le musée ne suffit pas

Mon fil de suivi Instagram me fait souvent découvrir des lieux intéressants et le dernier en date est le SKWAT Kameari Art Center, qui comme son nom l’indique est situé à Kameari (亀有) dans l’arrondissement de Katsushika au Nord de Tokyo, et est opéré par un collectif nommé SKWAT. SKWAT se définit comme étant un collectif d’artistes et de penseurs cherchant à repousser les frontières spatiales et culturelles de la société. En ce sens, le groupe explore le potentiel de l’espace comme point de départ pour un renversement des valeurs, à travers des activités sans barrières de genre ou de format. L’approche de SKWAT fait écho à la déclaration « Le musée ne suffit pas » de la revue The Museum Is Not Enough lancée par le Centre Canadien d’Architecture (CCA), qui explore de manière similaire les limites du musée face aux enjeux contemporains de l’architecture et de la ville. Le premier numéro de cette revue en français est publié en édition limitée, avec résumé en japonais, par twelvebooks et le collectif SKWAT.

Le Kameari Art Center entend concrétiser cette vision en utilisant un long espace non utilisé sous une voie ferrée surélevée entre les stations d’Ayase et de Kameari. Le centre apparaît tout d’un coup alors que l’on marche depuis l’une des stations le long de la voix ferrée. On ne s’attend pas vraiment à trouver un centre culturel en plein milieu d’un espace urbain résidentiel éloigné des centres de Kameari et d’Ayase. De l’extérieur, on devinerait à peine la présence de ce centre s’il n’y avait pas ces grandes baies vitrées nous donnant un aperçu de l’intérieur. On est immédiatement interpellé par le slogan The Museum Is Not Enough écrit en lettres lumineuses. Kameari Art Center est une librairie mais ressemble en même temps à un espace d’expositions. Toutes les œuvres ’exposées’ proviennent de twelvebooks, distributeur tokyoïte fondé en 2010 et spécialisé en artbooks et livres de photographies. On y trouve également une vaste collection de vinyles du disquaire Vinyl Delivery Service (VDS), fondé en 2018 à Tokyo mais également implanté à Londres depuis 2021. Le disquaire est spécialisé dans la distribution de vinyles provenant principalement du Japon et d’Europe. L’espace contient également un café nommé Tawks, placé dans la continuation de la librairie, devant un grand espace où ont lieu des expositions.

On peut se demander ce qu’il y a de vraiment nouveau dans l’approche de SKWAT par rapport à TSUTAYA, par exemple, qui réunit déjà en différents lieux des espaces de vente de livres avec un café, disquaire (surtout vinyles) et petit espace d’exposition. Par rapport à la chaîne précitée dont l’approche mercantile est très développée, il est clair que SKWAT a une approche de l’espace innovante qui tient plus de l’expérience, tentant de faire émerger quelque chose de nouveau avec les possibilités offertes par l’espace public. On a l’impression d’être dans un entrepôt plutôt que dans une librairie classique, et c’est ce qui fait grandement l’interêt de cet espace. L’espace contient des échafaudages et on peut les arpenter pour explorer les étagères de livres à l’étage. Il faut avancer doucement car les plaques de métal des échafaudages grincent sous nos pas. Les livres ne sont pas complètement à porter de mains. A l’étage, je voulais par exemple jeter un œil au pavé Tokyo Olympia du photographe Takashi Homma, il m’aura fallu passer les mains à travers les tubes de l’échafaudage tout en faisant très attention à ne pas le faire tomber sur l’escalier métallique juste en dessous, vu le poids du bouquin. L’espace joue sans cesse à la limite entre l’installation artistique et l’espace de vente classique. Entre les piles de livres destinées à la vente, dont certains en solde, on trouvera des sièges faits de parpaings, des grands rouleaux de protection plastifiés, mais également des œuvres artistiques exposées sous verre.

