今君に素晴らしい世界が見えますか?

C’était une affiche inhabituelle qui m’avait tout de suite surpris quand j’avais vu pour la première l’annonce sur les réseaux sociaux: un Two-Man Live, c’est à dire un concert avec deux groupes à l’affiche, de Hitsuji Bungaku (羊文学) et de Ging Nang Boyz (銀杏BOYZ). La première image qui m’est venu en tête est celle de la belle et la bête. Les deux groupes font du rock, n’hésitant pas à faire cracher l’électricité des guitares quand ça devient nécessaire, mais Hitsuji Bungaku est un groupe de rock qui se contrôle tandis que Ging Nang Boyz me donne plutôt l’image d’un punk qui n’hésite pas à jouer des excès. Bref, cette affiche inhabituelle m’a tout de suite intéressé et je n’ai pas hésité à réserver mon billet dans les toutes premières minutes de l’ouverture de la billetterie. Il faut ensuite attendre les résultats de la loterie, car la salle Toyosu PIT (豊洲ピット) dans laquelle va se dérouler ce double concert ne fait que 3000 places et que ces deux groupes sont en mesure d’amener beaucoup plus de monde que cela. Quelques jours plus tard, j’apprends avec satisfaction que j’ai obtenu un billet, mais ma place est numéroté 1730, ce qui veut dire qu’elle est située à peu près au milieu de la salle. J’avoue une petite déception car j’aurais vraiment aimé être au devant de la scène, mais c’était en fait pas plus mal de se trouver où j’étais pour une raison que j’expliquerais un peu plus tard. C’était la première fois que je voyais Ging Nang Boyz en concert, mais j’ai tous les albums du groupe donc ce rock souvent enragé tout en restant mélodique m’est tout à fait familier. C’est par contre la deuxième fois que je voyais Hitsuji Bungaku, la première étant dans une salle plus grande au Zepp d’Haneda. J’étais très curieux et même impatient de voir Ging Nang Boyz sur scène, car j’imagine son leader Kazunobu Mineta (峯田和伸) comme étant imprévisible et sanguin, se laissant emporter dans son propre élan. C’est du moins l’impression que donne les albums du groupe qui ont à chaque fois un son très proche du live. Ce concert au Toyosu PIT le 9 mai 2025 commémore en fait les dix ans de l’ouverture de la salle et fait partie d’une série de concerts intitulés Japon (じゃぽん), en français dans le texte. C’était la première fois que Ging Nang Boyz et Hitsujibungaku se produisaient ensemble sur une même scène. Je connais déjà cette salle pour y avoir vu Tricot pour la première fois en Février 2022. Cette salle a en fait pour moi une signification particulière car elle était en quelques sortes le précurseur de mon retour vers les concerts que j’avais délaissé pendant de nombreuses années. La période de la crise sanitaire m’avait fait me rendre compte de ce manque, et réaliser que j’adore absolument assister à des concerts.

Le concert du Vendredi 9 Mai 2025 s’intitule donc Toyosu PIT 10th ANNIVERSARY GING NANG BOYZ×HITSUJI BUNGAKU “Japon Vol.1” (Toyosu PIT 10th ANNIVERSARY 銀杏BOYZ×羊文学“じゃぽんVol.1”). L’utilisation du mot « Japon » renvoie apparemment à une volonté de mettre en avant des artistes japonais influents gardant une indépendance vis-à-vis des modes et des tendances, jouant un rôle important sur la scène musicale Japonaise et ayant une certaine capacité à s’exporter à l’international. Ce dernier point paraît tout à fait adapté car Hitsuji Bungaku et Ging Nang Boyz ont tous les deux fait des tournées nord américaines cette année, à peu près à la même période. J’avais particulièrement suivi celle de Ging Nang Boyz car Mineta aime poster des photos sur Instagram. En arrivant à l’étape de Seattle, il est par exemple passé voir un lieu de souvenir de Kurt Cobain au parc Viretta, il a également visité la fameuse grande cascade Snoqualmie Falls utilisée pour Twin Peaks et passé devant les locaux du label Sub-Pop. Ses trajets sur la route des concerts passent par les disquaires. On ne voit pas vraiment ce qu’il achète mais je ne doute pas qu’il soit collectionneur car son compte Instagram montre un très grand nombre d’albums, notamment des années 1990 qu’il a du écouter pour la première fois lorsqu’il était adolescent dans la préfecture de Yamagata. Il écrit que ses disques le protègent mais le rendent aussi solitaire (僕のレコードは僕を守るけど僕をひとりぼっちにもする), ce qui est un sentiment que je peux très bien comprendre, préférant parfois s’isoler pour s’évader avec une musique que le plus grand nombre ne connaît pas ou n’apprécie pas. Je pense que les souvenirs d’adolescence de Mineta sont encore très présents et conditionnent même sa musique. Dans le billet Instagram où il nous parle de ce concert avec Hitsuji Bungaku, il évoque par exemple d’abord un souvenir de son époque lycéenne avant de faire un rapprochement avec la musique de Hitsuji Bungaku. Pendant le concert, il nous dit même qu’il est un fan caché (隠れファン) du groupe qu’il écoute depuis l’album Wakamonotachi he (若者たちへ) de 2018.

