lakeside icecream fever

La Golden Week, qui semble déjà bien loin, nous a fait nous déplacer autour de Tokyo pour des courts voyages d’une journée, partant en général en fin de matinée pour revenir assez tard le soir. Partir en fin de matinée nous a évité la majorité des embouteillages mais revenir le soir reste pénible à toute heure de la journée et de la soirée. Au fur et à mesure des années, j’ai développé une résistance certaine à l’irritation des embouteillages, grâce notamment aux playlists préparées à l’avance qui rendent ces longs trajets un peu plus agréables.

Notre destination était la préfecture de Chiba. Après avoir traversé la baie de Tokyo en empruntant l’autoroute Aqualine, nous arrivons à Chiba par Kisarazu. Nous continuons un peu plus dans les terres sur l’autoroute Ken-O jusqu’au lac Takataki (高滝湖) à Ichihara. Nous avions repéré un restaurant établi dans le coin dans une ancienne maison en bois entièrement renouvelée. Nous avons cherché s’il y avait des hautes cascades autour du lac Takataki mais nous n’y avons trouvé qu’un barrage. Le nom des lieux semble donc être trompeur. Nous décidons d’aller visité l’Ichihara Lakeside Museum, que j’avais d’ailleurs déjà repéré alors que l’on passait dans le coin il y a plusieurs mois ou années. Le musée est placé au bord du lac Takataki, un peu perdu au milieu de la nature ce qui rend l’endroit particulièrement agréable. Le Ichihara Lakeside Museum a été inauguré en 2013 pour célébrer le 50e anniversaire de la ville d’Ichihara. Il s’agit en fait d’une rénovation d’un ancien site culturel nommé Ichihara City Water and Sculpture Hill qui avait ouvert ses portes en 1995. Kawaguchi Tei Architects (カワグチテイ建築計画), désignés suite à un concours d’architecture dirigé par Toyo Ito, a mené cette rénovation en dénudant le bâtiment d’origine de ses matériaux de finition pour ne conserver que la structure en béton. Les espaces de galeries ont été créés en utilisant notamment des plaques d’acier pliées. L’architecture brute du musée est très particulière et non-conventionnelle, comprenant de nombreuses pentes et escaliers, qui proposent un cheminement pour le visiteur. On y présente des expositions d’art contemporain, mais il y a également des ateliers pour les enfants et communautés locales. L’exposition du moment que nous avons donc été voir était dédiée à la ligne locale de chemin de fer Kominato Railway (小湊鉄道線). L’exposition est organisée à l’occasion du 100ème anniversaire de son inauguration en 1925. Cette petite ligne ferroviaire s’étend dans la ville d’Ichihara, de la côte Ouest de la péninsule de Bōsō jusqu’au terminus à Kazusa-Nakano dans la ville d’Ōtaki. L’exposition qui se déroule jusqu’au 15 Septembre 2025 montre les œuvres de divers artistes inspirés par cette ligne de chemin de fer qui est même considérée comme un trésor régional. On connaît l’amour des Japonais pour leurs trains et lignes de chemin de fer, et je peux très bien comprendre ce sentiment. Il se trouve que pendant que nous visitions cette exposition, le fiston empruntait lui cette même ligne pour rentrer plus tôt que nous, et éviter par la même occasion les embouteillages du retour. Outre l’exposition en cours, j’ai apprécié l’architecture qui était malheureusement assez difficile à prendre en photo. Dès l’entrée, on est accueilli par une étrange structure d’arbre à alvéoles appelée Heigh-ho par l’artiste KOSUGE1-16, de son vrai nom Takashi Tsuchiya. Sur le terrain devant l’entrée du musée, on ne peut que remarquer la structure de fer et de verre intitulée Just Landed (飛来) par l’artiste originaire de Sapporo, Katsuyuki Shinohara (篠原勝之). Il y a quelque chose qui m’impressionne dans cette structure datant de 1999, entre parallélisme, obliquité, fragilité du verre par rapport au fer, comme un équilibre fragile et éphémère, mais qui reste pourtant immuable depuis plus de vingt-cinq ans. Alternativement, on pourrait imaginer des blocs de glace censés nous rafraichir des fièvres estivales. Derrière cette structure, se trouve une grande pompe métallique témoignant de l’ancienne utilisation de cet espace.

