come back to life in the countryside

En cette journée ensoleillée de Samedi, je marche pendant plus d’une heure et demi jusqu’à la branche de Tokyo du temple Toyokawa Inari (豊川稲荷東京別院) située à Akasaka-Mitsuke. Nous avions visité il y a trois ans déjà le temple principal qui se trouve dans la ville de Toyokawa à l’Est de la préfecture d’Aichi. La branche de Tokyo est beaucoup plus petite que l’immense ‘maison-mère‘ à Toyokawa, mais elle n’en reste pas moins dense, mélangeant les symboles du bouddhisme auquel le temple se rattache et d’autres provenant du shintoïsme comme ces nombreuses représentations du dieu renard Inari. Il s’agissait d’une journée faste et les personnes qui savaient étaient présentes en nombre dans l’enceinte du temple. Il fallait même attendre une trentaine de minutes pour se voir écrire sur son carnet le sceau goshuin du temple. Il fallait également attendre une bonne demi-heure pour pouvoir acheter des Inarizushi (昔ながらいなり寿司) à emporter dans le petit magasin datant de l’ère Meiji, à l’intérieur même de l’enceinte du temple. C’était donc la ‘mission’ du jour qui m’a pris un peu plus de temps que la matinée comme initialement prévu. J’aime en tout ce genre de missions qui me permettent au passage de prendre en photo mon environnement et de le restituer ici.

Le film Cache-cache pastoral (田園に死す) de Shūji Terayama (寺山修司), sorti en 1974, m’a tellement fasciné que je l’ai regardé plusieurs fois et je ne peux m’empêcher de garder en mémoire sur cette page plusieurs images extraites du film. Shūji Terayama (寺山修司) était un poète, écrivain, dramaturge et réalisateur japonais d’avant-garde, provocateur et expérimental. Originaire de la préfecture d’Aomori, il la quittera à l’âge de 29 ans pour Tokyo. Il mourra jeune à l’âge de 47 ans en Mai 1983, mais a laissé derrière lui une œuvre importante dont plus de deux cents livres et une vingtaine de films, dont Cache-cache pastoral. Je suis depuis longtemps intrigué par ce film ou plutôt par sa bande originale composée par le musicien et compositeur de musiques de film J. A. Seazer (J・A・シーザー). On voit également son nom orthographié en Julious Arnest Caesar, mais il s’agit bien entendu d’un nom d’emprunt. Le véritable nom de J. A. Seazer est en fait Takaaki Terahara (寺原孝明). Il collabore avec Shūji Terayama sur de nombreux films jusqu’à la mort de ce dernier. Ce nom des plus étranges m’a d’abord intrigué d’autant plus que je l’ai souvent vu dans les rayons des différents magasins Disk Union de Tokyo, car il est situé juste après Sheena Ringo dans l’ordre de classement alphabétique (à la syllabe シ). J’avais en fait déjà mentionné le nom de J. A. Seazer alors que j’évoquais la vidéo du morceau Ogre du groupe Black Boboi, composé par Utena Kobayashi (小林うてな), Julia Shortreed et Ermhoi. Le danseur nommé Yuta Takahashi (髙橋優太) que l’on voit dans cette vidéo fait en fait partie d’une troupe appelée Engeki-Jikkenshitsu ◎ Ban’yū Inryoku (演劇実験室◎万有引力) qui est dirigée par J. A. Seazer. Il a désormais 75 ans et semble toujours actif au sein de cette troupe. L’ambiance musicale reprenant de nombreux éléments du folklore japonais est une partie intégrante de la force d’évocation et du magnétisme du film de Shūji Terayama. L’histoire de Cache-cache pastoral est de premier abord relativement simple. On nous raconte l’histoire d’un jeune garçon tombant amoureux de sa voisine plus âgée que lui et décidant de partir loin avec elle en laissant sa mère seule derrière lui. Le décor est celui d’un village d’une campagne japonaise semblant très retirée des villes. Mais les choses étranges et imprévisibles sont nombreuses, et ceci dès le tout début du film. Le jeune garçon, comme une grande majorité des personnages du film, a le visage grimé de couleur blanche comme dans le théâtre kabuki. A l’intérieur de la maison familiale sombre dans laquelle le jeune garçon vit avec sa mère, l’horloge est détraquée et sonne toutes les secondes, comme pour représenter l’impatience du jeune garçon d’entrer à l’âge adulte. En dehors du village, se dresse une montagne terrifiante, aride et volcanique, qui est le domaine des exclus. Une femme vêtue d’un yukata rouge y vit. Après la naissance de son bébé, elle descend au village pour le montrer avec fierté à ses habitants. Mais ce nouveau né semble déjà mort né et il est vite considéré comme démoniaque par des sorcières vêtues de noir semblant porter une sagesse ancestrale. Un cirque très étrange est installé près du village. On y devine une débauche et ce domaine de l’interdit attire bien sûr le jeune homme malgré lui. Les liens entre ces scènes, qui à la fois nous attirent et nous repoussent, sont assez flous, comme peuvent l’être des souvenirs qui nous reviennent par morceaux. Chaque plan du film constitue un décor onirique qui est accentué par les tons et couleurs appliqués à la pellicule. Ces images sont belles et fascinantes, souvent difficiles à comprendre. Et soudain le film s’arrête. On comprend qu’on assiste en fait à la projection d’un film en cours de création. Le réalisateur y raconte son histoire lorsqu’il était jeune garçon, mais ses souvenirs sont embellis et il doute de la réalité qu’il met en image. Commence alors un dialogue entre le réalisateur et lui-même lorsqu’il était le jeune garçon de son film. On les voit ensemble sur scène et le réalisateur vient confronter sa mémoire à son moi enfant. Le film reste certes difficile à expliquer, mais outre la réflexion sur le temps et la mémoire, il s’agit surtout d’un film expérience dont la beauté conceptuelle et les sensations ne peuvent pas laisser indifférent. Et écouter la bande originale de J. A. Seazer est un bon moyen de continuer cette expérience.

