今日見た光、忘れない

On s’enfonce quelques instants dans les nuages qui viennent brouiller le paysage urbain et derrière lesquels on pourrait se cacher, disparaître pendant quelques heures pour revenir ensuite avec un air légèrement réjoui comme si on avait fait une découverte extraordinaire. Je me cache régulièrement pendant quelques heures seulement derrière ces nuages lorsque je pars en marche dans la ville. Derrière ces nuages, on a étonnamment les idées claires, car derrière les nuages se cache toujours une éclaircie qu’on n’oublie pas. Ces découvertes extraordinaires, je les montre d’abord sur mon compte Instagram car j’ai de plus en plus de mal à écrire des billets complets dans la foulée de mes marches urbaines. Il se passe parfois plusieurs semaines entre les photographies que je prends et les billets que j’écris pour les montrer. Je prends par conséquent moins de photographies ces derniers jours, même si je marche beaucoup. J’essaie ainsi de remonter dans le temps pour me rapprocher petit à petit du moment présent. Mon expérience internet est à deux vitesses, celle du présent, rapide et quasi-immédiate sur Instagram et celle qui prend son temps sur ce blog. Je suis à une période où j’hésite encore entre les deux, mais aucune de ces vitesses ne s’impose pourtant à l’autre. Il m’arrive de sprinter sur Instagram en montrant soudainement beaucoup de choses puis m’arrêter soudainement pendant plusieurs semaines et retrouver dans ce blog comme un refuge ou un apaisement. Je ne vais derrière les nuages que pendant quelques heures et je reviens ensuite par ici pour méditer ce que j’y ai vu. Toute la complexité est de ne pas trop s’éloigner du présent lorsqu’on se perd dans ses méditations.

J’avais beaucoup aimé et écouté le premier album Serotonin II, sorti en Octobre 2019, de la singapourienne, maintenant londonienne, Nat Çmiel, qui se fait appeler Yeule. J’avais par contre été moins attentif aux reprises qu’elle avait faite ensuite et à la version remixée intitulée Serotonin X reprenant quelques morceaux de ce premier album. Le deuxième album de Yeule, Glitch Princess, sortira dans quelques heures, le 4 Février, et quatre morceaux sont déjà en écoute sur Bandcamp. Le premier intitulé My Name is Nat Çmiel est en fait sorti en Décembre 2020. En l’écoutant à cette époque, il m’avait semblé que Yeule s’éloignait de plus en plus de son existence humaine pour devenir une sorte de prototype androïde capable d’émotions. Le morceau est parlé et donne l’impression que Yeule lit une fiche décrivant les caractéristiques de sa propre personnalité. Il y a quelque chose qui est en même temps robotique et sensible, comme peut l’être un Fitter Happier sur OK Computer. Il s’agit en fait d’une sorte d’introduction à cet album et les trois autres morceaux disponibles actuellement sont beaucoup plus accessibles et contiennent même des petits airs pop malgré la relative noirceur de l’ensemble. Des quatre morceaux, Too Dead Inside est certainement celui que je préfère mais les deux autres que l’on peut écouter pour l’instant, Don’t be so hard on your own beauty et Friendly Machine, sont tout aussi beaux. Le morceau Don’t be so hard on your own beauty est d’ailleurs relativement classique dans sa conception musicale, principalement axé sur une guitare et la voix de Yeule, sans les nombreux effets électroniques que l’on connaissait de son premier album et que retrouve par contre sur l’autre morceau Friendly Machine. Yeule se surnomme elle-même princesse des glitches sonores et ils sont en général très présents dans ses compositions. La musique de Yeule s’accorde avec les vidéos qui la représentent souvent seule (parfois avec son chat Miso) dans un état parfois proche de la folie. L’image atypique qu’elle projette forme un tout avec les morceaux qu’elle crée. J’ai l’impression qu’elle se transforme même de plus en plus. Outre les tatouages de personnages inspirés de l’univers ero-guro du mangaka Suehiro Maruo, elle se maquille maintenant le visage d’étranges marquages colorés. Comme je le mentionnais un peu plus haut, Too Dead Inside est un des plus beaux morceaux qu’elle a créé jusqu’à maintenant. Sa mélodie nous accroche tout de suite et est empreinte d’une étrangeté attirante. Je suis assez impatient d’écouter la suite dans quelques heures ou jours quand l’album entier sera disponible. J’allais presque l’oublier, mais comme Yeule est une personne non-binaire (comme Utada Hikaru d’ailleurs), j’aurais certainement dû utiliser dans mon texte un pronom neutre plutôt que « elle ». On peut voir le « they » régulièrement utilisé en anglais, mais j’ai rarement ou jamais vu utiliser le « iel » ou « ielle » en français. Les articles en anglais évoquant le nouvel album de Utada Hikaru utilisent systématiquement le « they », mais je n’ai pas vu l’équivalent en français. Par exemple, l’article en français sur le site Pen Official utilise « elle » mais « they » en version anglaise. Le « they » étant pour moi avant tout pluriel, je ne le trouve pas vraiment adapté pour une personne unique, quoique pour Yeule, mon impression diffère car elle évoque elle-même avoir différentes personnalités vivant en elle. En regardant récemment son compte Twitter, je remarque un détail qui m’intéresse beaucoup. Je la vois porter au doigt une bague « armour ring » (certainement de la marque Vivienne Westwood) qui me rappelle forcément une autre artiste dont je parle très souvent sur ces pages.