Après la visite, je me dirige tranquillement vers le café pour m’asseoir quelques instants sous le haut plafond en buvant un café glacé fait maison. On entend de temps en temps les trains passer au dessus de nous, mais ça ne dérange pas beaucoup car on est assez loin de la station la plus proche. Dans l’espace à proximité immédiate du café, on peut voir l’exposition du moment intitulée Material Matters. Des palettes de bois usagées sont réutilisées comme sièges pour le café, tandis que d’autres sont transformées en œuvres d’art par le designer et illustrateur portugais basé à New York, Bráulio Amado. Recouvertes de ses graphismes, ces palettes fonctionnelles se voient donner une nouvelle vie et une toute autre valeur. Je montre également d’autres photos du SKWAT Kameari Art Center sur mon compte Instagram.

Alors que je sors du café pour reprendre la route en direction de la station de Kameari, je remarque un petit autocollant de NTS Radio collé sur le vitrage. J’y ai vu un signe qu’il fallait que je me reconnecte sur cette radio pour écouter une fois encore mes quelques émissions préférées. La station de Kameari est à quelques minutes à pieds. Elle est notamment connue pour un manga comique d’Osamu Akimoto (秋本治) portant le nom à rallonge: Kochira Katsushika-ku Kameari kōen mae hashutsujo (こちら葛飾区亀有公園前派出所), ou en plus court Kochikame (こち亀), nous racontant l’histoire d’un agent d’un poste de police devant le parc de Kameari à Katsushika. On trouve deux statues liée au manga devant la station, faisant preuve de la grande célébrité de l’agent de police Kankichi « Ryo-san » Ryotsu. Il faut dire que cette série a été publiée pendant 40 ans, de 1976 à 2016, sur un total de 201 volumes et 1960 chapitres. Je reprends ensuite le train, mais je ferais assez rapidement une nouvelle escale qui sera le sujet d’un autre billet (qui, j’en suis sûr, sera tout aussi intéressant que celui-ci).

vers l’Izumo Taisha d’Ibaraki

A première vue, on regardant les quelques photographies de ce billet, on pourrait se croire soudainement téléporté jusqu’à la préfecture de Shimane devant le grand sanctuaire Izumo Taisha. Nous n’avons malheureusement pas encore voyagé jusqu’à Shimane et le sanctuaire Izumo Taisha que je montre sur ce billet est en fait une branche installée à Hitachi dans la préfecture d’Ibaraki du grand Izumo Taisha de Shimane (常陸国出雲大社). L’immense corde sacrée torsadée Shimenawa nous rappelle immédiatement celle du sanctuaire original à Shimane, bien que j’aurais du mal à comparer les tailles. Cette branche d’Hitachi est récente. Elle date de 1992. Elle est installée sur une colline en pleine campagne. Après avoir découvert un Nikko Tōshōgu d’Ibaraki il y a plusieurs semaines, voici qu’on y trouve un Izumo Taisha. Cette préfecture d’Ibaraki est décidément pleine du surprise. Juste à côté du sanctuaire, se trouve une galerie d’art. Le plafond du hall de la galerie, nommé Sanki (山鬼ホール), est orné d’un immense serpent créé par l’artiste Tomiyuki Kaneko (金子富之). Cette grande œuvre de 460 sur 640 cm surplombe la totalité du hall, ce qui nous donne l’impression que le serpent observe nos moindres mouvements. Ce grand serpent enroulé a été créé en 2020 mélangeant encre japonaise, aquarelle transparente, acrylique, eau sacrée et peinture dorée sur du papier japonais. Il s’agit d’un Serpent cosmique (宇宙蛇), prenant comme image la Voie lactée que l’on pourrait interprétée comme le corps immense d’un serpent céleste. L’exposition du moment, se déroulant jusqu’au 31 juillet 2025, montre quelques œuvres de l’artiste Junichi Mori (森淳一) faisant partie de la collection du sanctuaire Izumo d’Hitachi. Au centre de la pièce, une étrange sculpture en bois à trois visages nous donne une vision d’effroi. Sa conception suggère une antiquité sacrée mais cette œuvre nommée Trinity date de 2011. La dernière photographie du billet montre une autre sculpture en bois inquiétante de l’artiste de sa série appelée Sally datant de 2014.

