16•SIXTEEN•16歳になりました

Je loupe régulièrement le coche, Made in Tokyo vient d’avoir 16 ans il y a trois jours. Il a presque l’âge de la majorité. Il a au moins l’âge de la conduite accompagnée, en compagnie d’un adulte. C’est moi l’adulte qui accompagne mais je vais certainement bientôt le laisser se débrouiller seul. C’est le sentiment que j’ai en pensant à toutes ces années passées sur ce site. J’ai vu ce site grandir jusqu’à atteindre une certaine maturité, je pense. J’ai souvent peur qu’un problème technique vienne effacer toutes ces années d’écriture et de photographies. Je fais bien entendu des sauvegardes régulièrement, mais je viens en plus de terminer de sauver en format pdf toutes les pages du site, les unes après les autres. Le fait d’avoir ouvert les quelques 400 pages d’archives du site (soit environ 4500 billets en tout) pour les sauvegarder, m’a replongé dans les seize années de blogging et m’a fait constater des évolutions, notamment le fait que j’écris plus ces dernières années. Une chose cependant n’a pas changé, c’est le mélange des sujets, souvent dans un même billet, dicté purement par l’envie de parler de ce qui me plaît. Je parle assez peu des choses qui me déplaisent. Je passe volontairement assez peu de temps à critiquer ou à grogner sur des choses qui me déplaisent. Il y a bien sûr beaucoup de choses qui me déplaisent dans la vie quotidienne ou sur ce que je peux lire ou voir sur les réseaux sociaux, mais je préfère dépenser mon énergie et mon temps à aborder ce qui m’enthousiasme. Cette approche positive peut, je l’espère, apporter une inspiration aux visiteurs. Quand je reçois des messages en ce sens, parfois en dehors des commentaires de Made in Tokyo, j’en suis particulièrement heureux.

J’indiquais dans mon billet précédent que je réécoutais tous mes disques de Sheena Ringo en attendant la sortie de Sandokushi. Bien que j’ai toute ma musique sur iTunes, je ne résiste pas à l’envie de ressortir des tiroirs tous les CDs et DVDs que je possède de Sheena Ringo et de Tokyo Jihen. Il y a également quelques Singles (les derniers) et compilations comme Reimport 2 que j’ai seulement en digital. A part les DVD/Blu-ray de concerts Ringo Expo, qui m’intéressent moins en général, et les compilations de morceaux déjà sortis sur d’autres albums, il ne doit pas me manquer grand chose. J’ai a peu près tout réécouté dans le désordre chronologique à part pour Tokyo Jihen, où je ne sais pour quelle raison, je souhaite toujours les écouter du premier Kyōiku (教育) sorti en 2004 au dernier Color bars sorti en 2012. J’aime bien faire des comparaisons entre Sheena Ringo et Jun Togawa, car elles ont toutes les deux des personnalités musicales fortes en créant un univers musical qui leur est propre et qui inspire les jeunes générations d’artistes. Elles évoluent cependant à des périodes différentes, Sheena Ringo commençant sa carrière plus d’une dizaine d’années après celle de Jun Togawa. Tout comme Jun Togawa avec Yapoos, Sheena Ringo a commencé sa carrière en solo pour ensuite évoluer au sein d’un groupe, Tokyo Jihen. Je remarque quelques similitudes entre Yapoos et Tokyo Jihen, notamment le fait qu’ils aient tous les deux sorti six albums sachant que le sixième est pareillement un mini-album de quelques titres seulement. C’est assez inhabituel pour un ou une artiste de commencer en solo et ensuite vouloir évoluer au sein d’une formation, je ne peux m’empêcher d’imaginer ici une influence. Réécouter toute la discographie de Sheena Ringo me rappelle que c’est l’artiste musicale japonaise que je préfère d’assez loin. Même s’il y a des albums plus inégaux ou des morceaux que j’aime moins, la qualité de son œuvre est indéniable. Je suis maintenant prêt pour écouter la suite, très certainement demain.

