fresh air & long haircut

Une compilation de photographies provenant de différents lieux composent ce billet, en ne précisant pas clairement les liens qui sont créés entre elles même s’ils existent dans mon inconscient. La petite poupée aux cheveux roses à l’air triste aurait par exemple peut-être préféré s’installer pour boire son thé dans les jardins du parc de l’hôtel Prince à Shiba que je montre sur la photographie qui suit. La première photographie a été prise dans le parc Inokashira avant la floraison des cerisiers dont on devine presque chaque bourgeon. La deuxième photographie montre la Villa Bianca datant de 1964 par l’architecte Eiji Hotta (堀田英二). Cette résidence est toujours debout malgré ces longues années et n’a, à ma connaissance, pas subi de changements profonds d’apparence, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. Elle est enregistrée au registre Docomomo (Documentation and Conservation of buildings, sites and neighborhoods of the Modern Movement), mais ce n’est à priori pas une condition suffisante pour protéger cette résidence des affres de la destruction. Nous avons déjà le malheureux exemple de la tour Nakagin de l’architecte Kisho Kurokawa qui a tenu pendant de longues années pour finalement succomber sous les yeux nombreux de ses admirateurs. La fleur bleue boutonnée de Shun Sudo est toujours en floraison sur un des murs du building Realgate en direction de Shinjuku. Sur cette troisième photographie, j’aime particulièrement l’association de couleurs à tendance bleutée, qui s’accordent assez bien avec l’association de couleurs rosées de la photographie qui suit. Ces barres numérotées sont une création artistique de l’architecte française basée à Tokyo, Emmanuelle Moureaux. J’avais déjà vu une de ses installations à Roppongi Hills. Celle ci-dessus se trouve dans le nouveau complexe Takanawa Gateway City qui est à peine ouvert. A part cette installation très colorée, il n’y a pas grand chose à y voir pour l’instant.