J’ai finalement regardé sur NetFlix le film Ice cream Fever (アイスクリームフィーバー) que je voulais voir depuis longtemps, depuis la découverte du single Kōrigashi (氷菓子) de Kayoko Yoshizawa (吉澤嘉代子) qui sert de thème musical au film et après avoir aperçu quelques scènes du film lors d’une séance en plein air dans le parc Kitaya de Shibuya en présence du réalisateur. Le film a été réalisé par Tetsuya Chihara (千原徹也), directeur artistique et graphiste dont c’est le premier long-métrage, et est basé sur une nouvelle du même nom (アイスクリーム熱) de Mieko Kawakami (川上未映子). Je savais que j’allais aimé ce film car j’y devinais une grande liberté artistique et je n’ai pas été déçu, en constatant que le cinéaste a mis ses qualités de directeur artistique et de graphiste au profit de son cinéma, créant un objet cinématographique en dehors des conventions habituelles. L’histoire nous parle de personnes dont les destins s’entremêlent. Il y a Natsumi Tsuneda, interprétée par Riho Yoshioka (吉岡里帆), qui met de côté sa carrière dans le design pour devenir gérante d’une boutique de glace à Shibuya. La rencontre avec l’écrivaine Saho Hashimoto, jouée par Serena Motola (モトーラ世理奈) vient bouleverser son quotidien, ce qui laisse perplexe sa collègue Takako Kuwashima interprétée par Utaha (詩羽) de Wednesday Campanella. On suit également l’histoire de Yū Takashima, interprétée par Marika Matsumoto (松本まりか), qui voit également sa vie perturbée par l’arrivée de la fille de sa sœur Miwa, interprétée par Kotona Minami (南琴奈 ). Elle est venue jusqu’à sa tante pour y trouver une aide dans la recherche de son propre père disparu. On également le plaisir de voir à l’écran Kom-I et Kayoko Yoshizawa jouer des petits rôles dans le film. Les deux chanteuses de Wednesday Campanella sont donc réunies dans ce film mais n’ont pas de scène ensemble. Le film a été en grande partie tourné à Ebisu, ce qui fait pour moi partie du plaisir de visionnage car c’est un quartier que je connais très bien. La boutique de glace nommée dans le film SHIBUYA MILLION ICE CREAM près de la station d’Ebisu est en fait le petit café Sarutahiko Coffee, qui est le premier de cette chaîne établie en Juin 2011. On reconnaît également certains lieux comme le parc Tako (タコ公園) à quelques dizaines de mètres du café.

En fait je me suis souvenu qu’il fallait que je vois ce film sorti en 2023 après avoir finalement acheté le livre photographique BACON ICE CREAM du photographe Yoshiyuki Okuyama (奥山由之). C’est un photographe que j’apprécie depuis longtemps notamment pour son approche de la lumière et j’avais l’intention d’acheter ce livre en particulier sans pourtant me décider. J’ai trouvé une réédition récente (la première édition date de 2015) à la grande librairie Maruzen de Marunouchi en face de la gare de Tokyo. J’y passe régulièrement, souvent en coup de vent pour le plaisir de naviguer parmi les rayons. J’avais feuilleté ce livre mais je me suis décidé de l’acheter que le lendemain en revenant exprès dans cette librairie. Pour ce qui est des livres de photographies, j’ai à chaque fois le besoin de mûrir ma décision d’achat, ce qui peut parfois prendre plusieurs mois, mais je ne regrette ensuite pas (Pour Bacon Ice Cream, il m’aura fallu 6 ans). Ce livre est magnifique. Il y a assez peu de portraits mais j’aime beaucoup la manière par laquelle la lumière qu’il saisit vient leur voler la vedette. Les photographies sont parfois abstraites, empruntes d’un quotidien stylisé sans le vouloir. Avec Okuyama, un verre de lait à la fraise renversé dans un café devient magnifique. En fait, un peu comme pour certaines séries de photographies de Kotori Kawashima (川島小鳥), je trouve dans l’oeuvre photographique de Yoshiyuki Okuyama une grande musicalité. C’est très certainement ce qui me parle beaucoup. Cette recherche de la musicalité résumerait même presque tout ce qui m’attire dans diverses formes artistiques. Il y a quelques mois, j’avais découvert un autre livre dans cette même librairie Maruzen. Il s’agit d’un recueil d’illustrations intitulé Guinea Mate publié en Janvier 2025 par l’artiste Gakiya Isamu (我喜屋 位瑳務). Je connaissais en fait cet illustrateur à travers ses dessins pour le groupe PEDRO d’Ayuni D, et j’avais même failli acheter le t-shirt du concert auquel j’avais assisté l’année dernière. Le t-shirt montrait une de ses illustrations mais j’avais été découragé par la file d’attente. Guinea Mate est le premier recueil publié de l’auteur. Il est conçu comme une sorte de bible avec 24 commandements et conseils de vie très personnels. Chaque illustration montre une vision décalée entre fantaisie et étrange, avec l’intervention fréquentes de monstres à la fois mignons et inquiétants. Les illustrations sont pour la plupart basées sur une même jeune fille aux cheveux verts qui semble avoir appris à vivre avec ses tourments, certainement grâce aux conseils de son illustrateur. Gakiya Isamu nous montre un petit monde intime mystérieux qu’on s’amuse à explorer tout en s’interrogeant sur les maux de ce monde.