Et pendant ce temps là, alors que j’écris ces quelques lignes, des hélicoptères font du bruit en survolant le centre de Tokyo, tel un Buzz l’Éclair, à l’occasion de la venue d’un président américain.

street clouds everywhere

Je n’avais pas pris de photographies de foule depuis longtemps et je m’y remets avec cette petite série de cinq photographies superposant les images. Je ne parviens cependant pas à égaler la série que j’avais créé au même endroit à Shibuya en août et septembre 2010, série que je considère comme la plus réussie selon mes propres critères créatifs dé-constructifs. Ce n’est pas forcément l’envie qui me manque de prendre en photo les foules, mais ce n’est clairement pas ma zone de confort, ni ma zone d’intérêt principal. L’envie de saisir la vie en mouvement me prend de temps en temps, mais pour ensuite mieux transformer ces images et les rendre moins évidentes. Je me suis placé ici au grand carrefour de Shibuya et j’ai saisi le mouvement comme il se présente sans forcément pointer sur des personnes ou des visages particuliers. Au développement des photographies sur l’iMac, des visages se détachent soudainement parmi le flou des mouvements. C’est intéressant parce qu’il est difficile de deviner le résultat final au moment de la prise de vue. On voit le résultat que plus tard et il est très possible que rien d’intéressant ne se profile au final sur les images.

Trois images extraites de la video du morceau intitulé 鶏と蛇と豚 (Niwatori to Hebi to Buta – Gate of Living) disponible sur Youtube, en ouverture de l’album Sandokushi de Sheena Ringo.

Depuis quelques jours, j’écoute les disques de Sheena Ringo 椎名林檎 les uns après les autres sans forcément suivre l’ordre chronologique. C’est en quelque sorte une manière de se préparer à la sortie du nouvel album Sandokushi (三毒史) lundi prochain. La sortie de ce nouvel album me donne un sentiment un peu bizarre entre l’excitation de pouvoir écouter un nouvel album original studio après cinq ans et la conviction qu’il ne s’agira certainement pas d’un grand cru comme les trois premiers albums. Ceci étant dit, pris séparément, beaucoup de morceaux des albums récents de Sheena Ringo sont très bons et très reconnaissables malgré les changements de styles musicaux. Il manque juste une cohérence d’ensemble dans les derniers albums et j’ai un peu peur que ça soit la même chose dans le dernier album, malgré le nombre de bons morceaux, pris indépendamment, que l’on connaît déjà et qui composeront le nouvel album.

Pour rassurer un peu, la vidéo du morceau d’introduction de l’album Niwatori to Hebi to Buta (鶏と蛇と豚) est vraiment très belle esthétiquement. La vidéo est tout juste disponible sur YouTube. Elle est dirigée, comme souvent, par le mari de Sheena Ringo, Yuichi Kodama 児玉裕一, dans une ambiance nocturne et urbaine emprunte de fantastique, notamment par la présence du personnage de cheval ailé que s’est donné Sheena Ringo sur la pochette de Sandokushi. La ville est parcourue par un immense char illuminé de matsuri représentant des serpents, un immense cochon comme une montgolfière survole la ville, une parade colorée comme des oiseaux marche en dansant dans les rues… La danseuse Aya Sato ⁂▼Åγ∂ S∂†Ο▼⁂ interprète d’une manière imagée les trois animaux du titre du morceau, à savoir le poulet, le serpent et le cochon qui représentent les trois poisons du terme bouddhiste ‘Sandoku’ (utilisé dans le titre de l’album): l’ignorance, l’avidité et la colère. Après une vue sur la tour de Tokyo, les premières images se passent à Nishi-Shinjuku devant la structure murale de verre de l’Oeil de Shinjuku (新宿の目), qui semble jouer ici le rôle d’une porte empruntée par le personnage de Sheena Ringo. Un peu plus loin dans une rue déserte, un moine fait des incantations qui font apparaître les trois personnages imagées d’animaux interprétés par Aya Sato à différents endroits de Tokyo (on reconnaît Shinbashi), tandis que le cheval ailé de Sheena Ringo observe la scène du haut de la tour Wako dans le centre de Ginza. Comme je le disais auparavant, le morceau termine assez vite et donne vraiment l’impression d’être une introduction à ce qui va suivre dans le reste de l’album. D’ailleurs à la toute fin de la vidéo, alors que l’on revient vers l’Oeil de Shinjuku, on voit des images très rapides (il faut faire des arrêts sur images) correspondant à d’autres vidéos de morceaux déjà sortis sur le futur album, notamment une image du tunnel provenant de Kemono Yuku Hosomichi (獣ゆく細道), une image de danse dans un club du morceau Nagaku Mijikai Matsuri (長く短い祭), un personnage en costume blanchâtre qui pourrait être Tortoise Matsumoto sur Menukidori (目抜き通り) et une image d’une femme en kimono blanc rayé de dos sur Kamisama, Hotokesama (神様、仏様). Certaines images, les lieux notamment comme la tour de Tokyo et la tour Wako à Ginza, des vidéos de Menukidori et Kamisama, Hotokesama apparaissent également de manière très similaire sur le nouveau morceau Niwatori to Hebi to Buta. Tout ceci laisse penser qu’il y a des liens très étroits entre les morceaux et peut être une histoire qui se construit à travers les différents morceaux pour former un tout. Le nouvel album semble être d’une construction très réfléchie et c’est passionnant.