Je ne sais plus par quel cheminement j’ai été amené à lire le billet de Julien Bielka sur la plateforme Medium au sujet de la compilation de rock alternatif japonais Music for Tourists: A Passport for Alternative Japan. Il m’a amené à écouter puis à acheter cette compilation en digital sur Bandcamp. Elle est sortie en Juillet 2024 sous le label indépendant Call and Response Records, spécialisé dans la musique indé, post-punk, new wave et underground japonaise depuis 2005. Je suis en fait ce label depuis longtemps mais de manière un peu distraite à travers les messages sur les réseaux sociaux de son fondateur Ian (F) Martin. Maintenant que j’y pense, j’ai du tombé sur le billet de Julien Bielka à travers un tweet de Ian (F) Martin sur Bluesky (que je n’utilise pourtant pas beaucoup). La compilation est copieuse car elle propose 16 morceaux finement sélectionnés pour environ 1hr 15mins de rock alternatif poussant assez volontiers vers l’expérimental. L’ensemble est varié et souvent très inspiré. Comme sur toutes les compositions, je n’accroche pas de manière systématique à tous les morceaux proposés mais certains sont particulièrement bons voire excellents, en commençant par le troisième morceau Coffee Oishii (コーヒーおいしい) du groupe Dubia 80000cc (デュビア80000cc) basé à Kumamoto dans le Kyushu. J’aime beaucoup les sonorités d’abord inquiétantes du riff de guitare, qui joue ensuite sur la répétition et l’urgence, et surtout la basse omniprésente. La voix du chanteur me rappelle un peu celle de Kazuhiro Momo (百々和宏) de MO’SOME TONEBENDER (モーサム・トーンベンダー). Le cinquième morceau Futari, Kono Yoru (ふたり、この夜) du groupe Breakman House, trio basé à Matsumoto, entre également dans la liste des morceaux que j’apprécie beaucoup sur cette compilation. Le rythme y est plus apaisée et le morceau prend son temps sur sept minutes. La voix neutre et un peu nonchalante du chanteur se bouscule un peu en cours de morceau alors que les guitares se font plus abrasives. Le morceau qui suit intitulé P.P.P. est également celui d’un trio, mais cette fois-ci féminin, nommé Zonose (象の背) provenant de Kyoto. On comprend assez vite que la compilation nous fait découvrir divers horizons en traversant tout le Japon. Sur ce morceau, on trouve le charme discret des voix qui ne sont pas parfaites mais qui parviennent à transmettre une émotion authentique, pleine de doutes et d’incertitudes. La chanteuse de Zonose nous chanterait presque au creux de l’oreille, tant cette voix nous semble proche. Je trouve une pointe un peu plus pop au morceau qui suit intitulé Bin wo Otoshimashita (industrial version) (ビンを落としました). Il est interprété par pandagolff, un groupe de Tokyo se revendiquant du courant post-punk. Ce morceau agit comme une passerelle pleine de couleurs avant d’entrer vers des terrains plus expérimentaux, avec le morceau in the morning I eat rotten meat (alternative version) du groupe schedars, également basé à Tokyo. La guitare y est instable comme si le guitariste cherchait en vain à composer un riff qu’il arrivera à répéter, mais il part dans une sorte d’improvisation qui contraste avec le rythme de basse très électronique et le chant répétant en continu et d’une manière machinale le titre du morceau. Le morceau qui suit, haircut (long version) du groupe de Nagoya WBSBFK, est en effet long de presque neuf minutes. L’ambiance y est sombre, le rythme lent et la voix du chanteur du trio entêtante. Suit ensuite un ovni musical d’un autre trio basé cette fois-ci à Hamamatsu. Le morceau 0I0 du groupe mizumi est particulièrement étrange et captivant. Très intriguant également ce qui m’a poussé à en savoir un peu plus sans grand résultat. Je comprends tout de même que deux membres du groupes, dont Hiromi Oishi (大石裕美), sont en fait membres d’un autre groupe nommé QUJAKU, ayant partagé une tournée jusqu’à Londres avec Melt Banana. 0I0 commence doucement avec quelques percussions mais gagne vite en intensité, avec une basse particulièrement puissante, des bruits électriques fuyant et des chants d’un language incompréhensible flottant au dessus du tout. Il s’agit là encore d’un long morceau, de plus de huit minutes, sans concession et d’une totale liberté de composition. Le mystère de 0I0 me ramène un peu vers les mondes étranges de OOIOO, mais c’est peut-être seulement le titre du morceau qui me rappelle le nom du groupe OOIOO. Le morceau FEELING du groupe Academy Fight Song originaire de Fukuoka est plus classique dans sa composition, mais extrêmement efficace. La compilation devait évidemment passer par Fukuoka et je ne suis pas déçu par ce que j’entends. La compilation se termine avec le morceau Fresh Air (alternative version) du groupe Barbican Estate, qui compte parmi mes préférés de l’album. Barbican Estate est un trio (décidément) de Tokyo fondé en 2019 mais qui a migré vers Londres en 2022. Dans leurs influences, ils citent le rock psychédélique japonais de Les Rallizes Denudes, le rock alternatif US de Sonic Youth et l’architecture brutaliste. Voir un groupe mentionner une influence architecturale dans sa musique m’intrigue et m’intéresse forcément beaucoup, surtout s’il s’agit de brutalisme. On reconnaît en effet une certaine approche brute dans le son de la guitare de Kazuki Toneri. Le chant de Miri, qui joue également de la basse, me fait immédiatement penser à Kim Gordon. L’influence citée de Sonic Youth ne m’a donc pas échappé, mais l’ambiance y est tout de même plus sombre. Barbican Estate fait référence à un ensemble architectural historique au centre de Londres et je comprends que le trio a pu le visiter de l’intérieur. L’album Music for Tourists: A Passport for Alternative Japan se termine sur des notes qui en amènent d’autres car j’ai très envie s’approfondir l’écoute de la musique de certains groupes ci-cités. Le nom de la compilation, qui ne me parle pas beaucoup pour être très honnête, est une allusion évidente à l’album Music for Airports de Brian Eno, titre que je n’aime pas trop non plus. Je n’aime pas beaucoup forcer la musique à un lieu imposé, car les musiques que l’on écoute trouvent elles-mêmes les lieux qui leur conviennent. Le titre Music for Tourists nous imposent que ces musiques nous seront toujours étrangères et qu’on n’arrivera jamais à les comprendre, ce qui en quelques sortes essaie de garder l’auditeur à l’écart. Ce titre ne gâche pourtant en rien l’écoute et le fait que je ne connaisses aucun groupe de cette compilation me fait même dire qu’il y a encore beaucoup de belles choses à découvrir dans les musiques indépendantes japonaises. Pour revenir sur le billet qui m’a fait découvrir cette compilation, je ne peux m’empêcher de lire la critique en aparté du magazine Tempura avec un petit sourire amusé. Je n’ai jamais lu ce magazine bien que je l’ai déjà vu en vente à la librairie Kinokuniya de Shinjuku à un prix prohibitif, donc je ne pourrais juger de sa qualité, mais j’arrive assez bien à imaginer ce que l’auteur du billet insinue car ça m’a également effleuré l’esprit une ou deux fois.

