君が僕の東京になる

Il m’arrive rarement de boire de l’alcool le midi le week-end (et encore moins les jours travaillés) car je ne sais jamais si l’occasion de conduire se présentera dans la journée et la tolérance est à zéro au Japon. Mais l’occasion se présente de temps en temps, comme ici à Kamata près de la station lors d’un festival appelé tout simplement Oishii Michi (おいしい道) avec tables et stands posés sur la rue avec diverses choses à manger et à boire. La météo était idéale pour passer quelques heures assis dehors sans compter les heures en se laissant emporter par une légère ivresse. Du coup, cette légère ivresse me fait voir des choses inattendues comme des camionnettes vendant des nikuman recouverts de filles à la mode manga poussant les esprits faibles à la consommation, ou comme ces étranges personnages colorés se faisant photographier avec une population enjouée. Sont-ils réels ou issus de mon imagination?

Les photographies suivantes sont prises à l’extérieur et intérieur du musée National Art Center Tokyo (NACT) conçu par Kisho Kurokawa et dont la construction a été terminée en Mai 2006. Kisho Kurokawa est mort l’année suivante, en 2007 au mois d’Octobre à l’âge de 73 ans. Je me souviens l’avoir aperçu plusieurs fois marchant lentement et même péniblement dans le couloir du 13ème étage du building Ark Mori à Tameike Sanno, car je travaillais à cette époque au même étage. J’y repense à chaque fois que je viens voir le building du musée NACT. J’étais venu pour voir l’exposition Interface of Being (真空のゆらぎ) de l’artiste Shinji Ohmaki (大巻伸嗣) qui s’y déroule jusqu’au 25 Décembre 2023 et qu’il serait dommage de manquer. Elle m’avait en tout cas beaucoup inspiré dans l’écriture de mon billet sur les fluctuations du vide qui nous entoure. Ce building est pour sûr très inspirant et nous donne plein d’images en tête. Il doit compter dans la liste des architectures les plus remarquables de Tokyo.

La dernière photographie du billet me fait revenir une nouvelle fois dans le parc central de Nishi-Shinjuku où ont été tournées de nombreuses scènes du film Kyrie no Uta (キリエのうた) du réalisateur Shunji Iwai (岩井俊二) dont une des scènes finales. Je garde encore maintenant de très bons souvenirs de ce film, que j’ai très envie de revoir, même si ça sera désormais sur les plateformes de streaming comme Netflix ou Amazon Prime. Je m’assois plusieurs dizaines de minutes à l’endroit où j’ai pris cette photo. Il y a quelques bancs posés dans la verdure depuis lesquels on peut observer au loin les buildings de Nishi-Shinjuku, notamment la très reconnaissable Mode Gakuen Cocoon Tower de Tange Associates.

J’ai mentionné dans un précédent billet qu’il fallait que je trouve un peu de temps pour aller voir l’exposition Revolution 9 du photographe Takashi Homma (ホンマタカシ) se déroulant jusqu’au 24 Janvier 2024 au Musée de la photographie à Yebisu Garden Place. L’exposition occupe plusieurs salles d’un étage du musée mais ne contient pas un nombre très conséquent d’oeuvres. Le prix du billet d’entrée plutôt réduit pour ce genre d’exposition me laissait en effet présager qu’on devait en faire assez vite le tour. Les photographies de Takashi Homma montrées lors de cette exposition sont toutes autant singulières qu’elles sont inspirantes. La plupart des œuvres sont composées de collages de plusieurs photographies prises au même endroit, mais sans soucis directs de faire des raccords parfaits entre les photographies, pour donner l’illusion d’une photographie gigantesque. Les décalages de tons et de couleurs sont souvent marqués entre deux photographies posées les unes à côté des autres. C’est une approche assez radicale de l’expression photographique, qui m’inspire dans le sens où j’aime de temps en temps également triturer mes photographies pour construire une nouvelle réalité. Du photographe, j’ai toujours en tête le photobook Tokyo and my Daughter que je ne possède pas dans ma librairie personnelle mais auquel je pense de temps en temps, car il m’avait inspiré à une certaine époque où je m’essaie d’une manière similaire à mélanger des photos de ville et d’architecture avec celles de mon fils étant tout petit. L’exposition Revolution 9 est très différente et est même déroutante, car de nombreuses photos sont par exemple positionnées en sens inverse. Le titre de cette exposition serait inspirée par la chanson des Beatles Revolution 9 qui est un collage d’une variété de sources sonores. L’association musicale à la photographie me parle beaucoup. En ce sens là, l’approche photographique de Takashi Homma m’attire toujours et m’interpèle. Elle ne cherche pas à atteindre la beauté esthétique. Une des salles de l’exposition a ses murs tapissés de grands pans photographiques que l’on peut observer à travers un système de miroirs. Je me prends moi-même en photo par inadvertance alors que je pensais plutôt saisir les murs photographiques. On pourra au moins remarquer mon t-shirt de Miyuna que j’aime beaucoup porter ces derniers temps. Au premier sous-sol du musée, on pouvait visiter gratuitement une galerie de photographies proposées par la Tokyo Polytechnic University (東京工芸大学). Cette exposition se déroulant jusqu’au 10 Décembre 2023 s’intitule Integrating Technology & Art through Photography. On peut y voir quelques photos connus comme certaines d’Eikoh Hosoe (細江英公) (dont une de Yukio Mishima de la série BA・RA・KEI / Ordeal by Roses). Cette exposition commémorative retrace l’histoire de l’Université polytechnique de Tokyo, dévoilant les origines de l’enseignement de la photographie au Japon et explorant les relations entre l’Université et le monde de la photographie japonaise à travers les époques. On a vite fait le tour de cette exposition mais elle vaut le détour. Les deux dernières photographies de la série ci-dessus proviennent de cette exposition. Je n’ai malheureusement pas eu la présence d’esprit de noter le nom du photographe de la photographie de droite que j’aime pourtant beaucoup. En fait, Google Lens m’apprend après coup qu’il s’agit d’une photographie prise en 1950 par Kiyoji Ohtsuji (大辻清司) de l’artiste Hideko Fukushima (福島秀子). Cette application Google Lens est assez pratique et elle est apparemment régulièrement utilisée par les visiteurs de ce blog sur mes photos.

Musicalement maintenant, quelques nouveaux singles d’artistes que je suis avec une attention certaine et que j’ai déjà maintes fois évoqué sur ce blog. Je parlais de Miyuna un peu plus haut et elle vient justement de sortir un nouveau titre intitulé Oikakete (追いかけて). Il commence assez doucement puis monte progressivement en intensité comme souvent chez Miyuna. J’aime toujours autant sa voix sur laquelle repose beaucoup la qualité de ce nouveau morceau. C’est un peu similaire pour le nouveau single d’AiNA The End intitulé Diana (華奢な心). Elle est très active en ce moment après une tournée rapide à Londres, WACK in the UK, avec d’autres groupes de l’agence Wack (dont ExWHYZ) et la sortie récente de l’album du film Kyrie no Uta (キリエのうた) dont j’ai déjà parlé. Le collage servant de pochette à ce single a été créé par Ohzora Kimishima (君島大空) qui a décidément de nombreuses qualités artistiques. Le morceau d’AiNA est une ballade qui prend son temps mais s’imprègne très progressivement dans notre inconscient. Je n’aime pas toutes ses ballades mais celle-ci me plaît vraiment beaucoup. AiNA l’avait d’abord présenté dans une session live sur YouTube appelée Room Session (冬眠のない部屋). J’aime aussi beaucoup l’esprit rock indé du nouveau single de PEDRO intitulé Shunkashūtō (春夏秋冬) du nouvel album Omomuku mama ni, Inomuku mama ni (赴くままに、胃の向くままに) qui vient de sortir. Le morceau mise beaucoup sur la composition de guitare d’Hisako Tabuchi avec des parties en riff solo très marquantes. On a l’impression qu’Ayuni ne force pas son chant et chante même quand elle a envie car j’ai toujours l’impression qu’elle manque une partie des paroles d’un couplet à un moment du morceau. J’aime beaucoup ce genre de moments d’interrogation. Comme je le dis à chaque fois, il faut être réceptif à sa voix et à sa manière de chanter. Dans les voix particulières, il y a aussi celle d’a子 qui sort un nouveau single très immédiat et accrocheur intitulé Racy. Le morceau est excellent et rentrera facilement dans la liste de ses meilleurs morceaux. Je me dis parfois qu’il suffirait qu’un de ses morceaux soit utilisé comme thème d’un anime ou drama à succès pour que sa carrière décolle et devienne mainstream. Ce single sera présent sur un nouvel EP intitulé Steal your heart qui sortira le 6 Décembre 2023. Il y a beaucoup de sorties d’albums qui m’intéressent en cette fin d’année car Hitsuji Bungaku sort également son nouvel album 12 hugs (like butterflies) le 6 Décembre. Vaundy a sorti son double album Replica il y a quelques semaines, et vient de passer pour la première fois à Music Station, ce qui parait incroyable. King Gnu vient aussi de sortir son nouvel album The great Unknown cette semaine avec un excellent teaser. Bref, beaucoup d’idée de cadeaux pour Noël, sachant que je ne me suis pas encore procuré le Blu-ray du dernier concert (椎名林檎と彼奴等と知る諸⾏無常) de Sheena Ringo, celui que j’avais été voir cette année. Je suis un peu moins pressé car je l’ai en fait déjà vu et enregistré sur WOWOW.

