sakura overload (un fleuve urbain)

Les sakura étaient cette année comme une belle princesse qui se fait attendre à une réception (ou comme une rockeuse en kimono qui tarde à monter sur scène). Les cerisiers en fleurs se sont fait attendre en arrivant beaucoup plus tard que d’habitude, et en bouleversant par la même occasion l’organisation des diverses festivités ponctuelles accompagnant leur arrivée. La floraison est aussi imprévisible qu’éphémère et on nous avait assez répété à la télévision que ce week-end était le moment ou jamais pour apprécier les cerisiers en fleurs cette année. On sait que pluie et vent nous attendent la semaine prochaine, et il faudra être stratégique pour pouvoir profiter pleinement des paysages fleuris avant le point de non-retour. Cette présentation de la situation semble bien dramatique mais il n’en est rien. Cela fait 25 ans que je vois des cerisiers en fleurs tous les ans et l’effet de surprise s’est quelque peu estompé. Malgré cela, nous restons tout de même comme hébétés devant la beauté de ces cerisiers quand ils sont à leur pic de floraison. Je me demande bien quel effet addictif ces arbres parviennent à nous transmettre. On ne se lasse pas de les regarder et on éprouve à chaque fois le besoin renouvelé de partir à leur recherche, que ça soit dans l’environnement urbain proche de nous ou dans les campagnes aux alentours de la ville. Nous essayons en général de profiter des deux. Et les Sakura ne sont jamais aussi beaux que quand ils se réunissent pour former des toits ou des tunnels. L’avenue Meiji entre les carrefours de Tengenjibashi et de Shibuyabashi est trop large pour que les cerisiers de chaque coté se rejoignent pour former un tunnel mais l’endroit n’est en pas moins magnifique en cette période. Les cerisiers sont ensuite plus petits et moins fleuris entre Shibuyabashi, au niveau de la salle de concert Liquidroom que je montre en photo, et la station de Shibuya. L’avenue Meiji est souvent le premier endroit où je vais admirer les cerisiers en fleurs et naviguer cette rivière urbaine en voiture est à chaque fois une belle expérience.