Cache-cache pastoral (田園に死す) est basé sur une collection de poèmes écrits par Shūji Terayama et contient des éléments autobiographiques sur son enfance. Le village du film se trouve au pied du Mont Osore (恐山) dans la péninsule de Shimokita, dans le préfecture d’Aomori où Terayama est né. Le temple Bodaiji (菩提寺) situé sur cette montagne est d’ailleurs représenté plusieurs fois dans des scènes du film (comme sur l’image extraite ci-dessus). On dit dans le film que la montagne est terrifiante. C’est un qualificatif que l’on donne au Mont Osore (la montagne de la peur) en raison de son terrain volcanique inhospitalier et la forte odeur de soufre qui pénètre l’air. On dit que le Mont Osore est une entrée vers l’autre monde, car son environnement ressemble aux descriptions qui sont faites dans les textes bouddhistes, avec une rivière, Sanzu no Kawa (三途の川), qui doit être traversée par les esprits défunts. Cette rivière est similaire à la rivière Stix dans la mythologie grecque. Pendant un festival annuel au mois de Juillet, ceux qui ont perdu des proches peuvent tenter de communiquer avec les défunts à travers des médiums, des femmes aveugles que l’on appelle Itako. Dans le film Cache-cache pastoral, on voit le jeune garçon tenter de dialoguer avec son père défunt par l’intermédiaire d’une femme Itako sur le Mont Osore. Shūji Terayama a lui-même perdu son père alors qu’il était jeune, à l’âge de 10 ans. Son père est mort en 1945 en Indonésie lors de la Guerre du Pacifique. On reconnait ainsi des correspondances autobiographiques lors de certaines scènes. Le Mont Osore à Aomori est un des hauts lieux du Bouddhisme japonais tout comme le Mont Koya (高野山) dans la préfecture de Wakayama près de Nara et le Mont Hiei (比叡山) dans la préfecture de Shiga. Je garde un souvenir particulier du Mont Hiei perdu dans une brume légère. Lire sur le Mont Osore me donne maintenant très envie de le découvrir, même s’il est très loin de Tokyo.

Terminons avec quelques liens internet pour voir le film Cache-cache pastoral, avec une version japonaise et une autre avec sous-titres anglais. On peut écouter les musiques du film par J. A. Seazer sur une page YouTube. En explorant un peu la discographie de J. A. Seazer, je découvre une couverture illustrée qui m’est tout de suite familière. Un coffret de plusieurs CDs et DVD intitulé Shintokumaru (身毒丸) prend comme couverture une illustration de Takato Yamamoto (山本タカト) prenant le même nom. Elle est visible dans le livre Japonesthétique que j’ai justement récemment acheté. Ce rapprochement inattendu est pour moi très intriguant. J’en parlerais très certainement de ce livre d’illustrations dans un prochain billet.