Dans le billet précédent, je mentionnais que Moeka Shiotsuka (塩塚モエカ) de Hitsuji Bungaku avait inscrit un morceau du groupe rock indé americain Pavement dans la playlist de l’émission radio de Seji Kameda sur J-Wave dont elle était l’invité. Cela m’a donné l’envie irrésistible de revenir vers la musique du groupe, surtout que le morceau que Moeka mentionnait, Date with IKEA, est sur l’album Brighten the Corners de 1997 que je n’avais en fait jamais écouté en intégralité. J’écoute également l’album Wowee Zowee de 1995 qui est plus désorganisé mais qui doit être un de mes préférés du groupe. Deux excellents albums que j’aurais dû écouter il y a 25 ans à l’époque où je n’écoutais presque que ce style de rock alternatif américain. La manière de chanter de Stephen Malkmus est accidentée et n’a rien de conventionnel. Elle a ce petit quelque chose de naturel qui nous donne l’impression qu’il nous parle de son quotidien. Certains morceaux me rappellent un peu musicalement les premiers albums de Beck, notamment Mellow Gold et Odelay sortis à peu près à cette même époque. On y trouve un même bouillon créatif rock qui déborde d’idée mais reste très brut dans son approche. Les morceaux Stereo sur Brighten the Corners et Rattled by the Rush sur Wowee Zowee sont des bons points d’entrée. On peut ensuite se diriger vers des morceaux comme Fight This Generation ou Grounded et se plonger ensuite d’une manière nonchalante dans le discographie complète du groupe.

言葉以上・現実以上

Le retour au rythme tokyoïte sur Made in Tokyo n’est pas aussi facile que je l’imaginais. Le sentiment de fatigue post-Covid m’a poursuivi plusieurs semaines et j’ai par conséquent eu un manque de volonté et d’énergie pour me lancer dans l’écriture de longs billets comme j‘ai pu en écrire jusqu’à présent avant nos vacances en France ou comme je le fais maintenant. Et pourtant, le niveau de fréquentation particulièrement haut du blog pendant le mois d’Août aurait dû me motiver un peu plus. La chaleur estivale infernale avec ces 35 degrés tous les jours de la semaine est peut propice aux promenades photographiques, mais j’ai tout de même marcher près du gymnase de Yoyogi, où des danses Yosakoi (よさこい) ont attiré mon attention. Le Yosakoi est une interprétation moderne de la danse traditionnelle Awa-Odori que l’on peut souvent voir dans les festivals d’été. Plusieurs groupes habillés de tenues différentes dansaient les uns après les autres, d’une manière très dynamique caractéristique du genre, le long de la large allée piétonne séparant le Hall de la NHK du gymnase de Yoyogi. La musique qui accompagne les danses a un côté un peu kitsch mais l’énergie communicative des danseurs et danseuses faisaient plaisir à voir. Ils m’ont en quelque sorte transmis un peu de leur énergie. Bien que je n’ai pas publié de billets pendant ces vacances françaises, ça ne m’a pas empêché de réfléchir à la direction que je devrais donner à ce blog. Je me suis dit que ça n’avait pas beaucoup de sens de montrer des photos de choses et d’endroits que j’ai déjà maintes fois montré et qu’il faudrait que j’y apporte une touche un peu plus personnelle et spécifique à mon style visuel. Il faudrait aussi que je travaille un peu plus la sensibilité des textes qui accompagnent mes photographies pour éviter le descriptif.

Mais cette sensibilité est de toute façon grandement et principalement influencée par la musique que j’écoute. Je me remets lentement mais sûrement à écouter de nouvelles très belles choses musicalement. Quand je me perds dans la direction de ce que je veux écouter, je reviens souvent vers LUNA SEA et cette fois-ci, j’écoute beaucoup l’album Lunacy de 2000. Je l’avais acheté en CD à l’époque et ce n’est pas l’album vers lequel je reviens le plus souvent, ce qui est une erreur car le morceau Gravity est un de leurs meilleurs. J’avais aussi oublié que certains morceaux étaient des collaborations avec DJ KRUSH, comme celui intitulé KISS. Quelques morceaux au milieu de l’album sont particulièrement inspirés, notamment le sublime Virgin Mary. C’est un long morceau de plus de 9 minutes placé exactement au centre de l’album. Ce morceau me rappelle que Ryuchi Kawamura utilise régulièrement des références religieuses, en particulier chrétiennes, dans les paroles de ses morceaux. Il m’est d’ailleurs arrivé plusieurs fois d’être assis à côté de sa femme et de son fils à l’église avec mon grand lorsqu’ils étaient petits dans la même école maternelle. Ryuchi Kawamura ne venait bien évidemment pas. Je n’ai malheureusement jamais pu dire à sa femme toute l’admiration que j’avais pour lui. LUNA SEA est le seul groupe qui fait le lien entre la musique japonaise que j’écoutais en France et celle que j’écoute encore maintenant. Écouter LUNA SEA remet en quelque sorte les pendules à l’heure, pour me permettre de repartir vers d’autres horizons.

Dans ces belles découvertes récentes, il y a le morceau Kikikaikai (器器回回) de Nagisa Kuroki (黒木渚) sorti le 23 Août 2023. Je ne connaissais pas cette compositrice et interprète originaire de la préfecture de Miyazaki dans le Kyūshū. Je la découvre par l’intermédiaire de la photographe et vidéaste Mana Hiraki (平木希奈), que j’ai déjà évoqué plusieurs fois sur ce blog, car elle a réalisé la vidéo de ce morceau. Cette vidéo est très inspirée d’ailleurs, comme peut l’être le morceau. Nagisa Kuroki a fait ses études à Fukuoka, ce qui peut expliquer qu’Hisako Tabuchi (田渕ひさ子) ait joué de la guitare sur certains enregistrements de ses morceaux. Mais Hisako Tabuchi ne joue pas sur le morceau que j’écoute en ce moment. Kikikaikai a une composition brillante, très méthodique avec un flot verbal en escalade. La dynamique du morceau est très prenante et laisse peu de temps au répit sans pourtant être poussive. La dernière minute de Kikikaikai est particulièrement excellente car la densité et la tension vocale deviennent débordantes. C’est un excellent morceau qui se savoure d’autant plus après plusieurs écoutes.

Le morceau asphyxia de Cö shu Nie sur l’album PURE n’est pas récent car il date de 2019, mais l’idée m’est venu de revenir un peu vers la musique de ce groupe après avoir vu plusieurs fois la compositrice et interprète Miku Nakamura (中村未来) sur mon flux Twitter (on dit maintenant X mais je préfère l’ignorer pour l’instant) ou Instagram. Le morceau asphyxia est une sorte d’objet musical non identifié car la voix de Miku et la composition musicale ont toutes les caractéristiques de déconstruction du math rock. On y trouve une grande élégance et inventivité. Le morceau nous trimballe sur différentes voies comme si le train musical déraillait soudainement pour se rattraper de justesse vers une nouvelle direction. Mais le morceau n’en reste pas moins très construit. On peut se demander ce qui passe par la tête de la compositrice pour en arriver à de telles envolées. Sur le même album, j’écoute également Zettai Zetsumei (絶体絶命), car je suis attiré par le titre me rappelant un morceau de Tokyo Jihen. Ce morceau est un peu plus conventionnel et calme qu’asphyxia, mais juste un peu car l’escalade instrumentale est toujours bien présente, pour mon plus grand bonheur, il faut bien le dire. C’est un style musical, un peu comme celui de Ling Toshite Sigure, qui me paraît tout à fait unique au Japon.