Cinq images extraites du court métrage intitulé 百色眼鏡 (Hyaku Iro Megane): 1) la femme en kimono rouge se révélant la nuit, 2) l’actrice Kaede Katsuragi (Koyuki), 3) la clochette au pied de la femme au kimono rouge, 4) Amagi (Kentarō Kobayashi) en promenade avec Kaede Katsuragi pour tenter de percer son secret, 5) une personnalité double, celle de Sheena Ringo.

Mahl me faisait remarquer en commentaire dans un billet précédent l’existence d’un court métrage intitulé Hyaku Iro Megane (百色眼鏡), se basant sur certains morceaux du troisième album Kalk Samen Kuri no Hana (加爾基 精液 栗ノ花), écrit communément KSK, de Sheena Ringo. Je me souviens avoir aperçu ce disque dans les rayons du Disk Union de Shinjuku ou de Shimo-Kitazawa mais je n’avais pas remarqué qu’il s’agissait d’un film au format DVD. Je pensais plutôt qu’il s’agissait d’un EP du morceau Stem (茎). Je n’avais pas regardé attentivement. Je rattrape le coup un soir de la semaine dernière en allant acheter le DVD de Hyaku Iro Megane au Tower Records de Shibuya (avec au passage une fiche plastique « clear file » offerte avec photo et logo à l’occasion de ses 20 ans de carrière). Je suis un peu surpris de le trouver facilement car il date de 2003. Je suis aussi surpris de remarquer que le DVD est en fait sorti un mois avant KSK.

Hyaku Iro Megane est un court métrage de 40 minutes dont l’histoire est bien mystérieuse et ressemble à un rêve. Il s’agit de l’histoire de Amagi, un jeune homme interprété par Kentarō Kobayashi chargé par une autre personne de découvrir l’identité réelle de l’actrice Kaede Katsuragi, interprétée par Koyuki, vivant seule dans une splendide demeure. Dans son travail de détective à la recherche du vrai nom de l’actrice, il finit par s’en approcher au point de devenir amis. On ne sait si c’est un rêve ou une réalité, mais il revient le soir espionné la demeure à travers un petit trou de la palissade en bois. Il y découvrira une autre personnalité de l’actrice, habillée d’un kimono rouge et interprétée par Sheena Ringo, et semblant seulement se réveiller la nuit. L’histoire reste très mystérieuse car on ne comprend que difficilement le lien entre le personnage de Koyuki et de Sheena Ringo et la part de rêve et de réalité. Amagi se réveille d’ailleurs toujours brusquement après sa séance d’espionnage devant la palissade de Katsuragi. Un peu comme chez Haruki Murakami, une part de fantastique vient s’introduire dans le réel. Je suis d’ailleurs en train de lire le Meurtre du Commandeur en ce moment. Dans le livre, un objet d’invocation du surréel se présente sous la forme d’une petite clochette ‘suzu’. J’étais amusé de trouver également cette petite clochette au pied du personnage au kimono rouge, comme si cet objet était d’une même manière destiné à faire le lien entre le personnage réel de Kaede Katsuragi et l’imaginaire se révélant seulement la nuit. Le réel et l’imaginaire se mélangent dans ce petit film et les frontières sont très floues, comme les images pleines de couleurs à certains moments. Cela rend le film très beau et délicat. Les décors et kimonos des années 40/50 apportent aussi beaucoup à l’ambiance, la beauté classique et mystérieuse de Koyuki dans ce rôle également. Ça faisait longtemps que je ne l’avais pas vu dans un film ou à la télévision, mais je ne suis pas non plus précisément sa carrière. C’est presque inutile de le préciser, mais la musique basée sur KSK et notamment le morceau Stem ponctuant l’histoire est bien évidemment un des éléments majeurs du film. Le film ne ressemble heureusement pas à un clip vidéo pour KSK et n’est pas non plus une curiosité. C’est plutôt une extension visuelle du monde de KSK et en ce sens, cela aurait été dommage de manquer ce court métrage dans ma collection de l’oeuvre de Sheena Ringo.