Et pour accompagner la beauté parfois oppressante des cerisiers, je sélectionne quatre morceaux à tendance hip-hop plus ou moins marquée. Je n’avais jusqu’à maintenant jamais vraiment eu l’idée d’écouter la musique du groupe Kroi. Je pensais, pour je ne sais quelle raison, que leur style musical n’était pas pour moi. Je me rends compte que c’était une erreur en écoutant le single Hyper sur un EP du même nom sorti en Octobre 2023. Kroi est un groupe de Tokyo créant sa musique en fusionnant les genres, entre rock et hip-hop mais aussi Funk, Soul et R&B. L’idée du groupe est de créer une nouvelle musicalité en mélangeant tous ces styles musicaux et c’est en fait la signification de leur nom de groupe. Kroi vient du mot Kuroi (黒い), « noir » en japonais, qui est la couleur résultante lorsque toutes les couleurs sont mélangées. Kroi a été fondé en 2018 par Reo Uchida (内田怜央), au chant et guitare, et Yūki Hasebe (長谷部悠生), à la guitare, accompagnés de Masanori Seki (関将典) à la basse, Hidetomo Masuda (益田英知) à la batterie et Daiki Chiba (千葉大樹) aux claviers. Le morceau Hyper que j’écoute en ce moment correspond tout à fait à cet esprit de fusion musicale. Le tout début du morceau commence par une guitare très lourde et la voix sombre de Reo Uchida me rappellerait presque le grunge hardcore d’Alice in Chains, mais l’ambiance du morceau change très vite avec une voix rappée et un rythme extrêmement dynamique mélangeant même les cuivres. Ce melting-pot musical a une construction certes atypique mais montre une très grande maîtrise. Ce style aux apparences chaotiques n’est pas sans me rappeler l’approche stylistique du Millenium Parade de Daiki Tsuneta. Je ne soupçonnais pas que Kroi créait une musique aussi dense et maîtrisée. On reste ensuite dans les ambiances hip-hop avec le morceau Jibun no Kigen ha Jibun de Toru (自分の機嫌は自分で取る) d’ASOBOISM, sur son album YOLO sorti en Août 2023. ASOBOISM est compositrice, interprète et rappeuse originaire de Totsuka dans préfecture de Kanagawa. Je connaissais son nom depuis quelque temps car elle évolue dans les cercles du hip-hop féminin proche d’Akko Gorilla (あっこゴリラ) et de Valknee dont j’ai déjà parlé sur ce blog. Akko Gorilla participe d’ailleurs au morceau d’ASOBOISM que j’écoute en ce moment avec une autre rappeuse nommée CLR. J’aime beaucoup les nappes musicales enveloppantes et vaporeuses de ce morceau et la manière dont la voix rappée d’ASOBOISM et des deux invités viennent s’y intégrer d’une manière parfaitement fluide. C’est un superbe morceau qui a même un petit quelque chose de relaxant. Le morceau de Valknee, Not For Me, de son premier album Ordinary sorti le 10 Avril 2024, a en comparaison une trame musicale de synthétiseur beaucoup plus agressive. J’ai toujours aimé cette approche sans concession mélangée à la voix rap tout à fait atypique de Valknee, mais j’avais un peu perdu le fil ces dernières années. J’aime beaucoup ce morceau, même si je ne suis pas certain d’écouter tout l’album. De l’album, le morceau Loose est très particulier dans sa manière de forcer les fins de phrases, mais démontre qu’elle maîtrise extrêmement bien son flot. Elle n’intègre pas de coréen dans ses morceaux, ce qui est un peu dommage car j’adore quand elle le mélange avec le japonais, mais elle garde un certain accent de Kanagawa. DAOKO vient de sortir un nouveau single Tenshi ga Itayo (天使がいたよ) qui est assez génial, très rythmé et dense musicalement dans une ambiance de néons que j’adore. Ce morceau sera à priori sur son cinquième album Slash-&-Burn qu’elle vient d’annoncer et qui sortira le 22 Mai 2024, accompagné d’une petite tournée de deux dates à Osaka et Tokyo en Juin à laquelle j’aimerais bien assister, si le fan club (dont je ne fais pas partie) ne raffle pas toutes les places. Vue qu’elle n’a pas sorti de nouvel album depuis quatre ans, avec Anima, j’imagine qu’il n’y aura pas beaucoup de places disponibles. Ça fait en tout cas plaisir d’écouter ce genre de morceaux où DAOKO semble trouver parfaitement sa place, à mi-chemin entre la J-POP mainstream et une approche musicale beaucoup plus indépendante.

walkingxwatching

Marcher et observer les rues de Shibuya, Yoyogi, Azabu-Jūban, Sendagaya et ailleurs. Je ne les observe en général pas longtemps car je suis à chaque fois emporté par la marche qui me démange avant tout, et par le rythme de la musique que j’écoute en me déplaçant. Je prendrais très certainement des meilleures photographies si je m’attardais un peu plus à observer immobile depuis un endroit précis en attendant l’instant décisif, s’il a la bonne idée de se présenter devant moi. C’est en fait la même chose pour Made in Tokyo, j’avance sans m’arrêter, sans faire de pauses qui me permettraient pourtant de prendre le temps d’observer ce que devient ce blog. Je serais peut-être mieux inspiré d’y mettre une halte pendant quelques temps pour me forcer à réfléchir à la suite. Je réfléchis souvent à arrêter mais je ne m’arrête jamais. Il faut se faire une raison. Il m’arrive de temps de temps de partir à la recherche d’autres blogs francophones sur Tokyo et le Japon, mais ils sont presque tous arrêtés. Le fait qu’il n’y ait pratiquement plus de blogs actifs me pousse en quelque sorte à continuer. Je me demande comment toutes ces personnes qui écrivaient régulièrement sur des blogs se contentent maintenant de petites lignes sur Twitter, en essayant parfois de déjouer les limites de l’outil en écrivant des ‘threads’ qui au final ressemblent beaucoup à des billets de blog. Mais ne désespérons pas, les blogs reviendront peut être un jour à la mode.