Kurkku Fields

Nous voulions visiter Kurkku Fields (クルックフィールズ) depuis plusieurs années et nous nous sommes finalement décidés il y a quelques semaines le temps d’un dimanche après-midi ensoleillé. Kurkku Fields est un vaste espace naturel implanté à Chiba près de Kisarazu, comprenant une ferme biologique durable, des restaurants et café, un petit marché, des œuvres d’art en plein air et des jeux pour enfants. On y trouve même une bibliothèque et un hôtel pour y passer la nuit. L’endroit formant une petite vallée est vraiment très agréable. Depuis le centre de Tokyo, il faut compter environ une heure de route en voiture en traversant la baie de Tokyo par le tunnel et pont Aqualine. En me renseignant sur le lieu avant de prendre la route, je me suis rendu compte que le musicien et producteur Takeshi Kobayashi (小林武史) est en fait le fondateur de Kurkku Fields. C’est une étrange coïncidence de vouloir y aller maintenant après avoir récemment vu et apprécier Kyrie no Uta (キリエのうた) de Shunji Iwai (岩井俊二) dont Takeshi Kobayashi a écrit et composé les musiques. En fait, en y repensant, il me semble qu’un événement lié à ce film avait eu lieu à Kurkku Fields, et c’est certainement ce qui m’a donné l’idée de vouloir y aller. Il s’agissait en fait d’un concert du groupe YEN TOWN BAND ayant eu lieu de 21 Octobre 2023. Ce groupe au nom étrange a été créé à l’occasion du film Swallowtail Butterfly (スワロウテイル) de Shunji Uwai sorti en 1996 dans lequel la chanteuse Chara jouait le rôle principal. Dans le film, Glico (グリコ), interprétée par Chara, forme ce groupe appelé YEN TOWN BAND fondé en réalité par Takeshi Kobayashi qui écrit les musiques du film. Ces musiques sont réunies sur un album intitulé Montage et le morceau Ai no Uta (あいのうた) chanté par Chara lui donnera un énorme succès. Ce n’est pas le premier rôle de Chara dans un film de Shunji Iwai, car elle a également joué dans le film Picnic (1996), que je ne connais pas, avec l’acteur Tadanobu Asano (佐藤忠信) avec qui elle se mariera. Ce modèle de groupe musical fictif créé pour les besoins du film mais qui prend sa propre réalité est tout à fait similaire à ce que Shunji Iwai mettra en place plus tard pour les films All about Lily Chou-Chou (リリイ・シュシュのすべて) avec Salyu comme chanteuse et Kyrie no Uta (キリエのうた) avec AiNA The End (アイナ・ジ・エンド). Takeshi Kobayashi écrit à chaque fois les musiques de ces films et c’est intéressant de constater ces similitudes volontaires dans un concept se répétant de film en film. Le concert à Kurkku Fields incluait YEN TOWN BAND mais également Lily Chou-Chou (avec Salyu) et Kyrie (avec AiNA The End), pour en quelque sorte boucler la boucle de cette trilogie cinématographique dont les films n’ont pourtant aucun lien narratif les uns avec les autres. En regardant d’un peu plus près le nom des membres du YEN TOWN BAND, je constate la présence du guitariste Yukio Nagoshi (名越由貴夫) qui joue très régulièrement pour Sheena Ringo. Takeshi Kobayashi est un des fondateurs de l’organisme sans but lucratif AP Bank, dédié aux projets environnementaux et aux énergies renouvelables, avec le regretté Ryuichi Sakamoto (坂本龍一) et le leader du groupe Mr Children, Kazutoshi Sakurai (桜井和寿). Takeshi Kobayashi est en fait le producteur de Mr Children, ce qui s’explique cette association. AP Bank organise un festival de musique appelé tout simplement AP Bank Fes, et cela depuis 2005. Les éditions récentes se déroulent sans surprise à Kurkku Fields, car ce lieu est un des projets de AP Bank. Le super-groupe Bank Band créé par Kazutoshi Sakurai et Takeshi Kobayashi s’y produit à chaque fois. Et qui est à la basse dans ce groupe Bank Band? Un certain bassiste et producteur nommé Seiji Kameda (亀田誠治). Ça m’étonne vraiment que Sheena Ringo ou Tokyo Jihen n’aient jamais joué à Kurkku Fields, mais je prédis que ça devrait arriver un jour ou l’autre. J’avais beaucoup aimé le single to U de Bank Band avec Salyu à l’époque de sa sortie, et je comprends maintenant un peu mieux l’origine de cette association entre le groupe et la chanteuse, ainsi que l’origine du nom du groupe.