glass walls and mirror effect

Je me suis rendu jusqu’au quartier de Kioichō (紀尾井町) à vélo pour aller voir le bâtiment des trois premières photographies. Ce élégant bloc de béton entouré de murs de verre, conçu par l’architecte Hiroshi Naito, se nomme Kioiseido (紀尾井清堂). Je l’ai tellement vu en photo dans mon fil de suivi Instagram, principalement orienté architecture japonaise, il faut bien dire, que je n’ai pas résisté à l’envie d’aller le voir de mes propres yeux. On peut apparemment visiter l’intérieur qui est superbe selon les photos que j’ai pu en voir, mais il faut certainement réserver. Le building était de toute façon fermé au moment de mon passage. La fonction du bâtiment est très mystérieuse, tout comme cette partie d’escalier se dégageant soudainement du bloc de béton pour se montrer à l’extérieur. Le béton laissé d’apparence brute se mélange avec des surfaces de bois très élégantes et le verre qui se place comme une surface protectrice. Pendant que je fais le tour du bâtiment à pieds en prenant des photos, la roue avant de mon vélo a la bonne idée de crever. Je ferais donc le chemin du retour à pieds en le poussant d’une main et en prenant des photos de l’autre, en passant devant la grande tour Tokyo Garden Terrace Kioichō (東京ガーデンテラス紀尾井町) et ses fleurs immortelles par l’artiste Shinji Ohmaki (大巻伸嗣), puis en traversant le pont Benkeibashi (弁慶橋) qui surplombe un petit plan d’eau où se sont regroupés quelques pêcheurs. En remontant ensuite la grande avenue d’Aoyama, je vois un des premiers cerisier en fleur devant le sanctuaire Toyokawa Inari.

Précisons que ces photographies ont été prises bien avant le pic de floraison des cerisiers à Tokyo. J’ai également une série de photos de cerisiers en fleurs à montrer sur ce blog, mais j’ai pris un peu de retard dans le rythme de publication de mes billets et la floraison semble déjà être un lointain souvenir que j’oublierais presque. Quelques soucis sur WordPress ne m’ont pas non plus aidé à avancer plus vite et m’ont même contraint à faire une mise à jour de la template du blog. Je ne loupe bien sûr aucune mise à jour de WordPress, mais je suis beaucoup plus hésitant quand aux mises à jour des templates, car cela signifie qu’il faut que je réajuste toutes mes configurations CSS (autres autres). Ceci explique quelques changements comme le lien commentaire près du titre. Je pense que vais le laisser finalement, bien que je pense pas que ça attire plus de commentaires qu’actuellement.

Voir récemment le film Mellow de Rikiya Imaizumi (今泉力哉) dans lequel l’actrice et chanteuse Rie Tomosaka (ともさかりえ) jouait un second rôle m’a rappelé que je n’avais jamais vraiment écouté les morceaux que sa copine Sheena Ringo avait écrit et composé pour elle. Sheena Ringo a écrit plusieurs morceaux pour Rie Tomosaka, dont les plus connus sont Cappuccino (カプチーノ) et Shōjo Robot (少女ロボット). Sheena les a d’ailleurs repris en versions retravaillées plusieurs années plus tard dans les compilations de reprises de ses propres morceaux de la série Reimport (Cappuccino sur Reimport vol.1 逆輸入 〜港湾局〜 en 2014 et Shōjo Robot sur Reimport vol.2 逆輸入 〜航空局〜 en 2017). Rie Tomosaka démarra sa carrière d’actrice en 1992 puis de chanteuse en 1996, deux années avant les débuts de Sheena Ringo. J’imagine que le rapprochement s’est fait car elles sont toutes les deux chez Toshiba Emi et ont à peu près le même âge (Tomosaka a un an de moins). Cappuccino, sorti en single le 27 Janvier 1999, n’est pas le premier morceau que Sheena Ringo a écrit pour une autre chanteuse. Le premier est le morceau Private (プライベイト) qu’elle a écrit pour l’actrice et chanteuse Ryōko Hirosue. Ce morceau est sorti le 7 Octobre 1998 en B-side de son cinquième single intitulé Jeans (ジーンズ), puis sur son album intitulé Private sorti en 1999. Ryōko Hirosue n’est pas à mon avis une grande chanteuse et les arrangements musicaux du morceau sont maintenant un peu datés. J’écoute le morceau comme une curiosité mais je préfère quand même grandement la version que Sheena ré-enregistrera sur Reimport vol.1, qui conserve le pétillant du morceau original mais avec bien entendu la voix de Sheena. Chronologiquement parlant, Private est sorti après les deux premiers singles de Sheena Ringo, Kōfukuron (幸福論) sorti le 27 Mai 1998 et Kabukichō no Jōo (歌舞伎町の女王) sorti le 9 Septembre 1998, mais avant son premier album Muzai Moratorium (無罪モラトリアム) sorti le 24 Février 1999.