Je ne découvre pas ici de nouveaux artistes ou groupes mais des nouveaux morceaux de compositrices, interprètes ou groupes que je connais déjà et que je suis avec attention depuis quelques années, voire depuis leurs débuts. C’est d’ailleurs intéressant de voir les évolutions et constater que certains artistes sont désormais entrés dans le mainstream ou sont en passe de l’être. AiNA The End (アイナ・ジ・エンド) continue sa carrière solo à un rythme on ne peut plus soutenu. Je me souviens de cette interview croisée avec Ikkyu Nakajima (中嶋イッキュウ) où AiNA lui posait la question de comment elle arrivait à écrire autant de nouveaux morceaux pour Tricot en si peu de temps, mais AiNA ne chôme pas non plus, même si elle n’écrit pas tous ses morceaux. Elle a d’ailleurs le vent en poupe en ce moment car elle jouera le rôle principal, celui de Janis Joplin, dans la comédie musicale de Broadway A night with Janis Joplin au mois d’Août aux côtés d’autres chanteuses comme UA et Haruko Nagaya du groupe Ryokuōshoku Shakai. La fin de BiSH cette année va certainement la libérer un peu plus encore d’un poids, dirais-je, car BiSH tourne en rond depuis quelques temps et joue les prolongations. Le nouveau single d’AiNA The End s’intitule Watashi no Magokoro (私の真心). Il est sorti le 6 Juin 2022 et il est écrit et composé par Yasuyuki Okamura (岡村靖幸). C’est un morceau pop rock dont l’ambiance et la construction aux premiers abords plutôt classique n’étaient à priori pas destinées à me plaire, mais la voix pleine de passion d’AiNA m’a comme d’habitude rapidement accrochée. Le refrain à plusieurs voix est également très accrocheur et le final à rallonge me plait vraiment beaucoup. Le morceau fait 7 minutes et prend le temps de divaguer dans sa deuxième partie plus symphonique. C’est vraiment un beau morceau. J’écoute ensuite le nouveau single intitulé Jealousy (ジェラシー) de a子. Je suis cette compositrice et interprète depuis son premier EP et elle m’impressionne de plus en plus par sa capacité à créer à chaque fois des nouveaux morceaux qui surpassent les précédents. Elle évolue depuis quelques temps vers un terrain un peu plus pop mais garde tout de même cet esprit indies qui caractérise sa musique. J’aime beaucoup le rythme marqué du morceau et les éclats de lumières qui s’en dégagent. Le morceau Jealousy est même classé au top de la radio J-Wave, Tokio Hot 100, en 80ème position. Je pense que c’est la première que a子 est présente dans ce genre de classement, ce qui est une bonne chose car elle mérite vraiment d’être plus reconnue. Le morceau suivant de ma petite sélection est très différent car on part vers du hip-hop à base de pop électronique. J’ai déjà parlé plusieurs fois sur ce blog de la rappeuse Valknee. Ce nouveau morceau intitulé Bet Me! est assez différent de ses précédents, car la composition musicale par un musicien appelé Piano Otoko (ピアノ男) est extrêmement rapide et hachée. Le morceau est assez court mais extrêmement addictif si on veut bien se laisser entraîner vers ces sons certes très accidentés. Valknee va peut être connaître une célébrité prochaine car ce morceau a été sélectionné sur la playlist de Pitchfork. Pour terminer, j’écoute aussi beaucoup le nouveau single du groupe rock Ms.Machine. Ceux qui suivent attentivement ce blog doivent connaître le nom de ce groupe car j’en parle souvent. Le single se compose en fait de deux morceaux intitulés Vinter et Cloud gap. L’ambiance sombre ne diffère pas du premier album du groupe, avec toujours la voix parlée de SAI mélangée aux guitares et aux sons électroniques froids, flirtant avec l’industriel. Les mélodies sont très belles et un brin inquiétantes. Quelle ambiance sur ces deux morceaux! Les trois filles de Ms.Machine tiennent leur ligne stylistique mais arrivent tout de même à faire évoluer progressivement leur son, ce qui est de bonne augure pour la suite. Ms.Machine avait participé au festival Fuji Rock l’année dernière et j’espère bien qu’elles pourront continuer à se développer sur cette lancée, car c’est à mon avis un son assez atypique sur la scène musicale actuelle. Et petit détail à noter, Ms.Machine a eu l’amabilité de me répondre en français sur Twitter suite à mon message d’appréciation. J’ai l’impression que, de manière générale, ce genre d’attentions se font plus rares en ce moment sur Twitter.