Mais revenons maintenant à Kurkku Fields que nous découvrons pour la premiere fois et qui a ouvert ses portes en 2019. Le plan d’ensemble de cette ferme durable, avec panneaux solaires placés sur des flancs de colline, a été conçu par l’architecte Teppei Fujiwara (藤原徹平), qui a également dessiné certains bâtiments comme celui de la première photographie où se trouve le restaurant où nous avons déjeuné. Une des raisons principales de notre venue était de voir les quelques œuvres d’art placées en extérieur, notamment celles immédiatement reconnaissables de Yayoi Kusama (草間彌生). Les champignons rouges à poids blancs de Yayoi Kusama sont magnifiques lorsqu’ils sont délicatement posés au dessus de l’eau fonctionnant comme un miroir. On trouve une deuxième installation de Yayoi Kusama. Il ‘agit d’un mystérieux cube entièrement couverts de miroirs. On peut entrer à l’intérieur par petits groupes, les uns après les autres. L’intérieur est également couvert de miroirs et de petites lampes multicolores qui s’y reflètent à l’infini comme pour former une galaxie. L’effet est assez saisissant mais est difficile à rendre correctement en photo. Il faut aller voir par soi-même. A quelques dizaines de mètres de là, on trouve une installation de l’artiste et directeur artistique Sebastian Masuda (増田セバスチャン). L’extérieur, ressemblant à une grande cheminée sombre, est d’une sobriété déconcertante. J’ai d’abord eu un peu de mal à imaginer qu’il s’agissait d’une création de l’artiste, figure d’Harajuku, à l’origine des décors et tenues de Kyary Pamyu Pamyu (きゃりーぱみゅぱみゅ) à ses débuts, sur PONPONPON par exemple ou sur le fabuleux Fashion Monster (ファッションモンスター). L’extravagance se trouve en fait à l’intérieur de la cheminée remplie de divers objets de toutes les couleurs ressemblant à des jouets. Parmi les autres œuvres d’art, on trouve une petite statue verte de l’artiste française Camille Henrot et des sculptures étranges me faisant penser à des pieuvres alien par le collectif japonais Chim↑Pom. Ces œuvres d’art sont placées au milieu des champs et vergers et on a parfois un peu de mal à les repérer. Je ne perçois par vraiment les liens entre ces artistes et le choix de ces œuvres en particulier m’intriguent assez. Sur les espaces ouverts, on trouve de grandes tentes et j’imagine que des concerts en plein air doivent se dérouler par ici. Nous ne passerons pas la nuit à l’hôtel, appelé Villa Cocoon, de Kurkku Fields, mais je m’imagine m’y réveiller tôt le matin et marcher dans la fraîcheur de ces espaces sous la lumière naissante. Ce sentiment m’accompagne pendant une bonne partie de notre marche sur les chemins de terre. Nous terminons notre visite par un bâtiment très particulier conçu par l’architecte Hiroshi Nakamura (中村拓志&NAP建築設計事務所). Il s’agit d’une bibliothèque souterraine nommée Library in the Earth contenant environ 3000 livres. L’entrée se révèle derrière des butes de verdure. Un espace circulaire délimite la bibliothèque par des baies vitrées qui semblent s’enfoncer dans la terre. Cette architecture est très intéressante et me fait penser aux bâtiments de la Collina Omihachiman dans la préfecture de Shiga par Terunobu Fujimori. De la même manière, cette architecture semble sortir de l’univers onirique du studio Ghibli.