Trois illustrations par Shohei Otomo visible sur son site web: Konnichiwa World! (2017), 夜露死苦 -Yoroshiku (2017) et The Spectre (2018).

Tous ces kimonos en images chez Sheena Ringo me rappellent soudainement un dessin à l’encre noire de l’artiste Shohei Otomo, fils de Katsuhiro, montrant une chanteuse un peu extravagante en kimono. Cette chanteuse ne ressemble pas spécialement à Sheena Ringo, mais je vois quand même un rapprochement dans le fait que Sheena Ringo se met souvent en scène habillée d’un kimono dans des scènes traditionnelles mises au goût du jour. L’image dessinée par Otomo joue sur l’excès. On y voit toute sorte d’accessoires accrochés à la tenue et dans les cheveux du personnage. Le kimono en lui même est également très particulier pour ses motifs iconoclastes. J’adore ce sens du détail et le noir et blanc au stylo bille joue pour beaucoup sur l’impact visuel que provoque l’image. Shohei Otomo dessine beaucoup de personnages décalés ou à contre emploi. L’image au dessus à gauche représente le chanteur du groupe Kishidan, Show Ayanocozey, en tenue de scène coiffé d’une banane surdimensionnée et d’une autre époque, mais montré comme un écolier. Shohei Otomo dessine également des représentants des forces de l’ordre dans des postures que l’on n’a pas l’habitude de voir et qui sont même parfois répréhensibles. C’est certain qu’il donne une image décalée bien différente de l’image que l’on a du pays. Des trois images ci-dessus, le spectre en costume est la plus récente. L’auteur nous montre cette image en détail sur son compte Instagram. C’est une illustration mystérieuse qui glace le sang.