des cerisiers mais également autres choses (3)

En passant vers l’entrée de l’Hôtel Meguro Gajoen également agrémenté de quelques cerisiers en fleurs, je remonte un peu plus vers l’église catholique de Meguro, qui était également un des objectifs de cette marche florale. Je voulais y passer pour adresser une dernière prière à un proche récemment disparu et pour lequel nous passerons une grande partie du week-end pour une sépulture bouddhiste. L’église St. Anselm Catholic Meguro Church (聖アンセルモ カトリック目黒教会) est un chef d’oeuvre de l’architecte Antonin Raymond. Elle a été construite en 1956. L’extérieur semble cependant avoir été rénové. La beauté se trouve à l’intérieur mais on ne peut malheureusement pas y prendre de photos. Je me pose sur un des bancs à l’intérieur pendant une vingtaine de minutes pour observer et apprécier autour de moi cette beauté brutaliste. Les longues lames de béton latérales laissent passer la lumière en quantité suffisante. Les imposantes poutres de béton sont impressionnantes. Mon attention se dirige ensuite vers l’autel au design minimaliste et symbolique mais recouvert en partie par une étrange surface courbe dorée jaillissant du sol. On peut voir quelques photographies de l’intérieur sur internet.

コンクリートも詩

Après une première visite en Décembre 2024 avant son ouverture officielle, je reviens déjà voir le Sony Ginza Park car on y montre une autre exposition intéressante que j’ai pourtant failli manquer pensant avoir tout le temps devant moi pour y aller. L’exposition Sony Park Exhibition 2025 (Sony Park展 2025) explore six domaines dans lesquels Sony est engagé dont la Musique, les Semi-conducteurs, la Finance, les Jeux Vidéo, les Technologies de l’Entertainment et le Cinéma, en les associant à six groupes d’artistes. L’exposition se décompose en deux parties distinctes. La première partie que j’ai été voir se déroulait du 26 Janvier au 30 Mars 2025 et la deuxième partie démarrera le 20 Avril pour se terminer le 22 Juin 2025. L’exposition de la première partie se déroulait sur les troisième et quatrième étages et au deuxième sous-sol. L’entrée était gratuite mais il fallait réserver à l’avance, ce qui n’était pas chose aisée, car les disponibilités ne semblaient apparaître qu’au compte-gouttes sur le site web de réservation. Je me suis donc connecté quelques fois et j’ai dû avoir un peu de chance. La première partie faisait participer Vaundy, Yoasobi et Hitsuji Bungaku (羊文学) tandis que la deuxième partie invitera les rappeurs de Creepy Nuts, le groupe de filles coréen Babymonster et le musicien Kensuke Ushio (牛尾憲輔). Il est clair que j’avais un intérêt très prononcé pour la première partie de cette exposition. Même sans billet, on peut se promener à l’intérieur du chef d’oeuvre brutaliste qu’est le Sony Ginza Park. Des affiches colorées des artistes invités sont montrées à différents endroits du building, ainsi que des étranges rubans adhésifs décoratifs reprenant les noms des artistes et des sections de l’exposition les concernant. Les couleurs vives de ces rubans sur le béton apportent un contraste intéressant pour le photographe, et j’accumule les photographies que j’aurais un peu de mal à sélectionner ensuite. Sur certains murs intérieurs, on peut également voir écrit en couleur blanche quelques lignes de poésie du groupe Hitsuji Bungaku s’ondulant comme un cours d’eau.

Je voulais commencer ma visite par l’espace d’exposition dédié à Hitsuji Bungaku au quatrième étage mais le programme était déjà en cours et on me conseille plutôt de descendre d’un étage pour aller voir celui de Yoasobi. Ce programme s’intitule Semiconductors create new realities (半導体は、SFだ。). Les programmes que l’on peut voir ne sont que très vaguement inspirés par les titres qui semblent seulement être là pour rappeler les diverses activités du groupe Sony. Avant d’entrer dans l’espace d’exposition, chacun doit rentrer un prénom ou surnom sur une borne en indiquant son état d’humeur actuel. La borne crée un petit logo animé avec le prénom en inscription qui voyagera sur les écrans immersifs de l’exposition. On entre ensuite dans un espace fermé dans lequel est diffusé le morceau Heart Beat de Yoasobi. Les murs et le sol sur lequel on marche sont recouverts de logos colorés bougeant au rythme de la musique du morceau. Le sol est tactile, utilisant une technologie haptique de Sony R&D, et les petits logos que chaque visiteur a créé réagit à nos mouvements. L’experience musicale est englobante et amusante, mais je reste quand même sur ma faim car le tout reste d’apparence assez simple, connaissant ce que Team Lab peut par exemple créer en comparaison.