sous la tente de Chiba

Cette vaste et élégante toiture angulaire est celle de la station routière
Michi no Eki Shōnan Tento (道の駅しょうなん てんと) située dans la ville de Kashiwa à Chiba (千葉県柏市) au bord du lac Teganuma. Cette station routière a ouvert ses portes le 16 Décembre 2021 et a reçu le fameux prix Good Design l’année suivante. On doit la conception de l’ensemble au groupe d’architectes du Studio NASCA. J’avais déjà mentionné NASCA car ce groupe a également travaillé sur une autre station routière où nous sommes allés dernièrement, celle de Hota qui a la particularité d’être basée sur une ancienne école primaire. La hauteur de plafond et l’aspect grandiose de la toiture sont assez impressionnants. J’aime aussi beaucoup le souci apporté aux détails, notamment dans le design des écritures placées à différents endroits de la grande tente métallique. Je voulais voir depuis longtemps cette station routière située à environ une heure de voiture du centre de Tokyo. Comme toujours dans ce genre d’endroits, on y trouve toutes sortes de produits de l’agriculture locale.

La vidéo du morceau de hip-hop Cho Fast se passe peut-être à Chiba? Je n’en sais en fait rien, mais cette possibilité ne m’étonnerait pas. Il s’agit d’un morceau récent d’un certain GOSHI, que je ne connais pas du tout car il s’agirait de sa première réalisation. Mais je reconnais certains des invités en featuring, à savoir Yurufuwa Gang (ゆるふわギャング) qui se compose de Nene et de Ryugo Ishida. J’ai déjà évoqué quelques fois ce duo hip-hop qui se fait remarquer pour son excentricité à la fois vocale et visuelle. La dernière fois était pour un morceau avec HIYADAM. Cette fois-ci, ils sont associés à un autre rappeur Ralph, qui m’est également inconnu. Je connais en fait assez peu cette communauté hip-hop japonaise, bien que le style m’intéresse surtout lorsqu’il s’éloigne des schémas classiques. Ralph a une voix plus sombre et un phrasé rapide qui fait son effet. J’aime beaucoup la liberté et la vitesse de bolide qui se dégage de ce morceau. Précisons quand même que je ne l’ai pas écouté en voiture en rentrant de Chiba.

浮雲のようにわたしを連れ去っていく

L’appel de l’océan se fait parfois sentir et on n’y résiste en général pas très longtemps en partant le week-end, soit vers les côtes du Shonan dans la préfecture de Kanagawa que nous connaissons très bien, soit du côté d’Ibaraki ou à Chiba. Nous nous dirigeons cette fois-ci vers les plages de Chiba au delà de Futtsu. Nous voulions en fait manger des poissons chinchards frits (アジフライ) en regardant la mer, mais le restaurant que nous connaissons près de la station de Takeoka était malheureusement fermé exceptionnellement. Nous filons donc en voiture un peu plus loin vers Kanaya pour trouver heureusement en cours de route un autre restaurant de poissons, reprenant le nom de cette station. Nous voulions ensuite remonter la montagne Nokogiri que nous avions visité il y a plusieurs années, mais il était déjà trop tard.

Notre deuxième étape improvisée a donc été de faire un petit tour voir la station routière (道の駅) Hota qui a la particularité d’être basée sur une ancienne école primaire. Les lieux ont été rénovés par l’atelier d’architecture NASCA. L’école a fermé ses portes après 126 années d’existence et a été reconvertie en un espace de marché de produits frais de la région. On y trouve également plusieurs restaurants et des chambres d’hôtel à l’étage. Le bâtiment existant de l’école a conservé ses salles d’études qui sont devenues en partie des chambres à l’étage. Le couloir central est également conservé mais un deuxième couloir ’engawa’ fonctionnant comme une terrasse longeant toute la longueur du bâtiment a été ajoutée. Elle est soutenue par une infrastructure métallique volontairement envahie par des plantes fleuries. Le marché est installé dans l’ancien gymnase de l’école qui a également vu sa façade rénovée. Une petite forêt de bambous a été installée devant ce marché et un jardin permet de manger à l’extérieur ce qui rend l’endroit très agréable. Cette station routière a d’ailleurs un certain succès, car on l’a déjà vu dans des émissions de télé, et une extension est même en cours de construction.

Nous décidons de rentrer avant le couché du soleil mais il est déjà 17h. Nous sommes Dimanche et prendre la route à cette heure là veut dire que le retour par autoroute sera encombré. On prolonge donc notre plaisir en empruntant plutôt les petites routes qui viennent longer la côte. Le ciel était nuageux toute la journée mais ces nuages flottants se dégagent soudainement pour laisser apparaître le Mont Fuji au loin. Cette vision soudaine demande un arrêt. Les trois dernières photographies ont été prises pendant cet arrêt, dans une zone de repos qui n’en ai pas une, donnant accès à la plage. Un jeune couple était assis à mi-chemin sur les marches descendant vers la plage pour regarder l’océan. Ils avaient l’air de connaître l’endroit.

