu et l’heure où j’ai écris le billet, la musique que j’écoutais au moment de l’écriture, bien qu’il s’agisse souvent de la musique dont je parle dans le même billet. C’est le cas cette fois-ci.

Le nom du musicien Ohzora Kimishima (君島大空) m’était familier depuis quelques temps, mais je n’avais jamais écouté sa musique jusqu’à maintenant. Son deuxième album no public sounds sorti il y a quelques jours, le 27 Septembre 2023, est pour moi un des meilleurs albums de l’année (avec celui de Cero). Je me suis rappelé à écouter sa musique après un tweet que j’avais écrit pour un billet consacré en partie à l’exposition de la photographe Mana Hiraki (平木希奈) que je n’avais malheureusement pas pu voir. J’avais été très surpris de voir qu’il avait aimé ce tweet et je me suis rendu compte après coup que Mana Hiraki avait créé pour Ohzora Kimishima une courte bande annonce pour son deuxième album. Je découvre un peu plus tard le single intitulé c r a z y qui me plait immédiatement pour l’émotion qui s’en dégage et une grande liberté de style avec un son de batterie très présent contrastant avec la voix délicate de Kimishima. Ce sentiment de liberté stylistique se dégage sur tout l’album qui mélange les sons pour former des ensembles souvent hétéroclites mais qui fonctionnent étrangement bien par la magie de son compositeur. Ce type de compositions me rappelle un peu KSK de Sheena Ringo, dans le sens où l’album de Ohzora Kimishima est à fleur d’émotion et joue avec les ambiances jusqu’à l’expérimental. Bien que musicalement différent, certains moments particuliers de l’album comme le dernier passage en larsens du superbe cinquième morceau Eiga (映画) me ramènent à certaines sonorités de KSK, sans pourtant être en mesure de pointer du doigt de quel morceau il s’agit. Je pense que ça doit être le mélange d’instruments, en particulier de guitare et de violon aux sonorités languissantes. Ce morceau est tout simplement magnifique. On s’accroche sans bouger à la voix calme et parfois tremblotante du chant de Kimishima, aux notes de piano pleines de réverbération et par moments dissonantes et en suspension. On y trouve une ambiance mélancolique mais les notes du piano sont tout de même très lumineuses. Ce n’est pas facile d’arriver à transmettre ce genre de sensibilité et j’aime particulièrement quand cette sensibilité se dégage au dessus d’un univers musical à l’apparence chaotique. Le quatrième morceau Arashi (˖嵐₊˚ˑ༄) est un très bon exemple du mélange de musicalité qui ponctue régulièrement l’album, car le morceau mélange sons de guitares électriques et sons électroniques. Ce type d’association est relativement fréquent sauf quand le beat électronique nous surprend en prenant tout l’espace et l’attention, en devenant très marqué et même dansant. Mais toute cette excitation rythmique soudaine est ensuite balayée par un passage expérimental chaotique comme une onde électrique venant perturber tous les instruments de musique. Ohzora Kimishima le chante d’ailleurs dans le morceau dans l’unique refrain (ここは嵐), en annonçant l’arrivée de cette bourrasque, celle annoncée également dans le titre du morceau. L’album avait pourtant démarré sur une ambiance très différente avec une guitare particulièrement active qui pouvait laisser deviner une dynamique soutenu pendant tout l’album, mais celle-ci bifurque ensuite vers un chant beaucoup plus pop et accrocheur qui me fait d’ailleurs un peu penser aux Beatles. Les pistes se brouillent régulièrement et on a de ce fait du mal à s’ennuyer à l’écoute de l’album. Certains morceaux comme 16:28 sont tout de même plus classiques dans leur approche musicale, mais la complexité musicale est toujours là, latente, prête à prendre le dessus si on la laisse faire. De ce fait, la beauté de l’album se révèle un peu plus à chaque écoute, et les préférences changent. On écrivant ces lignes, je me dis maintenant que le neuvième morceau – – nps – – (pour no public sounds) est le plus sensible. Il me donne même des frissons lorsque je l’écoute. Un grand nombre des morceaux de l’album possèdent une ambiance intimiste comme celui-ci. C’est une atmosphère très belle et délicate, mais en même temps dense et complexe.