Une des raisons pour lesquelles je voulais venir jusqu’à cette branche de Hitachi du sanctuaire Izumo Taisha était de voir le Serpent Cosmique de Tomiyuki Kaneko. Je connais cet artiste depuis plusieurs années, l’ayant découvert en 2016 lors de l’exposition DOMANI qui se déroulait au National Art Center Tokyo (NACT) à Nogizaka. Ses représentations de dieux japonais et asiatiques et les formes de monstres qu’il crée m’avaient laissé une très forte impression. J’avais acheté, à la grande librairie Maruzen de Marunouchi, un livre intitulé In praise of Embodying the Illusions (幻成礼讚) qui regroupe une grande partie de ses œuvres. Je n’en avais bizarrement pas encore parlé sur ce blog. J’ai trouvé dans le sanctuaire mon quatrième carnet Goshuinchō, car celui que j’utilise actuellement se termine bientôt. Ce nouveau carnet utilise deux œuvres de Tomiyuki Kaneko, les tigres Red Tiger (赤虎) et Barong Macan (バロン・マチャン). Tomiyuki Kaneko, tout comme Junichi Mori d’ailleurs, est représenté par la galerie Mizuma Art que j’aime beaucoup.

le point de fuite des fourmis

L’étrange araignée gonflable que l’on peut voir depuis la rue principale du quartier de Daikanyama à travers la grande baie vitrée de la petite galerie de Hillside Terrace attire tout de suite le regard. On la devine en mouvement comme si elle respirait profondément. Je m’approche de la galerie. Elle occupe la quasi totalité de l’espace. Une pompe à air lui fait bouger les membres de manière intermittente. Autour de ses pattes noires et roses, elle est décorée de multiples couleurs. Ses formes sont étranges sans pour autant être vraiment inquiétantes. Il s’agit d’une création de l’artiste Lee Byungchan (이병찬), originaire de Corée du Sud et né en 1987. Ces œuvres évoquent des étranges créatures ondulantes, réalisées en plastique jetable. Elles viennent parasiter symboliquement le corps humain dans des mises en scène photographique ou filmées. Son travail artistique entend rendre visible la matérialité invisible des énergies circulant dans les espaces urbains, traduire la masse urbaine en des formes respirantes. Dans une autre salle de l’exposition montre des vidéos de ces étranges monstres portatifs accrochés au dos des personnes sans qu’ils où elles ne s’en rendent apparemment compte. On imagine ces objets comme des représentations imagées de l’être profond que l’on ne souhaite pas montrer aux autres mais qui finit par transparaître dans toute son évidence (ndlr: l’auteur de ces lignes se demande en ce moment à quoi pourrait ressembler cet appendice extérieur en ce qui le concerne). Cette petite exposition s’intitulait The Vanishing Point of the Ant (アリの消失点) et se déroulait du 26 Avril au 25 Mai 2025 dans la petit galerie Art Front Gallery de Hillside Terrace.

Après son album Flesh sorti le 11 Mars 2025, l’artiste électronique cyber milkちゃん nous propose un long mix d’un peu plus d’une heure intitulé Ambient & Experimental mix with cyber milkちゃん sur sa chaîne YouTube et je l’écoute bien sûr avec attention. On y retrouve l’ambiance indistincte et vaporeuse qu’on pouvait entendre et apprécier sur son album. A la 27ème minute du mix, je crois reconnaître l’instrumental Movement III: Linear Tableau with Intersecting Surprise de Sufjan Stevens sur son album The BQE, morceau que j’adore au plus haut point (ndlr: ce plus haut point serait placé sur une hypothétique hiérarchie musicale qui n’aurait bien sûr qu’assez peu de sens mais qui aurait au moins le mérite de traduire l’enthousiasme ponctuel ressenti). Sauf que dans le mix de cyber milkちゃん, ce morceau est presque irreconnaissable au point où je me demande tout le long de mon écoute s’il s’agit bien de celui-ci. Je lui ai bien demandé, mais seule la divinité Benzaiten (ndlr: divinité bouddhiste japonaise du savoir, des arts dont la musique, entre autres) pourra prédire si elle me répondra un jour. A propos de mix, j’attends avec une certaine impatience le nouvel épisode mensuel de Liquid Mirror d’Olive Kimoto sur NTS Radio, qui aurait dû arrivé à la fin du mois de Mai et qui commence à tarder. Je patiente donc en réécoutant encore l’épisode du 29 Avril 2025, qui est excellent dès les premières minutes avec l’étrange et hypnotisant Xith c. Spray de Lee Gamble qui pourrait nous faire entrer en médiation transcendantale si on n’y criait gare. Ce morceau est tiré de l’album Models sorti en Octobre 2023.