la fleur bleue au bord du ravin

La fleur bleue en forme de bouton dessinée par Shun Sudo n’existait pas encore lorsque je suis passé pour la première fois devant ce building si particulier près de Kita Sando. Elle a été ajoutée bien après et je l’ai maintes fois vu sur Instagram avant de me décider à aller la voir à mon tour. Je saisis l’occasion de ma visite rapide à la librairie de la galerie GA pour passer la voir rapidement. Je me perds un peu en recherchant le building car je ne note en général pas l’adresse des bâtiments intéressants que j’ai vu dans le passé. Je garde en tête leur emplacement approximatif, ce qui me permet d’y retourner. Il y a quand même des exceptions où j’ai noté le lieu précis quelque part, quand l’architecture se trouve dans des endroits que je n’ai pas l’habitude de parcourir. Un des grands intérêts de la découverte architecturale est la marche parfois hasardeuse qui nous y mène. Le building Realgate se trouve à un carrefour et est assez imposant. Il n’est donc pas très difficile à trouver. Il est découpé à un coin d’un coup de sabre et le ravin créé par cette découpe donne accès à l’intérieur du building. La fleur bleue se trouve sur une des façades blanchâtres près du bord du ravin. Je trouve sa présence très poétique et on aimerait voir plus d’illustrations de ce genre, surtout quand elles sont bien exécutées et qu’elles ne sont pas saccagées par d’autres graffiti médiocres. J’aimerais également voir ce genre d’illustrations pleines de couleur sur la rudesse du béton brut.

Je continue à écouter quelques morceaux de hip-hop, notamment un morceau intitulé SpaceShip2094, sorti récemment début Juillet, par l’artiste hip-hop ONJUICY et Utae, compositrice et interprète électronique dont j’ai déjà parlé plusieurs fois ici pour quelques unes de ses compositions que j’apprécie toujours beaucoup. Le morceau est produit par Carpainter, un des fondateurs du label Trekkie Trax. Avant d’écouter ce morceau, j’avais d’abord découvert au hasard de YouTube une autre coopération entre Carpainter et ONJUICY sur un morceau intitulé PAM!!! sur lequel j’aimais beaucoup le phrasé rapide et continu de ONJUICY, surtout dans la première partie du morceau. Sur SpaceShip2094, j’apprécie le contraste de la voix rappée de ONJUICY avec le chant d’Utae beaucoup plus posé. C’est une très jolie association. Le chiffre 2094 correspond à 100 années passées depuis la naissance du producteur et du rappeur, apparemment nés la même année en 1994, avec la réflexion de se demander si ce morceau sera toujours écouté en 2094.