Le morceau Cappuccino écrit pour Rie Tomosaka est sorti environ un mois avant Muzai Moratorium, le 27 Janvier 1999. La voix de Tomosaka n’a pas la singularité et la force de celle de Sheena Ringo, mais est tout à fait appréciable. Sheena a en fait écrit au moins 8 morceaux pour Rie Tomosaka. Le single Cappuccino est accompagné d’un autre morceau en B-side, intitulé Mokuren no Cream (木蓮のクリーム) également écrit et composé par Sheena. Ces deux morceaux seront présents avec un autre intitulé Shampoo (シャンプー) sur le deuxième album Murasaki. (むらさき。) sorti le 24 Février 1999, le même jour que Muzai Moratorium. Cette simultanéité, comme un effet miroir, est très intéressante, et ne m’étonne pas beaucoup connaissant Sheena Ringo. Je n’ai pas encore écouté l’album Murasaki. mais j’aimerais bien le trouver (il ne se vend plus au Tower Records et je ne l’ai pas trouvé au Disk Union de Shibuya). Je ne connais que les trois morceaux écris et composés par Sheena, que j’écoute beaucoup ces derniers temps. Le morceau Shampoo est plus léger et je le trouve un peu moins intéressant. Sheena l’a écrit alors qu’elle avait 17 ans et qu’elle était au lycée. On trouve d’ailleurs déjà une version de Shampoo sur ses cassettes démo datant de ses années lycées (ces cassettes démo est un autre sujet sur lequel je reviendrais certainement dans un prochain billet). Les deux autres morceaux Cappuccino et Mokuren no Cream sont par contre très bons. Il faut d’ailleurs noter que ces trois morceaux sont arrangés par un certain Seiji Kameda, qui arrange d’ailleurs la moitié de l’album Murasaki.

J’écoute aussi beaucoup le EP de Shōjo Robot de Rie Tomosaka, sorti le 21 Juin 2000. Sheena Ringo écrit, compose et produit les trois morceaux de cet EP, à savoir le single Shōjo Robot (少女ロボット) et les deux B-side Ikenaiko (いけない子) et Nippon ni Umarete (日本に生まれて). Plutôt que d’utiliser son nom en kanji (椎名林檎), son nom est écrit en katakana dans les crédits (シーナ・リンゴ). C’était également le cas pour les morceaux précédents écrits pour Ryōko Hirosue et Rie Tomosaka, comme pour faire une différentiation avec les morceaux qu’elle interprète elle-même. Sheena avait une certaine habitude à cette époque d’écrire son nom de différentes façons, comme Shéna Ringo. Sheena est également créditée pour les photographies de la couverture du EP, qu’elle a peut-être prise avec son Canon F-1 qui l’accompagne souvent à cette époque. Les deux photos ci-dessus montrent d’ailleurs Sheena Ringo et Rie Tomosaka portant cet appareil à la main. Le EP de Shōjo Robot sort trois mois après le deuxième album de Sheena Ringo, shōso Strip (勝訴ストリップ), et on trouve une grande similarité de style. Je verrais même Shōjo Robot de Rie Tomosaka comme une extension de shōso Strip, tant on y retrouve les mêmes ambiances pleines de distorsion et le mélange hétéroclite de sons. Le style de cet EP contraste avec les morceaux à l’esprit beaucoup plus pop de l’album Murasaki. On sent que Sheena y a très fortement laissé son empreinte, jusqu’au roulement de « r » de Tomosaka à un moment particulier du troisième morceau Nippon ni Umarete. Ce morceau est certainement le plus poignant émotionnellement et c’est ce morceau qui m’a poussé à acheter le EP, trouvé d’occasion sur Mercari pour la modique somme de 350 Yens. En fait, je connaissais déjà ce morceau car Sheena Ringo l’avait interprété dans les rappels de son fabuleux concert Zazen Xstasy (座禅エクスタシー) le 30 Juillet 2000. En relisant le rapport que j’avais écrit sur ce live vu en DVD, je me souviens avoir été impressionné par ce morceau final. Elle a également repris le morceau Ikenaiko lors du concert Gekkō Kuon Taizu (激昂クヲンタイヅ) le 25 Novembre 2000, mais il n’existe pas de vidéo à ma connaissance (seulement une version audio bootleg trouvable sur Internet). Sur les morceaux de cet EP de Rie Tomosaka, Sheena joue du piano au sein d’une formation qu’elle a appelé Ikenai-kotachi (いけない子達 – bad kids), pour reprendre le titre du deuxième morceau. Je trouve d’ailleurs la manière dont elle joue du piano sur le morceau Ikenaiko très distinctive. On devine tout de suite qu’elle est au piano sur ce morceau, mais ça m’a d’abord paru moins évident sur le troisième Nippon ni Umarete, avec son final au piano et guitare plus expérimental. J’ai d’abord cru que Masayuki Hiizumi jouait (H Zett M) sur ce morceau. Outre Rie Tomosaka au chant et Sheena Ringo au piano, le groupe éphémère Ikenai-kotachi se compose également de Hisako Tabuchi (田渕ひさ子) à la guitare, Eikichi Iwai (岩井英吉) à la basse et Rino Tokitsu (時津梨乃) à la batterie. Hisako Tabuchi du groupe Number Girl a fait ensuite partie du groupe Hatsuiku Status (発育ステータス) pour la tournée Gokiritsu Japon (御起立ジャポン) de Sheena Ringo qui a démarré juste après la sortie du EP Shōjo Robot (du 27 Juin au 8 Juillet 2000). Le bassiste Eikichi Iwai avait déjà joué sur la tournée des Universités, appelée Manabiya Ecstasy (学舎エクスタシー) en 1999. Il n’y a pas de vidéos officielles mais une version bootleg de ce concert est visible sur Internet. Rino Tokitsu semble aussi être proche de Sheena à ses débuts après être montée à Tokyo (vers l’âge de 18 ans). Le morceau Shōjo Robot a également été repris par Tokyo Jihen plusieurs années plus tard lors de la tournée Domestic! Just Can’t Help It du 7 Avril au 30 Mai 2005. Bref, on a l’impression que Sheena Ringo a donné à Rie Tomosaka des morceaux qui lui sont chers.