Alors qu’on parlait justement de NTS Radio dans les commentaires d’un précédent billet, mahl me fait remarquer très justement que Yeule y a également sa chaîne avec trois épisodes diffusés cette année dans une série intitulée ALTAR ♱ ELECTRONICA W/ YEULE. Je m’empresse de les écouter en me promenant du côté des quartiers d’Ayase et de Kameari dans le Nord de Tokyo (ndlr: ces lieux seront le sujet d’un prochain billet), alors que j’avais une après-midi entière à passer seul. On n’est jamais vraiment seul lorsqu’on est entouré de bonnes musiques, même si la solitude est un élément indissociable de mes promenades tokyoïtes (ndlr: ceci pourrait également être le sujet d’un billet, plus long peut-être). J’écoute donc les trois épisodes disponibles en ordre antéchronologique, en commençant donc par celui du 28 Février, puis celui du 31 Janvier et finalement le premier épisode du 3 Janvier 2025. Les trois heures d’écoute à la suite ne sont pas de tout repos, car le son y est très abrasif, disruptif et à l’atmosphère très sombre à l’image des photographies accompagnant l’émission prises par le photographe américain Neil Krug. On ne s’ennuie pas car on y trouve beaucoup d’excellents moments, comme par exemple le morceau Ninacamina de l’artiste électronique australienne Ninajirachi avec la productrice américaine Izzy Camina, remixé par le DJ anglais KAVARI. Dans les mixes, on reconnaît parfois mais rarement quelques morceaux de l’électronique mainstream comme le Born Slippy d’Underworld, mais dans une version défigurée par le DJ et producteur américain Cenaceae. Je n’étais pas vraiment surpris de voir dans ces mixes un morceau de Grimes. Il s’agit d’un de ses premiers singles intitulé Genesis (ndlr: et peut-être son meilleur le plus inspiré tant musicalement que visuellement), sauf que le morceau est accrédité au musicien électronique grec Michail Chondrokoukis, sous le nom Apu Nanu, qui le remixe en fait complètement. A ses débuts, je ressentais que Yeule prenait Grimes comme une sorte de modèle, mais elle est désormais partie beaucoup plus loin musicalement. Yeule vient d’ailleurs de sortir son nouvel et quatrième album Evangelic Girl is a Gun, que je pressentais être excellent à l’écoute des trois singles sortis à l’avance. À part ces singles, je trouve malheureusement le reste de l’album en deçà, à la limite un peu fade surtout si on les compare à l’excellent single Evangelic Girl is a Gun qui donne son titre à l’album. L’approche est moins écorchée que sur ses albums précédents et je pense que c’est la raison pour laquelle je le trouve moins intéressant, tout en n’étant pas mauvais pour autant, loin de là. Les trois mixes de NTS Radio sont en comparaison beaucoup plus puissants. Mais comme le fait d’être déçu d’un nouvel album de Yeule me déçoit, je vais certainement entamer une nouvelle écoute qui me fera peut-être changer d’avis.