Par curiosité, je regarde la page dédiée à cet album sur le site web de Ohzora Kimishima et je suis très agréablement surpris d’y lire à la suite des commentaires donnés par des artistes que j’apprécie. Il y a d’abord un commentaire du réalisateur de films Shunji Iwai (岩井俊二), dont je parle décidément très régulièrement sur ces pages ces derniers temps, un autre de Moeka Shiotsuka (塩塚モエカ) du groupe Hitsuji Bungaku (羊文学) que j’aime aussi beaucoup (on finira par le savoir) et de Kayoko Yoshizawa (吉澤嘉代子) que j’ai découvert plus récemment avec son très bel album Akaboshi Aoboshi (赤星青星) et son dernier single Kōrigashi (氷菓子). Ohzora Kimishima joue en fait de la guitare sur ce morceau. Il a même composé certains morceaux de Akaboshi Aoboshi et il y a également joué de la guitare. Quand aux liens avec le groupe Hitsuji Bungaku, Ohzora Kimishima et Moeka Shiotsuka ont interprété ensemble l’année dernière le morceau Hikaru Toki (光るとき) pour la chaîne YouTube The First Take. Cette version en duo, très différente de la version originale de Hitsuji Bungaku, est d’ailleurs superbe. Ohzora Kimishima et Hitsuji Bungaku ont également partagé une affiche de concert un peu plus tôt cette année, et ont même participé à une interview croisée. Bref, j’avais des raisons évidentes de trouver sa musique sur mon chemin. Et alors que j’écris ces quelques lignes, je me rends compte qu’il accompagnait également AiNA The End (アイナ・ジ・エンド) et Aoi Yamada (ヤマダアオイ) sur un festival intitulé Tokyo Chemistry qui avait lieu le 30 Septembre 2023. En parlant d’AiNA The End, je ne peux m’empêcher d’évoquer son dernier single intitulé Awaremi no Sanka (憐れみの讃歌) tiré du film Kyrie no Uta (キリエのうた) de Shunji Iwai. Sans grande surprise, ce morceau écrit et composé par Takeshi Kobayashi (小林武史), est vraiment très beau. Takeshi Kobayashi est un habitué des films de Shunji Iwai car il avait également composé les morceaux de l’album accompagnant le film All About Lily Chou-Chou. Un point intéressant est qu’AiNA interprète ce morceau, et le futur album DEBUT accompagnant le film, sous le nom de Kyrie (キリエ) qui est le nom de son personnage dans le film, tout comme c’était le cas de Salyu prenant le nom de Lily Chou-Chou sur l’album du film.

MONOSPINAL par Makoto Yamaguchi

Je n’étais pas parti à la recherche de nouvelle architecture intéressante depuis quelques mois. La plupart des billets de Made in Tokyo montre de l’architecture, mais ça fait quelques temps que je ne m’étais pas donné comme objectif d’aller voir un immeuble particulier déjà vu dans un magazine ou sur internet, en l’occurence sur plusieurs comptes Instagram dédiés à l’architecture tokyoïte dans le cas présent. Mon objectif, cette fois-ci, était d’aller voir d’un peu plus près une étrange tour faite de strates obliques grisâtres sans fenêtres apparentes, nommée Monospinal par l’architecte Makoto Yamaguchi. On imagine que ce nom vient de la forme du building ressemblant à une épine dorsale composée de neuf éléments formant chacun des étages de l’édifice. Monospinal accueille une compagnie de production de jeux vidéo, mais je ne connais pas son nom. Cet immeuble est placé au pied de la station Asakusabashi (浅草橋駅) desservie par la ligne de train Sobu. Je ne suis en fait pas allé jusqu’à Asakusabashi en train, j’ai préféré prendre la ligne Yamanote jusqu’à la station Okachimachi (御徒町駅) puis marcher jusqu’à Asakusabashi, tout en achetant au passage du pain chez Pelican. Quand j’ai un peu de temps devant moi, je préfère descendre à une station différente (ou à une ou deux stations avant) de ma destination pour pouvoir explorer à pieds des quartiers que je connais moins. Ça m’a permis de découvrir cette étrange tour émerger depuis le bout de la rue. J’aime par dessus tout voir comment ce genre d’architecture atypique vient s’inscrire dans son environnement. Les parois obliques couvertes d’aluminium nous font plutôt penser que cette tour essaie de s’extraire de l’environnement alentour en créant une séparation très nette. Chaque étage est entourée d’un bacon délimité par ce mur latéral en pente apportant lumière et ventilation tout en protégeant du bruit extérieur pour créer un environnement intérieur restant suffisamment lumineux et favorisant la concentration. Seul le rez-de-chaussée avec ses baies vitrées est ouvert de manière visible sur l’extérieur. Vu que cette tour est située le long de la ligne de trains extérieure Sobu, on imagine très bien le souci de vouloir se couper des nuisances sonores et visuelles. On peut voir sur internet des rendus de l’intérieur au design sobre et élégant. Seul le chandelier visible depuis le rez-de-chaussée contraste avec l’image générale intérieure plutôt épurée. On peut aussi se poser la question de la présence d’un jacuzzi au dernier étage formant une terrasse extérieure. Le terrain de pierre entourant la tour est étroit et simple d’apparence. Sur ce terrain aride, on appréciera les élégantes pointes de végétation formées par une rangée de bambous et un petit pin placé devant l’entrée. J’aime aussi beaucoup le petit muret de pierre reminiscent des châteaux forts japonais, renforçant cette idée de tour imprenable. La tour est difficile à prendre en photo en entier depuis la rue mais je me suis tout de même amusé à faire coïncider ses formes avec les fils électriques et la voie de chemin de fer surélevée. En regardant cette tour une nouvelle fois de loin depuis la rue, je me dis que cette apparence futuriste est également organique comme une plante ayant poussée progressivement dans le quartier. Je montre quelques autres photos de Monospinal sur mon compte Instagram.