Pendant la période de l’état d’urgence au mois d’Avril et Mai, on a vu pointer sur YouTube une série de ré-interprétations du morceau Tokyo Drift de Teriyaki Boyz, le ‘super-groupe’ hip-hop composé de Ilmari et Ryo-Z de Rip Slyme, Verbal de M-Flo, Wise et Nigo, le fondateur de la marque de streetwear de luxe A Bathing Ape. Ce morceau, à plus de 250 millions de vues sur YouTube, apparaissait dans le film Fast & Furious: Tokyo Drift, que j’ai regardé récemment sur Netflix par curiosité. On ne peut pas dire que le film soit inoubliable mais il est relativement sympathique à regarder d’un œil distrait. En fait, j’aime bien la dynamique de la musique de ce morceau que l’on retrouve dans les multiples ré-interprétations récentes sur YouTube, sous le nom de Tokyo Drift Freestyle. Le principe est d’interpréter le morceau avec des paroles modifiées, reflétant souvent la situation particulière du ‘Stay Home’ en place pendant l’état d’urgence. J’ai écouté plusieurs versions du morceau, mais c’est la version Tokyo Drift Freestyle de Valknee (dont je parlais dans des billets précédents) que je préfère. Il y a quelque chose de très naturel et d’évident dans sa manière de rapper, qui pourrait faire croire que cette musique a été créée pour son interprétation verbale. Suite à mon dernier billet mentionnant certains morceaux de Valknee que j’aime beaucoup, une personne au nom de Tsukasa Tanimoto m’avait laissé un commentaire sur Twitter (de l’intérêt de publier sur Twitter un lien vers mes billets) indiquant un podcast qu’il coordonne avec Valknee et une autre personne s’appelant Riiko. J’avais écouté par curiosité un numéro de ce podcast intitulé Radioyasan gokko (バルニー・リー子・つかさのラジオ屋さんごっこ) qui parlait du morceau Zoom car il me l’avait conseillé. Je me trouve maintenant à écouter régulièrement les nouveaux épisodes de l’émission, qui parlent de sujets divers et variés avec parfois des invités exposant un problème particulier. J’aime surtout quand ils parlent de musique, souvent hip-hop, car ça me donne une perspective différente de la mienne (dans le sens où ils sont d’une génération un peu plus jeune que moi). Dans un des derniers épisodes, le groupe évoquait Kom_I dont les qualités artistiques avant-gardistes sont une évidence pour le plus grand nombre au point où on serait bien en mal de les contester. La contestation qui était tout de même donnée dans l’émission se rapporte au fait qu’elle n’écrit pas les paroles des morceaux de Suiyoubi no Campanella, ni ne compose les musiques, et de ce fait sa contribution à l’avant-garde de cette musique s’en trouverait amenuisé. Ceci étant dit, la manière dont elle chante les textes surréalistes des morceaux avec beaucoup d’assurance et le charisme certain de sa présence sur scène (du moins ce que j’ai vu du concert du Budokan sur YouTube) contribuent fortement à la nouveauté et à la particularité de ce groupe sur la scène musicale japonaise. Dans le groupe Suiyoubi no Campanella, j’ai plutôt confiance en la capacité de Kom_I de faire évoluer la direction du groupe, par rapport au compositeur Kenmochi Hidefumi qui, je trouve à tendance à répéter ses formules musicales, par exemple, quand il collabore avec d’autres artistes comme Xiangyu. Il est bien possible que le groupe ne parvienne pas à atteindre les sommets d’inspiration de leurs premiers albums, mais j’ai envie de croire que le prochain album sera meilleur que Galapagos (que j’ai d’ailleurs soudainement très envie de réécouter). Pour revenir à Valknee, j’aime aussi beaucoup son intervention avec le compositeur ANTIC (déjà présent sur des morceaux de Valknee) pour le morceau intitulé Hometenobiru du groupe d’idoles hip-hop Lyrical School sur leur dernier EP OK!!!!! On retrouve dès les premières notes la même agressivité si engageante des sons électroniques, et je ressens une certaine ironie dans les textes du morceau. Pour boucler la boucle de ce paragraphe, Lyrical school avait également participé au Tokyo Drift Freestyle avec leur propre version en remote bien entendu.