Pour continuer avec mes découvertes musicales, j’écoute beaucoup ces derniers jours deux morceaux du duo Tamanaramen (玉名ラメン) composé des sœurs Hikam et Hana Watanabe. J’écoute le dernier single Glowing Arcade sorti le 1er Janvier 2022 et le single précédent sorti en Novembre 2021, The light behind my eyelids (dont les paroles m’inspirent d’ailleurs le titre de ce billet). Je connais le nom de ce groupe depuis quelques temps car il est très singulier et on le retient. Mais la voix de Tamanaramen m’est surtout familière depuis que je l’ai découverte sur le troisième morceau intitulé The encounters de l’album NO MOON de D.A.N. Comme je l’évoquais déjà, ce morceau est excellent et peut-être bien le meilleur de l’album notamment pour le mélange des voix dont celle de Tamanaramen. Je reviens souvent sur ce morceau avec un plaisir d’écoute à chaque fois renouvelé. Tamanaramen m’a intrigué suite à cela, ce qui m’a poussé à écouter quelques morceaux sur YouTube et à m’attacher pour le moment à ces deux morceaux électroniques en particulier. L’ambiance musicale de Glowing Arcade est plutôt minimaliste avec une prédominance de la voix qui semble très proche de l’auditeur. Dans une approche intime pleine de mélancolie, elle nous parle de son état d’être. 「もう変わらない、変われないけどさ』(Je ne changerais pas maintenant , je ne peux plus changer). Et à cette mélancolie s’ajoutent des paroles volontairement positives et je dirais même enfantines dans la manière dont elle les chante et les répète 『みんなで行こう」(allons-y tous ensemble). Je trouve cette atmosphère très délicate et sensible. La voix de Tamanaramen (je ne suis pas sûr qui, de Hikam ou Hana, chante) est frêle et fragile, et se confronte à des sons électroniques plus agressifs sur le deuxième morceau The light behind my eyelids. En fait, plus qu’agressif, je dirais que le rythme électronique est beaucoup plus soutenu et présent, avec une dernière partie purement instrumentale vers la fin. J’aime beaucoup l’ambiance nocturne de ce morceau, qui prend des airs menaçants par moments, et qui est très bien relayée par la vidéo. Je suis déjà décidé à parcourir un peu plus l’univers nuageux de Tamanaramen.

in the blazing sun I saw you

Quand la fin de l’année approche, j’ai tendance à mélanger les photographies que je n’ai pas encore publiées sans forcément les réunir par thème. A ce moment de l’année, mon inspiration pour écrire diminue aussi. Il faut dire que le billet précédent m’a en quelque sorte vidé de toute envie d’écrire pour quelques jours au moins. Le mois de décembre est en général moins actif niveau écriture, mais je me rends compte que l’année dernière avait quand même été assez chargée pour ce qui est du nombre de billets publiés et de la longueur des textes sur chaque billet. Il faut que je fasse quelques efforts pour terminer l’année.