Je monte ensuite au quatrième étage pour aller voir l’exposition dédiée à Hitsuji Bungaku, intitulée Finance details life (ファイナンスは、詩だ。). Là encore, le titre n’a strictement rien à voir avec ce que l’on va voir. La salle du quatrième se compose d’un large écran placé devant un bassin d’eau. Le programme intitulé Floating Words se concentre sur les paroles et la musique de deux morceaux du groupe: more than Words et Hikaru Toki (光るとき). Nous sommes assis sur deux rangées dans l’obscurité devant le long écran et le bassin. La voix de Moeka Shiotsuka se fait d’abord entendre dans une courte narration abordant la force des mots. On verra ensuite ces mots tourbillonner au rythme des deux morceaux sur l’écran géant se reflétant sur le bassin. Il s’agit là encore d’une expérience immersive, que j’ai trouvé très réussie car la musique me plaisait beaucoup plus et les motifs de mots se créant sur l’écran nous accaparaient le regard comme un torrent mouvementé dont on essaie de suivre des yeux les moindres virages. Une deuxième partie de cette exposition nous fait marcher sur un sol utilisant encore une fois la technologie haptique pour simuler une fine épaisseur d’eau.

Je descends ensuite au deuxième sous-sol pour la partie de l’exposition consacrée à Vaundy, intitulée Music comes after a long journey (音楽は、旅だ。). Ce titre correspondait plutôt bien à ce que l’exposition nous proposait. L’espace, de couleur orangée correspondant bien au code couleur de Vaundy, proposait des bornes d’écoute. On nous donne d’abord un casque Sony (ceux qu’on peut voir lors des émissions The First Take sur YouTube) et on se connecte de borne en borne pour écouter des morceaux sélectionnés par l’artiste. Vaundy a sélectionné environ 200 morceaux dont on ne voit que le titre affiché. Il faut se connecter pour découvrir les morceaux, ce qui peut donner d’heureuses découvertes. Certains objets en référence aux morceaux sont tout de même posés sur des étagères faites de grands volumes en carton. Un QR code nous permet de découvrir le nom de l’artiste accompagné du titre du morceau et d’un commentaire succinct de Vaundy. C’est finalement l’endroit où j’ai passé le plus de temps, plus d’une heure, car on se prend au jeu des écoutes. J’y ai fait quelques découvertes mais également volontairement écouté des morceaux que je connaissais déjà, en étant d’ailleurs agréablement surpris de voir deux morceaux de My Bloody Valentine parmi cette immense playlist. Je ne résiste pas à l’envie de garder ci dessous une trace des morceaux que j’ai écouté et que j’ai aimé, pour y revenir plus tard. Je garde aussi en note encadrée le commentaire de Vaundy pour chaque section de l’exposition.

1. betcover!! – Yūrei (幽霊) [なんか、乱舞 – Quelque chose d’une danse sauvage]
2. Joe Hisaishi Ensemble (久石譲 アンサンブル) – Kids Return [なんか、黄昏 – Quelque chose comme le crépuscule]
3. Yura Yura Teikoku (ゆらゆら帝国) – Kūdō Desu (空洞です) [なんか、黄昏 – Quelque chose comme le crépuscule]
4. My Bloody Valentine – only shallow [なんか、哀愁 – Quelque chose de la tristesse]
5. My Bloody Valentine – when you sleep [なんか、哀愁 – Quelque chose de la tristesse]
6. The White Stripes – Seven Nation Army [なんか、乱舞– Quelque chose d’une danse sauvage]
7. David Bowie – Heroes [なんか、希望 – Quelque chose comme l’espoir]
8. Original Love – Seppun (接吻) [なんか、希望 – Quelque chose comme l’espoir]
9. The Flaming Lips – Yoshimi Battles the Pink Robots, Pt.1 [なんか、乱舞 – Quelque chose d’une danse sauvage]
10. Nayutan Seijin (ナユタン星人) – Taiyōkei desuko (太陽系デスコ) [なんか、乱舞 – Quelque chose d’une danse sauvage]
11. Karasu (鴉) – Sudachi (巣立ち) [なんか、情熱 – Quelque chose comme la passion]
12. Blur – Song 2 [なんか、乱舞– Quelque chose d’une danse sauvage]