L’émission radio du dimanche soir What’s New FUN? de Teppei Hayashi (林哲平) sur InterFm me fait découvrir le rappeur originaire d’Oita Skaai qui y était invité pour une interview. Quelques morceaux de Skaai étaient diffusés, notamment celui intitulé Scene! en collaboration avec Bonbero. Ce morceau de hip-hop en duo est vraiment excellent pour son ambiance sombre et atmosphérique, comme on pourrait en trouver chez DJ KRUSH, et pour les talents vocaux multiples de Skaai. J’adore le hip-hop lorsqu’il part vocalement vers ce genre de terrains mouvants. Je découvre plus tard un autre excellent morceau hip-hop de Skaai intitulé FLOOR IS MINE (featuring BIM, UIN). La voix de Skaai chantant en anglais le refrain me rappelle vaguement un morceau de Red Hot Chili Pepper mais je n’arriverais pas à vraiment dire lequel. Le compte Twitter de Skaai m’indique également une collaboration avec le rappeur coréen nommé 27RING (이칠링) sur un morceau énorme intitulé Brainwashing (세뇌) Ultra Remix tiré de son album 27LIT. Le morceau est énorme car il fait plus de 8 minutes et fait collaborer pas moins de 12 rappeurs prenant la parole les uns à la suite des autres sur une trame commune dense et anxiogène. Je ne connais pas tous ces noms (TAK, Moosoo, DON FVBIO, Ted Park, maddoaeji, Boi B, DAMINI, New Champ, Lee Hyun Jun, Skaai, Asol) qui semblent principalement coréens à part Skaai (qui est en fait moitié coréen, parlant la langue). La puissance de l’ensemble et son agressivité conservant un bon contrôle des phrasés parfois ultra-rapides, m’impressionnent vraiment. Chaque intervention des rappeurs invités est entrecoupée d’exclamations proche du cri de 27RING scandant en coréen dans le texte « Mon cerveau a subi un lavage de cerveau » (세뇌 당했지 나의 뇌). La vidéo très graphique est viscérale et correspond bien à l’ambiance du morceau. Il faut d’ailleurs l’écouter fort dans les écouteurs en regardant la vidéo pour bien s’immerger. Je me sens parfois reconnaissant, envers je ne sais qui ou quoi, de tomber sur ce genre de morceaux qui réveillent mon émerveillement musical.

Je reviens ensuite vers des terrains rock plus connus en écoutant le nouveau single du groupe Hitsuji Bungaku (羊文学) intitulé More than Words. J’aime la voix de Moeka Shiotsuka (塩塚モエカ) qui a un petit quelque chose de particulier et que je trouve très mature sur ce morceau. Dès les premières notes, le son des guitares est très présent, rempli de réverbération, et le rythme de la batterie est extrêmement soutenu. Je suis toujours surpris par la qualité du son qu’il et elles arrivent à sortir à trois. Le son des guitares est ici très spacieux. Ce single est utilisé comme thème de fin de l’anime à succès Jujutsu Kaisen (呪術廻戦), du mangaka Gege Akutami (芥見下々), pour une série intitulée Shibuya Jihen (渋谷事変), à ne pas confondre avec Tokyo Jihen (東京事変). Le thème d’ouverture de ce même anime est un morceau de King Gnu intitulé Specialz (スペシャルズ) qu’il me faudra écouter un peu plus (en tout cas la vidéo est impressionnante). En ce moment, j’écoute aussi deux EPs de Hitsuji Bungaku, à savoir Kirameki (きらめき) sorti en 2019 et Zawameki (ざわめき) sorti en 2020. Je ne connaissais en fait pas ces EPs en entier. En les écoutant, je me prépare en quelque sorte pour le concert à Tokyo Haneda le mois prochain, en Octobre 2023. J’ai très hâte d’aller les voir en live. Je sais déjà que ça rendra bien, pour les avoir vu et entendu en streaming lors de leur passage au festival Fuji Rock, il y a quelques années.

Shinichi Osawa (大沢伸一) de MONDO GROSSO produit le nouveau morceau d’Hikari Mitsushima (満島ひかり) intitulé Shadow Dance. C’est à ma connaissance la troisième collaboration entre les deux artistes. Ce morceau est très beau. L’élégance naturelle d’Hikari Mitsushima déteint forcément sur ce morceau, qui est très délicat, notamment dans ses moments parlés. Ce morceau fait apparemment référence au court métrage publicitaire Kaguya by Gucci, réalisé par Makoto Nagahisa dans lequel Hikari Mitsushima jouait déjà. Pour les plus attentifs, j’en ai déjà parlé plusieurs fois. La qualité de la production musicale de MONDO GROSSO n’est plus à démontrer et je suis toujours très satisfait qu’il travaille avec des artistes que j’aime, comme Daoko, Sheena Ringo, AiNA entre autres. J’aimerais d’ailleurs beaucoup que Sheena Ringo écrive un morceau pour Hikari Mitsushima. Il y a déjà des liens entre les deux. J’ignore par contre complètement le morceau que Sheena Ringo a écrit et composé récemment pour Sexy Zone. Faisons comme si il n’avait jamais existé car il n’est de toute façon pas brillant. Je suis également assez déçu par le nouveau single d’Utada Hikaru (宇多田ヒカル) intitulé Gold (~また逢う日まで~). Le morceau est loin d’être mauvais mais il n’a absolument rien d’original, par rapport à ses morceaux précédents. Je l’ai bien écouté plusieurs fois, mais j’ai beaucoup de mal à m’en souvenir. Elle aurait besoin d’un nouveau souffle et je ne doute pas qu’elle le trouvera, comme ça avait été le cas pour l’album Fantôme. Cet album ne semble d’ailleurs pas être le préféré des amateurs d’Utada Hikaru. C’est pourtant pour moi un des plus intéressants et celui qui m’a fait revenir vers sa musique. Et pour revenir à MONDO GROSSO, quelle plaisir de voir une collaboration avec KAF (花譜) dont je parle aussi assez souvent sur ces pages. Le morceau qui vient juste de sortir s’intitule My Voice (わたしの声). Il mélange habilement des sons classiques de piano et de cordes avec un rythme électronique particulièrement intéressant et la voix immédiatement reconnaissable de la chanteuse virtuelle KAF (qui est une vraie personne représentée par son avatar). Comme je le disais un peu plus haut, les choix artistiques de Shinichi Osawa m’épatent vraiment car ils sont quasiment en adéquation avec les artistes que j’apprécie.

Je ne vous obligerais pas à me suivre sur le dernier morceau sélectionné sur cette petite playlist de fin d’été, car la voix d’Ayuni D n’est pas la plus évidente à apprécier. Mais le nouveau morceau Tondeyuke (飛んでゆけ) de son groupe PEDRO qu’elle forme avec Hisako Tabuchi est vraiment enthousiasmant. En fait, j’aime beaucoup l’ambiance bucolique de la vidéo accompagnant le morceau, et le sentiment de nonchalance estivale qui l’accompagne. La manière de chanter d’Ayuni sur ce morceau, en chuchotant presque la fin de chaque phrase, me plait aussi beaucoup. Et il y a un petit passage de guitare vers la fin du morceau où les sons que dégage Hisako me rappellent Sonic Youth. Ce single et la musique de PEDRO ont apparemment un certain succès. J’étais plutôt surpris d’entendre que Tondeyuke était placé à la 54ème place du classement hebdomadaire Tokio Hot 100 de la radio J-Wave, que j’écoute très régulièrement le dimanche après-midi (de 13h à 17h) lorsque nous sommes en voiture. Après la dissolution de BISH, ça fait plaisir de voir chacune des anciennes membres trouver une nouvelle voix. C’est aussi le cas de CENTCHiHiRO CHiTTiii qui s’est lancé dans une carrière solo sous le diminutif de CENT. Son nouveau single Kesshin (決心) est un rock plutôt classique et j’étais assez surpris de voir que la musique a été composée par Kazunobu Mineta (峯田和伸) de Ging Nang Boyz (銀杏BOYZ).

AiNA The End a une carrière musicale pour l’instant très dense et on pourra la voir bientôt au cinéma sur le nouveau film du réalisateur Shunji Iwai (岩井俊二), Kyrie no Uta (キリエのうた). J’ai très récemment trouvé au Disk Union de Shimokitazawa le CD de la bande originale du film All About Lily Chou Chou (リリイ・シュシュのすべて) sorti en 2001, du même Shunji Iwai. J’avais déjà parlé sur ce blog de la musique du film chantée par Salyu. Le premier morceau intitulé Arabesque (アラベスク), qui accompagne les premières images du film dans les herbes hautes près d’Ashikaga (足利駅) dans la préfecture de Tochigi, est tellement sublime que je le compte volontiers dans la liste des morceaux que je préfère. La force d’évocation émotionnelle de cette musique et de la voix extrêmement sensible de Salyu me donnent à chaque fois des frissons. C’est proche du divin, sans trop exagérer. J’ai du coup revu le film qui m’avait beaucoup marqué la première fois que je l’avais vu. Je suis très curieux des films de Shunji Iwai mais ils ne sont pas disponibles sur Netflix ou Amazon Prime. J’ai quand même vu récemment le film Last Letter (ラストレター) sorti en 2020 basé sur un roman qu’il à écrit lui-même. Beaucoup d’actrices et d’acteurs reconnus jouent dans ce film, comme Takako Matsu, Suzu Hirose, Nana Mori et Masaharu Fukuyama entre autres. La surprise était de voir le réalisateur Hideaki Anno (de Neon Genesis Evangelion) joué un second rôle, celui du mari du personnage joué par Takako Matsu. Que ça soit sur des films ou des drama télévisés, je croise souvent la route de Takako Matsu (松たか子) en ce moment. La dernière fois était sur le drama Quartet (カルテット), dans lequel jouait également Hikari Mitsushima. Tout finit par se reboucler dans mes billets.