Une vidéo est également sortie pour le single Shōjo Robot, réalisée par Shūichi Banba (番場秀一). Il a réalisé plusieurs autres vidéos pour Sheena Ringo, celles de Gips (ギブス), Mayonaka ha Junketsu (真夜中は純潔), Ringo no Uta (りんごのうた), STEM, Shuraba (修羅場) pour Tokyo Jihen, entre autres. Shūichi Banba est également le réalisateur du film Hyakuiro Megane (百色眼鏡) qui précédait d’un mois la sortie de l’album KSK (加爾基 精液 栗ノ花). La vidéo n’est jamais sortie en DVD et on ne l’a trouve même pas sur YouTube, ce qui est plutôt étonnant. On peut par contre la voir sur le site de vidéos Nico Nico Dōga (ニコニコ動画), mais la qualité de l’image est très moyenne. Sheena Ringo est présente sur cette vidéo. Autour de Rie Tomosaka qui chante, elle joue de tous les instruments. Sur la vidéo comme sur la pochette du EP, conçue par le designer graphique Yutaka Kimura (木村豊) de Central67 (fidèle designer de Sheena Ringo et Tokyo Jihen), on constate la notation des initiales TR/SR qui doit faire référence au nom de Tomosaka Rie (TR) et au titre du EP Shōjo Robot (SR). Mais dans le SR, je ne peux m’empêcher de voir les initiales de Sheena Ringo. L’intérieur du boîtier cartonné du CD contient une photo qui couvre les deux surfaces internes. On peut à peine voir cette photo à moins de découper au ciseau une des arêtes, mais on devine les visages de Rie Tomosaka et de Sheena Ringo. Enfin, je ne suis pas sûr qu’il s’agisse vraiment du visage de Sheena Ringo car j’ai un peu de mal à la reconnaître sauf qu’elle a bien un point de beauté au bon endroit sur le visage. Ces deux photos se faisant face à l’intérieur du boîtier me refont penser à cette image du miroir que je mentionnais auparavant. Cette duplicité est particulièrement intéressante.

no one knows the truth inside me

L’envie me reprend régulièrement de montrer des photographies en noir et blanc pour leur particularité d’intemporalité. Ce sont pourtant ici des photographies digitales récentes. J’ai toujours une pellicule en cours sur le Canon argentique, mais le rythme de progression est malheureusement d’une lenteur qui m’a fait oublié les photos que j’ai pu y prendre jusqu’à maintenant. Montrer des photographies en noir et blanc est aussi une occasion de s’arrêter et de regarder un peu en arrière dans les milliers de photos que j’ai pu prendre jusqu’à maintenant. Je trouve que le noir et blanc convient bien pour cette recherche de photographies plus anciennes car il atténue la temporalité. Elles auraient pu être prises hier comme il y a vingt ans. Et le noir et blanc va bien avec les paysages lumineux, avec le béton, avec certains genres d’architecture. Sur les deux premières photographies, nous sommes dans les montagnes de Hakone pendant la période froide du nouvel an, il y a plusieurs années. L’atmosphère de désolation qui se dégage du béton de la première photographie m’impressionne maintenant alors que j’avais laissé de côté cette photo à l’époque. Les photographies suivantes proviennent du sanctuaire Kashihara Jingu près de Nara et du temple Toyokawa Inari qu’on a visité beaucoup plus récemment. Mais l’idée du noir et blanc s’est aussi imposée en raison de la musique qui va suivre.