J’avais pris mon après-midi de congé pour être sûr de pouvoir me rendre au concert à temps. L’ouverture de la salle démarre à 18h pour un début de concert à 19h, ce qui est extrêmement classique à Tokyo, sauf que la salle Toyosu Pit est relativement excentrée et il me faut presqu’une heure pour m’y rendre en train. A mon arrivée, l’organisation est comme toujours impeccable avec des zones d’attente en fonction de son numéro de place et un appel progressif. Je regarde la foule autour de moi et je suis surpris de voir plus de personnes avec des t-shirts de Ging Nang Boyz par rapport à Hitsuji Bungaku, qui a pourtant réussi à atteindre le mainstream en passant régulièrement aux émissions télévisées musicales. Ging Nang Boyz est en comparaison un groupe plus ancien, démarré il y a plus de vingt ans en 2003, mais je constate que son approche punk attire encore beaucoup la jeunesse. Kazunobu Mineta (峯田和伸) a à peu près mon âge et je m’attendais à voir un public un peu plus âgé. On entre assez vite dans la salle, après avoir pris une boisson. On me donne une bière en cannette Asahi Dry Crystal, ce qui me paraît assez inhabituel. Cette bière en particulier a un taux d’alcohol de 3.5%, ce qui est inférieur au classique 5% des bières japonaises. Je me suis demandé si c’était volontaire. La première fois que je suis venu dans cette salle du Toyosu PIT, les places étaient attribuées en raison de la crise sanitaire et du nécessaire espacement entre les personnes du public. Il s’agit cette fois-ci d’un placement libre et j’essaie comme toujours de me faufiler pour me rapprocher au plus près de la scène. J’aime le moment d’attente avant le concert, en écoutant la musique de fond sonore en général sélectionnée par les artistes qui se produisent ensuite. Mais elle est malheureusement presque inaudible. On entend par contre à plusieurs reprises des annonces nous invitant à ne pas faire des choses dangereuses qui pourraient blesser les autres. Une petite crainte monte en moi à ce moment là. La salle étant pleine à craquer pour un concert qui affiche complet, est-ce que les réactions enthousiastes de cette jeunesse autour de moi pourraient devenir incontrôlables? Je balaie assez rapidement cette pensée de ma tête car j’ai dû mal à imaginer ce genre de réactions excessives à Tokyo.

A 19h, Hitsuji Bungaku entre sur scène. J’avais la fausse impression que le groupe passerait en deuxième partie vue son emplacement à droite sur l’affiche du concert et la récente notoriété du groupe. Mais il s’agit bien de la guitariste, compositrice et chanteuse Moeka Shiotsuka (塩塚モエカ) et de la bassiste Yurika Kasai (河西ゆりか) entrant sur scène dans la pénombre, accompagnées de Yuna (ユナ) à la batterie. Le véritable batteur du groupe, Hiroa Fukuda, étant en pause depuis plus d’un an, Yuna est la plupart du temps présente en support, au point où elle pourrait même faire partie du groupe. Yuna est en fait l’ex-batteuse du groupe rock Chai originaire de Nagoya qui a connu une certaine notoriété au Japon et à l’international (ayant signé chez Sub Pop) mais qui s’est dissous à son apogée en Janvier 2024, à la surprise générale et pour une raison qui m’est inconnue. Hitsuji Bungaku joue en tout dix morceaux dont les singles récents comme Koe, et plusieurs morceaux de leur dernier album 12 hugs (like butterflies) en commençant par le morceau Addiction. Ce morceau compte parmi mes préférés de l’album pour son riff incisif de guitare. Le groupe ne lésine pas sur le bruit comme pour se mettre au diapason de la tonalité de ce double concert. Le public répond tout de suite présent dès le premier morceau et sur le suivant Eternal Blue (永遠のブルー) qui démarre alors que les lumières se lèvent sur la scène laissant apparaître le groupe plus distinctement. Je suis content d’écouter ensuite le morceau Koe (声) en live car c’est un des très beaux morceaux du groupe, mais l’euphorie décolle un peu plus lorsqu’elles jouent les grands succès comme more than words, Burning et Hikaru Toki (光るとき). On sent que le groupe est bien rodé, il faut dire qu’elles tournent vraiment beaucoup dans divers concerts et festivals. Cette activité incessante est assez impressionnante et est peut-être la raison de l’arrêt de Hiroa Fukuda. En écoutant ces quelques morceaux, je me dis intérieurement que j’adore cette musique. C’est un sentiment bizarre qui m’est venu en écoutant Hikaru Toki en particulier, quelque chose de profond et d’inattendu que je garde encore maintenant comme un sentiment palpable. Le single le plus connu du groupe, more than words, déclenche bien entendu les clameurs du public. Les percussions de Yuna au début du morceau accaparent toute mon attention. Sur scène, j’aime la manière par laquelle la bassiste Yurika se laisse entraîner par son rythme, au point même de perdre l’équilibre et de tomber à la renverse sur le dernier morceau Inori (祈り). Il y a une complicité évidente entre Moeka et Yurika. On sent qu’elles s’amusent sur scène, en courant de chaque côté de la scène pour se retrouver ensuite au centre dans un saut synchronisé. J’aime aussi les longues plages bruitistes qui entourent certains morceaux. De Hitsuji Bungaku, j’ai toujours cette image d’un groupe sage mais qui sait très bien déchaîner l’électricité quand il le faut. Je ressens une grande authenticité pour un groupe qui reste lui-même à tout moment. On le constate même dans les messages que Moeka adresse au public. Elle nous fait part du fait qu’elle n’imaginait pas qu’elles allaient jouer un jour avec Ging Nang Boyz. Moeka nous raconte qu’elle a rencontré Mineta pour la première fois lors du festival Fuji Rock, et qu’elle a pensé qu’il était en fait une personne très sympa, en sous-entendant d’une manière humoristique qu’elle n’en était pas tout à fait convaincue avant leur première rencontre. Cette petite remarque presque maladroite mais tout à fait honnête a fait beaucoup sourire la foule. Je pense que tous ont pu imaginer le sentiment que Moeka exprimait lors de ce petit message au public. Les dix morceaux passent finalement assez vite car le groupe les a enchaîné avec assez peu d’interruptions.