J’avais brièvement évoqué le groupe Ging Nang Boyz (銀杏BOYZ) pour un album intitulé Kimi to Boku no Dai Sanji Sekai Taisen-teki Renai Kakumei (君と僕の第三次世界大戦的恋愛革命) car l’illustrateur Hisashi Eguchi, dont j’avais été voir l’exposition récemment, en a dessiné l’image de couverture. Plutôt que cet album, je m’oriente vers un autre album de Ging Nang Boyz (銀杏BOYZ) intitulé Ne- Minna Daisuki Dayo (ねえみんな大好きだよ), sorti le 21 Octobre 2020. Il s’agit de l’album le plus récent du groupe et j’ai préféré commencer par celui-là car j’aime vraiment beaucoup la photographie de couverture prise par Kotori Kawashima (川島小鳥). Il s’agit de l’actrice hongkongaise Angela Yuen (アンジェラユン, 袁澧林) qu’on retrouve d’ailleurs récemment comme protagoniste principale de la vidéo du morceau Tokimeki (ときめき) de Vaundy sorti en Mars 2023. Le photographe Kotori Kawashima est notamment connu pour ses photographies de la petite Mirai chan (未来ちゃん) réunies dans un photobook du même nom et il a déjà consacré un photobook entier à Angela Yuen, Violet Diary publié en 2019.

Ging Nang Boyz a été formé en 2003 par Kazunobu Mineta (峯田和伸) suite à la dissolution de son ancien groupe punk rock Going Steady. Mineta semble en fait être actuellement le seul membre permanent de Ging Nang Boyz. On retrouve dans cet album l’esprit punk de son ancien groupe mais principalement sur les deux premiers morceaux qui sont particulièrement bruitistes. Ces deux premiers morceaux DO YOU LIKE ME et SKOOL PILL ont d’ailleurs des débuts assez similaires, très agressifs pour nos oreilles, mais le ton change en cours de route pour revenir vers un chant rock plus structuré. Ce sont d’ailleurs les seuls morceaux punks car le reste de l’album revient vers des terrains rock plus chantant, parfois aux limites du pop rock mais toujours très riches en guitares. Sa manière de chanter doit accrocher les foules en concert, car on aurait envie de l’accompagner au chant. Le morceau Hone (骨) en est un bon exemple et c’est ce morceau qui m’a d’abord fait aimer cet album. Sa composition est simple mais directe, comme la vidéo où on le voit marcher dans une rue commerçante la nuit accompagnée par l’actrice Kumiko Asō (麻生久美子), comme un couple rencontré le soir même et qui vient de tomber amoureux. Ou peut-être est ce l’image d’un couple qui n’a pas perdu ses sentiments d’amour adolescent. Ce morceau avait en fait d’abord été écrit par Mineta pour la chanteuse et actrice Yuko Ando (安藤裕子) et il l’a repris sur son propre album. C’est une version bien différente.

L’album joue avec les ambiances et revient rapidement vers la puissance et le bruit des guitares comme sur le morceau Angel Baby (エンジェルベイビー), mais les sentiments qui s’en dégagent restent simples: l’amour et le rock. J’adore l’immédiateté du rock un peu rétro du morceau Koi ha Eien (恋は永遠) notamment car YUKI (de feu Judy and Mary, mais qui est depuis longtemps en solo) vient accompagner Mineta au chant en deuxième partie de morceau. Son intervention est parfaite car sa voix si particulière s’inscrit naturellement dans le morceau et lui donne soudainement une toute autre dimension. Certains morceaux sont plus atmosphériques comme celui intitulé Otona Zenmetsu (大人全滅). Il s’agit d’une auto-reprise d’un de ses morceaux de l’époque punk de Going Steady. Sa manière lente et pleine de douleur de prononcer les paroles du morceau contraste ensuite avec le reste ressemblant à un hymne qui fait chanter les foules, celui peut-être de l’anéantissement des adultes comme l’indique le titre. Ce qui me fait dire que la musique de Ging Nang Boyz est en fait par moments proche du Seishun Rock (青春ロック), rock abordant le thème de la jeunesse. Mais plus on avance dans l’album, plus on s’éloigne de l’ambiance punk du début. Le long morceau de 12 minutes Ikitai (生きたい) est par exemple un long morceau émotionnel accompagné à la guitare acoustique et au piano où il semble nous raconter l’histoire de sa vie. L’atmosphère de l’album devient tout d’un coup beaucoup plus adulte. La manière dont l’intensité monte au fur et à mesure des 12 minutes du morceau est particulièrement prenante. C’est un album qu’il faut écouter assez fort, comme si on était dans une petite salle de concert sombre de Shinjuku. Musicalement, ce morceau est vraiment réussi, comme la très grande majorité des morceaux de cet album d’ailleurs. L’avant dernier morceau intitulé God save the Wa-rudo (God save the わーるど) est très différent du reste de l’album. Il revient vers des sonorités atmosphériques mais vient introduire un son et un rythme électronique qui ne s’étaient pas manifestés jusqu’à maintenant. Il s’agit également d’un des excellents morceaux de l’album. Ne- Minna Daisuki Dayo ne correspondait à priori pas à mon style de rock de prédilection, mais je suis très content d’avoir fait cette découverte. Je dirais même que cet album prend maintenant une place incontestable dans ma petite discothèque rock japonais. A force de trouver ce genre de pépites, il m’est de plus en plus difficile d’imaginer retourner vers le rock occidental, s’il existe toujours. Le rock est en tout cas en très grande forme au Japon.