On écoute chaque morceau et on cherche ensuite rapidement le suivant avec une urgence ressemblant à un manque, comme si on n’avait que dix minutes devant nous pour apprécier une dernière musique avant la fin du monde. Je réutilise là un des messages affichés par Vaundy sur les volumes de cartons (まるで、世界が終わる10分前。). De Vaundy, on ne peut en fait écouter qu’un seul morceau, Odoriko (踊り子) sur une borne spéciale. Sur cette borne là comme sur certaines autres, on peut s’assoir tranquillement en écoutant la musique dans les écouteurs. On entre dans son monde musical tout en regardant les autres visiteurs voyager de borne en borne ou ressentir le rythme de ce qu’ils où elles écoutent. C’est au final l’expérience musicale la plus intéressante de l’exposition.

そんな人類みんなに愛は光

La destination était l’île de Tennōzu Isle (天王洲アイル), construite sur des terrains gagnés sur la baie de Tokyo. Je suis venu voir le musée ARCHI-DEPOT, qui se trouve juste à côté et fait partie du complexe WHAT MUSEUM (WHAT = Warehouse of Art TERRADA). ARCHI-DEPOT nous montre un grand nombre de maquettes architecturales d’architectes japonais renommés tels que Kengo Kuma. L’espace où sont montrées ces maquettes ressemble vraiment à un entrepôt. Il s’agit de l’activité principale de l’entreprise Terrada possédant de nombreux entrepôts, ce qui inclut le stockage sécurisé des œuvres d’art de collectionneurs. J’ai apprécié la visite mais ce genre d’exposition ne s’adresse pas aux néophytes. J’ai plutôt le sentiment que ce musée s’adresse en priorité aux étudiants en architecture. C’est intéressant de voir la manière parfois très détaillée par laquelle sont représentées des œuvres architecturales vues en réalité dans les rues de Tokyo. J’ai particulièrement apprécié les modèles de l’architecte Yuko Nagayama, qui je pense n’ont pas tous été construits comme les espaces courbes du complexe Hifumi (2009) et ceux de l’université Kyōai Gakuen Maebashi Kokusai Daigaku (共愛学園前橋国際大学, 2011). Je suis quand même un peu déçu par l’exposition en cours car je pensais y voir une grande maquette en bois de la pagode du temple Hōryūji (法隆寺) de Nara, mais il s’agissait d’une exposition ayant lieu l’année dernière et donc déjà terminée depuis longtemps.

Après être sorti de l’exposition, je marche un peu dans le quartier pour voir ce qui a changé. Depuis l’année 2019, Tennozu Isle organise le festival TENNOZ ART se tenant dans les rues du quartier avec l’installation progressive de nouvelles œuvres d’art. Je découvre cette fois-ci une grande fresque peinte par l’artiste Meguru Yamaguchi (山口歴) sur une des façades du bâtiment Terrada Warehouse T33 le long du canal Tennozu. Cette oeuvre immense mesurant environ 40 mètres de haut et 22 mètres de large reprend très librement un motif de dragon inspiré de Katsushika Hokusai (葛飾北斎). Les deux dernières photographies du billet jouent sur les similitudes de formes mais sur des plans différents. C’est intéressant comme des associations de formes à priori quelconques peuvent parfois attirer notre regard. Sur la dernière photographie, la toiture courbe n’est normalement pas visible depuis la rue, car elle devait auparavant être cachée par un bâtiment démoli depuis, laissant place à un terrain vague. Ça me rappelle la maison individuelle Small House de Kazuyo Sejima dont la façade la plus intéressante, architecturalement parlant, était visible car orientée sur un terrain vague. Le terrain étant depuis plusieurs années occupé par une nouvelle construction, on ne peut plus accéder à cette vue qui sera peut être à jamais cachée. Tout cela pour dire qu’il faut rester curieux avec les yeux grands ouverts, car on ne sait pas toujours ce qui peut apparaître ou disparaître soudainement.