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J’ai deux billets assez longs en cours d’écriture mais je n’ai pas trop le cœur aux longues écritures en ce moment. Je cherche donc à détourner ma propre attention avec des billets plus courts comme ceux de cette série freeform. Mais comme toujours, mes billets commencent petits mais grandissent plus que je ne l’aurais initialement souhaité. Il faut que je m’efforce à rester succinct. Depuis quelques semaines, j’ai repris les exercices physiques en salle de sport à un rythme de quatre fois par semaine, ce qui me laisse d’autant moins de temps pour l’écriture sur ce blog. La pratique d‘exercices physiques n’est pas source d’inspiration pour l’écriture, mais me devenait nécessaire tout comme ce blog peut l’être. Je ne sais toujours pas exactement quelle est la finalité de Made in Tokyo, mais je le découvrirais peut-être un jour comme une révélation. Il faut pourtant garder en tête qu’un blog reste éphémère et peut s’éteindre si je décide de ne plus payer les frais d’hébergement et de nom de domaine, qui sont en tout non négligeables, d’autant plus que j’ai pendant vingt-deux ans pris le parti de ne pas y intégrer de publicité. Mon questionnement sur la continuation de ce blog se pose d’ailleurs régulièrement au mois de Janvier lorsqu’il faut se décider à renouveler son hébergement. Made in Tokyo est devenu pour moi « too big to fail » dans le sens où j’y ai passé trop de temps pour pouvoir le clore sur un coup de tête. La relative confidentialité de Made in Tokyo me permet en tout cas de continuer sans influence extérieure et je sais qu’une trop forte affluence lui serait néfaste comme le sur-tourisme à Kyoto dont j’entends tant parler. Le sur-tourisme est le sujet préféré de ceux qui ne savent pas regarder ailleurs. Certaines et certains savent cependant regarder ailleurs en toute simplicité. A ce propos, je ne peux qu’encourager la lecture du blog de Sunalee qui nous fait part en ce moment de son voyage à Shimane et Hiroshima, des lieux que je ne connais pas encore. J’aime beaucoup son approche, d’écriture et photographique. J’y ressens un respect humble que je n’ai pas beaucoup lu ailleurs. Et elle nous parle souvent d’architecture sur ses pages, ce qui m’intéresse forcément beaucoup. Son billet le plus récent nous amène à Onomichi, un endroit que j’ai très envie de découvrir depuis quelques années, en fait depuis que j’ai écouté la musique de Meitei (冥丁) qui y vit. Il existe quelques blogs actifs parlant du Japon d’une manière intime et d’une grande qualité. Ils sont rares mais existent.

Je me passionne ces derniers temps pour le magazine AVYSS car il me parle de musiques que j’aime, et en particulier du nouvel EP de Dos Monos intitulé Dos Moons, sorti le 7 Mai 2025. « Junji Itō on the cover » nous rappe le groupe à la fin du premier morceau Gilda. L’illustration de la couverture du EP représentant une femme méduse est en effet signée par Junji Itō (伊藤潤二) et elle est superbe. Les quatre morceaux de Dos Moons sur cet EP sont polymorphes, complètement imprévisibles et mélangeant les genres dans un tourbillon souvent chaotique, comme ça pouvait être le cas sur leur album précédent Dos Atomos qui reste pour moi une sorte de monstre musical particulièrement prenant. Ce nouvel EP n’atteint pas les sommets de Dos Atomos, Hi no Tori par exemple, mais n’en reste pas moins dans la même veine artistique. Il faut se laisser entraîner dans ce tourbillon verbal, ce qui n’est pas forcément facile à la première écoute mais quand on arrive au dernier morceau Oz faisant intervenir du saxophone, on ne peut que se dire que Dos Monos sait brillamment jouer avec les ambiances et les sensations, dans un grand cirque qui n’est pas dénué d’humour. Cet humour là, la puissance des voix rappées du trio et la liberté complète et sans complexe des compositions musicales sont les éléments qui m’attirent à chaque fois chez Dos Monos. Je regrette vraiment d’avoir louper leur concert à Tokyo il y a quelques semaines, mais ça aurait fait un peu trop d’évènements pour ce mois de Mai.