飲み込んで東京

Les rues que je montre sur les photographies de ce billet sont bordées d’architecture mais je n’en connais pas toujours l’architecte. Je me dis en prenant les deux premières photographies du billet que c’est une bonne idée de laisser des passants intégrer le cadre même si leurs mouvements parfois incontrôlés car non-linéaires m’obligent à réagir vite, ce qui n’est pas toujours mon fort. Mon temps de réflexion prend malheureusement souvent le dessus sur celui de l’instinct. Ce type de composition apporte une dynamique un peu différente. Le bâtiment blanc de forme massive sur la deuxième photographie me fait penser à une forteresse imprenable. Les fines fenêtres ressemblant à des meurtrières de château fort renforcent cette impression. La forme coupée à l’oblique de sa base donne une certaine élégance à l’ensemble et vient laisser un peu de place pour un étroit bassin dans lequel court un filet d’eau. Cette forme oblique et le petit cours d’eau apportent une certaine délicatesse qui vient adoucir l’impression massive de l’ensemble. Il s’agit du building des éditions Shogakukan (小学館ビル) à Jimbocho, conçu par Nikken Sekkei (日建設計).

Même sous la chaleur intenable de l’été, je marche en ce moment beaucoup pendant les week-ends, au point où j’ai tendance à oublier le parcours que j’ai suivi, ces photographies datant déjà d’il y a plusieurs semaines. La troisième et la cinquième photographie me rappellent que je suis passé par Hitotsubashi. On traverse à cet endroit la rivière Nihonbashi (日本橋川) qui diverge de la rivière Kanda un peu plus haut et vient se déverser dans la rivière Sumida après être passée sous le fameux pont Nihonbashi. Cette rivière a le malheur d’être presqu’entièrement recouverte par l’autoroute circulaire métropolitaine. Un jour peut-être, elle retrouvera un ciel. À Hitotsubashi, juste à côté de la station de métro Takebashi, se dressent les 9 étages du Palaceside building conçu par l’architecte Shoji Hayashi pour les quartiers généraux du journal Mainichi Shimbun. Je le montre sur la cinquième photographie prise depuis le bord des douves du Palais Impérial. La dernière photographie est prise dans un tout autre endroit car il s’agit de Minami Azabu. Je suis souvent passé devant cet élégant bâtiment de verre, sans savoir qu’il s’agissait de l’architecture de Tadao Ando. L’oeuvre d’art disposée au dessus de l’entrée est vraiment étrange. Je n’en connais pas l’artiste mais j’ai lu quelque part qu’il s’agirait probablement d’un hommage au Saut dans le vide d’Yves Klein. Derrière les parois de verre et de béton de ce bâtiment appelé Yuan (游庵), se cache un musée privé contenant la collection d’art contemporain du constructeur Obayashi Corporation. Ce musée n’est pas ouvert au public et on ne sait donc pas ce qu’il contient exactement, mais on y trouverait apparemment des œuvres d’Olafur Eliasson et de Tokujin Yoshioka, entre autres. Cet endroit reste bien mystérieux et on n’en saura pas beaucoup plus tant que ce musée restera fermé au public.

Je ne pensais pas me lancer dans la collection d’anciens magazines musicaux japonais abordant Sheena Ringo, mais on dirait bien que j’ai posé un pied dans cette direction en trouvant soudainement sur Mercari le fameux numéro du mois de Mars 2000 du magazine Sony Music Gb montrant en couverture Sheena Ringo marchant dans les rues d’Ueno en robe de mariée. Ces photographies prises par Meisa Fujishiro sont particulièrement iconiques et je n’ai pu m’empêcher de l’acheter dès que je l’ai vu en vente. Le magazine n’est pas vraiment facilement trouvable et en général beaucoup plus cher que le prix auquel je l’ai trouvé. Le numéro contient 20 pages de photographies à Ueno et 4 pages d’interview par Yuichi Hirayama, couvrant la sortie récente simultanée des deux singles Tsumi to Batsu (罪と罰) et Gips (ギブス) le 26 Janvier 2000, deux mois avant la sortie de son deuxième album Shōso Strip. Il y a d’ailleurs une publicité pour ces deux singles en double page dans le magazine. La série de photographies en robe de mariée se déroule principalement dans le parc d’Ueno et dans la rue commerçante Ameyoko (アメ横). Quand elle était plus jeune, Sheena avait un petit boulot dans un magasin de disques d’Ameyoko et nous dit dans l’interview être passée voir son ancien patron pendant la prise des photos. Je pense qu’une des photos a d’ailleurs été prise dans ce magasin de disques. L’interview ne donne pas d’explication sur le fait qu’elle porte une robe de mariée, mais nous parle assez longuement des deux nouveaux singles: Tsumi to Batsu et Gips. Elle nous explique que Gips est un morceau assez ancien car elle l’a écrit quand elle avait 17 ans, tandis que Tsumi to Batsu est plus récent. Comme elle l’expliquait également dans son émission Etsuraku Patrol, Sheena a d’abord joué ces morceaux en concert l’année précédente (en 1999) et avait même demandé au public d’écrire à la maison de disques pour faire pression pour sortir Tsumi to Batsu en single. Il semble que l’idée de Toshiba EMI était plutôt de sortir Gips en single en Janvier 2000, après Honnou (本能) sorti en Octobre 1999. Elle a finalement obtenu ce qu’elle souhaitait car le morceau est sortie en single en simultané avec Gips. Elle nous dit dans l’interview qu’elle avait d’abord un avis un peu partagé sur son morceau Gips mais que les arrangements de Seiji Kameda lui ont donné un nouvel attrait qu’elle ne soupçonnait pas. Elle insiste beaucoup dans l’interview sur la venue de Kenichi Asai (aka Benji) de Blankey Jet City pour l’enregistrement de la partie guitare de Tsumi to Batsu, le 13 Juillet 1999. Elle lui a apparemment adressé une lettre de fan quelques mois plus tôt pour lui demander de jouer sur ce morceau en insistant bien sur le fait qu’il n’y a que lui qui pourrait jouer dessus. Il faut se rappeler que Sheena est une fan excessive (et même maladive) de Benji à cette époque. Lire Sheena dans cette interview quand elle parle avec enthousiasme de Benji est particulièrement intéressant et amusant. Benji semble avoir accepté assez facilement son offre, car ça transparaît assez clairement qu’ils s’apprécient mutuellement. Sheena le décrit souvent comme une personne qui vit sa musique plutôt qu’il en joue. Elle le dit quelques fois à cette époque mais elle a une passion proche du fétichisme pour les guitaristes, mais l’histoire ne raconte pas jusqu’où ça va. Sur Tsumi to Batsu, je n’avais pas réalisé que les sifflements à la fin du morceau étaient aussi ceux de Kenichi Asai et qu’ils sont différents, plus longs et accentués, sur la version single par rapport à la version de l’album. Dans les crédits sur le livret du single, Sheena mentionne « 恰好良い電気式ギターと歯笛 » (belle et cool guitare électrique et sifflements entre les dents) à côté du nom de Kenichi « Benji » Asai. Je ne connaissais pas cette méthode du sifflement entre les dents plutôt qu’entre les lèvres. Une autre anecdote est que pendant cette session d’enregistrement, Seji Kameda qui assure la basse en plus de la production, Kenichi Asai et Masayuki Muraishi à la batterie se rendent compte qu’ils sont tous les trois du même signe astral chinois, celui du dragon (ils sont tous les trois nés en 1964). Cette coïncidence leur fait dire, en plaisantant très certainement, qu’ils devraient par conséquent monter un groupe. En continuant cette plaisanterie, l’interviewer ajoute qu’ils auraient pu s’appeler les Dragons. Ceci me fait me rendre compte que je suis du même signe chinois qu’eux, mais plus jeune d’un cycle.