J’ai également les oreilles grandes ouvertes pour écouter le remix du morceau Electricity d’Utada Hikaru (宇多田ヒカル) par la musicienne Arca, de son vrai nom Alejandra Ghersi Rodríguez, originaire du Venezuela et basée à Barcelone. Il est rare qu’un remix soit pour moi meilleur qu’un morceau original, mais c’est bien l’impression que me donne ce remix par Arca. On ne perd pas la voix d’Utada Hikaru mais l’ambiance électronique est très différente. L’atmosphère y est très dense et sophistiquée, avec une belle profondeur sonore sans cesse attaquée par des glitches électroniques. J’aime beaucoup la manière par laquelle Arca joue avec les répétitions de paroles, sans que celles-ci s’entrechoquent avec une grande maîtrise des agencements. Dans la musique d’Arca, j’aime revenir vers le morceau Alive de son album Mutant sorti en 2015. Par sa complexité et sa violence, ce morceau illustre pour moi toutes les batailles intérieures qui signifient d’être vivant. J’imagine très bien que la musicienne a dû en faire des batailles intérieures. C’est en tout cas assez étonnant de voir Utada Hikaru et Arca travailler ensemble. Le fait qu’elles soient toutes les deux basées en Europe a peut-être facilité un rapprochement, mais on voit de toute façon de plus en plus de coopérations internationales entre artistes japonais et étrangers. Une des dernières collaborations en date est entre l’artiste norvégienne Aurora et Atarashii Gakko! (新しい学校のリーダーズ) avec un morceau intitulé Some Type of Skin. Je n’accroche pas complètement au morceau mais il a eu le mérite de me faire écouter d’autres morceaux d’Aurora qui sont vraiment excellents comme All is Soft Inside et Queendom de l’album Infections Of A Different Kind – Step 1 (2018), puis The River, Apple Tree et The Seed de l’album A Different Kind Of Human – Step 2 (2019). Aurora est passée récemment en concert à Tokyo et j’ai vu plusieurs artistes que je suis, comme AiNA The End ou Haru Nemuri, montrer des photos de ce concert sur Instagram. Cela m’a également incité à jeter une oreille à sa musique.

コンクリートもスウイング

Le nouveau building Ginza Sony Park, conçu par Takenaka Corporation, est officiellement toujours en construction et ouvrira ses portes en Janvier 2025. Un programme artistique de pré-ouverture intitulé ART IN THE PARK (Under Construction) s’y déroule pourtant depuis le 19 Novembre 2024 et on peut visiter le building pour voir les œuvres présentées en réservant sa place à l’avance. On y montre les créations de trois artistes: Shun Sudo, Koji Yamaguchi (山口幸士) et Takuro Tamayama (玉山拓郎). J’avais réservé ma place pour le Samedi 23 Novembre car j’étais vraiment très intrigué de voir l’intérieur de cet étrange bloc de béton ressemblant à bunker brutaliste, pourtant grandement ouvert sur le grand carrefour de Sukiyabashi à Ginza. J’étais également assez curieux de voir les graffitis floraux de Shun Sudo mis en situation dans cette architecture. Shun Sudo est familier du Ginza Sony Park, car il avait déjà agrémenté de ses illustrations les longs murs blancs entourant pendant plusieurs mois les travaux du site. Les objets lumineux conçus par l’artiste Takuro Tamayama, originaire de Gifu mais actuellement basé à Tokyo, sont particulièrement bien adaptés à l’architecture de béton du building. Les lumières rouges et vertes des tubes de ses installations viennent éclairer des pans entiers de murs du building avec un subtil dégradé de luminosité. Certains de ses objets lumineux courbes sont installés dans les sous-sols du building et apportent une ambiance tout à fait particulière, assez irréelle. Je commence la découverte du building par ses sous-sols pour ensuite remonter le grand escalier de béton qui nous amène à l’étage. Le building est tellement brut de décoffrage qu’on a du mal à vraiment comprendre s’il est terminé ou si des revêtements de surface viendront agrémenter les parois du building. On trouve toujours des échafaudages sur certaines zones en construction et on se demanderait presque s’ils sont destinés à rester là en permanence comme un élément à part entière de l’architecture. Le quadrillage métallique couvrant une grande partie des façades pouvait d’abord surprendre mais on comprend maintenant qu’il sert de support pour des grandes affiches comme celles qu’on peut voir en ce moment. Aux étages où sont montrées les fleurs boutonnées de Shun Sudo et les fleurs floues pastel de Koji Yamaguchi, les plafonds laissent apparente toute la tuyauterie des appareils d’air conditionné. Là encore, je ne sais pas si cette non-couverture est volontaire et sera permanente car il n’est pas rare de voir apparent ce genre de tubes et équipements électriques dans des bâtiments commerciaux. J’espère en fait que ce building si particulier et unique restera tel qu’on peut le voit actuellement. Le béton est plein d’aspérités et n’est pas parfaitement uniforme ou lisse comme on pourrait le voir sur les constructions de Tadao Ando. C’est un autre genre de brutalisme qu’on peut voir là et on en savoure chaque centimètre. Pour continuer la visite, je montre également quelques autres photos sur mon compte Instagram.