Je continue ensuite avec le hip-hop mais dans des rythmes beaucoup plus cools et apaisés. Je retrouve la rappeuse 7 (Nana) accompagnée par le rappeur MIKADO sur un single intitulé Flyday sorti le 28 Mai 2025. Ces deux rappeurs font partie du groupe de Wakayama (和歌山勢), une jeune scène hip-hop se développant dans la préfecture de Wakayama. Écouter ce morceau me ramène du côté des plages de Shirahama que nous avions été voir l’année dernière et dont je garde un excellent souvenir. Dans le rap japonais, je connaissais le hip-hop de Kawasaki, avec notamment Bad Hop, mais le rap de Wakayama est une belle découverte. Le rap japonais étant un sujet de discussion avec mon fiston, je ne perds pas une occasion de faire de nouvelles découvertes même si ce n’est pas mon domaine de prédilection. En fait, je ne suis plus vraiment sûr d’avoir des domaines musicaux de prédilection et ça serait de toute façon idiot de se limiter à certains genres. Le problème qui s’en suit est que j’ai du coup beaucoup trop de nouvelles musiques à écouter et dont je voudrais parler sur ce blog. Je finis par perdre le fil de ce que j’ai écouté et aimé. Et dire qu’il y a de cela quelques années, je me plaignais de ne pas trouver de musiques japonaises intéressantes. Le Japon est un pays de musiques.

Hier soir, je me déplace exprès jusqu’à la librairie Tsutaya de Ginza6 pour rechercher un livre d’illustration d’Ayako Ishiguro (石黒亜矢子). Il y en a deux et je choisis celui regroupant la deuxième partie de la collection de ses œuvres (作品集其の弐). Je n’ai réalisé que récemment que cette artiste est en fait l’épouse de Junji Itō, et je me suis dit « Oui bien sûr! ». Ce n’est pas qu’il y a une ressemblance de style entre les deux artistes mais une même attirance pour l’étrange qu’il et elle arrivent à transmettre formidablement dans leur illustrations (formidable est étymologiquement emprunté au latin formīdābilis qui signifie formidable et terrible, et dérivé de formido signifiant peur, terreur, effroi). On sait que le couple aime les chats et ils sont souvent représentés dans les illustrations d’Ayako Ishiguro, mais sous la forme de dieux mythologiques. Un très grand nombre des dessins nous ramènent vers des légendes anciennes revisitées. Ces monstres de légendes sont censés nous faire peur mais ils n’en demeurent pas moins mignons et visuellement attachants. Cette dualité est très intéressante et, graphiquement parlant, ce petit livre d’environ 160 pages est vraiment superbe. J’adorerais voir des illustrations de cette artiste dessinées sur les parois coulissantes intérieures d’un temple, un peu comme les dragons du Ryōan-ji à Kyoto. La librairie Tsutaya de Ginza 6 est bien remplie en ce qui concerne les livres d’illustrations japonaises. On y trouve par exemple un grand nombre de livres de Takato Yamamoto, que j’avais découvert en même temps que la musique de Meitei (Notez que comme un chat, je retombe toujours sur mes pieds).

lakeside icecream fever

La Golden Week, qui semble déjà bien loin, nous a fait nous déplacer autour de Tokyo pour des courts voyages d’une journée, partant en général en fin de matinée pour revenir assez tard le soir. Partir en fin de matinée nous a évité la majorité des embouteillages mais revenir le soir reste pénible à toute heure de la journée et de la soirée. Au fur et à mesure des années, j’ai développé une résistance certaine à l’irritation des embouteillages, grâce notamment aux playlists préparées à l’avance qui rendent ces longs trajets un peu plus agréables.