L’album The Invitation of the Dead de Tomo Akikawabaya est aussi étrange qu’il est fascinant. Je me suis posé la question de savoir si j’allais en parler sur ce blog, mais j’ai toujours parlé de toutes les nouvelles musiques que j’ai pu découvrir au fur et à mesure des années sans omissions volontaires. L’étrangeté de cet album dans le style darkwave ne vient pas tant des compositions musicales que de la voix et la manière de chanter de son interprète. J’ai toujours été intrigué par les manières inhabituelles de chanter, qui peuvent parfois aller jusqu’à des extrêmes tout en restant dans une certaine forme de grâce voire de délicatesse. La voix de Jun Togawa est un très bon exemple de cela et l’écoute de ses albums solo et des albums avec son groupe Yapoos avait provoqué en moi une longue fascination de plusieurs mois (qui me revient par cycles, certes à moindre dose, quand je réécoute ses morceaux maintenant). Il s’est également produit une sorte de fascination voire même une obsession envers cet album de Tomo Akikawabaya, peut-être parce qu’on sait peu de chose sur cet artiste mystérieux. Le nom de l’artiste, tout d’abord, est étonnant car Akikawabaya sonne japonais mais cette composition de syllabes est soit inexistante en japonais soit particulièrement bancale. Le véritable nom de cet musicien serait en fait Tomoyasu Hayakawa. L’album The Invitation of the Dead est sorti en 2015 sur le label new-yorkais Minimal Wave Records, mais je ne l’ai seulement découvert qu’il y a quelques semaines. Il s’agit en fait d’une compilation d’un album de 8 titres intitulé The Castle sorti en 1984, ainsi que d’un EP de 3 titres intitulé Anju sorti en 1985. La carrière musicale de Tomo Akikawabaya est courte (de 1983 à 1986). Il sort son premier morceau Mars en 1983, morceau qui sera ensuite inclu sur The Castle puis sur la compilation que j’écoute en ce moment. Son dernier opus est un EP de deux titres sorti en 1986 et intitulé Kojiki To Onna. Il n’est étrangement pas inclus sur la compilation. La sortie de cette compilation est de l’initiative du label Minimal Wave Records qui s’était mis en tête de retrouver la trace de cet artiste disparu subitement après avoir laissé derrière lui une musique intemporelle et obscure qui ne laisse pas indifférent.

The Invitation of the Dead démarre par un premier morceau instrumental de 12 minutes intitulé Rebirth. Les nappes électroniques plutôt minimales nous font entrer dans le domaine du rêve. Les premières notes évoquent un espace en désolation avant que ne démarrent les sons de synthétiseur sur des notes simples, répétitives mais étrangement non prédictives. Ces sons possèdent une beauté mystérieuse qui s’imprègne petit à petit dans notre inconscient et nous poussent à partir dans les songes, dans une forme de méditation peut-être. Ce premier morceau est parfaitement représenté par la photographie de couverture de l’album, prise par le photographe Alao Yokogi (横木安良夫). On y voit une femme à la beauté mystérieuse, vêtue de blanc et au visage blanchi, comme un ange sorti d’un paysage aride et mortuaire que je vois représenté par l’épave de bateau sur le rivage. J’y vois une dimension quasiment religieuse, celle d’une renaissance construite sur le chaos. Le morceau s’appelle d’ailleurs Rebirth (renaissance). Ce n’est à mon avis pas un hasard si le modèle qui pose sur cette photographie se nomme Ange (アンジュ). J’ai vu son nom écrit de cette manière en japonais mais son véritable nom est Rena Anju (安珠玲永) et elle se fait plus communément appelée Anju. Elle était pendant ces années là mannequin haute-couture et défilait à Paris (パリコレ) pour Kenzo, Jean-Paul Gaultier par exemple. Elle revient ensuite au Japon dans les années 90 pour devenir photographe et il s’agit de la profession qu’elle exerce encore maintenant. Ce qui est troublant, c’est que Anju est l’unique modèle qui pose sur toutes les couvertures des disques de Tomo Akikawabaya, sauf sur le dernier Kojiki To Onna qui a une couverture dessinée représentant une femme en kimono qui pourrait très bien représenter Anju. Un des EPs se nomme également Anju. Bien que les paroles des morceaux toutes en anglais soient difficiles à comprendre entièrement, j’ai lu quelque part qu’elle y serait souvent évoqué. Sur la photo de couverture d’albums, Anju porte une robe créée par Tomo Akikawabaya. Les relations entre les deux personnes sont mystérieuses mais on imagine bien que Anju était une inspiration primordiale de son œuvre musicale, une muse peut-être. On ne sait rien cependant des connections exactes qui existaient entre eux, ni s’il y a une quelconque relation avec la fin soudaine de sa carrière musicale. Toujours est il que l’on ne peut pas dissocier la musique de The Invitation of the Dead de l’image mystérieuse de Anju qui l’accompagne. Cette photographie de couverture intervient directement dans l’appréciation de la musique de l’album, ce qui est chose assez rare pour le noter. Anju apparaît également aux côtés d’autres artistes électroniques de l’époque et pas des moindres car elle est un des personnages principaux du film musical PROPAGANDA du Yellow Magic Orchestra (YMO) que j’ai regardé avec une curiosité interrogative. On la voit également en photo aux côté de Ryuchi Sakamoto à l’époque du YMO, sur une photo prise par le même photographe Alao Yokogi. Son compte Instragram montre d’ailleurs quelques autres photographies tirées de PROPAGANDA (1, 2, 3) ainsi qu’autres séries de photographies de Anju.