Comme souvent lorsque je rencontre ce genre de bâtiments bruts de béton, je me demande quelle pourrait être la musique qui correspondrait à l’ambiance qu’il dégage. La réponse semble avoir déjà été trouvée car se déroulera au Ginza Sony Plaza à partir du 16 Décembre un événement appelé sakamotocommon en lien avec le compositeur Ryuchi Sakamoto. On sait que Ryuchi Sakamoto était capable de créations expérimentales qui à mon avis s’accorderaient très bien avec cet ensemble de béton. Mais, je pense à quelque chose de plus radical en écoutant l’album Happy Trigger de MO’SOME TONEBENDER (モーサム・トーンベンダー). Cet album m’entraine vers un rock à tendance punk et expérimentale par moments très inspiré. Il m’arrive de temps en temps de choisir un album au hasard lorsque je parcours les rayons CDs d’un disquaire Disk Union. Ici, à Shinjuku, je tombe sur cet album de MO’SOME TONEBENDER dont je ne connaissais que le nom. Le groupe a été fondé en 1997 à Fukuoka par Kazuhiro Momo (百々和宏) au chant et à la guitare, et par Isamu Fujita (藤田勇) à la batterie, accompagné par Yasunori Takei à la guitare basse et à la trompette sur cet album. Le nom du groupe est en fait une contraction des noms/prénoms de deux des membres (Momo pour MO’ et Isamu pour SOME). L’album Trigger Happy est sorti en 2003. Il se compose en tout de dix morceaux, dont deux, reprenant le titre de l’album, viennent encadrer l’ensemble dans des ambiances tres différentes, relativement apaisée pour le premier et exagérément bruitistes pour le second. Plus qu’un album, il s’agit d’un objet musical difficilement identifiable car il part parfois vers des expérimentations sonores inattendues. La base reste tout de même rock, mais les manipulations sonores éloignent chaque morceau du format classique refrain et couplets. On y trouve une grande liberté de composition et le deuxième morceau hang song en est peut-être le meilleur exemple. Ce morceau est particulièrement inspiré tout comme les suivants BIG-S et go around my head. Ce dernier morceau go around my head est pour moi le sommet de l’album. Il y a une sorte d’hystérie subtile dans la voix de Kazuhiro Momo qui me fascine vraiment et les guitares puissantes ajoutent à la tension de l’ensemble. Je trouve un certain brutalisme dans ce morceau qui est fantastique, surtout le final qui déclenche un son lourd et répétitif de guitare rythmé par une batterie ressemblant à des battements de cœur. On trouve une émotion forte dans cette forme brute à priori hostile, un peu comme dans les structures de béton du building ci-dessus. L’album s’adoucit ensuite un peu avec quelques morceaux en grande partie instrumentale comme VIEW VIEW, qui est excellent notamment pour les cuivres qui l’accompagnent.

De MO’SOME TONEBENDER, je connaissais en fait un morceau depuis longtemps, Rockin’ Ruler (ロッキンルーラ), car il était présent sur l’album compilation Ukina (浮き名) de Sheena Ringo, sorti en Novembre 2013. Ringo jouait du piano et chantait dans les chœurs de ce morceau. Rockin’ Ruler était initialement sorti en 2005 sur l’album du même nom de MO’SOME TONEBENDER. Son style rock plutôt classique est complètement différent de l’approche expérimentale de l’album Trigger Happy. La voix de Kazuhiro Momo y reste très typée, dans un style un peu similaire à la voix de Kenichi Asai de Blankey Jet City. Sur Rockin’ Ruler, il faut quand même dire que sa voix puissante effaçait complètement celle de Ringo au point où on a un peu de mal à l’entendre dans les chœurs. Comme je l’évoquais déjà précédemment, Kazuhiro Momo jouait de la guitare sur les morceaux Shūkyō (宗教) et Sōretsu (葬列) de l’album Kalk Samen Kuri-no-Hana (KSK) et accompagnait Ringo sur quelques photographies du magazine Gb d’Avril 2003, intitulé Shūgen (祝言). Le fait que l’album Trigger Happy soit sorti la même année (2003) que KSK et que cette série de photographies avait en très grande partie attiré ma curiosité. Dans les sorties musicales rock, il y a quelques années qui pour moi sont importantes et attirent mon attention: 1991 (the year punk broke), 1999 (la tension pre-millenium et mon arrivée à Tokyo) et 2003 (la sortie de KSK qui cassait tous les codes et les attentes). Je suis en fait assez curieux d’écouter les sorties rock de 2003 et des années autour, pour essayer de mieux me remémorer ou même appréhender l’environnement musical dans lequel KSK est sorti, voire comprendre l’influence que cet album a pu avoir sur d’autres groupes et artistes dans les années qui suivent.