Notre destination était la préfecture de Chiba. Après avoir traversé la baie de Tokyo en empruntant l’autoroute Aqualine, nous arrivons à Chiba par Kisarazu. Nous continuons un peu plus dans les terres sur l’autoroute Ken-O jusqu’au lac Takataki (高滝湖) à Ichihara. Nous avions repéré un restaurant établi dans le coin dans une ancienne maison en bois entièrement renouvelée. Nous avons cherché s’il y avait des hautes cascades autour du lac Takataki mais nous n’y avons trouvé qu’un barrage. Le nom des lieux semble donc être trompeur. Nous décidons d’aller visité l’Ichihara Lakeside Museum, que j’avais d’ailleurs déjà repéré alors que l’on passait dans le coin il y a plusieurs mois ou années. Le musée est placé au bord du lac Takataki, un peu perdu au milieu de la nature ce qui rend l’endroit particulièrement agréable. Le Ichihara Lakeside Museum a été inauguré en 2013 pour célébrer le 50e anniversaire de la ville d’Ichihara. Il s’agit en fait d’une rénovation d’un ancien site culturel nommé Ichihara City Water and Sculpture Hill qui avait ouvert ses portes en 1995. Kawaguchi Tei Architects (カワグチテイ建築計画), désignés suite à un concours d’architecture dirigé par Toyo Ito, a mené cette rénovation en dénudant le bâtiment d’origine de ses matériaux de finition pour ne conserver que la structure en béton. Les espaces de galeries ont été créés en utilisant notamment des plaques d’acier pliées. L’architecture brute du musée est très particulière et non-conventionnelle, comprenant de nombreuses pentes et escaliers, qui proposent un cheminement pour le visiteur. On y présente des expositions d’art contemporain, mais il y a également des ateliers pour les enfants et communautés locales. L’exposition du moment que nous avons donc été voir était dédiée à la ligne locale de chemin de fer Kominato Railway (小湊鉄道線). L’exposition est organisée à l’occasion du 100ème anniversaire de son inauguration en 1925. Cette petite ligne ferroviaire s’étend dans la ville d’Ichihara, de la côte Ouest de la péninsule de Bōsō jusqu’au terminus à Kazusa-Nakano dans la ville d’Ōtaki. L’exposition qui se déroule jusqu’au 15 Septembre 2025 montre les œuvres de divers artistes inspirés par cette ligne de chemin de fer qui est même considérée comme un trésor régional. On connaît l’amour des Japonais pour leurs trains et lignes de chemin de fer, et je peux très bien comprendre ce sentiment. Il se trouve que pendant que nous visitions cette exposition, le fiston empruntait lui cette même ligne pour rentrer plus tôt que nous, et éviter par la même occasion les embouteillages du retour. Outre l’exposition en cours, j’ai apprécié l’architecture qui était malheureusement assez difficile à prendre en photo. Dès l’entrée, on est accueilli par une étrange structure d’arbre à alvéoles appelée Heigh-ho par l’artiste KOSUGE1-16, de son vrai nom Takashi Tsuchiya. Sur le terrain devant l’entrée du musée, on ne peut que remarquer la structure de fer et de verre intitulée Just Landed (飛来) par l’artiste originaire de Sapporo, Katsuyuki Shinohara (篠原勝之). Il y a quelque chose qui m’impressionne dans cette structure datant de 1999, entre parallélisme, obliquité, fragilité du verre par rapport au fer, comme un équilibre fragile et éphémère, mais qui reste pourtant immuable depuis plus de vingt-cinq ans. Alternativement, on pourrait imaginer des blocs de glace censés nous rafraichir des fièvres estivales. Derrière cette structure, se trouve une grande pompe métallique témoignant de l’ancienne utilisation de cet espace.

J’ai finalement regardé sur NetFlix le film Ice cream Fever (アイスクリームフィーバー) que je voulais voir depuis longtemps, depuis la découverte du single Kōrigashi (氷菓子) de Kayoko Yoshizawa (吉澤嘉代子) qui sert de thème musical au film et après avoir aperçu quelques scènes du film lors d’une séance en plein air dans le parc Kitaya de Shibuya en présence du réalisateur. Le film a été réalisé par Tetsuya Chihara (千原徹也), directeur artistique et graphiste dont c’est le premier long-métrage, et est basé sur une nouvelle du même nom (アイスクリーム熱) de Mieko Kawakami (川上未映子). Je savais que j’allais aimé ce film car j’y devinais une grande liberté artistique et je n’ai pas été déçu, en constatant que le cinéaste a mis ses qualités de directeur artistique et de graphiste au profit de son cinéma, créant un objet cinématographique en dehors des conventions habituelles. L’histoire nous parle de personnes dont les destins s’entremêlent. Il y a Natsumi Tsuneda, interprétée par Riho Yoshioka (吉岡里帆), qui met de côté sa carrière dans le design pour devenir gérante d’une boutique de glace à Shibuya. La rencontre avec l’écrivaine Saho Hashimoto, jouée par Serena Motola (モトーラ世理奈) vient bouleverser son quotidien, ce qui laisse perplexe sa collègue Takako Kuwashima interprétée par Utaha (詩羽) de Wednesday Campanella. On suit également l’histoire de Yū Takashima, interprétée par Marika Matsumoto (松本まりか), qui voit également sa vie perturbée par l’arrivée de la fille de sa sœur Miwa, interprétée par Kotona Minami (南琴奈 ). Elle est venue jusqu’à sa tante pour y trouver une aide dans la recherche de son propre père disparu. On également le plaisir de voir à l’écran Kom-I et Kayoko Yoshizawa jouer des petits rôles dans le film. Les deux chanteuses de Wednesday Campanella sont donc réunies dans ce film mais n’ont pas de scène ensemble. Le film a été en grande partie tourné à Ebisu, ce qui fait pour moi partie du plaisir de visionnage car c’est un quartier que je connais très bien. La boutique de glace nommée dans le film SHIBUYA MILLION ICE CREAM près de la station d’Ebisu est en fait le petit café Sarutahiko Coffee, qui est le premier de cette chaîne établie en Juin 2011. On reconnaît également certains lieux comme le parc Tako (タコ公園) à quelques dizaines de mètres du café.