Une petite pause s’impose ensuite pour préparer la scène pour Ging Nang Boyz (銀杏BOYZ). Il ne faudra pas attendre très longtemps avant de voir arriver sur scène les membres du groupe. Ils se positionnent et règlent rapidement leurs instruments. Kazunobu Mineta arrive peu après sur scène sous les cris de la foule qui scande son nom. Cet engouement soudain m’a d’abord surpris et fait comprendre qu’une grande partie de la foule était là avant tout pour Ging Nang Boyz. Pour être très honnête, la seule entrée sur scène de Mineta a déchaîné des réactions beaucoup plus vives que lors de la partie d’Hitsuji Bungaku, qui était pourtant très acclamée. Je n’avais pas vu cela depuis longtemps. Mineta arrive donc sur scène sans guitare mais avec un petit tambourin à la main. Il porte un t-shirt blanc sans manches à l’effigie du personnage manga Ramu de Rumiko Takahashi. Le premier morceau est Amen, Semen, Mary Chain (アーメン・ザーメン・メリーチェイン) de leur dernier album en date Ne- Minna Daisuki dayo (ねえみんな大好きだよ). Il semble impassible aux cris de la foule. Il est concentré et même hanté tant son regard fixe loin devant avec une intensité qui me rappelle Sheena Ringo lors de certains de ses premiers concerts vus en vidéo. Ce regard m’impressionne, car il nous fait ressentir qu’il vit chacune des paroles qu’il prononce. Il reste calme et assez peu mobile sur scène pour ce premier morceau comme pour s’imprégner de l’énergie de la foule. C’est un excellent morceau de cet album et il est relativement apaisé même si les guitares qui l’accompagnent sont abrasives à souhait. Le groupe d’origine de Ging Nang Boyz s’est dissous depuis longtemps et Mineta est en fait l’unique membre restant. Le groupe qui l’accompagne lors de ce concert a l’air plus jeune que lui, à part peut-être le batteur. De ce fait, on ne retrouve pas vraiment lors du concert les cris parfois sauvages et excessifs des autres membres du groupe, notamment à l’époque des premiers albums comme DOOR. C’est un peu dommage mais pas très grave vue la densité sonore de chaque morceau. La setlist du concert couvre tous les albums du groupe, mais l’album DOOR est grandement représenté avec cinq morceaux sur un total de douze, en démarrant par le morceau clairement punk NO FUTURE NO CRY. Le public avait flairé le début de NO FUTURE NO CRY car une excitation inattendue s’est emparée d’une partie du public dès les premiers accords. Une bande à l’arrière de moi se rue soudainement vers l’avant en poussant tout le monde dans le dos. J’avance d’au moins quatre rangées vers l’avant en essayant de m’écarter rapidement de l’épicentre tout en gardant mon équilibre. J’ai l’impression d’être dans un métro qui vient de freiner en urgence. L’ambiance est un peu folle, car Mineta se lance dès ce deuxième morceau dans la fosse et se laisse porter par la foule. Il fera au moins deux diving mais on le ramènera assez rapidement sur scène. En fait pendant tout le concert, quelques personnes juste devant la scène se sont laissées également porter par le public en perdant parfois une chaussure dans l’opération. Je me suis dit à ce moment là que ce n’était finalement pas une si mauvaise mauvaise idée que d’être un peu à l’écart. L’operation de poussage m’a par contre un peu rapproché, ce qui était au final un mal pour un bien. Sur ce deuxième morceau, Mineta s’empare d’une rutilante guitare rouge Gibson Firebird. Il nous expliquera un peu plus tard pendant le concert qu’il l’a acheté récemment à Ochanomizu et qu’il l’inaugure ce soir, car il a cassé sa guitare Rickenbacker rouge adorée lors du dernier concert de la tournée américaine à Los Angeles, le 5 avril (qui se trouve être le jour anniversaire de la mort de Kurt Cobain). Il nous dira également qu’il en est très content. La puissance déferlante des guitares continuent sur le morceau suivant intitulé Otona Zenmetsu (大人全滅), qu’on pourrait traduire par « anéantissement des adultes ». Je l’ai déjà écris plusieurs fois sur les pages de ce blog lorsque j‘évoquais chacun des albums du groupe, mais un des thèmes récurrents dans la musique du groupe est d’évoquer le passage à l’âge adulte ou peut-être l’envie de ne pas y passer. C’est très certainement ce thème et cette immaturité assumée qui attirent la jeunesse présente nombreuse dans le public. Sur ce morceau, on l’entend hurler dans le micro, se cogner même le micro volontairement contre son front. Oui, c’est du punk rock, il n’y a pas de doute, mais il n’empêche que ce morceau Otona Zenmetsu est absolument fabuleux. Le poids que Mineta porte sur chaque mot au début du morceau me donne encore maintenant des frissons à chaque écoute. Il nous dira un peu plus tard qu’il s’est cassé une dent lors de ce troisième morceau, lui laissant un goût de sang dans la bouche. Il n’aurait peut être pas dû sauter une deuxième fois dans le public sur ce morceau. Il se calmera un peu ensuite. Ce qui est assez génial à entendre, c’est que le public connaît toutes les paroles et l’accompagne au chant pendant les refrains. J’apprécie chez Ging Nang Boyz le sens de la mélodie, car même si les morceaux regorgent de guitares abrasives et bruitistes, la mélodie est toujours prépondérante. Mineta a cette capacité à écrire des beaux morceaux de musique aux émotions prenantes. C’est après ce troisième morceau que le calme reprend brièvement, et c’est à ce moment qu’il avoue être un fan secret de Hitsuji Bungaku possédant plusieurs de leurs disques. Mineta prend ensuite une guitare acoustique pour quelques morceaux jusqu’à celui intitulé Ningen (人間) qui déchaîne une nouvelle fois la foule chantant avec lui les paroles clés: Mawaru Mawaru Guru Guru Mawaru, Hakuma de Odoru Akuma to Odoru (まわる まわる ぐるぐるまわる 吐くまで踊る 悪魔と踊る). À partir de ce moment là du concert, le public (et je m’inclus bien sûr) chante pratiquement sur tous les morceaux et notamment le suivant Yume de aetara (夢で逢えたら) où Mineta tend le micro vers le public. Il s’absente même de scène pendant plusieurs minutes au milieu du morceau, mais la foule continue à chanter les paroles sans interruptions. Ce morceau est également tiré de l’album DOOR et son ambiance me rappelle un peu Weezer. Je me suis demandé s’il allait revenir. Le côté imprévisible du personnage est bien là. Les morceaux qui suivent, Baby Baby et Poadam (ぽあだむ), continuent à faire chanter en chœur toute la salle et cet engouement fait plaisir à voir. Le morceau Poadam compte parmi mes préférés du groupe. De tous les concerts que j’ai pu voir ces trois dernières années, je n’avais pas vu une telle présence du public, et on se laisse emporter par cette ambiance. L’enthousiasme qui l’entoure fait dire à Mineta que le monde va mal en ce moment mais que tant qu’il y aura des lieux pour faire de la musique, Ging Nang Boyz sera présent à l’appel.