L’interview aborde également les morceaux en B-side, notamment Σ sur le single Gips, qu’elle a déjà joué auparavant en concert pendant sa tournée universitaire Manabiya Ecstasy (学舎エクスタシー). Hisako Tabuchi du groupe Number Girl y joue de la guitare. Sheena precise dans Le magazine qu’elles sont amies depuis longtemps (Number Girl est aussi originaire de Fukuoka). Sheena l’appelle même Chako chan (チャコちゃん) dans l’interview (bien qu’elle soit de trois ans son aînée). Sheena lui aurait demandé du jour au lendemain de jouer sur ce morceau ce qu’elle aurait tout de suite accepté. Hisako serait venue en train le lendemain jusqu’à l’appartement de Sheena pour ensuite partir toutes les deux vers le studio. Elle ne le dit pas, bien sûr, dans l’interview mais il est possible qu’elle habitait à Okachimachi (御徒町) à cette période là, lieu qui est d’ailleurs proche d’Ueno et Ameyoko. L’enregistrement de Σ aurait seulement demandé quelques prises ce qui aurait surpris Hisako car elle est habituée aux enregistrements de Number Girl prenant beaucoup plus de temps. Sheena nous donne ce genre de petits détails et anecdotes dans l’interview. En lisant l’interview, j’imagine très bien sa voix nous expliquant tout cela, celle de l’époque, pleine d’une sorte d’excitation et d’énergie un peu naïve de la jeunesse. Sur le même single Gips, j’adore la reprise du morceau Tokyo no Hito (東京の女) du groupe The Peanuts sorti initialement en 1970. J’avais d’ailleurs récemment repris les dernières paroles de ce morceau comme titre de billet. Le morceau 17 présent sur le single Tsumi to Batsu est également ancien, car elle l’a écrit au lycée alors qu’elle venait d’avoir 17 ans. Elle nous dit que les paroles sont restées inchangées depuis cette époque, à part quelques mots qu’elle a remplacé alors qu’elle était en homestay à Londres. C’est à peu près à cette période qu’elle décide de quitter le lycée. Elle a écrit les paroles en anglais car elle appréciait beaucoup la chanteuse Janis Ian à cette époque. L’anglais donne une impression très mature à son chant sur ce morceau (c’était d’ailleurs ce qu’indiquait Ikkyu Nakajima à propos de ce morceau lors d’une interview ). L’autre morceau du single Tsumi to Batsu, Kimi no Hitomi ni Koi shiteru (君ノ瞳ニ恋シテル), est également chanté en anglais car il s’agit d’une reprise du morceau Can’t Take My Eyes Off You écrit par Bob Crewe et Bob Gaudi pour le chanteur Frankie Valli en 1967. Dans l’interview, Sheena nous dit qu’elle aimait en fait chanter la version du chanteur anglais Engelbert Humperdinck. L’interviewer aborde les paroles du morceau Gips en disant qu’elles ont quelque chose d’effrayant, ce qui me rappelle qu’elles font référence à Kurt Kobain en mentionnant directement les prénoms de Kurt et Courtney et en évoquant l’arrivée du mois d’Avril comme un mauvais souvenir (c’était le mois de son suicide en 1994). Sheena a écrit ce morceau un an après sa mort, quand elle avait 17 ans.

L’interviewer Yuichi Hirayama pose ensuite la question du prochain album Shōso Strip qui n’est pas encore sorti au moment de l’interview mais qui sortira dans quelques mois. Elle ne donne en fait pas le titre de l’album dans cette interview mais donne seulement les initiales SS, tout en indiquant qu’il vient après Muzai Moratorium qui avait les initiales MM. Elle ne l’indique pas clairement dans l’interview mais suggère une logique dans le choix des noms d’albums à travers les initiales choisies. Je me demande s’il ne s’agit pas de M pour Masochisme et S pour Sadisme, car on sait qu’elle utilisait souvent ce dernier qualificatif à son propos au début de sa carrière. La suite est plus mystérieuse car elle indique que MM et SS à eux deux font 24 morceaux (11 sur Muzai Moratorium et 13 sur Shōso Strip) et ça a l’air de beaucoup la satisfaire. Elle explique à l’interviewer qu’elle aime les maths et que pour elle, 24, c’est « ハッサンニジューシ » ou à l’inverse « サンパニジューシ ». L’interviewer, un peu perdu dans cette explication, lui dit qu’il ne comprend pas ce qu’elle veut dire et change donc rapidement de sujet. J’aurais bien aimé écouter une version audio de cette interview à ce moment particulier d’incompréhension. Je me suis aussi demandé ce qu’elle voulait dire. J’ai vite compris que « ニジューシ » correspond à 24, le nombre total de morceaux des deux albums, mais pourquoi « ハッサン » pour 83 et « サンパ » pour 38… Ne trouvant pas d’explications logiques, je fais appel au fiston qui, lui, comprend très vite que ça correspond à 8 multiplié par 3 (ハッサン) ou 3 multiplié par 8 (サンパ). Il s’agit apparemment d’un moyen mnémotechnique pour se souvenir des tables de multiplication. Le mystère est peut être résolu mais ce qui m’intéresse quand même beaucoup, c’est que Sheena accorde une importance certaine à ce genre de chose pour ses albums. Ce détail mathématique vient compléter certaines des propriétés arithmétiques et géométriques de l’album Shōso Strip (symétrie des morceaux, durée de 55mins 55sec) que l’on connaît déjà. L’interview ne fait que quatre pages mais il est riche en information, dont un grand nombre que je ne connaissais pas. J’aime surtout les petites anecdotes qui permettent de mieux comprendre la construction d’un morceau qu’on a déjà beaucoup écouté et qui permettent de l’écouter ensuite avec une oreille un peu différente. Le problème qui découle de ce genre de lecture est que j’ai bien peur d’être parti pour rechercher d’autres anciens magazines de cette époque. En attendant, j’irais bien faire un petit tour dans les rues d’Ueno, à Ameyoko, pour voir si j’y trouve la trace du vendeur de disques dans lequel elle aurait travaillé.

Je partage ci-dessous une petite playlist de 8 morceaux à l’esprit rock, se composant exclusivement de morceaux intitulés Tokyo ou 東京. Les trois images ci-dessus sont extraites des vidéos YouTube de trois des morceaux de cette playlist: De haut en bas, PEDRO, Kinoko Teikoku (きのこ帝国) et Kuwata Keisuke (桑田佳祐).

1. Tokyo par SCANDAL
2. 東京 (Ewig Wiederkehren) par Haru Nemuri (春ねむり)
3. 東京 par Kinoko Teikoku (きのこ帝国)
4. 東京 par PEDRO
5. 東京 par Quruli (くるり)
6. TOKYO par Sheena Ringo (椎名林檎)
7. 東京 par Yazawa Eikichi (矢沢永吉)
8. 東京 par Kuwata Keisuke (桑田佳祐)