le château d’Odawara

Je reviens une dernière fois sur la semaine de Golden Week avec une autre visite de château, celui d’Odawara à la limite de la préfecture de Kanagawa juste avant d’entrer dans Shizuoka. Nous y sommes allés le premier jour de l’ère Reiwa, le 1er mai donc. Le temps était assez couvert avec un peu de pluie, mais ça donnait à l’enceinte du château une ambiance un peu plus dramatique, comme si une attaque imminente allait frapper la forteresse. Le château d’Odawara était la possession du clan Hōjō pendant cinq générations, soit environ une centaine d’années. Il est construit au milieu de la ville et un canal entoure sa vaste enceinte. Quelques chapiteaux étaient montés sur une des places du château car on y préparait un festival dans les jours suivants. Après un déjeuner de soba, dans un petit restaurant au pied du château (les soba étaient étonnamment bons pour un lieu touristique), nous partons visiter l’intérieur du donjon, qui a été entièrement refait depuis notre dernière visite il y a dix ans. Le château n’est pas historique car il a été reconstruit en 1960. Comme beaucoup de châteaux, symboles du régime militarisé, il a été détruit au moment de la restauration Meiji. L’exposition historique à l’intérieur du château a été complètement refaite et modernisée avec notamment quelques vidéos très bien construites. Zoa et moi avons notamment été passionnés par la vidéo montrant la bataille de Odawara en 1590 par laquelle Toyotomi Hideyoshi prit possession du château et détrôna le clan Hōjō. Toyotomi Hideyoshi a d’abord pris toutes les places fortes autour du domaine d’Odawara pour l’encercler. Pour démolir le moral des troupes adverses, il construira même un château de cartes à Ishigakiyama, sur les hauteurs de Odawara. Ce château dans les montagnes couvertes de forêts s’appèle Ishigakiyama Ichiya. Il fut construit par Toyotomi Hideyoshi très rapidement en 80 jours et en secret. L’histoire raconte que les arbres devant le château ont tous été coupés en une seule nuit pour laisser soudainement apparaître le château de Ishigakiyama Ichiya depuis le bas de la montagne où se trouve le château d’Odawara. Ce château apparaissant soudainement donna l’impression d’avoir été construit en une seule nuit et contribuera grandement à la perte de moral du clan Hōjō, ce qui les entraînera à leur perte. Le château de Ishigakiyama Ichiya fut construit spécialement pour le siège d’Odawara puis ensuite délaissé une fois la bataille terminée. Il n’en reste désormais que des ruines. L’exposition du château nous explique cette histoire. On navigue ensuite dans les étages jusqu’à l’observatoire en haut du château. On peut en faire le tour, voir l’océan tout proche et les montagnes légèrement couvertes de nuages. Dans ces montagnes et derrière les filets de nuage, j’imagine un château menaçant, celui de Ishigakiyama. Quelques armures, autrefois présentées à l’intérieur du donjon, sont désormais disposées dans une autre dépendance du château. On peut y voir une projection sur un écran et une armure blanche d’un petit film d’images digitales assez réussi. Comme le temps est couvert, la nuit tombe assez sur Odawara et nous rentrerons dans la nuit noire sur l’autoroute longeant l’océan sur les côtes du Shōnan.

rouge et toxique

Un ciel et des nuages rouges envahissent les rues de Shinjuku, rouges comme les yeux des insectes géants Omus dans Nausicaä lorsqu’ils sont pris d’une fureur inarrêtable. J’aime cette couleur rouge car elle donne beaucoup de force aux images mais je me limite volontairement à l’employer. De temps en temps, l’envie me prend de teinter mes photographies. La dernière fois que j’ai utilisé et mis en avant volontairement le rouge, c’était sur une série intitulée sometimes en février de cette année. J’avais beaucoup hésité avant de montrer cette série, et c’est très souvent le cas quand je tente des expérimentations d’images. Mes expérimentations sont très souvent basées sur la destruction d’images et qui dit destruction dit intervention d’une certaine forme de violence visuelle. L’emploi de la couleur rouge va dans ce sens, mais je porte également attention à ne pas forcer le trait inutilement, d’où mes restrictions naturelles. Un autre dilemme se pose à moi régulièrement, c’est la perte d’homogénéité engendrée par le mélange de photographies ‘classiques’ de lieux visités et d’architecture avec ces photographies plus expérimentales. Parfois, j’aurais envie de les séparer plus clairement mais je me dis aussi que ce mélange fait aussi l’intérêt de ces pages basées uniquement sur l’émotion que veut transmettre son auteur sans soucis de s’harmoniser avec des standards établis par d’autres. Cette liberté n’est en fait que très limitée car l’empêchement que je m’impose à moi-même me maintient dans des limites bien définies.