le bleu des vagues qui nous attire

Nous sommes attirés par la nature de Chiba pour nos sorties récentes en dehors de Tokyo. Nous allons cette fois-ci dans la ville de Minamibōsō près de Tateyama, se trouvant dans la pointe de la préfecture de Chiba. Minamibōsō a le statut de ville mais la nature est beaucoup plus présente que ce à quoi on peut s’entendre pour une ville. C’est moi qui construisait le programme de cette sortie en totalité, jusqu’au choix du restaurant le midi ce qui est une chose plutôt rare. Le but de notre excursion était d’aller jusqu’au temple Daifuku-ji installé au flanc d’une basse montagne. Cette disposition est assez rare et intéressante. On y monte par un escalier depuis le bâtiment principal. On en profite bien sûr pour récupérer le goshuin du lieu. On ne l’aurait manqué pour rien au monde dans un endroit aussi particulier que celui-ci. Il y a plusieurs années, nous avions visité la montagne Nokogiri où on y extrayait autrefois de la pierre. La montagne de Nokogiri possédait également un temple placé dans un lieu très inhabituel. Le temple Daifuku-ji se trouve au delà de Nokogiriyama, en direction de Tateyama. Nous sommes près de l’Océan Pacifique et la vue est belle et dégagée depuis la dépendance perchée du temple consacrée à la déesse Kannon.

Notre étape suivante était d’aller manger une glace au miel non loin de là, puis d’aller manger du poisson près du port de pêche de Minamibōsō. On commence par le dessert avant le déjeuner, mais ce n’est pas un fait rare chez nous, bien que peu fréquent. J’avais identifié un restaurant de sashimi à une des deux extrémités de la zone portuaire. Nous arrivons sur le grand parking de graviers pour apercevoir rapidement avec une certaine stupeur que derrière les rangées de voitures étaient stationnés une trentaine de motos trafiquées de bosozoku. On ne rebrousse pas chemin car on a faim, et ils ne vont pas nous attaquer de toute manière. Ils sont assis à l’intérieur à côté d’une clientèle plus standard mais semblent avoir terminé leur repas. On les voit sortir les uns après les autres pendant que nous attendons dans l’entrée qu’une table se libère. Ils sont dans l’ensemble jeune, pour la plupart moins de 20 ans, mais il y a quelques personnes plus âgées dans le groupe. Les motos customisées avec des pots d’échappement modifiés, et des sièges arrières à rallonge sont tout à fait dans le style du genre. Ils sont pour la plupart habillés d’une combinaison ouverte sur le torse avec des messages écrits en kanji et éventuellement un médaillon du sigle impérial, et des bottes de cuir semi ouvertes. Quelques unes des motos sont densément décorées, certainement celles des plus anciens du gang, tandis que d’autres semblent n’être qu’au début de leur transformation. Pendant que nous attendons notre place dans le restaurant de poisson, je ne peux m’empêcher de les observer discrètement, l’air de rien (en sifflant presque). J’ai pensé un instant leur demander si je pouvais prendre leurs motos en photo, mais je me suis ravisé en apercevant que certains des membres du groupe avaient des tatouages jusqu’aux avant-bras, ce qui me laissait présager d’un tatouage intégral. Je me suis dis que ce n’était peut être pas une bonne idée de les déranger alors qu’ils étaient déjà bien occupés à faire rugir leurs moteurs. Comme les pots l’échappement sont illégalement modifiés, le bruit est infernal surtout quand ils démarrent tous en groupe. En fait, on était trois personnes à les regarder démarrer depuis la porte ouverte du restaurant. Se voyant observer, j’ai l’impression qu’ils exagéraient même le bruit des moteurs. Faire un boucan infernal fait de tout façon partie de leur rituel de départ. Ils partent de manière ordonnée, en laissant d’abord la place aux quelques motos les plus décorées, ce qui laisse entrevoir une hiérarchie dans le groupe. On les entend pendant longtemps après leur départ. J’ai déjà vu plusieurs fois ce genre de groupe de motards sur le bord de mer du Shonan. On les entendait régulièrement dans la nuit lorsque nous dormions à Ofuna dans la préfecture de Kanagawa, et il m’est déjà arrivé d’en croiser sur une voie rapide. Je ne les jamais vu gêner ou ralentir la circulation, mais je me souviens en avoir vu faire des zigzags sur la route. D’après un de mes anciens billets, ils avaient l’air d’être beaucoup plus présents à Enoshima par exemple il y a quinzaine d’années. Leur nombre dans l’ensemble du pays n’a cessé de diminuer au fur et à mesure des années, d’où ma surprise de les voir aussi nombreux à Chiba. Je me souviens par contre avoir pris ce genre de motos en photo il y a plusieurs années près du lac Kawaguchi, à proximité du Mont Fuji. Elles étaient par contre beaucoup moins nombreuses et leurs conducteurs n’étaient pas dans les environs immédiates. J’avais donc pris quelques photos discrètement, que je montre une nouvelle fois ci-dessous pour illustrer mon propos.