Allez savoir pourquoi, l’idée m’est soudainement venue de construire une playlist avec uniquement des morceaux de musique japonaise dont le titre est Tokyo (ou 東京). En fait, il y a un morceau de Keisuke Kuwata (桑田佳祐) prenant ce titre que j’écoute régulièrement, une fois de temps en temps quand l’envie me prend soudainement. Il est sorti en 2002 et je me souviens l’avoir acheté en digital peu de temps après sa sortie. Je n’ai pourtant aucune attirance pour la musique de Keisuke Kuwata ni pour celle de son groupe Southern All Stars (サザンオールスターズ), bien qu’il me soit déjà arrivé plusieurs fois quand j’étais plus jeune de chanter en groupe le morceau Tsunami de Southern All Stars. Ce morceau était extrêmement populaire à sa sortie le 26 Janvier 2000 (tiens, le même jour que la sortie de Gips et Tsumi to Batsu). Tokyo de Keisuke Kuwata m’a beaucoup impressionné dès la première écoute, notamment en raison de sa manière de chanter très lente et insistante. Ce morceau accompagnerait bien un film noir avec une histoire d’amour compliquée, car je lui trouve une ambiance de passion toute cinématographique. Le morceau n’a pas, à ma connaissance, été utilisé pour un film mais Kuwata dit lui même de ce morceau qu’il a une atmosphère de drama à suspense (サスペンスドラマ的な雰囲気). Réécouter ce morceau m’a rappelé que j’ai dans ma librairie iTunes plusieurs morceaux prenant le titre de Tokyo, et m’a donc donné envie de faire une petite playlist. On trouve bien entendu dans cette playlist le morceau TOKYO se trouvant en position centrale sur le dernier album de Sheena Ringo, Sandokushi. C’est un de mes préférés sur l’album. L’intensité du chant et la beauté impressionnante de la partition de piano y sont pour beaucoup. Le titre de ce billet est en fait la dernière phrase des paroles de ce morceau. Tout comme sur Tokyo no Hito (東京の女), le morceau se termine sur le mot Tokyo s’allongeant longuement pour évoquer peut être la taille gigantesque de cette ville. Ma playlist est très variée mais a quand même clairement une tendance rock. Elle démarre par un morceau du groupe de filles, originaires d’Osaka, SCANDAL. Le Tokyo de SCANDAL est plein d’une énergie puissante en guitares mais conservant une certaine légèreté dans son approche très pop. Je ne connaissais pas vraiment ce groupe et je découvre ce morceau récemment. Je m’étais toujours dit qu’il s’agissait d’un groupe monté de toute pièce, mais en fait non, les quatre membres de SCANDAL se sont en fait rencontrées au lycée et ont commencé leur carrière musicale en jouant des live de rue avant de se faire rapidement remarquer par un label de rock indé. Le morceau qui suit dans ma playlist est 東京 (Ewig Wiederkehren) par Haru Nemuri (春ねむり). Il est beaucoup plus sombre et introspectif. J’avais déjà parlé de cette version de ce morceau, légèrement différente de l’originale, lorsque je l’avais découvert, il y a quelques années de cela. Il y a dans ce morceau une tension musicale et vocale très forte et prenante, brute et instinctive surtout dans sa deuxième partie et sur le final. Je me demande rétrospectivement si ce n’est pas le morceau que je préfère de Haru Nemuri, peut-être plus que les morceaux de Haru to Shura. J’y trouve une intensité émotionnelle que je ne retrouve pas dans les derniers morceaux qu’elle compose. Ce morceau me rappelle tout l’enthousiasme que j’éprouvais pour la musique de Haru Nemuri à sa découverte. 東京 par Kinoko Teikoku (きのこ帝国) est également un morceau rock indé chargé d’émotions. Je le découvre également récemment alors que j’avais beaucoup écouté les premiers albums du groupe, notamment Eureka, que j’avais déjà évoqué sur ce blog. Chiaki Satō, qui mène le groupe au chant et à la guitare, est une de ces interprètes qui vivent la musique avec passion. On le ressent également sur ce morceau qui est le premier de l’album Fake World Wonderland sorti en 2014. Le 東京 qui suit est interprété par le groupe PEDRO, composé entre autres d’Ayuni D de BiSH à la basse et au chant et d’Hisako Tabuchi à la guitare électrique. J’ai déjà parlé de PEDRO ici. Je n’aime pas tous les morceaux du groupe mais celui-ci me plaît beaucoup. Une des conditions est d’accepter la voix d’Ayuni qui part volontiers vers les aigus. J’aime beaucoup l’atmosphère rock du morceau et les petits sursauts de voix d’Ayuni à la fin des refrains. 東京 par Quruli (くるり) est également un morceau dont j’ai déjà parlé sur Made in Tokyo alors que je découvrais l’album Sayonara Stranger (さよならストレンジャー) sorti en 1999. Comme je l’évoquais précédemment, ce morceau évoque le départ de sa ville natale pour aller vivre à Tokyo en laissant une personne aimée derrière soi. C’est ce qu’on appelle le jōkyō (上京), le départ vers Tokyo, en japonais. Il faut noter que tous les groupes, compositeurs, compositrices et interprètes de cette playlist ont fait ce départ vers Tokyo, ce qui explique certainement ce besoin de prendre Tokyo comme thème d’un morceau. Quruli est par exemple un groupe originaire de Kyoto. SCANDAL, je le mentionnais vient d’Osaka. Haru Nemuri est originaire de Yokohama. Chiaki Satō de Kinoko Teikoku vient de la préfecture d’Iwate. Ayuni D de PEDRO est originaire de Sapporo tandis qu’Hisako Tabuchi vient de Fukuoka, tout comme Sheena Ringo. Keisuke Kuwata est né à Chigasaki dans la préfecture de Kanagawa, tandis que Yazawa Eikichi (矢沢永吉) est originaire d’Hiroshima. Je n’ai pas encore évoqué Yazawa Eikichi dont le morceau Tokyo, datant de 1993, fait également partie de ma petite playlist. Yazawa Eikichi est un monstre sacré au Japon fêtant tout récemment ces 50 années de carrière musicale. Il n’est pas rare d’apercevoir dans tout le Japon des voitures ou des camions décorés d’autocollants du logo de Yazawa. A vrai dire, je n’ai pas l’habitude d’écouter sa musique, mais j’ai tout de suite été saisi par celle-ci. Comme pour le morceau de Keisuke Kuwata, on y ressent une atmosphère cinématographique. Le Tokyo de Yazawa Eikichi a en fait été utilisé pour un drama policier. Je ne suis pas sûr de poursuivre l’écoute avec d’autres morceaux de Yazawa Eikichi, mais j’aime beaucoup le fait que cette petite série prenant pour titre Tokyo, m’a ouvert quelques nouveaux horizons.

雲の中にいるみたいだ

Je repars vers les ombres gagnant le paysage urbain jusqu’à l’effacer presqu’en totalité. J’aime beaucoup travailler l’image jusqu’à la limite où l’on ne peut presque plus identifier ce qu’elle représente. Je joue là encore sur les nuages mais d’une manière beaucoup plus sombre et donc moins lumineuse que la série précédente de compositions photographiques avec d’étranges nuages blancs qui nous entourent. Je suis sans cesse tenté de prendre les nuages en photo et je passe donc en ce moment plus de temps la tête en l’air, que planté à regarder mes chaussures, comme les groupes de shoegazing qui m’inspirent pourtant ce type d’altérations photographiques. Les compositions photographiques de ce billet se promènent du côté d’Odaiba avec le gigantesque robot Gundam qui impressionne par sa taille bien sûr mais également pour son sens du détail. Enfin le sens du détail est ici caché en grande partie par ces nuages envahissants. La première photographie montre un immeuble quelconque sur la rue Meiji en direction de Shibuya. J’aime bien le prendre en photo car il se détache du reste des autres buildings de la rue. Il m’avait inspiré des images maritimes il y a longtemps lorsque je l’avais pris en version floue et légèrement oblique. La deuxième composition photographique nous amène au croisement de Nishi Azabu. Un coursier Uber traverse le carrefour à toute vitesse et je me presse également à le prendre en photo avant qu’il ne s’enfonce dans les nappes de nuages noirs. Mais il y a tellement de coursiers Uber que j’aurais pu prendre en photo le suivant si j’avais loupé celui-ci.

Du haut vers le bas et de gauche vers la droite: Les morceaux エイプリルブル (AprilBlue) du groupe AprilBlue, スーサイド・ガール (Sucide Girl) du groupe SPOOL, デリート (Delete) par ano et 浪漫 (Roman) par le groupe PEDRO.