Sur ce billet, les premières photographies montrent le village Shonan Kokusai Mura sur les hauteurs de Hayama, dans la préfecture de Kanagawa. Il s’agit d’un village assez récent, sans histoire ni histoires, assez isolé en haut d’une colline. Certains bâtiments ont des formes assez futuristes, comme celui tout en courbe de la première photographie. Il y a aussi des maisons individuelles regroupées dans un quartier résidentiel dont le silence nous fait croire que personne n’y vit. On croise bien des personnes dans ce village mais leur nombre vis à vis de l’étendue des lieux donne un sentiment de vide qui m’a un peu dérangé. Je n’avais pas eu cette impression la dernière fois que nous y étions allés, peut être parce que c’était en plein été, au mois de juillet. Notre dernière visite au Shonan Kokusai Mura date d’il y a 15 ans. Lorsque l’on descend de la colline, on arrive au bord de l’océan et on redécouvre la plage de Zushi. Nous allons souvent à Hayama, mais très peu à Zushi. J’aime beaucoup Hayama, je pourrais, je pense, y vivre (et j’ai d’ailleurs rencontré récemment un français qui y vivait).

La photographie suivante nous ramène vers Tokyo, à Ariake. J’ai pris cette photo après avoir fait le tour du salon de l’automobile. Sur la large allée entre Tokyo Big Sight et la gare la plus proche, avait lieu un spectacle de danse en costumes. A l’arrière, on faisait flotter de grands drapeaux tout en longueur et sur le devant une rangée de photographes saisissait tous les mouvements de la chorégraphie. Plusieurs groupes de danseuses et danseurs se produisaient les uns après les autres, toujours en synchronisation parfaite. Il s’agissait peut être d’un concours.

Les deux photographies qui suivent ont été prises à Shinagawa et Nishi-Magome. A Shinagawa, je suis toujours tenté de prendre en photo l’espace ouvert derrière la gare, notamment la barrière d’immeubles coiffées d’affiches publicitaires. A Nishi-Magome où je vais pour la première fois, je suis attiré par les blocs blancs d’un petit immeuble au bord des voies de Shinkansen. Je ne me suis pas approché pour vérifier si cet immeuble était intéressant d’un point de vue architectural. Il était au moins intéressant visuellement dans son environnement. La dernière photographie de cette série hétéroclite nous ramène dans la préfecture de Kanagawa. Ce petit chat obèse se trouve dans les jardins intérieurs du restaurant japonais Kokonotsuido. C’est un excellent restaurant dont les salles sont posées comme des petits cabanons sur le flanc d’une colline boisée. Un chemin nous fait naviguer sur cette colline et il est bordé de ce genre de petites statues.

Je n’ai pas écouté la musique de l’artiste britannique FKA Twigs (de son vrai nom Tahliah Debrett Barnett) depuis le morceau Water Me de son EP intitulé sobrement EP2, sorti en 2013. L’image digitale qui illustre son deuxième album Magdalene, sorti le 8 novembre 2019, est très étrange et m’a intrigué. Je me souviens avoir écouté l’introduction de chaque morceau sur iTunes le soir de sa sortie, avant de me coucher. J’avais tout de suite été impressionné par la force émotionnelle, dans sa voix notamment, de chacun des morceaux. Je me souviens également avoir été vérifier quelle était l’évaluation donnée par Pitchfork. Je ne suis pas toujours d’accord avec leurs avis, mais la note donnée à l’album m’a décidé à l’acheter dès le lendemain. Pourtant, je n’en ai pas parlé jusqu’à maintenant, car un peu comme l’album Anima de Thom Yorke, il faut être dans de bonnes conditions pour l’écouter, et ces bonnes conditions n’étaient pas toujours réunies ces derniers temps. Il s’avère que l’album est superbe et très prenant, même viscéral, en ce dès le premier morceau. Le sommet se situe au morceau Fallen Alien, qui a une force impressionnante. Du coup, je trouve les trois derniers morceaux qui le suivent un peu moins intéressant. Comme pour Anima, je pense que je reviendrais régulièrement vers cet album.