Un des moments les plus forts de ce concert était pour moi la collaboration inattendue de Moeka Shiotsuka et de Ging Nang Boyz, qui ravit la foule au plus haut point. Ils chantent ensemble un morceau intitulé Gingatetsudō no Yoru (銀河鉄道の夜) que Mineta a ecrit pour son précédent groupe GOING STEADY et qu’il n’a apparemment pas joué en concert depuis 23 ans. Ce morceau est également présent sur l’album DOOR. Il se trouve aussi qu’Hitsuji Bungaku avait joué ce morceau en reprise au début de leur jeune carrière. Mineta appelle Moeka qui monte sur scène avec un t-shirt de Ging Nang Boyz dessiné par Yoshitomo Nara. Elle chante le morceau tandis que Mineta l’accompagne à la guitare acoustique et en chœur. Moeka est complètement absorbée par la musique et se laisse aller à marcher dans tous les sens sur la scène comme si elle flottait sur les nappes de guitares. Elle prenait une attitude assez différente de ce que l’on peut voir pendant les morceaux d’Hitsuji Bungaku sur scène. On ressent qu’elle apprécie ce moment inhabituel. Elle est également portée par la foule et en profite même pour toucher de la main les spectateurs du premier rang (mince, j’aurais aimé être au premier rang). A la fin du morceau, ils se saluent en criant le nom de leurs groupes respectifs, puis se serrent la main et se séparent. Mineta reste sur scène avec son groupe pour un dernier morceau, Shōnen Shōjo (少年少女) qui conclura son set.

Ce double concert était assez spécial, différent par son intensité de ceux que j’ai pu voir ces derniers mois, quelque chose de plus brut et à fleur de peau. Ça m’a donné envie de revoir Ging Nang Boyz en concert. Ils commencent justement une tournée en Juin qui s’intitule Voyage spatial de l’ère Showa Année 100 (昭和100年宇宙の旅). Ce qui m’a frappé pendant ce concert pour ces deux groupes, est qu’ils savent créer des belles mélodies qui se mélangent brillamment à l’urgence du rock à guitares abrasives. Il y a une ressemblance de ce côté là entre Ging Nang Boyz et Hitsuji Bungaku. Je me suis demandé qu’elle pourra bien être l’influence du duo final sur la suite créative des deux groupes. Est-ce que Moeka s’inspirera de Mineta ou vice-versa pour l’écriture de nouveaux morceaux. J’aimerais en tout cas beaucoup entendre un morceau studio original qu’ils chanteraient ensemble. La prochaine étape de la série de concerts anniversaire Japon (じゃぽん) se déroulera dans la salle de Sendai PIT le 29 Juillet 2025. Ce sera une nouvelle fois un double concert réunissant Ging Nang Boyz et Seiko Ōmori (大森靖子). Ces deux là se connaissent déjà pour avoir déjà chanté ensemble. Cette future collaboration m’a même donné envie de découvrir quelques morceaux de Seiko Ōmori sur des albums que je ne connaissais pas, mais j’y reviendrais certainement dans un prochain épisode.

Pour référence ultérieure, je note ci-dessous les setlists des deux groupes lors du concert Toyosu PIT 10th ANNIVERSARY GING NANG BOYZ×HITSUJI BUNGAKU “Japon Vol.1”, le Vendredi 9 Mai 2025.

Hitsuji Bungaku (Première partie):
1. Addiction
2. Eternal Blue (永遠のブルー)
3. Koe (声)
4. tears
5. Yokan (予感)
6. Burning
7. Hikaru Toki (光るとき)
8. OOPARTS
9. more than words
10. Inori (祈り)

Ging Nang Boyz (Deuxième partie):
1. Amen, Semen, Mary Chain (アーメン・ザーメン・メリーチェイン)
2. NO FUTURE NO CRY
3. Otona Zenmetsu (大人全滅)
4. Yōji to tsuki no hime (夜王子と月の姫)
5. Hyōryū Kyōshitsu (漂流教室)
6. Night Rider (ナイトライダー)
7. Ningen (人間)
8. Yume de aetara (夢で逢えたら)
9. BABY BABY
10. Poadam (ぽあだむ)
Rappels
11. Gingatetsudō no Yoru (銀河鉄道の夜) with Moeka Shiotsuka
12. Shōnen Shōjo (少年少女)

Les photos présentes sur ce live report sont un mélange de photos que j’ai pris, d’autres provenant des réseaux sociaux des deux groupes et du site de Pia. Sur les setlists ci-dessus, je n’indique pas les noms des albums desquels sont tirés les morceaux car ceux des albums de Ging Nang Boyz sont tellement longs que ça rendrait le tout illisible.