Il y a quelques points communs entre les quatre pochettes d’albums ou de singles que je montre ci-dessus, que ça soit un focus sur des cheveux plutôt que sur des visages, le cadrage carré, l’emploi de formes rondes ou les coloris dans les tons verts et bleus. J’aime beaucoup ces quatre morceaux et je les écoute très souvent à la suite. Ils ont la particularité d’avoir tous une voix féminine au chant, en général au sein d’un groupe qui peut être mixte. J’ai toujours aimé les groupes mixtes, notamment lorsqu’il y a un duo masculin/féminin au chant, mais je me rends compte que j’écoute principalement de la musique écrite et chantée par des artistes féminines, ces derniers temps. Autant en musique rock occidentale, j’ai plutôt tendance à écouter des groupes avec voix et sensibilité masculines, autant j’éprouve beaucoup plus d’accroche dans la sensibilité féminine du rock japonais. Il y a bien entendu de nombreuses exceptions, mais c’est une tendance que je ressens ces derniers temps. Il y a beaucoup d’exceptions car j’ai énormément d’estime et d’attirance pour des groupes comme Number Girl ou Luna Sea, dans des styles rocks complètement différents et même à l’opposé l’un de l’autre. Quoique Number Girl est bien mixte avec Hisako Tabuchi à la guitare, bien que Shutoku Mukai soit la figure emblématique du groupe. Luna Sea, dans sa période Visual Kei, brouillait les genres en prenant des attitudes androgynes. Le premier morceau en haut à gauche s’intitule エイプリルブル (AprilBlue) et est tiré de l’album Blue Peter du groupe AprilBlue créé par Azusa Suga. Pour ceux qui suivent un peu ce blog, Azusa Suga est également fondateur du groupe For Tracy Hyde dont j’ai évoqué les deux derniers albums New Young City et he(r)art dans des articles précédents. Il écrit aussi des morceaux pour le groupe Ray, sur leur premier album Pink dont je parlais également auparavant. Ce rock indé aux allures pop est écrit et chanté par Haruki Funasoko. Comme souvent sur les morceaux de Suga, j’y trouve une certaine évidence auquel on ne peut échapper. C’est difficile de ne pas se laisser accrocher par cette guitare et par le refrain du morceau. Petit détail qui m’intéresse: le fait que Funasoko chante devant un poster de la pochette de l’album Within and Without de Washed Out sur une série de vidéos faites maison. Voir ce poster me rappelle le sublime morceau Far Away de cet album. Je retrouve ensuite les quatre filles de SPOOL pour leur nouveau morceau intitulé スーサイド・ガール (Sucide Girl). La faute d’orthographe dans la traduction anglaise du titre semble volontaire, ainsi que l’utilisation du mot anglicisé en katakana plutôt que le mot japonais. Les paroles n’ont en fait rien de réjouissant mais ce morceau est superbe, dans l’esprit de ce que je connaissais du groupe sur leur album éponyme. SPOOL est un des groupes de rock indé japonais que je préfère en ce moment. Dans un style différent mais toujours très rock, j’écoute le premier single d’ano, échappée de son groupe d’idoles alternatives au drôle de nom ゆるめるモ! (You’ll melt more!). J’ai déjà un petit peu parlé d’ano sur ce blog, notamment pour sa collaboration avec Towa Tei sur le morceau électronique REM de son album EMO. C’est une personnalité excentrique, voire complètement décalée, comme si elle vivait dans un autre monde. Ceci étant dit, je lui trouve une certaine authenticité que je remarque notamment avec quelques indices: le fait de la voir en photo avec Shutoku Mukai de Number Girl dont je parlais avant, le fait qu’elle accroche les albums Loveless de My Bloody Valentine et Amnesty (I) de Crystal Castles sur le mur de sa chambre, et le fait d’afficher volontairement un album de P-Model dans la vidéo de son premier morceau en tant qu’artiste solo. Je ne connais pas spécialement P-Model, à part de réputation, mais j’adore l’album Technique of Relief de Susumu Hirasawa, fondateur de P-Model. Ce premier morceau intitulé デリート (Delete) bouillonne d’énergie rock, comme si ano avait besoin de dégager un trop plein émotionnel. Le trop-plein se ressent aussi dans la vidéo qui la montre enfoncée dans une chambre remplie d’un bazar à faire pâlir Marie Kondo. Je trouve ce morceau d’ano très beau et prometteur pour la suite si elle continue sur cette même puissance orchestrée de guitares. Le ton est toujours résolument rock mais un peu moins énervé sur le morceau 浪漫 (Roman) de PEDRO. J’en ai déjà parlé sur un billet précédent même j’aime beaucoup écouter ce morceau à la suite de celui d’ano, peut-être parce que comme pour ano, Ayuni semble s’être échappée de son groupe d’idoles (BiSH pour Ayuni, donc) pour aller goûter les joies du rock alternatif avec Hisako Tabuchi de Number Girl à la guitare. J’aurais beaucoup mentionné Number Girl dans ce billet, ce qui veut dire qu’il faudra certainement que je me remette très bientôt à écouter leurs albums.

たった一度の人生ゲームさ

Alors que je mentionnais dans mon dernier billet mon intention de ne pas me concentrer sur le Tokyo insolite, je m’enfonce forcément, mais volontairement, dans la brèche avec quelques unes des photographies ci-dessus pour m’auto-contredire. Il m’arrive souvent sur ce blog d’avoir envie de faire le contraire de ce que je viens d’écrire, tout simplement parce que j’ai la liberté de le faire. Dernièrement, j’avais aussi abordé ce ‘Tokyo insolite’ en montrant ici et sur Twitter des photographies des toilettes publiques transparentes conçues par Shigeru Ban, pour deux petits parcs près de Yoyogi. Je me suis rendu compte que les deux photographies mises sur Twitter ont été reprises sur le site de Cnews le 18 Août, et par ricochet sur quelques sites parfois en anglais ou espagnol. Ça m’amuse d’ailleurs de voir comment le site de news propage des informations inexactes. Le site nous dit par exemple qu’il y a déjà cinq toilettes transparentes à Shibuya et qu’il y en aura bientôt 17, alors qu’il n’y en a que deux et que les autres toilettes ne sont/seront pas transparentes et ont des styles complètement différents (par des architectes différents d’ailleurs). L’article laisse aussi penser que ce projet couvre tout Tokyo, alors qu’il s’agit seulement de Shibuya.

Mais revenons aux photographies sur ce billet. Je connaissais ce King Kong en haut d’un bâtiment rose pour l’avoir déjà vu en photo quelque part mais je ne me souviens plus où exactement. On le découvre par hasard alors que nous partons à la recherche du sanctuaire Taishido Hachiman dans les zones résidentielles de Sangenjaya. Le gorille se trouve dans la rue commerçante principale de Sangenjaya, perpendiculaire à la longue route 246 qui passe à Shibuya et nous amènerait jusqu’à Numazu dans la préfecture de Shizuoka si on la suivait tout le long de ses 122.7kms. Le Maneki Neko et le lapin rose, tous deux gonflables, se trouvent à l’intérieur du sanctuaire Taishido Hachiman. On est surpris par la présence de ces objets insolites qu’on a, il faut bien le dire, peu l’habitude de voir à l’intérieur des sanctuaires, mais dont on ne peut ignorer la présence une fois qu’on les a aperçu. Il doit s’agir de la préparation d’un matsuri pour les enfants, car on voyait également un petit stand en cours d’arrangement juste à côté. Il y a un enclos avec un lapin à l’entrée du sanctuaire. Il est peut être involontairement le symbole de ce lieu. Il n’y avait personne dans le sanctuaire, à part la dame qui nous a donné le sceau Goshuin que nous étions venu chercher et dont je parlais précédemment. Le fait qu’il n’y avait personne dans ces lieux renforçait l’impression d’être observé par toutes choses, notamment par les 21 petits renards Inari (je ne prends pas en compte celui qui regarde à côté) qui sont en charge symbolique de garder l’enceinte du sanctuaire. Un peu plus loin sur la rue commerçante où se trouve le gorille sur le toit, on trouve un bâtiment rouge écarlate placé sur un espace triangulaire minuscule, qu’on pourrait sans aucun doute trouver dans le bouquin Pet Architecture de l’Atelier Bow Wow. Ce petit bâtiment, en plus d’utiliser l’espace de manière optimale, à la particularité d’avoir beaucoup d’ouvertures. Lorsqu’on le voit depuis la rue commerçante, notre regard traverse les parois pour voir l’autre rue en Y bordant le bâtiment. J’imaginerais bien pousser le concept, à la manière de Ryue Nishizawa ou Kazuyo Sejima de SANAA, en rendant ce petit bâtiment complètement transparent, en le couvrant entièrement de vitrages. La dernière photographie ci-dessus est également prise dans une rue à côté du gorille et il s’agit d’un restaurant de soba. La vitrine semble par contre refléter les intérêts cinématographiques du propriétaire avec ces figurines d’Ultraman, Kamen Rider ou encore Godzilla.

Ceci me rappelle que j’ai vu pour la première fois de ma vie un film de la série Godzilla, en regardant sur Netflix le Shin-Godzilla datant de 2016. En réfléchissant un peu, j’ai quand même eu le malheur de voir au cinéma en France la version américaine de Godzilla par Roland Emmerich datant de 1998, avec Jean Reno me semble-t-il. J’ai beaucoup aimé ce Shin-Godzilla, notamment pour son réalisme. Pas le réalisme du monstre bien entendu, mais celui des lieux. Tous les endroits empruntés et détruits au passage par Godzilla sont cités très précisément, de Kanagawa jusqu’à Tokyo. Godzilla arrive par les mers et entre d’abord sur les terres depuis la baie de Tokyo. On le voit évoluer dans sa première forme dans les eaux de la rivière Nomigawa près de Kamata et il déambule ensuite dans les rues de l’arrondissement de Ota que je commence à bien connaître. Il réapparaît ensuite un peu plus tard près de Kamakura juste à côté de Inamuragasaki (que je connais assez bien aussi). Tout en regardant le film, je prie pour qu’il ne remonte pas jusqu’au sanctuaire de Tsurugaoka Hachimangu où nous nous sommes mariés. Il se dirige ‘heureusement’ vers Tokyo jusqu’au centre, près de la gare historique. Je regarde le film en espérant qu’il ne démolisse pas trop de bâtiments en cours de route car je pense tout de suite au travail énorme de reconstruction qui sera nécessaire, mais c’est peine perdue vue la taille du monstre. De toute manière, à partir du moment où il commence à cracher du feu et à émettre des rayons lasers radioactifs de son dos ou de sa gueule, on comprend vite que la ville est entièrement perdue. La déconstruction de Tokyo est un thème récurent du cinéma fantastique japonais, depuis le grand tremblement de terre de Septembre 1923 qui avait presque complètement détruit la ville (par exemple, les destructions et reconstructions de Tokyo en Neo Tokyo dans Akira et en Tokyo-3 dans Evangelion). Un des intérêts du film est la manière dont il se concentre au début sur la gestion de la crise par les organismes gouvernementaux tout en insistant sur la lourdeur administrative de la prise de décision. On arrive assez bien à imaginer cette complexité administrative quand il s’agit par exemple de décider de quel organisme gouvernemental ce type de crise est le ressort, la gestion de crise engendrée par un monstre surdimensionné ne tombant pas dans les schémas classiques déjà préparés et testés d’un tremblement de terre par exemple. Le film ne manque pas d’un certain humour un peu piquant dans ces moments là, ou lorsqu’il aborde la nécessaire invocation de l’aide américaine qui veut bien sûr prendre le sujet en mains d’une manière un peu trop radicale. On a par contre un peu de mal à croire au personnage d’experte japano-américaine interprétée par Satomi Ishihara, dont l’accent américain forcé est à la limite du ridicule. Ses interventions me font quand même penser qu’il s’agit de second degré. Reste à voir maintenant si je tente la version originale de Ishirō Honda datant de 1954, qui semble être disponible sur Amazon Prime (mais pas sur Netflix).