J’écoute aussi les quelques morceaux de Grimes qu’elle diffuse petit à petit avant la sortie complète de son album Miss Anthropocene en février 2020. Après le morceau Violence que j’aimais beaucoup et dont j’ai parlé sur un billet précédent, Grimes sort à la suite deux très beaux morceaux intitulés So heavy I fell through the earth et My name is dark. J’aime beaucoup l’ambiance sombre et éthérée des morceaux sortis jusqu’à maintenant. J’espère vraiment que le reste de l’album gardera cette unité de style et ne partira pas dans des envolées pop. L’ambiance est d’ailleurs assez différente de son album précédent Art Angels. Bien que j’avais beaucoup aimé Art Angels à l’époque, je préfère la direction qu’elle prend pour son nouvel album. En fait, l’approche artistique autodidacte de Claire Boucher (alias Grimes) est intéressante et même inspirante. Sans être forcément d’accord avec ce qu’elle dit, j’aime toujours lire ses interviews, assez excentriques et décalées parfois, comme cette interview récente de Grimes par Lana Del Rey et un podcast scientifique Sean Carroll’s Mindscape axé Intelligence Artificielle qui a généré quelques discussions et polémiques sur Twitter, comme rapporté ensuite sur Pitchfork. C’est d’ailleurs assez effrayant de voir comment certaines personnes réagissent au quart de tour sur Twitter sans sembler réfléchir aux mots employés. Il faut avoir la peau dure pour survivre aux salves de Twitter, et je comprends cette idée de Grimes de vouloir dissocier sa personnalité privée de celle publique d’artiste en utilisant un personnage avatar qui serait doté d’une intelligence artificielle (c’est le personnage que l’on voit sur les couvertures des morceaux, en images ci-dessus). L’avis scientifique du podcast ci-dessus est intéressant sur le sujet AI et corrige d’ailleurs les pensées parfois un peu trop fantaisistes de Grimes. Personnellement, j’ai été nourri par le manga Ghost in the Shell de Masamune Shirow quand j’étais plus jeune, donc ce type d’anticipation scientifique m’intéresse. Ces nouveaux morceaux de Grimes se combinent bien avec la musique de Yeule que j’écoute régulièrement depuis que j’ai découvert son album Serotonin II. Je ne peux m’empêcher de voir une influence de l’une (Grimes) sur l’autre (Yeule), pour l’ambiance sombre de leur musique et cette même idée de dissociation entre personne privée et personnalité artistique dotée d’une appellation spécifique. Yeule (de son vrai nom Nat Ćmiel) parle d’ailleurs souvent des multiples personnalités qui la caractérisent (des persona), dont celle digitale différente de sa personnalité privée. C’est un thème qui se rapproche de ce qu’évoque Grimes.

Dans un style très différent, j’écoute également deux morceaux de l’artiste japano-britannique Rina Sawayama, notamment le morceau ultra-pop (pour moi) Cherry, qui est extrêmement addictif dès la première écoute. J’aime beaucoup la densité du morceau et il y a une certaine fluidité dans sa construction qui est implacable. Je connaissais en fait cet artiste depuis un petit moment mais je m’étais toujours dit qu’il ne devait pas s’agir d’un style musical que j’apprécierais. Mais je m’autorise parfois des diversions musicales, comme par exemple, les albums Everything is Love de The Carters (Jay Z et Beyonce), Thank U, Next d’Ariana Grande ou ANTI de Rihanna. Ce sont des albums que j’ai beaucoup écouté quand ils sont sortis, sans forcément en parler ici. Ces petits détours font du bien de temps en temps. Rina Sawayama n’a pas tout à fait la voix de Rihanna, d’Ariana Grande ou de Beyonce, mais cela reste je trouve un de ses atouts. Le registre du morceau STFU! (qui veut très aimablement dire « Shut the fuck up! »), que j’ai découvert avant Cherry, est très différent, mélangeant les moments pop avec l’agressivité rock des guitares. La vidéo du morceau vaut le détour, surtout pour son introduction et sa conclusion montrant Rina lors d’un dîner avec un homme de type hipster occidental blanc se montrant assez peu respectueux d’elle et de sa culture, jusqu’à ce qu’elle finisse par péter les plombs (et c’est à ce moment que toute l’agressivité des guitares se déclenche). La situation est exagérée et même caricaturale, mais j’imagine assez bien ce genre de personnages prétendant savoir tout sur tout et coupant la parole des autres à longueur de conversation pour imposer leurs propres discours. J’ai déjà rencontré ce genre de personnages, il y a longtemps, qui après seulement quelques mois de vie à Tokyo, avait déjà tout compris sur ce pays et sa culture, et pouvait déjà donner des lessons complètes sur ce que sont les japonais.