Pour continuer un peu avec Sheena Ringo, je pensais avoir fait le tour de sa discographie depuis longtemps, mais je ne découvre que récemment un morceau que je ne connaissais pas. Il ne s’agit pas d’une composition originale mais d’une reprise du single Georgy Porgy du groupe américain TOTO, inclus sur le premier album éponyme du groupe sorti en 1978, l’année de naissance de Ringo. La reprise du morceau Georgy Porgy sorti en 2002 n’est pas créditée sous le nom de Sheena Ringo mais du groupe Yokoshima (邪) composé entre autres du frère de Ringo, Junpei Shiina (椎名純平), de Ringo bien sûr et d’un certain Ryōsuke Nagaoka (長岡亮介) qui n’a pas encore pris le surnom d’Ukigumo. Ryōsuke Nagaoka et Sheena Ringo chantent en duo sur ce morceau avec Junpei Shiina dans les chœurs. Ryōsuke Nagaoka connaissait en fait déjà Junpei Shiina, car un concours de circonstances l’avait amené à devenir guitariste d’appoint de son groupe de l’époque, The Evil Vibrations, lors d’un concert en 2000. L’idée de la reprise du morceau de TOTO a germé lors des enregistrements de l’album de reprises de Sheena Ringo, Utaite Myōri: Sono Ichi (唄ひ手冥利 ~其ノ壱~) sorti cette même année 2002. Nao Numazawa (沼澤尚), le batteur de la formation pour cet album de reprise, était apparemment un disciple du père du batteur de TOTO, Jeff Porcaro, et, pendant ses années de lycée, Sheena Ringo avait repris ce morceau à la batterie avec son groupe du club de musique. Ceci a déclenché l’idée d’enregistrer une reprise du morceau, mais Ringo ne se voyait pas chanter seule toute la partie vocale masculine interprétée par Steve Lukather, le chanteur de TOTO. L’idée de faire intervenir Ryōsuke Nagaoka au chant sur ce morceau est né lors d’un trajet en voiture. Le morceau Georgy Porgy passait sur l’autoradio et Ryōsuke Nagaoka se serait mis à le chanter ce qui aurait fait comprendre à Ringo, également présente dans cette voiture, qu’il serait un très bon interprète pour un duo. Sheena Ringo dit souvent que Ryōsuke Nagaoka a une belle voix, mais je ne savais pas que ce morceau Georgy Porgy était le premier qu’il ait chanté officiellement, sous l’impulsion de Ringo. Cette petite anecdote est très intéressante car elle permet de mieux connaître les liens entre Ringo et Ukigumo, et la genèse musicale de ce dernier. Ukigumo participera ensuite à l’album KSK. Georgy Porgy ne sera finalement pas inclus sur la compilation de reprises Utaite Myōri: Sono Ichi car Ringo a estimé qu’il s’agissait d’une copie plutôt que d’une reprise. C’est vrai que la composition est identique à l’originale mais l’interprétation à deux voix par Ukigumo et Ringo n’en reste pas moins très réussi. La tension vocale de Ringo y est même fabuleuse, dans un anglais excellent. Le morceau était sorti en ligne sur le site de Toshiba EMI pour une durée très limitée en 2002 mais n’est actuellement disponible nulle part à la vente. Il faut vraiment que Sheena Ringo pense à l’épisode 2 de Utaite Myōri pour y intégrer ce genre de pépites. Ça paraît même assez incroyable qu’un aussi bon morceau, même s’il ne s’agit que d’une reprise, ne soit écoutable que sur une page YouTube non officielle.