Mon fil de suivi Instagram me fait souvent découvrir des lieux intéressants et le dernier en date est le SKWAT Kameari Art Center, qui comme son nom l’indique est situé à Kameari (亀有) dans l’arrondissement de Katsushika au Nord de Tokyo, et est opéré par un collectif nommé SKWAT. SKWAT se définit comme étant un collectif d’artistes et de penseurs cherchant à repousser les frontières spatiales et culturelles de la société. En ce sens, le groupe explore le potentiel de l’espace comme point de départ pour un renversement des valeurs, à travers des activités sans barrières de genre ou de format. L’approche de SKWAT fait écho à la déclaration « Le musée ne suffit pas » de la revue The Museum Is Not Enough lancée par le Centre Canadien d’Architecture (CCA), qui explore de manière similaire les limites du musée face aux enjeux contemporains de l’architecture et de la ville. Le premier numéro de cette revue en français est publié en édition limitée, avec résumé en japonais, par twelvebooks et le collectif SKWAT.
Le Kameari Art Center entend concrétiser cette vision en utilisant un long espace non utilisé sous une voie ferrée surélevée entre les stations d’Ayase et de Kameari. Le centre apparaît tout d’un coup alors que l’on marche depuis l’une des stations le long de la voix ferrée. On ne s’attend pas vraiment à trouver un centre culturel en plein milieu d’un espace urbain résidentiel éloigné des centres de Kameari et d’Ayase. De l’extérieur, on devinerait à peine la présence de ce centre s’il n’y avait pas ces grandes baies vitrées nous donnant un aperçu de l’intérieur. On est immédiatement interpellé par le slogan The Museum Is Not Enough écrit en lettres lumineuses. Kameari Art Center est une librairie mais ressemble en même temps à un espace d’expositions. Toutes les œuvres ’exposées’ proviennent de twelvebooks, distributeur tokyoïte fondé en 2010 et spécialisé en artbooks et livres de photographies. On y trouve également une vaste collection de vinyles du disquaire Vinyl Delivery Service (VDS), fondé en 2018 à Tokyo mais également implanté à Londres depuis 2021. Le disquaire est spécialisé dans la distribution de vinyles provenant principalement du Japon et d’Europe. L’espace contient également un café nommé Tawks, placé dans la continuation de la librairie, devant un grand espace où ont lieu des expositions.
On peut se demander ce qu’il y a de vraiment nouveau dans l’approche de SKWAT par rapport à TSUTAYA, par exemple, qui réunit déjà en différents lieux des espaces de vente de livres avec un café, disquaire (surtout vinyles) et petit espace d’exposition. Par rapport à la chaîne précitée dont l’approche mercantile est très développée, il est clair que SKWAT a une approche de l’espace innovante qui tient plus de l’expérience, tentant de faire émerger quelque chose de nouveau avec les possibilités offertes par l’espace public. On a l’impression d’être dans un entrepôt plutôt que dans une librairie classique, et c’est ce qui fait grandement l’interêt de cet espace. L’espace contient des échafaudages et on peut les arpenter pour explorer les étagères de livres à l’étage. Il faut avancer doucement car les plaques de métal des échafaudages grincent sous nos pas. Les livres ne sont pas complètement à porter de mains. A l’étage, je voulais par exemple jeter un œil au pavé Tokyo Olympia du photographe Takashi Homma, il m’aura fallu passer les mains à travers les tubes de l’échafaudage tout en faisant très attention à ne pas le faire tomber sur l’escalier métallique juste en dessous, vu le poids du bouquin. L’espace joue sans cesse à la limite entre l’installation artistique et l’espace de vente classique. Entre les piles de livres destinées à la vente, dont certains en solde, on trouvera des sièges faits de parpaings, des grands rouleaux de protection plastifiés, mais également des œuvres artistiques exposées sous verre.
Après la visite, je me dirige tranquillement vers le café pour m’asseoir quelques instants sous le haut plafond en buvant un café glacé fait maison. On entend de temps en temps les trains passer au dessus de nous, mais ça ne dérange pas beaucoup car on est assez loin de la station la plus proche. Dans l’espace à proximité immédiate du café, on peut voir l’exposition du moment intitulée Material Matters. Des palettes de bois usagées sont réutilisées comme sièges pour le café, tandis que d’autres sont transformées en œuvres d’art par le designer et illustrateur portugais basé à New York, Bráulio Amado. Recouvertes de ses graphismes, ces palettes fonctionnelles se voient donner une nouvelle vie et une toute autre valeur. Je montre également d’autres photos du SKWAT Kameari Art Center sur mon compte Instagram.
Alors que je sors du café pour reprendre la route en direction de la station de Kameari, je remarque un petit autocollant de NTS Radio collé sur le vitrage. J’y ai vu un signe qu’il fallait que je me reconnecte sur cette radio pour écouter une fois encore mes quelques émissions préférées. La station de Kameari est à quelques minutes à pieds. Elle est notamment connue pour un manga comique d’Osamu Akimoto (秋本治) portant le nom à rallonge: Kochira Katsushika-ku Kameari kōen mae hashutsujo (こちら葛飾区亀有公園前派出所), ou en plus court Kochikame (こち亀), nous racontant l’histoire d’un agent d’un poste de police devant le parc de Kameari à Katsushika. On trouve deux statues liée au manga devant la station, faisant preuve de la grande célébrité de l’agent de police Kankichi « Ryo-san » Ryotsu. Il faut dire que cette série a été publiée pendant 40 ans, de 1976 à 2016, sur un total de 201 volumes et 1960 chapitres. Je reprends ensuite le train, mais je ferais assez rapidement une nouvelle escale qui sera le sujet d’un autre billet (qui, j’en suis sûr, sera tout aussi intéressant que celui-ci).