En ce moment, j’écoute beaucoup l’album électronique Feed Forward du collectif Sandwell District, sorti en 2010. Je connais quelques morceaux depuis longtemps comme le superbe Falling the same way, morceau de 9:40 minutes grandiose pour sa spatialité. Lorsqu’on écoute ce morceau, on est tout de suite absorbé par l’ambiance créée par ces nappes musicales jusqu’à ce que démarre ensuite un rythme inarrêtable formant la colonne vertébrale du morceau. J’ai écouté ce morceau pour la première fois il y a sept ans et j’y reviens très régulièrement, comme une référence électronique, lorsque je suis à court d’idées sur les prochains morceaux a découvrir. Sur cet album, je m’étais inconsciemment limité à ce morceau sans écouter le reste de l’album parce que j’avais l’impression que le reste de l’album ne pourrait de toute façon pas atteindre ce sommet. C’est d’une manière assez vrai car Falling the same way fait de l’ombre à tout le reste de l’album. En écoutant l’album Feed Forward maintenant, je découvre cependant beaucoup de beaux morceaux comme le triptyque Immolare qui nous fait entrer dans un monde sombre, dans une ambiance post-industrielle qui semble avoir été noyée dans une mer toxique. L’ambiance est à la limite angoissante, avec des sons qu’on croirait venir d’insectes, comme ceux peuplant la fukaï, la forêt toxique en pleine extension de Nausicaä. La pochette grise de l’album avec cet être portant un scaphandre correspond bien à cette idée d’un univers hostile non habitable. Les morceaux suivants Grey cut out et Hunting lodge maintiennent cette ambiance post apocalyptique, mais Haunting lodge va un peu plus loin dans la puissance martelante du son électronique, jusqu’à développer une addiction. Ce morceau nous entraine dans des bas-fonds tandis que Falling the same way, qui suit juste après, nous ramène vers la lumière, celle qui perce à travers l’obscurité et envahit soudainement tout l’espace de sa clarté. Dans cette ambiance aux vents tourmentés, on attend que la machine se révèle petit à petit. Elle martèle d’un son clair jusqu’à l’infini, du moins on aimerait que ce son ne s’arrête jamais. Les quelques morceaux beaucoup plus minimalistes qui suivent ont un peu de mal à rivaliser en intensité avec Falling the same way. N’oublions pas que cet album est construit par un collectif, et que les ambiances résultantes varient suivant les influences de chaque membre.

Je parle un peu soudainement de Nausicaä dans le texte ci-dessus car je viens de le revoir pour la première fois depuis plus de 15 ans. L’émission radio « Les chemins de la philosophie » animée par Adèle Van Reeth sur France Culture diffusait à la fin avril et début mai quatre épisodes intitulés « Philosopher avec Miyazaki ». Les émissions faisaient intervenir des spécialistes et abordaient quatre films d’animation de Hayao Miyazaki et du studio Ghibli à savoir Ponyo sur la falaise, Porco Rosso, Princesse Mononoke et Nausicaä de la vallée du vent. Les émissions étaient toutes très intéressantes pour les amateurs de l’univers de Miyazaki. Elles s’efforçaient à déchiffrer les principaux thèmes de son œuvre. La cohabitation entre la nature, l’humain et la technologie est un des thèmes récurrents, tout comme le parcours initiatique du Héros. Ces éléments composent d’ailleurs le cœur du film d’animation Nausicaä de la vallée du vent, sorti en 1984. J’ai eu très envie de le revoir après avoir écouté les émissions et j’essaierais très certainement de lire le manga du même Hayao Miyazaki dont le film est tiré. Je ne reviendrais pas sur l’histoire du film car d’autres l’expliquent très bien, notamment cette analyse très intéressante de Guillaume Lasvigne sur le site Courte-Focale. Après l’avoir regardé, je ne soupçonnais pas être touché à ce point, par l’atmosphère du film, par la qualité de ce monde et de ses protagonistes dont on sait peu de choses (Miyazaki nous suggère plutôt que nous explique), par la volonté intouchable du personnage de Nausicaä, par l’émotion qui se dégage dans son désir de voir cohabiter des êtres bien différents et a priori hostiles les uns envers les autres. La musique toujours très juste de Joe Hisaishi contribue beaucoup à l’émotion qui se dégage de ces images. Je pense que Ghibli doit beaucoup à Hisaishi pour transporter le spectateur. Juste après voir vu le film, je télécharge sur iTunes quelques morceaux de la bande sonore du film, notamment le thème d’ouverture et un autre morceau très sensible Fukaï nite composé de notes de musique légères comme des gouttes de lumières, ou des petits flocons de pollen envahissant le ciel, comme ceux sur l’image ci-dessus qui retombent sur le corps de Nausicaä, alors qu’elle s’allonge sur le dos bombé d’un Omu dans la forêt toxique fukaï, protégée par un masque à oxygène. L’émotion qui se dégage de cette musique, en se remémorant certains passages du film, est magnifique. Une musique d’exception lorsqu’elle se marie bien avec les images transforme pour moi un bon film en un moment d’émotion pure qui nous dégage de toute notion temporelle, pendant le temps où on est plongé profondément dans ces images et ces sons. Dans un style complètement différent, les images de la route défilant dans la nuit sous le morceau « I’m deranged » de David Bowie dans le film Lost Highway de David Lynch est aussi un moment d’exception. Je me souviens encore très clairement du moment où j’ai vu le film pour la première fois au cinéma lorsque j’étais étudiant. Dès les toutes premières images sous la voix de Bowie, j’étais convaincu de la qualité du film. David Lynch a très bien compris que ce rapport émotionnel est indispensable.