Pour rester chez les britanniques mais dans un autre style encore, j’écoute un nouveau morceau de Burial (de son vrai nom William Bevan), intitulé Old tape sur la compilation HyperSwim des deux labels Hyperdub et Adult Swim à l’occasion des 15 ans de ce dernier. Un peu comme pour Grimes, je me précipite tout de suite pour écouter les nouveaux morceaux de Burial, car ils arrivent de manière très parsemée. Burial n’a pas sorti de nouvel album depuis son deuxième, Untrue sorti en 2007. Untrue, album culte, et notamment son deuxième morceau Archangel, ont posés les bases musicales de Burial, un style immédiatement reconnaissable qu’il continue à développer sur ses nouveaux morceaux. Burial a sorti de nombreux excellent EPs, dont j’ai régulièrement parlé ici, et il vient de les regrouper sur une compilation appelée Tunes 2011 to 2019. Je ne vais pas l’acheter car je m’étais déjà procuré tous les EPs en CDs ou en digital au moment de leur sortie ou un peu après. Je me suis quand même créé une playlist sur iTunes pour répliquer l’agencement des morceaux de la compilation. Je ne l’ai pas encore écouté car elle dure en tout 2h et 30 mins, mais j’imagine que ce nouvel agencement doit apporter une nouvelle vie à ces morceaux. Le morceau Old Tape de la compilation HyperSwim poursuit également le style Burial. On retrouve les collages de voix R&B sur des sons qui crépitent de synthétiseurs analogiques. Par rapport aux derniers EPs de Burial, ce morceau s’éloigne de l’ambient pour revenir vers une musique plus rythmée. Depuis Untrue, je trouve que Burial perfectionne son style tout en conservant le même univers sombre et pluvieux comme l’Angleterre industrielle.

staring at the screen that you live in

Les photographies ci-dessus montrant des vues du centre de Shibuya sont couvertes d’un léger voile trouble venant brouiller les pistes, même légèrement, entre réalité et vision fictive. Je n’essaie volontairement pas de rendre ces ajustements visuels transparent ou invisible, car j’aime à ce que ce léger décalage soit percevable. C’est d’ailleurs une de mes marques de fabrique. Comme je l’écrivais il y a longtemps sur ma page À propos, mes photographies ‘peuvent parfois sonner irréelles ou avoir un visuel décalé de la réalité’. Sur la première photographie de cette série, l’emblématique tour 109 près du grand carrefour de Shibuya porte sur sa façade arrondie une affiche géante que je trouve assez élégante dans le mouvement qu’elle représente. Elle est en tout cas très photogénique. Pour prendre la deuxième photographie, je suis monté au neuvième étage de la tour Hikarie pour voir de haut ce que donnait la vue sur la nouvelle tour près de la gare Shibuya, la tour Scramble Square qui ouvre ses portes le 1er novembre. Sur la photographie suivante, on aperçoit ces deux tours, Hikarie et Scramble Square, en face à face comme deux monstres modernes se regardant en chien de faïence. J’aime cette vue un peu à l’écart, derrière l’autoroute intra-muros de Tokyo, comme si on se mettait à l’abris d’une attaque imminente, tout en ne pouvant s’empêcher de regarder ce qui se passe. La photographie suivante montre une vue assez classique de la rivière bétonnée de Shibuya. On a beau essayer d’embellir les berges de la rivière, elle reste toujours aussi désagréable à l’œil. Ses courbes lissées sont cependant intéressantes pour le photographe, et je suis très souvent tenté de la prendre en photo, comme de nombreux autres photographes d’ailleurs. Nous allons ensuite sur le croisement de Shibuya. Là encore, je ne peux m’empêcher de prendre une photographie dans la foule quand je traverse la carrefour, sous l’œil observateur et immobile de Takeshi Kitano. La photographie qui suit montre le croisement entre l’avenue de Roppongi et celle de Meiji. Ce carrefour devient de plus en plus compliqué avec plusieurs niveaux de circulation. Une passerelle blanche toute neuve a remplacé l’ancien pont pour piétons, mais est toujours surplombé par l’autoroute intra-muros dont je parlais auparavant. Pour terminer cette petite série photographique, je m’éloigne du centre de Shibuya en suivant la ligne de train Yamanote. En chemin, une tête en forme de fantôme comme un personnage d’Halloween surveille les passants, sans rien dire.