La dernière étape de notre mini périple d’une journée nous amène de l’autre côté du port, où se trouve deux énormes rochers jaillissant de l’océan. La route qui nous y amène est très étroite et on s’est demandé si la voiture pouvait passer entre les rangées de maisons du port. J’ai toujours une crainte de rester coincé dans une rue étroite. Les rues très étroites n’ont rien de bien spécifique à ce quartier et j’ai une certaine habitude de les emprunter à Tokyo. Je sais également à peu près bien dans quelles rues il est préférable de ne pas s’engouffrer. On arrive près du rocher par un petit morceau de route longeant l’océan et on peut se stationner dans l’herbe à proximité. Il n’est que 4h de d’après-midi mais la lumière est déjà basse. On voit quelques maisons couvertes de bâches bleues avec des pierres posées dessus pour empêcher qu’elles s’envolent. Une autre maison tout près des deux rochers à une partie du toit arrachée. Ce sont certainement les dégâts laissés par les deux grands typhons de l’année dernière ayant particulièrement touchés Chiba. Certaines personnalités comme Yoshiki ont fait des donations pour aider les habitants de Chiba. Un peu plus tôt dans le café où nous avons dégusté nos glaces au miel avant le déjeuner, des photos de Yoshiki étaient d’ailleurs disposées sur le comptoir accompagnées de petites poupées Kitty Chan en version rock X Japan. Pour revenir à nos deux rochers sur le rivage, ce sont ceux de Hokkezaki. Un passage est aménagé le long des falaises recouvertes de grillages. On voit que des pierres sont tombées à plusieurs endroits. Par un temps calme comme aujourd’hui, les vagues sont assez fortes et nous éclaboussent presque. J’imagine la rudesse de l’océan lorsqu’un grand typhon approche.

Il est maintenant temps de rentrer et c’est le moment que je maudis à chaque fois. Le retour vers Tokyo le dimanche soir est synonyme de bouchons interminables. Nous regagnons Tokyo par la ligne Aqualine qui passe sous la baie en plongeant dans un tunnel au niveau de Umihotaru. Je savais très bien qu’il ne fallait pas passer par là et plutôt faire le tour de la baie, mais le système de navigation était beaucoup plus optimiste que moi en annonçant un retour en 1h30. Nous avons finalement mis presque 4h en roulant très doucement à certains endroits. Pour nous consoler, alors que nous étions encore sur Chiba et que la nuit tombait, le Mont Fuji nous a fait le plaisir de se dévoiler au dernier moment. Il s’était caché derrière des nuages toute la journée mais s’est finalement montré au dernier moment sous un coucher de soleil. Il m’était malheureusement difficile de prendre des photos en roulant. Cette vue inattendue, que j’imagine inchangée depuis des siècles, nous a donné un peu de courage pour la suite.