shibuya night color ray boiling pot

Je ne prends pas souvent de photographies la nuit, mais, lorsque je le fais, je préfère laisser l’appareil prendre les photos tout seul, ce qui en général accentue les mouvements jusqu’à l’extrême mais représente bien le brouhaha de Shibuya ici photographié. Les couleurs deviennent des rayons de lumières et les formes viennent se mélanger les unes avec les autres dans une masse anonyme se renouvelant sans cesse et ne se tarissant jamais. Le flux continu du mouvement des corps s’était presqu’éteint à cet endroit. Le maillage actuel reste moins serré que ce que l’on peut observer en temps normal, lorsque les craintes ne sont pas de mise dans cet extrait de ville souvent synonyme d’insouciance.

Après avoir découvert le hip-hop de Valknee que j’écoute d’ailleurs toujours en boucle, je découvre maintenant, de fil en aiguille, un mini-album intitulé TóquioBug par Baile Funky Kakeko sorti le 13 Juillet, sur lequel elle rappe sur le premier morceau Boasting Baby. Ce nom Baile Funky Kakeko (バイレファンキかけ子) désigne en fait un projet musical de la DJ japonaise DJののの, prenant pour influence la musique funk des dance floor brésiliens (controversée d’ailleurs sous certaines de ses formes). Je ne connais pas du tout le funk brésilien, mais j’imagine que ce mini-album TóquioBug en reprend l’exubérance des sons, notamment le collage d’une multitude de sonorités qu’on croirait parfois entendre dans les tribunes d’un stade de foot. Les sons électroniques partent dans tous les sens et dans l’excès, mais celui-ci est maîtrisé de telle manière que ces sons s’accordent bien avec les voix des artistes hip-hop invités sur chaque morceau. Outre Valknee, Haruko Tajima 田島ハルコ, qui participait également au morceau groupée Zoom dont je parlais auparavant, rappe avec une voix modifiée sur le troisième morceau KittySandal, au rythme arrachant tout sur son passage. Le deuxième morceau Icchoku=Senn est plus lent et fait intervenir un rappeur appelé PAKIN, qui a une manière de parler qui est volontairement agaçante mais qu’on a en même temps envie d’écouter tellement cette voix est particulière. Des cris soudains d’indiens viennent entrecouper cette voix qui laisse trainer les mots. Le dernier invité est AWAZARUKAS sur le quatrième morceau 俺は寄居町のラッパー (Ore ha Yoriichō no rappā) qui est peut être le plus dynamique et le plus typé brésilien de ce mini-album, mais TóquioBug dans son ensemble ne se repose jamais de toute façon. Le titre TóquioBug laisse à penser que cette interprétation tokyoïte du funk brésilien ressemble à un bug, car elle amène beaucoup d’interprétations locales (la langue japonaise notamment) qui altèrent complètement le style initial auquel le mini-album est censé s’inspirer. Cette accumulation de sons me fascine au point où j’écoute ce mini-album en boucle. Je rentre là dans un monde musical que je ne connais pas du tout, mais qui est extrêmement intéressant à découvrir car les influences se mélangent dans un ensemble hétéroclite qui chauffe comme une bouilloire. L’ensemble ne laisse pas la place au compromis et fonce tout droit sans regarder d’arrière. L’approche hétéroclite des sons et leur brutalité sonore me fait un peu penser aux quelques morceaux que je connais de l’album MΛYΛ de la rappeuse anglaise M.I.A. Pour terminer, Valknee revient sur le dernier morceau qui est un remix du premier par un certain Bruno Uesugi. Sa manière de chanter me rappelle très vaguement la manière saccadée de chanter de Uffie sur Steriods (remix), un des chefs d’oeuvre de Mr Oizo aka Quentin Dupieux (avec Positif).

opened sky (2)