Image du modèle Anju extraite du film PROPAGANDA du Yellow Magic Orchestra (YMO).

Le deuxième morceau de l’album The Invitation of the Dead est le premier single Mars qu’il a sorti en 1983. Ce morceau contraste beaucoup avec le premier morceau instrumental de l’album car il est chanté par Tomo Akikawabaya, comme d’ailleurs tous les autres morceaux qui suivent. Sa manière de chanter est pour le moins particulière et en rebutera certainement beaucoup. On devine une poésie dans ses mots, quelque chose d’intime, d’existentiel et de désespéré certainement, mais la signification reste très obscure car difficilement compréhensible. Sa manière de chanter est aussi assez difficile à décrire, teintée de romantisme, entre parlé et envolée mélodique, ce qui donne une approche parfois un peu rugueuse qui vient contraster avec la fluidité musicale. L’ambiance des paroles est sombre tout comme l’est la composition musicale. Les morceaux se ressemblent beaucoup dans le sens où ils évoluent dans une continuité jusqu’à l’apogée du huitième morceau Sleeping Sickness (qui est également le dernier morceau de l’album The Castle). Sleeping Sickness est d’une beauté pénétrante, comme nombre de morceaux de cet album d’ailleurs. Les sons sont marqués des années 80 mais garde une certaine intemporalité. J’ai parfois le sentiment d’y trouver une ressemblance avec les musiques d’Angelo Badalamenti sur Twin Peaks (pourtant sorti bien après les albums de Tomo Akikawabaya) et, sans qu’il n’y ait de ressemblance musicale, cette musique m’évoque également Unknown Pleasure de Joy Division. J’y trouve peut-être une même force dévastatrice. Le morceau le plus difficile d’accès de l’album est très certainement Diamond, toujours en raison de son interprétation au chant. Il y a pour moi quelque chose d’entêtant dans ce morceau qui me pousse à y revenir sans cesse, une sorte d’addiction subtile qui se développe dans notre subconscient. Le final tout en restant minimaliste est tout simplement superbe de délicatesse, par sa propension à évoquer des émotions.

L’artiste Tomo Akikawabaya est mystérieux car on ne sait que peut de choses sur lui. Il a construit ses albums en comité très restreint, accompagné d’un seul ingénieur du son nommé Takaaki Han-ya. Il joue de tous les instruments, chante tout lui-même et a toujours enregistré tous ses disques dans le même studio, Bea Pot Studio tenu par le même Takaaki Han-ya. Ce studio serait apparemment toujours en activité dans une banlieue de Tokyo, dans la ville de Tama près de Fuchu en direction de Hachijōji. Tous ces disques sont sortis sur son propre label Castle Records, apparemment seulement en vinyles et il n’y a pas eu de parutions en CD. Les vinyles étant impossible à trouver d’occasion (en regardant par curiosité aux Disc Union et sur Mercari), sa musique était difficilement écoutable dans de bonnes conditions. La sortie de The Invitation of the Dead sur le label Minimal Wave est également uniquement disponible en vinyle pour ce qui est du format physique, mais l’album est également en vente sur Bandcamp et sur iTunes en version digitale. Les morceaux sur The Invitation of the Dead ont été remasterisés et sont apparemment plus fidèles à l’idée originale de l’auteur. On peut bien écouter l’album entier sur YouTube, ce que j’ai fait lors de ma première écoute avant de l’acheter sur Bandcamp en digital. La version YouTube est par contre un enregistrement à partir des vinyles et comprend de nombreux bruits parasites (que les amateurs aiment j’en suis sûr).