Yeule, de son vrai nom Nat Ćmiel, est une artiste d’origine singapourienne mais installée depuis quatre ans à Londres. Même avant d’écouter sa musique sur son premier album intitulé Serotonin II, on ne peut pas rester indifférent à ce style à mi-chemin entre le gothique et les décalages vestimentaires qu’on peut parfois observer à Harajuku et qui sont d’ailleurs bien documenté en photographies sur le flux Twitter Tokyo Fashion. Yeule a les tatouages en plus. Les personnages de manga dessinés sur ses bras me font penser aux dessins de style ero-guro (érotique grotesque) de Suehiro Maruo. J’avais déjà mentionné auparavant le nom de ce mangaka, car il a également dessiné la couverture de l’album VOIDHYMN de NECRONOMIDOL. J’entame l’écoute de Serotonin II, avec une certaine méfiance teintée d’une espérance que la musique de ce personnage atypique soit à la mesure de l’image qu’elle projette. J’emploie le mot personnage volontairement car elle mentionne elle-même que ce nom d’artiste Yeule est tiré d’un personnage du jeu vidéo Final Fantasy, et elle met beaucoup en avant dans les quelques interviews que j’ai pu lire sa personnalité changeante. Écouter cet album se révèle vite être une expérience envoûtante. Le premier morceau Your Shadow avec ses voix fantomatiques joue le rôle d’introduction vers un univers musical céleste rempli de mystères. On se laisse ensuite très vite happé par le deuxième morceau Poison Arrow, pour ne lâcher prise qu’au dernier morceau de l’album Veil of Darkness, mélangeant piano et décrochages sonores expérimentaux. Les morceaux de Serotonin II sont à base électronique et jouent avec les nappes sonores. Tout est dans l’atmosphère. On est proche du shoegazing dans le chant de Yeule, ce qui n’est pas pour le déplaire. Certains moments des morceaux me rappellent un peu Grimes ou les morceaux les plus mélodiques de Crystal Castles. Mais il n’y a pas de ressemblance forte, seulement une ambiance qui me fait penser à ces autres artistes. Les morceaux sont dans l’ensemble sombres, mais parfois rythmés et ponctués de notes lumineuses comme des lucioles dans une prairie le soir. C’est l’image que cette musique me donne parfois, certainement car certains bruits ont été enregistrés in-situ. Cette ambiance, comme le début du morceau Pretty Bones, me rappelle un peu l’album Finally We Are No One des islandais de Múm. J’y sens des références sans vraiment les pointer du doigt. La vidéo de ce morceau Pretty Bones est d’ailleurs belle et un peu dérangeante. L’ambiance me fait un peu penser à la vidéo du morceau Without love d’Alice Glass. Dans un des morceaux en particulier, Pixel Affection, Yeule s’interroge sur nos personnalités numériques prenant le dessus sur le réel, jusqu’à ce que ça devienne insoutenable. Le personnage de la vidéo se découvre devenir inhumaine comme un cyborg de Ghost in the Shell. Il y a une grande consistance dans l’entièreté de l’album et il ressemble à un flot continu dans lequel on peut s’évanouir et s’évader, d’où cette sensation d’expérience envoûtante.