Tout en haut de la tour Shibuya Scramble Square, à 229 mètres de hauteur, il y a un espace où le mur de verre est un peu plus bas pour permettre de prendre des photos de la vue sans être gêné par la réverbération des vitrages. Cette zone assez réduite ne donne bien sûr pas directement sur le vide, sans quoi j’aurais été incapable de m’approcher du bord, vu le vertige incurable qui me gagne à chaque fois. Lorsque les vitrages sont hauts, je ne suis pas gagné par le vertige mais l’effet reste quand même assez saisissant. Je préférerais ne pas être en haut au moment d’un tremblement de terre (que je ne souhaite pour rien au monde d’ailleurs). Le vent soufflait légèrement en haut de la tour, juste ce qui faut pour se rafraichir un peu en cette avant dernière journée du mois de Juin. Je m’assoie quelques minutes comme tout le monde sur la piste d’atterrissage d’hélicoptère. Le ciel un peu nuageux, plutôt que bleu uni, était idéal pour la photographie. C’était également une des raisons du choix de cette journée pour me rendre là-haut. Le Sky deck de Shibuya Scramble Square est un peu moins haut que celui de Roppongi Hills à 270 mètres, mais je préfère la vue depuis Shibuya. Je me rends compte d’ailleurs en faisant des recherches sur mon propre blog que je n’ai publié aucune photo du Sky Deck de Roppongi Hills à part une composition graphique montrant une structure volante non identifiée. La vue depuis le haut de Sky Tree reste la plus impressionnante vue sur Tokyo à plus de 400 mètres de hauteur, mais on est tellement haut que l’impression est complètement différente. La dernière photographie ci-dessus montre l’accès depuis le 46ème étage où arrive l’ascenseur. J’aime beaucoup l’idée d’avoir collé aux murs vitrés les escalators menant au toit. On peut voir le carrefour de Shibuya tout en bas tout en descendant doucement sur l’escalator. C’est une vue assez unique.

Dans les commentaires d’un précédent billet, on parle d’une liste de quelques albums rock japonais à suivre sur Bandcamp, ce qui me rappelle que l’auteur de cette liste, Patrick St. Michel, a également récemment publié dans un article du Japan Times une petite liste de morceaux à écouter. Il y sélectionne quelques morceaux sortis cette année qui symbolisent cette période pleine de changement pour l’industrie musicale. Dans cette liste, on peut trouver un morceau du dernier album Your Dreamland de 4s4ki (prononcé Asaki) dont j’avais déjà parlé il y a quelques temps sur ce blog. En fait, je réécoute très souvent cet album et notamment le morceau Nexus dont on parle en particulier dans cet article du Japan Times. 4s4ki interprète Nexus avec Rinahamu, idole du groupe Cy8er qu’on croirait sortie d’un anime. J’aime en fait beaucoup le contraste des voix, assez complémentaires d’ailleurs, entre 4s4ki qui donne le rythme au morceau et Rinahamu qui apporte une sensibilité plus rêveuse. Je n’ai pas beaucoup l’habitude d’écouter du hip-hop, mais ce morceau et cet album me plaisent beaucoup, peut être parce que ce hip hop se marie bien avec le son électro qui l’accompagne et que le flot verbal des morceaux s’écoulent avec une grande limpidité et efficacité. je serais bien en mal de faire une liste des albums que j’ai préféré dans l’année, mais celui-ci en ferait très certainement partie. Le sujet de cet article de Japan Times est de témoigner des changements qui affectent l’industrie musicale japonaise en cette période de corona virus. Les paroles du morceau Nexus, dont l’album est sorti le 22 Avril en plein état d’urgence, font écho à cette situation, notamment le besoin de voir ses amis qui se voit fort compromis pendant une période de quasi-confinement. J’ai écouté l’album pour la première pendant l’état d’urgence et je me souviens m’être demandé si le morceau avait été écrit en considération des évènements en cours. Les mots « Remote Party » (fête à distance) utilisés dans le morceau Sakio is Dreamland me font penser que ça doit bien être le cas.