l’observatoire d’Enoura

L’Observatoire d’Enoura (江之浦測候所) près d’Odawara, est un endroit que je voulais visiter depuis très longtemps. J’ai finalement réussi à réserver des places pour le dernier jour de la Golden Week, le 6 Mai 2025, à ma grande surprise. Les réservations préalables sont nécessaires, ce qui inclut la place de parking, bien qu’un bus soit également disponible pour s’y rendre depuis la station la plus proche. Je n’avais pas vérifié la météo à l’avance pensant à tord qu’il ferait beau temps pendant toute la Golden Week. Je me suis rendu compte un peu plus tard que le jour prévu de notre visite était le seul où la pluie allait tomber. La météo est de toute façon difficile à prévoir, mais je me suis demandé si c’était la raison pour laquelle on avait pu réserver nos places aussi facilement. Il y a quand même quelques avantages dans les jours pluvieux, l’un d’entre eux étant d’avoir une autoroute particulièrement fluide jusqu’à Odawara. Nous quittons ensuite l’autoroute pour une petite route longeant l’océan jusqu’à Enoura. Notre visite est programmée à 13h30 et nous mangeons donc avant, dans un petit restaurant de poissons au bord de mer. L’observatoire d’Enoura se trouve juste au dessus du restaurant où nous déjeunons mais il n’est pas directement accessible en voiture. Il faut faire un large détour pour remonter la montagne cachant le complexe artistique. L’observatoire d’Enoura surplombe la baie de Sagami. La vue sur la baie est normalement imprenable mais les nuages et la pluie nous font à peine distinguer l’horizon. Depuis le parking, on entre par un petit chemin boisé dans un autre monde.

L’observatoire d’Enoura a été fondé en 2017 par l’Odawara Art Foundation qui a elle-même été établie par le photographe Hiroshi Sugimoto (杉本博司). Sugimoto n’est pas seulement photographe car il a lui-même conçu l’architecture de l’observatoire. Le vaste espace vallonné de l’observatoire est également agrémenté de certaines de ses sculptures, entre beaucoup d’autres objets historiques glanés dans différents lieux du Japon. La vision d’Hiroshi Sugimoto pour cet observatoire est de reconnecter l’humain avec les cycles célestes et les origines spirituelles de l’art, ce projet s’inspirant d’anciens rituels solaires et lunaires, notamment ceux du solstice d’hiver et d’été. On y trouve donc des structures alignées avec les positions du soleil lors des solstices et des équinoxes, évoquant la manière dont les premières civilisations observaient le ciel pour donner du sens à leur existence. Il y a une notion de durée longue dans l’oeuvre d’Hiroshi Sugimoto. On le notait dans ses photographies de théâtres et d’océans prises en très longues expositions, que j’avais pu voir pour la première fois lors d’une grande exposition intitulée End of Time au Mori Art Museum en Janvier 2006. Le flou de sa série de photographies d’architecture dont j’avais acheté le livre contient également cette idée de temps et de mémoire. Le site de l’observatoire est conçu pour vieillir, prendre de l’âge. Il y a de nombreux éléments architecturaux et installations artistiques sur le site de l’observatoire, placés dans une nature luxuriante mais travaillée. On a l’impression que chaque endroit du parc a été réfléchi et que rien n’est laissé au hasard dans la géométrie des lieux. En prenant des photographies, je me suis plusieurs fois dit que Sugimoto avait imaginé chaque endroit du parc en pensant à son cadrage photographique. Le parc est comme composé de petites scènes artistiques parfaitement agencées. On en vient même à penser que les plantes incrustées entre les roches des murs de pierre ont été installées volontairement. Malgré la pluie qui ne nous a pas épargné pendant toute notre visite, j’ai été frappé par la beauté des lieux. Il y a la beauté intrinsèque du site donnant une vue sur l’ocean qu’on a finalement deviné à la fin de notre visite alors que le ciel commençait à se découvrir progressivement, mais il y a aussi la beauté de l’architecture, de l’agencement des formes, des objets portant tous une histoire. Et il y a aussi la beauté de l’idée que tout cet ensemble si parfait est organique et finira par s’altérer, par prendre une patine qui donnera une âme profonde aux lieux.

Dès notre arrivée sur le site, on passe devant la porte de la pleine lune, la porte Meigetsu restaurée de la période Muromachi (1338-1573) et qui était auparavant utilisée comme entrée du musée Nezu à Tokyo. On nous accueille dans une des dépendances de verre servant de réception en nous donnant un petit livret illustré avec un parcours proposé et des explications de chacun des bâtiments et objets. On peut bien entendu se promener librement et c’est d’ailleurs ce que nous faisons sans trop se soucier du plan et des explications. J’y vais pour le ressenti et tenir un parapluie en main tout en se promenant ne gâche pas vraiment mon plaisir. Hiroshi Sugimoto dit lui même qu’il faut visiter l’observatoire d’Enoura à diverses saisons et sous des conditions météorologiques différentes. La pluie par exemple fait ressortir les réflexions de lumière sur les dalles de pierre, et prononce la présence des mousses que l’on trouve un peu partout dans le parc. Parmi les installations les plus remarquables du site, on compte le tunnel de la lumière du solstice d’hiver, qui est long de 70 mètres et est orienté pour capter les premiers rayons du soleil lors du solstice d’hiver. On peut marcher à l’intérieur du tunnel et au dessus à une des extrémités se jetant dans l’air sur le flanc de la colline. Cette extrémité du tunnel est placée juste à côté d’une scène en verre optique, soutenue par une charpente en cyprès japonais. Cette scène est également orientée sur l’axe du solstice d’hiver. Un petit amphithéâtre romain reconstitué donne une vue sur cette scène qui semble flotter dans les airs. J’imagine qu’on doit y jouer des spectacles, et que ça doit être agréable le soir avant les chaleurs de l’été. Le bâtiment le plus imposant du site est la galerie de la lumière du solstice d’été. Il s’agit d’un long couloir de 100 mètres perché à 100 mètres au-dessus du niveau de la mer. La structure se compose d’un côté d’un long mur en pierre d’Ōya et de l’autre de larges baies vitrées ininterrompues et sans colonnes. Sur le mur, sont placées plusieurs photographies d’océan en très grand format prises par Hiroshi Sugimoto. Derrière la porte Meigetsu et devant l’amphithéâtre, une scène de pierre inspirée d’un théâtre Nô est construite de roches locales de Nebukawa et de pierres abandonnées lors de la construction du château d’Edo. En descendant le chemin de la colline couvert de citronniers, on rencontre une maison de thé appelée Uchōten (雨聴天 pour Rain Listen Heaven, Écouter la pluie ce qui est fort à propos en cette journée). C’est une réinterprétation contemporaine de la maison de thé Taian conçue par Sen no Rikyū, utilisant des matériaux récupérés, comme un vieux toit en tôle rouillée. A travers une des ouvertures, on peut apercevoir un torii de pierre atypique datant de la période Kofun (250-592). En descendant encore la colline, on traverse une forêt de bambous donnant accès à une maison de jardinier abritant des anciens outils d’agriculture et des fossiles. Un sanctuaire appelé Kankitsuzan Kasuga nous attend à finalement au bout du parcours, à l’endroit le plus proche de l’océan. Le site est en constante évolution car des nouveaux éléments sont progressivement ajoutés, avec à chaque fois des détails précis sur leurs origines historiques. Il s’agit d’une sorte de musée en plein air sauf que la priorité est ici donnée à l’expérience sensorielle et poétique. Il s’agit pour sûr d’une œuvre artistique unique, d’une œuvre totale fusionnant la nature avec l’architecture et l’art ancestral, avec toujours cette idée de spiritualité et de cosmologie.