On sait peu de choses sur Tomo Akikawabaya car il ne donne tout simplement pas d’interview. En fait si, il y a quand même une excellente interview récente (datant de 2016) par un artiste électronique nommé Nao Katafuchi. On comprend qu’il a été important dans la mise en relation entre Tomo Akikawabaya et Minimal Wave Records pour la création de l’album The Invitation of the Dead. Cette interview est très instructive car on en apprend un peu plus sur Tomo Akikawabaya qui se fait désormais appeler Th (pour Tomoyasu Hayakawa, j’imagine), son passé et son activité musicale actuelle. Il est en fait encore actif à travers un projet appelé The Future Eve qui est une collaboration avec le musicien anglais Robert Wyatt autour d’un morceau intitulé Brian The Fox. Un album est sorti en Mars 2019 sur le label Flau et est disponible sur Bandcamp et iTunes sous le titre KiTsuNe / Brian The Fox. Je connais d’ailleurs ce label Flau, notamment pour les artistes électroniques Cuushe et Noah. On apprend que Th a été membre éphémère d’un groupe new wave / punk appelé Desperate Bicycles alors qu’il était étudiant en Angleterre, ce qui explique qu’il chante en anglais. Il évoque également un autre groupe créé avec le même ingénieur du son Takaaki Han-y’a, suite à Tomo Akikawabaya. Ce groupe prenait le nom Beata Beatrix, qui est également une peinture datant de 1870 par Dante Gabriel Rosetti mais aussi, d’une manière un peu plus anecdotique, le nom d’un groupe de rock gothique italien. On apprend que Th est aussi photographe, comme l’est devenue Anju, et qu’il possède un restaurant appelé Happy Mouth (nom inspiré de Robert Wyatt) dans la préfecture de Mie, dans la ville de Suzuka (三重県 鈴鹿市 加佐登1-12-5). En regardant le compte Instagram du restaurant, j’étais amusé d’y voir une photo de Cuushe du même label Flau, à une table du restaurant. Ce qui est intéressant de voir à travers cette interview et à travers d’autres articles publiés sur quelques blogs, c’est que cette musique provoque les passions, certes d’un nombre très restreint de personnes, mais provoque aussi le besoin d’en parler et d’écrire à son propos, ce que je fais à ma manière sur ce billet de blog. C’est souvent essentiel pour moi d’écrire et c’est certainement une manière personnelle d’être reconnaissant envers l’artiste qui se livre devant nous.

ちょっとした夏休み (8)

Pour la dernière partie de notre voyage de trois jours, nous restons encore un peu dans la préfecture de Aichi en passant visiter le temple Toyokawa Inari. Son véritable nom est Enpukuzan Toyokawa-kaku Myōgon-ji (円福山 豊川閣 妙厳寺) mais on l’appelle plus simplement Toyokawa Inari. Comme je le mentionnais récemment, nous allons régulièrement à la branche tokyoïte de ce temple, à Akasaka devant la pâtisserie Toraya. Le temple fondé en 1441 a la particularité, comme je l’expliquais dans un autre billet, de mélanger bouddhisme et shintoïsme. Le temple en lui-même est principalement bouddhiste mais on y trouve des symboles shintō comme un Torii et de très nombreuses statues de la divinité renard Inari. Des centaines de statues sont d’ailleurs regroupées dans une partie appelée Reiko-Zuka à l’arrière du temple. Ce foisonnement de statuettes me rappelle le temple Gōtokuji dans la banlieue de Tokyo mais avec des statuettes de Maneki Neko plutôt que des Inari. Le hall principal du temple sur la première photographie a été reconstruit pendant la période Tenpō (天保) entre 1830 et 1844. Sa taille et sa couleur noire m’impressionne beaucoup. Je ne sais pour quelle raison mais je lui trouve un côté rétro-futuriste comme un casque de Dark Vador.

Le chemin du retour sur l’autoroute Tomei me fait toujours peur pour ses bouchons le dimanche soir à l’approche de Tokyo au niveau de Ebina. On préfère stratégiquement s’arrêter avant, à Mishima puis Numazu pour passer la soirée dans le parc Kakitagawa traversé par une rivière d’eau claire provenant du Mont Fuji. Alors que le soleil se couche déjà, nous gagnons le port de Numazu avant 8h du soir pour du poisson en chirashizushi. L’autoroute a dû se dégager pendant ce temps là car le traffic était d’une fluidité parfaite. Le voyage a été court mais nous a bien aéré l’esprit, ce qui était l’objectif premier. On aurait envie de reprendre la route immédiatement. J’ai en fait énormément apprécié le fait d’avoir la voiture sous la main à tout moment ce qui donne une grande liberté par rapport au Shinkansen, qui était plutôt notre transport par défaut lors des quelques fois où on s’est déplacé vers Kyoto. Et pour le titre de cette série qui se termine avec ce billet, il s’agit bien évidemment d’une variation du nom du concert de Sheena Ringo Chotto Shita Reko Hatsu (ちょっとしたレコ発).