On retrouve cette idée de “Remote Party” dans un autre morceau présenté dans l’article, réunissant 6 artistes japonaises de la mouvance hip-hop que je ne connaissais pas. Le morceau s’appelle Zoom en référence à la technologie de vidéo conférence qu’on a pris habitude d’utiliser ces derniers mois. Le morceau est intéressant car il réunit des styles différents, mais je me laisse plus attirer par la manière de chanter de Valknee, que par le morceau dans son ensemble. Je décide donc d’aller à la recherche d’autres morceaux de cette artiste sur YouTube et je tombe sous le choc (ヤバくない?), au bon sens du terme, à l’écoute de quelques morceaux: Setchuan-Jan (折衷案じゃん) et SSS tirés des albums Smolder et Fire Bae tous deux de 2019 et surtout son dernier single Asiangal sorti le 1er Janvier 2020. Ce morceau commence doucement par une mélodie ‘orientalisante’ qui finit par dérailler pour laisser la place au chant rappé de Valknee mélangeant japonais, coréen et anglais. Valknee est japonaise, mais avant de faire ses études à l’université d’art de Musashino, elle a passé quelques années en Corée du Sud, d’où l’utilisation du coréen dans le morceau et cette vidéo tournée à Séoul. Sa voix est extrêmement typée, volontairement certainement, et ce mélange des langages prononcés rapidement vient créer comme une nouvelle langue hybride. J’aime beaucoup ce type de voix atypiques, même si ça peut surprendre au début. Les deux autres morceaux Setchuan-Jan et SSS démarrent sur des sons électroniques beaucoup plus agressifs, comme le brouhaha des rues de Shibuya. Setchuan-Jan me rappelle un peu des morceaux de Aya Gloomy, pour le ton de la voix de Valknee par moment. Ce style musical est assez éloigné de ce que j’écoute en temps normal, mais je suis sensible à l’énergie spontanée et non-stop qui se dégage de ces morceaux. Du coup, je les écoute en boucle après les avoir acheter à l’unité sur iTunes. A mon avis, elle n’a pas grand chose à envier aux groupes sur-médiatisés comme Blackpink dont la musique, bien qu’intéressante au début tombe assez vite à plat. J’ai quand même fait l’effort d’écouter Blackpink notamment leur nouveau morceau, et j’y pense maintenant car Valknee chante un peu en coréen, bien que les styles soient assez différents (et en fait la phrase inscrite sur l’extrait vidéo ci-dessus me fait penser à la catch-phrase au début des morceaux de Blackpink).

En parlant de musique influencée par le contexte actuel, l’article de Japan Times aurait pu également parler du morceau Smirnoff de SAI. Ceux aux premiers rangs qui suivent assidûment ce blog, sauront déjà que SAI chante et écrit les morceaux du groupe post-punk Ms.Machine, dont j’ai déjà parlé à deux reprises sur ce blog. Elle s’est lancée dernièrement dans une carrière solo dans le style hip-hop, tout en continuant son activité dans le groupe Ms.Machine. Smirnoff évoque les difficultés des jeunes artistes en cette période où les concerts en salles sont rendus impossible. L’ambiance du morceau garde la noirceur de la musique de Ms.Machine, en remplaçant les guitares par des sons électroniques, et le style hip-hop est forcément très différent du post punk de Ms.Machine. J’aime beaucoup sa manière de chanter, le côté sombre de l’ensemble avec des sons comme des alarmes d’incendie se déclenchant au fond de la nuit et ces quelques paroles à la sonorité triturée citant des noms de Live House à Tokyo. SAI a également sorti un EP incluant ce morceau mais je ne l’ai pas encore écouté. Et pour faire des liens (car j’aime bien trouver des liens entre les choses et les personnes), SAI et Valknee ont toutes deux participé à la compilation 2021Survive sorti aussi pendant l’état d’urgence pour supporter la salle de concert Forestlimit.