L’observatoire d’Enoura compte très facilement parmi les oeuvres architecturales les plus belles et abouties que j’ai pu voir, tout simplement parce que l’approche artistique y est primordiale et parce que tout est conçu pour être parfaitement intégré dans l’espace naturel environnant. Hiroshi Sugimoto nous explique que ses premiers souvenirs d’Enoura remonte à son enfance. Lors d’un voyage en train en revenant d’Izu, il avait été ébloui par le paysage et la lumière lorsque la ligne de train s’ouvrit soudainement sur l’océan. On retrouve cette idée d’émerveillement dans le domaine. A la fin de notre visite, on s’est bien sûr promis d’y revenir, pour voir ce que donne la vue sur la baie de Sagami lors d’une belle journée. Des cerisiers étant plantés sur le terrain du parc, j’imagine que le printemps doit être une période très prisée. Près de la galerie de cent mètres, des arbres momiji sont également plantés, me faisant penser que l’automne doit être pas mal non plus. La forme de leur feuillage et leurs emplacements semblent si bien agencés qu’on pourrait croire à une structure naturelle. Tout est de cet ordre à Enoura. Il faut être attentif aux moindres recoins, aux moindres détails. Le fait que le nombre de visiteurs soit limité permet de profiter de cette expérience dans les meilleures conditions. J’ai pour terminer tout simplement envie de remercier Hiroshi Sugimoto de nous proposer un tel spectacle. Alors que j’écris les lignes de ce long texte, me revient tout d’un coup en tête le morceau Bōenkyō no Soto no Keshiki (望遠鏡の外の景色) de l’album Gyakuyunyū: Kōwankyoku (逆輸入 ~港湾局~) de Sheena Ringo, peut-être parce que la vue à l’extérieur du télescope que son titre implique me ramène aux expériences cosmologiques qu’Hitoshi Sugimoto nous propose dans son Observatoire d’Enoura.

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J’ai deux billets assez longs en cours d’écriture mais je n’ai pas trop le cœur aux longues écritures en ce moment. Je cherche donc à détourner ma propre attention avec des billets plus courts comme ceux de cette série freeform. Mais comme toujours, mes billets commencent petits mais grandissent plus que je ne l’aurais initialement souhaité. Il faut que je m’efforce à rester succinct. Depuis quelques semaines, j’ai repris les exercices physiques en salle de sport à un rythme de quatre fois par semaine, ce qui me laisse d’autant moins de temps pour l’écriture sur ce blog. La pratique d‘exercices physiques n’est pas source d’inspiration pour l’écriture, mais me devenait nécessaire tout comme ce blog peut l’être. Je ne sais toujours pas exactement quelle est la finalité de Made in Tokyo, mais je le découvrirais peut-être un jour comme une révélation. Il faut pourtant garder en tête qu’un blog reste éphémère et peut s’éteindre si je décide de ne plus payer les frais d’hébergement et de nom de domaine, qui sont en tout non négligeables, d’autant plus que j’ai pendant vingt-deux ans pris le parti de ne pas y intégrer de publicité. Mon questionnement sur la continuation de ce blog se pose d’ailleurs régulièrement au mois de Janvier lorsqu’il faut se décider à renouveler son hébergement. Made in Tokyo est devenu pour moi « too big to fail » dans le sens où j’y ai passé trop de temps pour pouvoir le clore sur un coup de tête. La relative confidentialité de Made in Tokyo me permet en tout cas de continuer sans influence extérieure et je sais qu’une trop forte affluence lui serait néfaste comme le sur-tourisme à Kyoto dont j’entends tant parler. Le sur-tourisme est le sujet préféré de ceux qui ne savent pas regarder ailleurs. Certaines et certains savent cependant regarder ailleurs en toute simplicité. A ce propos, je ne peux qu’encourager la lecture du blog de Sunalee qui nous fait part en ce moment de son voyage à Shimane et Hiroshima, des lieux que je ne connais pas encore. J’aime beaucoup son approche, d’écriture et photographique. J’y ressens un respect humble que je n’ai pas beaucoup lu ailleurs. Et elle nous parle souvent d’architecture sur ses pages, ce qui m’intéresse forcément beaucoup. Son billet le plus récent nous amène à Onomichi, un endroit que j’ai très envie de découvrir depuis quelques années, en fait depuis que j’ai écouté la musique de Meitei (冥丁) qui y vit. Il existe quelques blogs actifs parlant du Japon d’une manière intime et d’une grande qualité. Ils sont rares mais existent.