reflets et vertiges à Ogochi Dam

Il se dégage une certaine magie lorsqu’on regarde les reflets, tel un miroir, sur la surface de l’eau du lac d’Okutama. Nous sommes toujours à Tokyo ici, mais très loin à l’Ouest dans les montagnes au delà de la ville d’Ome. Le lac d’Okutama n’est pas naturel. Il s’agit d’une réserve d’eau bloquée par un barrage, le Ogouchi Dam, qui vient réguler le flot de la rivière. La rivière Tama, qui débouche dans l’océan pacifique entre Kawasaki et l’aéroport de Haneda, prend naissance dans les montagnes de Okutama. La route menant jusqu’au lac en altitude est très sinueuse. Elle suit la rivière Tama. Nous passons à proximité du Mont Mitake et de Hatonosu où nous sommes allés en décembre l’année dernière, mais il faut continuer à rouler sur plusieurs kilomètres avant d’atteindre le lac. Sur la route, on dépasse quelques cyclistes qui ont bien du courage de s’engager sur ces pentes accentuées. Une fois arrivés au bord du lac, nous sommes surpris par le nombre de voitures stationnées dans le parking. Il est plein mais on voit pourtant assez peu de monde se promener. Peut être sont ils tous en train de déjeuner dans l’unique restaurant du site, ou peut être sont ils déjà partis en montagne pour une excursion. Le barrage est une pièce grandiose d’architecture de béton. On peut le traverser à pieds sur une large route de goudron tout en regardant le lac d’un côté et le précipice en contre-bas de l’autre côté. Les murs du barrage sont larges et les portes vitrées d’une des tours d’observation sont bien sécurisées. Il n’empêche que je suis gagné par un certain vertige. Zoa est comme moi malheureusement. J’ai beaucoup de mal avec l’altitude, même si ce genre de lieux au Japon sont très bien sécurisés, plus qu’en France je pense. En France, le vertige me gagne souvent quand je visite des sites historiques, comme des remparts de châteaux ou de villes fortifiées. La cité médiévale de Rocamadour, campée sur une falaise abrupte, est mon cauchemar et je me sens mal rien que d’y repenser. Je me sens mieux quand je sais qu’il n’y a aucune chance (ou malchance plutôt) de tomber. Le vertige me reprend un peu plus tard quand on franchit un pont traversant la rivière Tama. Il se trouve un peu plus bas au niveau d’un autre barrage appelé Shiromaru Dam. Depuis le pont, la vue sur la rivière et la forêt tout autour aux couleurs du printemps est pourtant superbe. On peut y voir un groupe de personnes qui pagaient sur des longues planches. Cette image donne envie de les rejoindre quelques instants. Nous irons manger au restaurant de l’autre côté du pont, en terrasse avec vue ombragée sur la rivière. C’est un bel endroit à 1h et demi du centre de Tokyo que nous avons découvert là.