A l’arrière du Department Store PARCO à Shibuya, on pouvait voir affichés sur un des murs les portraits des membres de tous les groupes de l’agence Wack. On peut dire que les idoles alternatives de l’agence occupent le terrain à Shibuya ces derniers temps. La devanture du Tower Records affichent également en ce moment des grands posters des groupes BiS et PEDRO ainsi qu’une double affiche de BiSH et EMPiRE. À côté de ces multiples portraits parfois grimaçants et étrangement habillés de la même manière, une autre affiche nous explique qu’il s’agit d’un événement appelé School of Wack qui se déroulait au PARCO Museum sur un peu plus d’une semaine jusqu’au 31 Août. Sans vraiment comprendre de quoi il s’agit, j’ai l’impression que chaque membre des groupes passe du temps dans une petite salle fermée et bariolée comme une salle de classe vandalisée, pour y faire des jeux ou des gages devant un public très restreint derrière une vitre (à cause du corona virus). Je n’ai pas l’impression que des morceaux soient interprétés, donc cette organisation m’intrigue assez. Indépendamment de cette affiche et de cet événement, j’écoute pas mal de morceaux de groupes Wack en ce moment car je suis happé par leur énergie, mélangeant un certain esprit rock et un côté poussif pop qui m’attire malgré une répulsion initiale. C’est le cas du morceau にんげん (Ningen) de Carry Loose par exemple. Il me paraissait trop typé comme un morceau d’idole à première écoute, mais je tente tout de même une deuxième écoute en entier et me laisse prendre par l’urgence non-stop avec laquelle les quatre filles de Carry Loose mènent la marche. La voix de YUiNA EMPiRE (transfuge temporaire d’EMPiRE) est une épreuve au début, mais un peu comme pour AYUNi D sur BiSH, elle finit par apporter un contraste vocal qui donne de l’intérêt à l’ensemble et à la progression du morceau. En parlant d’EMPiRE, qui est à mon avis en phase ascendante, maintenant que BiSH est pratiquement devenu mainstream, j’ai appris à apprécier leurs morceaux que j’écoute beaucoup en ce moment. Je n’écoute pas leurs albums ou EPs en entier mais j’ai plutôt fait une sélection des morceaux qui m’intéressaient. Ma playlist se compose de quelques morceaux de leur premier album THE EMPiRE STRiKES START!!: FOR EXAMPLE??, Buttocks beat! beat!, コノ世界ノ片隅デ (KONOSEKAiNOKATASUMiDE) et アカルイミライ (Akarui Mirai), suivi de quelques morceaux du EP EMPiRE originals: EMPiRE originals, Dope et SO i YA, tout en écoutant quelques autres morceaux de leur dernier EP en date, notamment le morceau ORDiNARY. Les voix des membres d’EMPiRE sont dans l’ensemble plus uniformes que celles de BiSH, mais j’aime toujours quand il y a quelques dissonances (par exemple la voix de Mikina à la marque 2:20 sur FOR EXAMPLE??). Certains morceaux sont assez proches de ce qu’on connait de BiSH surtout quand ils prennent des sonorités rock, comme par exemple Buttocks beat! beat!. Les membres de BiSH font d’ailleurs des apparitions dans la vidéo tournée à Shibuya (comme souvent) faisant un clin d’oeil à la couverture de l’album FAKE METAL JACKET. Cette vidéo donne d’ailleurs une bonne idée du côté disruptif de cette musique, plutôt que le kawaii qui est en général associé à l’univers des idoles. Le kawaii ne m’intéresse pas beaucoup. Un des morceaux que je préfère du groupe est celui intitulé Dope, avec une manière vraiment particulière de chanter, comme une voix de fantôme sortie d’un ukiyo-e. Ce morceau avec I don’t cry anymore dont je parlais dans un billet précédent, m’a donné envie de fouiller un peu plus dans la discographie d’EMPiRE. Dans ma playlist, j’inclus également le dernier single intitulé 浪漫 (Roman) de PEDRO, le groupe de Ayuni accompagné de Hisako Tabuchi de Number Girl à la guitare. Je ne suis pas certain d’écouter son deuxième album en entier mais j’aime beaucoup ce morceau car elle ne pousse pas trop dans les aiguës. Mais, j’aime bien en général quand elle pousse la voix par passages dans les derniers morceaux de BiSH, notamment sur スーパーヒーローミュージック (Super Hero Music) ou TOMORROW. Ces deux morceaux sont extraits du dernier album LETTERS que je finis par apprécier même si les morceaux que j’ai écouté pour l’instant ne renouvellent pas vraiment le style de ce qu’on a déjà entendu du groupe. La dynamique rend cependant ces morceaux addictifs après quelques écoutes.

Quand je dis mainstream au sujet de BiSH, je veux dire que le groupe est désormais connu du grand public du fait de leurs nombreux passages à la télévision ces derniers temps, même sur la NHK samedi dernier dans l’émission Songs of Tokyo (épisode 13 disponible en ligne jusqu’au 28 Octobre 2020 avec sous-titres en anglais). Je pressens qu’elles seront cette année à l’affiche de l’émission musicale du réveillon, Kōhaku. C’est un pronostic, à moins que la NHK reste frileuse du fait du profil d’électron libre du producteur Junnosuke Watanabe, qui pourrait très bien contrarier l’image bon enfant du spectacle familial que représente Kōhaku. On se souvient du 57ème Kōhaku le 31 Décembre 2006 où OZMA (alias Show Ayanocozey, leader du groupe Kishidan) était accompagné d’une troupe de danseuses ou danseurs portant des t-shirts avec des seins nus dessinés dessus. Une partie du public télévisuel avait été choqué pensant qu’il s’agissait de personnes réellement nues sur scène et cette séquence a eu pour conséquence de radier à vie l’artiste de l’émission. Connaissant la popularité continuelle de Kishidan, il doit s’en mordre les doigts. Il faut dire que passer à Kōhaku au réveillon est vu encore maintenant comme une consécration pour les artistes japonais, au point où on n’existe pas vraiment aux yeux du grand public tant qu’on n’est pas passé dans cette émission. Ajouter un peu d’imprévu dépoussiérait quand même un peu l’émission. Le présentateur habituel, Teruyoshi Uchimura, essaie de temps de se moquer de la rigueur de la chaîne mais ça reste très contrôlé tout en faisant sourire. Je ne critique pas trop NHK car nous la regardons quand même assez régulièrement.

Il y a très souvent des émissions intéressantes sur NHK, comme celle que nous avons vu il y a quelques semaines, à la mi-Août, sur l’Art Brut. L’émission intitulé ‘no art, no life´ présentait le travail de plusieurs artistes avec handicap à travers des petits films de 5 mins, en les montrant en plein processus de création et parmi leur entourage (parents ou établissement spécialisé d’accompagnement pour certains). L’émission était très bien faite car elle ne s’encombrait pas de commentaires superflus. L’émission nous avait tellement plus que nous avions réservé dans la foulée une visite pour le lendemain à la galerie attachée à l’école des Beaux-arts de Tokyo où étaient exposées quelques unes des œuvres de ces artistes d’Art Brut. L’exposition s’intitule ‘Art As It Is: Expressions from the Obscure’. Il se dégage une grande force de ces œuvres, qui surprennent et fascinent. Le détail des œuvres exposées résultant d’un immense dévouement à l’acte de créer, un besoin vital certainement, est à chaque fois impressionnant. L’illustration grand format ultra détaillée sur la photo de gauche est de Makoto Fukui et la sculpture de petit monstre est de Shinichi Sawada. Ce sont deux des artistes que j’ai préféré avec les illustrations de Marie Suzuki.