Je me passionne ces derniers temps pour le magazine AVYSS car il me parle de musiques que j’aime, et en particulier du nouvel EP de Dos Monos intitulé Dos Moons, sorti le 7 Mai 2025. « Junji Itō on the cover » nous rappe le groupe à la fin du premier morceau Gilda. L’illustration de la couverture du EP représentant une femme méduse est en effet signée par Junji Itō (伊藤潤二) et elle est superbe. Les quatre morceaux de Dos Moons sur cet EP sont polymorphes, complètement imprévisibles et mélangeant les genres dans un tourbillon souvent chaotique, comme ça pouvait être le cas sur leur album précédent Dos Atomos qui reste pour moi une sorte de monstre musical particulièrement prenant. Ce nouvel EP n’atteint pas les sommets de Dos Atomos, Hi no Tori par exemple, mais n’en reste pas moins dans la même veine artistique. Il faut se laisser entraîner dans ce tourbillon verbal, ce qui n’est pas forcément facile à la première écoute mais quand on arrive au dernier morceau Oz faisant intervenir du saxophone, on ne peut que se dire que Dos Monos sait brillamment jouer avec les ambiances et les sensations, dans un grand cirque qui n’est pas dénué d’humour. Cet humour là, la puissance des voix rappées du trio et la liberté complète et sans complexe des compositions musicales sont les éléments qui m’attirent à chaque fois chez Dos Monos. Je regrette vraiment d’avoir louper leur concert à Tokyo il y a quelques semaines, mais ça aurait fait un peu trop d’évènements pour ce mois de Mai.

Je continue ensuite avec le hip-hop mais dans des rythmes beaucoup plus cools et apaisés. Je retrouve la rappeuse 7 (Nana) accompagnée par le rappeur MIKADO sur un single intitulé Flyday sorti le 28 Mai 2025. Ces deux rappeurs font partie du groupe de Wakayama (和歌山勢), une jeune scène hip-hop se développant dans la préfecture de Wakayama. Écouter ce morceau me ramène du côté des plages de Shirahama que nous avions été voir l’année dernière et dont je garde un excellent souvenir. Dans le rap japonais, je connaissais le hip-hop de Kawasaki, avec notamment Bad Hop, mais le rap de Wakayama est une belle découverte. Le rap japonais étant un sujet de discussion avec mon fiston, je ne perds pas une occasion de faire de nouvelles découvertes même si ce n’est pas mon domaine de prédilection. En fait, je ne suis plus vraiment sûr d’avoir des domaines musicaux de prédilection et ça serait de toute façon idiot de se limiter à certains genres. Le problème qui s’en suit est que j’ai du coup beaucoup trop de nouvelles musiques à écouter et dont je voudrais parler sur ce blog. Je finis par perdre le fil de ce que j’ai écouté et aimé. Et dire qu’il y a de cela quelques années, je me plaignais de ne pas trouver de musiques japonaises intéressantes. Le Japon est un pays de musiques.

Hier soir, je me déplace exprès jusqu’à la librairie Tsutaya de Ginza6 pour rechercher un livre d’illustration d’Ayako Ishiguro (石黒亜矢子). Il y en a deux et je choisis celui regroupant la deuxième partie de la collection de ses œuvres (作品集其の弐). Je n’ai réalisé que récemment que cette artiste est en fait l’épouse de Junji Itō, et je me suis dit « Oui bien sûr! ». Ce n’est pas qu’il y a une ressemblance de style entre les deux artistes mais une même attirance pour l’étrange qu’il et elle arrivent à transmettre formidablement dans leur illustrations (formidable est étymologiquement emprunté au latin formīdābilis qui signifie formidable et terrible, et dérivé de formido signifiant peur, terreur, effroi). On sait que le couple aime les chats et ils sont souvent représentés dans les illustrations d’Ayako Ishiguro, mais sous la forme de dieux mythologiques. Un très grand nombre des dessins nous ramènent vers des légendes anciennes revisitées. Ces monstres de légendes sont censés nous faire peur mais ils n’en demeurent pas moins mignons et visuellement attachants. Cette dualité est très intéressante et, graphiquement parlant, ce petit livre d’environ 160 pages est vraiment superbe. J’adorerais voir des illustrations de cette artiste dessinées sur les parois coulissantes intérieures d’un temple, un peu comme les dragons du Ryōan-ji à Kyoto. La librairie Tsutaya de Ginza 6 est bien remplie en ce qui concerne les livres d’illustrations japonaises. On y trouve par exemple un grand nombre de livres de Takato Yamamoto, que j’avais découvert en même temps que la musique de Meitei (Notez que comme un chat, je retombe toujours sur mes pieds).

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Sur le chemin du retour ce soir, il me vient en tête de réécouter quelques morceaux choisis de l’album Lust (2005) du musicien électronique Rei Harakami (レイ・ハラカミ), en particulier le morceau Lust donnant son titre à l’album, puis Grief & Loss, Owari no Kisetsu (終りの季節), Come Here Go There et After Joy. C’est étonnant que l’idée me soit soudainement venu de réécouter ces quelques morceaux alors que l’album vient tout juste d’avoir 20 ans, étant sorti le 25 Mai 2005. Je l’avais découvert quelques mois après sa sortie, en 2005. Je n’avais pas réalisé à l’époque que le morceau Owari no Kisetsu était une reprise de Haruomi Hosono (細野晴臣). Il faut dire que la version de Rei Harakami est bien différente et reprend surtout les paroles du morceau original. Je n’avais pas réalisé non plus que Rei Harakami n’était plus de ce monde, décédé d’une hémorragie cérébrale en Juillet 2011. Alors que j’apprends sa mort 14 ans plus tard en lisant sa fiche Wikipedia sur mon smartphone dans les rues sombres qui me ramènent tranquillement chez moi, les paroles prononcées par Rei Harakami sur Owari no Kisetsu prennent tout d’un coup une autre ampleur. Écouter cette musique me fait relire le billet que j’avais écrit à son sujet il y a vingt ans. Le relire me donne la nostalgie d’une certaine fraîcheur dans mon style d’écriture, qui a malheureusement disparu depuis bien longtemps. Tout paraît plus léger lorsqu’on a vingt ans. J’ai en ce moment envie de réécouter des musiques électroniques japonaises un peu plus anciennes, et j’ai écouté plusieurs fois ces derniers jours l’album Jelly Tones (1995) de Ken Ishii, qui aurait tord de se limiter à Extra. Ceci étant dit, Extra est bien entendu un morceau fabuleux par sa force d’évocation qui nous amène vers les mondes futuro-chaotiques de Katsuhiro Ōtomo. Le reste de l’album ne peut lui arriver à la cheville. En parlant plus haut de Haruomi Hosono, on a pu le revoir à la television récemment lors de la retransmission sur la NHK des Music Awards Japan (MJA) dont c’était la première édition. Il en faisait l’introduction. Je n’ai pas regardé l’émission en direct, mais sur un replay sur NHK+. Je voulais en fait voir la remise d’un prix pour Hitsuji Bungaku (羊文学) mais le replay ne montrait que certains moments choisis, et celui-ci n’en faisait pas partie. L’émission a dans l’ensemble eu du mal à m’intéresser, à part pour un duo rap mené par Awich avec AI, où étaient également invitées d’autres rappeuses comme Nene du Yurufuwa Gang. Ça m’a amusé de voir Nene recouvrir entièrement ses nombreux tatouages, car il s’agit tout de même d’une émission de la NHK, d’autant plus sponsorisée par une organisation gouvernementale. Ce n’est pas dans ce type d’émission en tout cas que je peux être amené à faire des nouvelles découvertes musicales.