En fait je me suis souvenu qu’il fallait que je vois ce film sorti en 2023 après avoir finalement acheté le livre photographique BACON ICE CREAM du photographe Yoshiyuki Okuyama (奥山由之). C’est un photographe que j’apprécie depuis longtemps notamment pour son approche de la lumière et j’avais l’intention d’acheter ce livre en particulier sans pourtant me décider. J’ai trouvé une réédition récente (la première édition date de 2015) à la grande librairie Maruzen de Marunouchi en face de la gare de Tokyo. J’y passe régulièrement, souvent en coup de vent pour le plaisir de naviguer parmi les rayons. J’avais feuilleté ce livre mais je me suis décidé de l’acheter que le lendemain en revenant exprès dans cette librairie. Pour ce qui est des livres de photographies, j’ai à chaque fois le besoin de mûrir ma décision d’achat, ce qui peut parfois prendre plusieurs mois, mais je ne regrette ensuite pas (Pour Bacon Ice Cream, il m’aura fallu 6 ans). Ce livre est magnifique. Il y a assez peu de portraits mais j’aime beaucoup la manière par laquelle la lumière qu’il saisit vient leur voler la vedette. Les photographies sont parfois abstraites, empruntes d’un quotidien stylisé sans le vouloir. Avec Okuyama, un verre de lait à la fraise renversé dans un café devient magnifique. En fait, un peu comme pour certaines séries de photographies de Kotori Kawashima (川島小鳥), je trouve dans l’oeuvre photographique de Yoshiyuki Okuyama une grande musicalité. C’est très certainement ce qui me parle beaucoup. Cette recherche de la musicalité résumerait même presque tout ce qui m’attire dans diverses formes artistiques. Il y a quelques mois, j’avais découvert un autre livre dans cette même librairie Maruzen. Il s’agit d’un recueil d’illustrations intitulé Guinea Mate publié en Janvier 2025 par l’artiste Gakiya Isamu (我喜屋 位瑳務). Je connaissais en fait cet illustrateur à travers ses dessins pour le groupe PEDRO d’Ayuni D, et j’avais même failli acheter le t-shirt du concert auquel j’avais assisté l’année dernière. Le t-shirt montrait une de ses illustrations mais j’avais été découragé par la file d’attente. Guinea Mate est le premier recueil publié de l’auteur. Il est conçu comme une sorte de bible avec 24 commandements et conseils de vie très personnels. Chaque illustration montre une vision décalée entre fantaisie et étrange, avec l’intervention fréquentes de monstres à la fois mignons et inquiétants. Les illustrations sont pour la plupart basées sur une même jeune fille aux cheveux verts qui semble avoir appris à vivre avec ses tourments, certainement grâce aux conseils de son illustrateur. Gakiya Isamu nous montre un petit monde intime mystérieux qu’on s’amuse à explorer tout en s’interrogeant sur les maux de ce monde.