Je m’intéresse par contre beaucoup plus, en ce moment, au magazine AVYSS qui évolue dans des terrains musicaux beaucoup plus underground. Je découvre le premier EP intitulé A HUMAN TOUCH de la compositrice et interprète Michiru (倫瑠). Elle est née en 2004, et a donc un peu plus de vingt ans. La photographie qui sert de couverture a été prise par son père et est vraiment chouette. Je ne suis pas sûr qu’il s’agisse de la compositrice lorsqu’elle était enfant, mais ça semble très probable. Cet EP est sorti le 24 Mai 2025, et j’ai tout de suite accroché à son atmosphère singulière, parfois assez expérimentale. Michiru a entièrement réalisé cet EP elle-même, de l’instrumentation, au chant et au mixage. J’y trouve une grande sensibilité et une mélancolie rêveuse qui me plait beaucoup. A HUMAN TOUCH est composé de quatre morceaux pour une douzaine de minutes. Le morceau le plus accrocheur s’intitule End, et me rappelle un peu les ambiances du groupe Tamanaramen (玉名ラメン) que j’avais d’ailleurs dû découvrir grâce à AVYSS. Michiru se produisait dès le jour de la sortie de son EP au festival Mori Michi Ichiba 2025 (森、道、市場2025) dans une section nommée AVYSS Chain. A noter au passage que YouTube fait des erreurs et associe cet EP à une autre artiste du même nom.

J’écoute presque toutes les semaines l’émission Music Bloom, sur la radio J-Wave, présentée par Shin Sakiura et Rachel de Chelmico, car j’aime beaucoup l’ambiance joyeuse qui s’en dégage. Il s’agit d’une émission musicale présentant des jeunes artistes ou groupes du Japon et d’Asie. Les deux présentateurs aiment rire et plaisanter et cette bonne humeur est contagieuse. J’y fais de temps en temps des belles découvertes, comme le morceau Eternal Flame de la compositrice et interprète japonaise Hiar. Il s’agit de son premier single, sorti le 13 Mai 2025. Je trouve quelque chose de très apaisant dans sa voix, même si le morceau est musicalement assez dense. Eternal Flame ne bouleversera pas les genres mais je le trouve très agréable au point de le réécouter à répétition. On pourra très certainement lui prédire beaucoup de succès futurs.

vers le Tōshōgū d’Ibaraki

Le jour suivant notre visite du Ichihara Lakeside Museum à Chiba, nous reprenons la route pour la préfecture limitrophe d’Ibaraki. Comme je l’ai déjà dit quelques fois, cette préfecture est la moins touristique du Japon mais il y a pourtant tant de lieux intéressants à visiter. Cette fois-ci nous partons vers le sanctuaire Ōsugi (大杉神社), situé à Inashiki, en faisant une halte déjeuner à la station routière Shōnan (道の駅しょうなん てんと) qu’on connaissait déjà. La route est un peu longue jusqu’au sanctuaire d’Ōsugi. Depuis la station routière de Shōnan, le système de navigation routière nous conseille une route longeant le long et large fleuve Tone. J’hésite d’abord une première fois car cette route au plus près du fleuve semble étroite, mais on finit par y entrer, la navigation insistant que cette route est la plus rapide pour notre destination. C’est une route locale bordée d’herbes folles au pied du talus de la rivière. On peut y passer à deux voitures mais il faut ralentir et s’écarter au maximum à chaque rencontre. On reconnaît les habitués qui ont replié en permanence leurs rétroviseurs. J’ai beaucoup apprécié ce trajet naturel qui nous a mené pratiquement jusqu’à notre destination. Le sanctuaire Ōsugi est situé dans un regroupement d’habitations ressemblant à un village, loin des grands axes routiers. On s’interroge sur la présence d’un sanctuaire aussi riche à cet endroit. Le sanctuaire shintoïste Ōsugi a été fondé en 767 et est le sanctuaire principal d’environ 670 autres sanctuaires Ōsugi répartis dans les régions du Kantō et de Tōhoku. Une des particularités de ce sanctuaire est d’être richement décorés de sculptures détaillées et arborer des couleurs vives, ce qui lui vaut le surnom de Nikkō Tōshō-gū d’Ibaraki. On est quand même assez loin de la grandeur du Tōshōgu de Nikkō, mais le hall principal ainsi que la grande porte impressionnent en tout cas le visiteur. J’aime particulièrement les décorations de la grande porte torii placée à une des entrées du sanctuaire.